Dans le Gard la société civile s’engage contre la discrimination

Agir devant l'impuissance publique face à la montée du FN

Pour un vrai débat public et citoyen

Réfléchir sur les pannes qui se sont produites dans le processus d’intégration ou analyser la montée de l’extrême droite à l’échelle locale ne consiste pas à réduire ces problématiques qui se déploient à l’échelle nationale et européenne. Ce peut être au contraire une facon d’ouvrir le débat au plus près du quotidien. Les thèmes de l’exclusion et des discriminations émergent toujours difficilement dans le débat public hexagonal. « Localement, la moitié de la population est raciste, certains maires refusent d’aborder la question pour ne pas fâcher les gens », confie M. Mazauric.

A l’aune de ce témoignage, on mesure la nécessité de voir émerger des mouvements organisés et massifs. Avec le soutien de partis en manque de symbole, le monde associatif s’est depuis longtemps engagé dans ce combat mais de Fadela Amara à Harlem Désir, les premiers concernés ont plus pensé à servir leurs ambitions qu’à s’investir dans une action collective. La marche pour l’égalité de 1983 et « Convergence 84 » avaient ébauché une avancée qui fut minée par la récupération politique et les déceptions consécutives.

Par l’effet d’une méfiance compréhensible, les intéressés on finit par s’isoler dans des revendications communautaires. Il est plus que temps de dépasser le lourd contentieux colonial pour s’inscrire dans la réalité de la diversité. L’effet de loupe porté sur la situation du Gard permet de voir que le racisme s’exerce aussi en direction de l’étranger qui vient s’installer dans la région quelles que soit ses origines. « La peur du FN reste un des principaux ressorts du vote utile », souligne l’historien Alexis Corbière, une raison citoyenne de plus d’évaluer et d’agir en connaissance de cause…

JMDH

Société. Le Gard est le seul département à avoir placé le FN (25,51%) en tête au premier tour de la présidentielle en 2012. La société civile s’engage pour un retour à la fraternité soutenu par le CG 30.

Marion Mazauric créatrice des Editions Au diable Vauvert

Marion Mazauric créatrice des Editions Au diable Vauvert

Premier festival du livre contre la discrimination

La semaine nationale contre le racisme et les discriminations prend du sens ce week-end à Vauvert avec la première édition du Festival in/différences initiée par les éditions Au Diable Vauvert et la librairie La Fontaine aux livres. « Nous inaugurons le premier salon du livre en France contre la discrimination, indique Marion Mazauric fondatrice des éditions du Diable. Nous le reconduirons chaque année à l’occasion de la semaine contre le racisme en mettant à l’honneur une pratique, une culture ou une population ostracisée. Le thème de cette année c’est le racisme, ce pourrait être les homosexuels ou la tauromachie...» Au cœur de la 2e circonscription du Gard représentée à l’Assemblée par Gilbert Collard, cette initiative s’accompagne de la parution d’un petit livre* qui fait le point sur les raisons locales de la montée du FN. L’ouvrage réunit historiens, sociologues, géographes ou spécialistes de l’extrême droite pour se pencher sur le cas du Gard.

L’historien Raymond Huard rappelle que les mouvements d’extrême droite prospèrent toujours sur un terreau particulier. Des débordements xénophobes d’Aigues-Mortes à l’encontre des ouvriers italiens à la fin du XIXe aux différents succès électoraux du FN dans le Gard à partir des Européennes de 1984 en passant par le mouvement poujadiste qui perce dans les années 50 auprès des rapatriés d’Algérie, le FN a trouvé les moyens de s’ancrer dans le département. Il a en outre bénéficié de l’attitude de deux présidents de région successifs. Jacques Blanc s’alliera directement avec le FN tandis que Frêche s’en est accommodé par calcul politicien.

