«The End», éléments de scénographie sans formol. Photo JMDI
hTh Lecture. «The End» de Vaeria Raimondi et Enrico Castellani.
Une temporalité singulière dans un lieu singulier, celui du conservatoire d’anatomie de la fac de Médecine de Montpellier. Endroit tout trouvé pour écouter The End, lâché dans le noir muni d’un casque sur les oreilles et d’une lampe torche.
Le texte de Valeria Raimondi et Enrico Castellani interroge la mécanique implacable et vaine de nos existences. Avec le sens de la dramaturgie que construit notre libre cheminement dans l’espace, on évacue d’emblée l’anecdotique pour en venir à notre propre histoire humaine et à son dénouement.
Le texte s’adresse à nous mais la distribution de casques nous isole face au miroir de nos considérations. La voix du lecteur qui se déplace résonne un peu comme une âme amie. Avec plus ou moins d’attention, nous l’écoutons une heure durant, en laissant aller nos pas dans les longues allées du musée où tous les éléments du corps humain (et de quelques animaux) se dévoilent sous vitrines.
En tant qu’oeuvre, la pièce qui se joue n’a rien d’un fait accompli. L’espace qui porte déjà les éléments de la mise en scène médicale, se redistribue selon le parcours physique et psychique du visiteur. Dans les vitrines, les scènes inspirées de récits scientifiques ne font plus vraiment référence. Notre parcours suspend les récits préalables, se soustrait à leurs lois, efface le texte. Il nous renvoie à l’ignorance de notre sort, et à la ténacité d’un «pas encore».
Matt Mullican : Le lynchage de l’empathie dans la représentation humaine
Art. L’ancienne faculté de pharmacie de Montpellier devenue La Panacée renoue avec son passé à l’occasion de l’expo d’art contemporain Anatomie de l’automate.
La nouvelle exposition d’art contemporain de la Panacée Anatomie de l’automate s’inscrit dans la continuité d’une ligne programmatique qui interroge notre époque. C’est aussi un retour aux sources, aux belles heures de la dissection qui se tenaient en ce lieu au XVe siècle. Conçue en collaboration avec le Musée d’art moderne et contemporain de Genève, Manco, l’expo a trouvé localement un partenaire logique avec l’Université de Montpellier. La ville dont dépend La Panacée y a vu une occasion intéressante de valoriser l’histoire de la médecine à Montpellier.
« L’exposition prend pour point de départ l’analogie du corps humain et de la machine pour explorer les imaginaires de la vie artificielle, indique le commissaire d’exposition Paul Bernard, l’homme a souvent été perçu comme une machine et la machine peut être perçue comme un homme « , hasarde le jeune commissaire.
On est proche du champ de réflexion du Post humain développé par des philosophes comme Gilbert Simondon, qui s’intéresse au mode d’existence des objets techniques ou comme Dominique Lecourt qui nous invite à réexaminer le système des valeurs admises et à inventer de nouvelles formes de vie qui intègrent les nouvelles techniques de procréation, et les NTIC.
Au-delà du contexte manufacturier, l’avancée des techniques issues de la robotique produit paradoxalement de l’émotion. Mais elle porte aussi en germe une multiplicité d’usages et de conséquences, plus ou moins prévisibles. On sait le peu d’attention que portent les chercheurs aux bouleversements sociaux et éthiques qui pointent. Avec Anatomie de l’automate, on ne doit pas s’attendre à une résistance d’ordre artistique.
Tout au contraire, l’intérêt de l’expo est de mettre en exergue la fascination de la relation homme machine à travers l’histoire depuis les Lumières. Descartes affirmait déjà que l’animal n’est rien d’autre qu’une machine perfectionnée et ne voyait pas de différence fondamentale entre un automate et un animal.
Une trentaine d’oeuvres de provenance internationale sont mises en regard autour de ce thème, de la frappante dissection verticale du peintre médecin G Alexandre Chicotot, (XIX e) à nos jours. Des pièces sortent du lot comme celle de l’américain Matt Mullican qui réinvente le monde dans une logique post-conceptuelle. L’oeuvre exposée fait état du lynchage de l’empathie dans la représentation humaine. On croise le travail du japonais Tetsumi Kudo, marqué par la bombe atomique, avec une installation au sol pleine de force. On vogue dans l’étrangeté avec l’artiste autrichien Markus Schinwald qui invoque les fantômes contemporains.
Autour de Anatomie de l’automate, la Panacée propose des visites guidées thématiques durant toute la durée de l’exposition. Et présente aussi des installation plus ludiques. On pourra ainsi se faire tirer le portrait par un robot, réjouissant non ?
Concert. Sullman, Schulhoff, Smit, Weinberg, à l’opéra Comédie de Montpellier ce dimanche 15 novembre.
Dimanche à 15h l’Orchestre de Montpellier à la bonne idée de programmer un concert consacré aux musiques interdites. En prolongement du concert dirigé par Daniel Kawka, se tiendra une table ronde sur les compositeurs persécutés par le régime nazi dont la plupart sont morts en déportation. Professeur de musicologie à la fac de Montpellier, Yvan Nommick participera à cet événement. Il revient sur ce contexte douloureux de l’histoire de la musique.
Après les arts plastiques, le terme d’art dégénéré s’est étendu à la musique…
En effet, dans le contexte de la guerre, l’Allemagne nazie souhaitait purifier l’art des éléments étrangers à la race aryenne. Les nazis considéraient que l’art et la musique avaient été endommagés. Cela concernait beaucoup de musiciens juifs, mais aussi la musique tzigane ou le jazz, pratiqué par des musiciens noirs, donc à purifier.
Sur quelle base se fondait cet interdit ?