La géographe Catherine Bernié- Boissard fait le lien entre le rapport des habitants à la ville et leur comportement électoral. Rattachant la récente progression du FN à un ensemble de facteurs : crise économique, délitement des services publics, ruptures des liens sociaux, crise culturelle. Ici comme ailleurs, la ruralité a reculé au profit du péri-urbain. « On ne gère plus le collectif, confirme Marion Mazauric qui vit sur place. On construit des villes entières sans place pour se rencontrer. Le défi du développement démographique suppose un effort mutuel. Les gens qui arrivent doivent respecter la culture et les autres doivent pendre conscience qu’ici les sangs se sont mêlés depuis les Wisigoths ». Au-delà du festival, plus de 75 associations sont mobilisées pour remettre l’intelligence au service de l’humain. Ils ont trouvé une réponse institutionnelle avec le Préfet du Gard Hugues Bousiges qui lance la semaine de la fraternité du 21 au 28 mars. Un réveil ?

Jean-Marie Dinh

Vote FN : pourquoi ? Ed Au Diable Vauvert 128 p 5 euros.

Source : La Marseillaise 16/03/2013

Voir aussi : Rubrique Livre, Essais, Le massacre des Italiens rubrique Edition, rubrique Festival, rubrique Histoire, rubrique Société, citoyenneté, rubrique Politique, Politique de l’immigration, rubrique Débat,

Histoire : Le discours sur l’éducation à fin du XIX et au XXe siècle

L'historien Jean Sagnes

L’historien Jean Sagnes

Jean Sagnes. L’historien spécialiste de la région co-signe avec Louis Secondy «Ils ont parlé à la jeunesse, un ouvrage qui analyse les discours et le sens de l’éducation à fin du XIX et au XXe siècle

Jean Sagnes est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université de Perpignan Via-Domitia dont il a assuré la présidence. Il est un spécialiste de l’histoire contemporaine, notamment de la France et de l’histoire du Languedoc-Roussillon. Il a publié ou dirigé une quarantaine d’ouvrages dont L’Enseignement du second degré en France au XXe siècle, Jean-Moulin et son temps, 2000 et Jaurès.

D’où est partie l’idée de ce livre que vous co-signez avec l’historien Louis Secondy ?
Au cours des recherches menées sur l’histoire de la région,  nous sommes tombés sur un panel exceptionnel. Nous avons découvert plusieurs discours d’hommes célèbres prononcés dans le cadre de distribution de prix. A l’époque, ces moments qui ponctuaient la fin de l’année faisaient événement dans les établissement scolaires. Les discours sont certes conventionnels mais ils présentent aussi des particularités liés aux faits que les orateurs livrent à la jeunesse se qu’ils ont au fond du coeur.
Votre travail couvre les discours de notre région entre la fin du XIXe jusqu’à la moitié du XXe siècle.

Quel était l’objectif de ces interventions ?
On voulait donner du lustre à la distribution de prix qui donnait lieu au classement général de l’établissement. On considérait que cela introduisait une valorisation qui rejaillissait sur l’institution. Il n’existe pas de cérémonie équivalente aujourd’hui. Elles ont complètement disparu depuis 1968.

Qu’est ce qui a retenu votre attention dans le discours des personnages célèbres ?
Il y avait cette préoccupation commune, surtout pour les garçons, car nous n’avons pas trouvé de discours dans les établissements de filles, que la jeunesse était amenée à devenir les futurs citoyens. Chacun mettait dans ces discours ses convictions en fonction de sa personnalité et de l’environnement dans lequel il évoluait. Dans son discours de 1903 prononcé à Albi, Jaurès apporte la notion de courage, il fait de la politique. Il vante les mérites de la République du socialisme et de la paix alors qu’il ne devrait pas. On sent qu’il s’adresse aux parents en  oubliant un peu la jeunesse.  En 1931  au collège Victor Hugo de Narbonne le député audois Léon Blum évoque le passage du romantisme littéraire au romantisme moral, philosophique et politique en se gardant de mentionner les surréalistes français,  le constructivisme russe ou l’expressionnisme allemand. Quatre ans plus tard au collège de Sète l’académicien Paul Valery évoque déjà devant les élèves la crise de civilisation et d’idée liée a l’émergence d’un monde moderne modifiant la vie humaine en profondeur sans que les lois et la politique n’aient nsuivi. Il appelle de ses voeux une évolution profonde au moment où les revendications territoriale de l’Allemagne qui n’accepte pas le traité de Versaille se font plus pressantes.

Le discours du général de corps d’armée Jean de Lattre de Tassigny à Montpellier en juillet 1942 se tient lui sous l’autorité de Pétain…
En effet, lorsque le général de Tassigny prends la parole à Montpellier en juillet 1942, la partie nord et toute la côte atlantique sont occupées par l’armée Allemande. Le sud, dépend de l’autorité du gouvernement de Vichy avant que les allemands ne descendent du nord en novembre. Dans son discours, il fait l’éloge de Pétain, cultive le sens de l’effort et l’apologie du chef mais  certains points où non dit comme l’absence de toute référence à la collaboration laissent transparaître des messages subliminaux qui contre balancent sa docilité. Au moment du franchissement de la ligne de démarcation en novembre 1942 il refuse les ordres et est arrêté. Après son évasion de Gaulle le nomme générale d’armée.
Les discours ne prennent en considération le rôle éducatif des femmes que durant la guerre…

La première guerre mondiale place les femmes dans une condition nouvelle. A Agde en 1918 le discours  du professeurs Soulas se prononce en faveur d’une généralisation de la mixité dans l’enseignement et interroge l’inégalité de traitement  entre les hommes et les femmes inscrite dans le code civile. Clémenceau et nos braves républicains ne se sont pas battus pour l’accès des femmes à l’éducation. A partir de 1919, les différentes propositions de loi allant dans ce sens ont toujours été bloquées par le sénat.  Les femmes ne disposaient pas du droit de vote et l’église faisait un forcing pour maintenir ses prérogatives en matière d’éducation.

Malgré le centralisme républicain, la culture languedocienne semble bien présente dans les discours ?
On relève dans de nombreuses intervention de professeurs une mise en avant de la civilisation occitane. C’est d’autant plus étonnant que contrairement au personnes célèbres, leur discours devait recevoir l’assentiment du recteur. Jaurès évoque le génie méridionale permettant de mieux apprendre le français tandis que certains professeurs militent pour la réintégration de la langue d’Oc a une époque où les instituteurs ont pour mission ou se donnent pour mission de faire disparaître le «patois».

A la lecture de votre ouvrage on mesure l’importance donner à la valeur de l’enseignement quel est votre regard sur la crise que nous traversons actuellement ?
Je n’adhère pas vraiment à la thèse du niveau qui baisse. C’est un vieux serpent de mer. Aujourd’hui l’enseignement n’a plus pour objet l’éducation mais l’instruction. En tant que président d’université j’ai observé les difficultés rencontrées par les entreprises pour s’investir dans l’enseignement supérieur. Je ne considère pas l’entrée du privée comme une menace même si l’autonomie financière des universités peut changer la donne. Le danger viendrait plutôt de  l’ingérence des collectivités qui veulent ériger des grandes usines à gaz en regroupant les université pour les rendre plus visibles. Ce qui, on le sait ne permet pas le résultat recherché au niveau international. La Région a fait état de menaces précises à l’encontre de plusieurs universités dans le Languedoc-Roussillon. Je me réjouis  qu’elle se soit heurtée à des directions solides. Mais il faut demeurer vigilant car avec la nouvelle loi  du gouvernement socialiste et la paralysie des syndicats, on peut craindre le pire.

Propos recueillis par Jean-Marie Dinh

Ils ont parlé à la jeunesse, ed, Nouvelles Presses du Languedoc, 22 euros

Source : La Marseillaise 02/09/2013

Voir aussi : Rubrique Livre, rubrique Education, rubrique Histoire

Delteil : J’ai été créé pour me tourner les pouces au soleil.

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Delteil lettre B comme Baiser « Le mot baiser, si chaste en substantif, si lascif en verbe ». photo Dr

Roman. Avec «Delteil Soleil», l’écrivain audois Jean-Louis Malves célèbre la Saint Joseph avec un alphabet pour lui rendre hommage.