Comme se fut le cas pour la peinture, sous la houlette de Ziegler, se tient en 1938 à Düsseldorf une exposition diffamatoire contre les musiciens « déviants ». On y développe également des éléments de polémique autour des musiques atonales, qui trouvent leur fondement dans le traité d’harmonie de Schoenberg. Les nazis vont jusqu’à considérer la musique atonale comme le produit de l’esprit juif. On n’avait jamais vu ça dans le monde artistique.
Quel type d’incidences a produit cette persécution chez les artistes en termes de solidarité et de production artistique ?
De nombreux artistes s’exilent aux Etats-Unis comme Kurt Weill ou Schoenberg. La confrontation culturelle contribue au modernisme de leur écriture tout en opérant une rupture musicale avec le passé. Pour les artistes qui sont restés, poursuivre sa pratique musicale devient très compliqué. A l’exception notoire du camp tchèque de Terezin, centre de triage où les nazis exploitent l’activité artistique à des fins de propagande. Une intense activité musicale y est mise en oeuvre avec la bénédiction des nazis qui encouragent les initiatives, laissant des choeurs, et des orchestres, se constituer. Responsable du planning des répétitions, Viktor Ullmann y compose même un opéra. Le camp se révélera être une antichambre de la mort, la plupart de ses occupants ont fini gazés à Auschwitz.
A d’autres moments de l’histoire on a vu les religions proscrire la musique, à quoi tiennent ces interdits ?
On touche ici à la théologie. Il fut un temps où les instruments et presque toutes les musiques étaient interdits dans les églises. Cette vaste question, nous ramène au rapport entre l’art et le pouvoir, qu’il soit religieux ou politique.
Ken Ishii, le Laurent Garnier japonais, samedi à l’Antirouille de 0h à 5h. dr
Festival. La première édition du Dernier cri, qui se poursuit à Montpellier jusqu’à dimanche, attise les passions.
Non la culture techno ne se résume pas à une entreprise de décervelage à grande échelle. C’est une des raisons d’être du Dernier cri, qui se tient jusqu’au 15 novembre à Montpellier, de le démontrer.
« Avec Pascal Maurin et Jacqueline Caux on s’est dit qu’au-delà des soirées musicales, il serait intéressant de proposer une réflexion sur le mouvement culturel techno au travers de débats et projections de films. C’est une musique que tout le monde entend mais personne ne sait d’où elle vient « , explique Edith Roland un des trois fondateurs du festival.
L’idée a pris. Mercredi, le cinéma Diagonal refusait des dizaines de personnes venues découvrir l’oeuvre expérimentale de Jacqueline Caux réalisée avec le célèbre dj américain Jeff Mills. Cycles of The Mental Machine et Man From Tomorow, ont permis d’ouvrir un riche débat avec la réalisatrice sur l’aspect militant de la techno à Détroit, la ville berceaux du mouvement dans les 80’s.
« A Détroit, le mouvement revêt une dimension politique et sociale, confirme le programmateur Pascal Maurin, Dès le départ, les artistes arrivaient sur scène masqués par défiance à l’égard de l’industrie musicale. Dans cette ville victime de la crise, ils se sont beaucoup impliqués dans des actions de formation artistique en direction des jeunes. Quand le mouvement débarque en Europe dans les 90’s, on n’est plus là-dessus. Hormis la scène free que l’on a marginalisée, la post-modernité ambiante s’accompagne d’une dépolitisation, même si on observe aujourd’hui au sein des musiques actuelles, des préoccupations environnementales. »
A la Panacée on a causé de la French Touch et de Montpellier, capitale des musiques électronique…? Le festival se poursuit jusqu’à dimanche par des soirées aux quatre coins de la ville.
Danse. Après Montpellier la pièce Tauberbach du metteur en scène et chorégraphe Belge à sortieouest les 6 et 7 nov.
Il est surtout question de conscience sur la scène de Tauberbach, celle d’une femme en perdition qui ne s’en laisse pas conter, celle d’un monde fortement contrasté, celle du spectateur qui lui permet ou pas d’entrevoir un lien entre lui et le plateau. Pour cette pièce créée en 2014 au Théâtre de Chaillot, le chorégraphe et metteur en scène Belge Alain Platel s’inspire du documentaire Estamira de Marcos Prado, portrait d’une femme schizophrène qui vit dans une décharge près de Rio.
Au-delà des incapacités physiques, mentales, et cognitives, sur les traces de l’incontournable Dodescaden de Kurosawa, Platel accroche l’humanité collective dans un monde oublié. Dans cet univers apocalyptique très coloré , l’actrice Elsie de Brauw déploie une énergie salvatrice. Ses propos dont le ton oscille entre douleur et révolte confinent à la misanthropie. La bande sonore, remarquable, restitue le dialogue qu’elle tient avec elle-même tandis que les danseurs sont les cohabitants de ce monologue.
A l’écart de la société, les plus démunis préservent un rapport au corps, aux désirs, à la vie, et au langage, axe central de l’oeuvre de Platel. Tauberbach nous plonge dans la violence du réel avec des nappes musicales (beaucoup de Bach, un peu de Mozart) apaisantes, même si elles ne sont pas exemptes de violence.
Evocant la pièce, le dramaturge Hildegard de Vuyst, rappelle que la vie scolaire de Bach s’est déroulée dans une atmosphère de harcèlement, de sadisme et de sodomie. L’individualisme cruel règne partout comme l’indique ce sublime ajustement spatial, où les onomatopées nous transportent de la décharge à une salle des marchés.
Avec Tauberbach, Platel pose l’affirmation de soi face à sa propre perte comme célébration de la vie.