Les 26 courts chapitres de Delteil Soleil sont autant de fenêtres ouvertes par l’écrivain audois Jean-Louis Malves pour éclairer l’homme que fut son ami Joseph Delteil. Du « A » comme Alice, l’une des trois héroïnes pubères et vierges de Choléra qui se donne la mort par amour : « Alice se jeta dans le lac, en silence de tout son long, mais de telle façon toutefois que la bouche d’abord touchât l’eau et que cette mort commençât par un baiser », au Z de Zénon et de ses paradoxes comme celui du temps que traverse l’oeuvre du poète, les 26 lettres de l’alphabet assemblées avec la liberté d’un grand jardinier produisent une nouvelle floraison de mots. Mots que Delteil considérait comme des êtres vivants, mots qui dessinent une existence lumineuse, mots dont surgissent une soif nouvelle qui pousse vers les sources d’une oeuvre immense.

C’est le 4e ouvrage que Jean Louis Malves signe à la gloire de son ami Delteil. Ce frère audois avec qui il partage l’amour de leur département natal. On mesure à la lecture, ce que le Midi doit au poète – pas seulement par ce qu’il fut représentant en blanquette de Limoux – et réciproquement ce que le poète doit au Midi. Ce goût de la terre qu’on emporte avec nous sous les semelles, ce goût du sang et de la provocation que l’on a dans la bouche, cet accent effroyable au yeux des grands intellectuels vaniteux comme Derrida. « Delteil est un petit homme blond dont il faut passer sur son air si ordinaire, si pauvret, si empêtré, pour voir qu’il a des traits fins et un regard candide

Il faisait partie de ses individus qui ont l’art de s’attirer les foudres. A ses débuts, dans les années vingt, il fut associé au premier équipage des surréalistes. La parution, en 1922, de son premier roman Sur le fleuve Amour attire l’attention de Louis Aragon et André Bre- ton, ce dernier le cite dans son Manifeste du surréalisme comme l’un de ceux qui ont fait « acte de surréalisme absolu ».

Puis vînt l’excommunication pour s’être attaqué à des sujets (les poilus, Jeanne d’Arc, Jésus…) en apparence plus conservateurs, touchant à la fibre patriotique encore à vif. « Suffisant pour déclencher la colère divine du clan Breton», souligne Jean Louis Malves. C’est à la suite de la parution de Jésus II dans les années 30 que Delteil rencontre Henry Miller avec qui il lie une profonde amitié qui donnera lieu à une longue correspondance rassemblée par le poète Frédéric Jacques Temple qui partage la retraite occitane de Delteil au même titre que Brassens et Soulages. «J’ai été créé pour me tourner les pouces, au soleil, sur une plage » affirmait Delteil avec un goût certain de la provocation.

Jean-Marie Dinh

Delteil Soleil, éditions Domens, 20 euros

Source. La Marseillaise 17/08/2013

Voir aussi : Rubrique Livre, Littérature française, rubrique Culture d’Oc, rubrique Poésie,

Daniel Villanova : L’ arme redoutable de l’humour

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Dans le dernier spectacle de Daniel Villanova  « La croisade des Rabat-joie, on découvre du gaz de schisme dans un village foldingue de Bourougnan. Au théâtre de la mer à Sète le 29 juin

On connait les personnages hauts en couleur qui peuplent le petit monde de l’auteur interprète, Daniel Villanova. Son theâtre qu’il qualifie lui-même de « comico-maquisard » a longtemps mis en vie les personnages typiques de la région dans la fictive bourgade héraultaise de Bourougnan. Le rire villanovien comme instrument de résistance s’est longtemps grimé sous les traits hilarants des figures du village. « Mes personnages, ça fait trente ans que je les travaille. Je peux leur faire dire ce que je veux. »

Son spectacle Jean-Charles président*, qui fait référence à la campagne de Nicolas Sarkozy marque un tournant dans la forme que l’humoriste donne à ses spec- tacles. « Dans le public, il y a des gens qui venaient voir les jambes de Lucette et qui n’ont pas été déçus du voyage. » Avec l’évolution libérale de la société et la déshumanisation qui l’accompagne, le ton de l’artiste est devenu beaucoup plus militant. «L’humour, si on l’enveloppe trop, les gens entendent ce qu’ils veulent. J’ai évolué dans ma forme d’expression parce que je sens que là, on est vraiment prêt du mur. Maintenant je ne laisse plus le choix. Je suis militant de la libre pensée. Cet aspect a toujours suinté dans mes pièces, mais maintenant je dis vraiment les choses. »

Cette décision modifie un peu la donne pour ce qui concerne les maires des petites communes « qui préfèrent les spectacles plus consensuels », mais aussi dans le public. « En génèral les gens interviennent moins lorsque vos propos sont plus affirmés. Je me souviens d’un type qui est venu me voir après le spectacle et qui m’a dit je suis à l’UMP mais j’ai beaucoup ri. Je lui ai répondu : personne n’est parfait. »

Avec son nouveau spectacle, La croisade des Rabat-Joie, Daniel Villanova, poursuit sur la voie de l’engagement. Horreur et peut-être perdition, les habitants de Bourougnan sont en émoi après la découverte d’un énorme gisement de gaz de schiste dans la commune. On fait confiance au bateleur pour insuffler dans la tête de ses personnages l’émancipation intellectuelle suffisante pour sauver le village de la catastrophe annoncée.

JMDH

*Disponible aux éditions Un jour une nuit.
La croisade des Rabat-Joie, au Théâtre de la mer le 29 juin. Réservations au 04 99 04 71 71.

Voir aussi : Rubrique Agenda, rubrique Culture d’OC

Frederic Jacques Temple : « Les poèmes sont des notes marginales, comme des balises qui marquent la vie et le temps »

 

Frederic Jacques Temple, poète occitan évoque les lignes de force de son parcours et l’attachement indéfectible à ses racines culturelles.

Depuis son enfance montpelliéraine, Frédéric Jacques Temple a traversé le XXe siècle. Il est parti cueillir des éclats d’imaginaire à travers le monde pour les ramener près de son arbre. Il réside dans un petit village du Gard où il poursuit sobrement son œuvre de poète, avec un ton juste où l’émotion passe à fleur de mot.. Le personnage atypique et déterminé vient de léguer à la médiathèque centrale de l’agglomération de Montpellier un fonds où s’inscrivent les traces de son parcours. A 90 ans l’écrivain occitan revient sur quelques images de sa vie.

Avez-vous le souvenir d’une enfance heureuse ?

Entre la mer et le Larzac, mes parents sont de souche aveyronnaise, mon enfance ne fut pas tout à fait heureuse. Pour des raisons familiales, j’ai été placé en pensionnat très tôt, dès l’âge de sept ans. J’ai ainsi appris à vivre seul, même si l’enseignement particulier que j’ai reçu m’a permis de m’ouvrir au chant, à la musique et à l’histoire de l’art..

Etait-ce un établissement religieux ?

Oui, mais l’enclos Saint François de Montpellier jouissait d’une réputation particulière. Nous étions le grand rival de l’école Jésuite à laquelle nous nous opposions lors de mémorables matchs de football. Le père Prévost, qui avait fondé cet orphelinat en investissant une partie de sa fortune y accueillait aussi les élèves de bonne famille. Cette institution pratiquait une pédagogie très ouverte sur l’art. Jean Bioulès, le père de François et de Jacques est aussi passé par St François. Je me souviens d’un jour, où l’évêque était en visite, le père Prévost lui a dit : « Ici les âmes vous appartiennent, mais le reste me concerne. »

A quel moment étiez-vous en contact avec la nature qui vous est si chère ?

Pendant les vacances, à l’époque nous avions trois mois. Je m’en donnais à cœur joie sur le Larzac avec mon oncle archéologue. On partait pour fouiller les dolmens et piéger les lapins. Sur la côte, il y avait la mer sauvage. On pêchait les poissons à trois mètres de la plage, du côté de la Grande-Motte qui est devenu plus tard la mer de béton. Près des étangs, j’ai passé des nuits à essayer de surprendre les canards. Je vivais des moments fantastiques tels qu’on peut les trouver dans les romans de Mark Twain ou de Jack London. Les livres ont nourri mon goût pour les grands espaces. Mon grand désir, c’était de voir si mes lectures ne m’avaient pas menti.

Sans quitter la Méditerranée vous passez sur l’autre rive en 1942 pour suivre votre père nommé préfet d’Alger…

Ma mère avait prévu que nous irions le rejoindre plus tard, mais mon père savait que le débarquement était en cours. Il a insisté pour que nous partions ensemble. Dès mon arrivée à Alger, je suis allé rencontrer Max-Pol Fouchet qui dirigeait la revue poétique Fontaine. Il m’a présenté Edmond Charlot (1), Marcel Sauvage, Emmanuel Roblès…

C’est l’époque où Alger est l’épicentre de la résistance intellectuelle française, quelle était la teneur des débats, la question de l’indépendance en faisait-elle partie ?

Après le débarquement, de nombreux artistes et écrivains arrivent à Alger. Charlot qui avait publié les premiers textes de Camus dans sa collection Méditerranéennes, devient l’éditeur de la France libre. Il reçoit clandestinement le manuscrit de Vercors, Le silence de la mer. Moi, je me trouvais dans le bain de ces jeunes écrivains. Je m’imprégnais de tout cela. Je fréquentais la casbah et les cafés maures. Cela n’a duré que quelques mois car j’ai été mobilisé dès le débarquement. J’ai choisi de partir avec un régiment composé de 90% d’indigènes. Je raconte cet épisode et l’histoire des hommes de l’armée d’Afrique dans mon roman La route de San Romano (2). Ben Bella a été décoré de la Médaille Militaire pour avoir combattu avec les troupes françaises sur le front italien. Puis tout cela a dégénéré. Les hommes politiques ont pris le mauvais chemin. On aurait pu régler ces affaires sans tirer un coup de fusil. C’était très possible.

Quelle place accordez-vous à la conscience politique dans votre œuvre ?

C’est à ceux qui lisent mes livres d’en tirer les conclusions. Ce qui m’intéresse, ce sont les hommes, les idées, ce ne sont pas les doctrines. A mon sens le seul homme politique digne de ce nom, c’est Pierre Mendés France.

Etes-vous croyant ?

J’ai reçu une éducation religieuse. Aujourd’hui, j’ai beaucoup d’admiration pour le Christ… beaucoup moins pour Dieu le père. Ma foi, si je peux employer ce gros mot, se compose davantage d’espérance que de certitude…

Pour revenir à votre œuvre, et aux différentes formes d’expressions qui la constituent, comment s’opère la distribution entre poèmes, romans, récits, essais …

Je ne suis pas du tout un romancier. Je suis incapable d’inventer des dialogues, de créer et de faire évoluer des personnages. J’écris à partir d’expériences biographiques revues par l’écriture. C’est une forme d’autofiction. Les poèmes sont des notes marginales, comme des balises qui marquent la vie et le temps. Je n’érige pas de frontières imperméables entre la prose et la poésie. La littérature qui m’intéresse, c’est le résultat de la vie. On ne peut pas faire du pain si on n’a pas semé le grain.

En vous rendant outre-Atlantique, avez-vous confirmé votre goût pour la littérature et les grands espaces américains

J’ai suivi le conseil de mes lectures. Je ne suis pas allé voir les usines de General Motors. Je suis allé vers la grande prairie, vers les Indiens. A Santa Fé, je me suis fait adopter par une famille indienne. L’Occitan que je suis a retrouvé les mêmes problématiques de colonisation que dans le Sud. A tel point que j’ai failli rester là-bas. Mais mes amis indiens m’ont dit : « Tu es ici chez toi, mais il faut que tu ailles vivre parmi tes morts, même si ton pays est une réserve ».

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Littérature française, Poésie, rubrique Rencontre, Vincent Bioulès, rubrique Culture d’Oc, Temple les forces élémentaires d’un homme du sud,