L’impasse syrienne
Alors que les bombes tombent toujours sur certains quartiers de Homs et que la répression devient de plus en plus violente face une opposition de plus en plus armée et déterminée, plus de soixante pays sont représentés à Tunis, vendredi 24 février, pour une réunion des « amis de la Syrie » qui souhaite définir un plan d’aide humanitaire international au peuple syrien et accentuer la pression sur Damas. La réunion va sans doute appeler le régime au pouvoir à Damas à mettre en œuvre un cessez-le-feu immédiat et permettre l’accès des agences humanitaires aux populations en détresse, notamment à Homs. Elle exhortera également l’opposition, fragmentée, à s’unir et à se rassembler.
La prochaine réponse de la communauté internationale sera sans doute la reconnaissance du Conseil national syrien (CNS) comme représentant légitime de la Syrie. Pourtant, le CNS ne représente qu’une partie de l’opposition, et aucun alaouite ou kurde n’y est représenté. Il n’est à l’heure actuelle aucunement en mesure de garantir la sécurité de ces minorités dans une Syrie post-Assad. Ce dernier est de plus encore soutenu par une partie de la majorité sunnite, notamment dans le milieu des affaires, qui bénéficient depuis 30 ans d’un environnement économique favorable.
Une telle réponse ne devrait donc se faire qu’après avoir eu l’assurance que le CNS représente une alternative crédible et que toute la diversité de la Syrie soit représentée en son sein. En d’autres termes, il est primordial de savoir si il capable d’assurer une transition démocratique qui garantissent tant l’exercice des libertés individuelles que la sécurité de chaque citoyen syrien. Pour l’instant la réponse à cette question semble négative.
Cette réunion des « Amis de la Syrie » est présentée par le régime de Bachar El Assad comme un complot americano-sioniste, le (CNS) pousse lui pour une intervention étrangère. Bien que cette solution semble à l’heure actuelle pour certains la « meilleure » pour sortir de la crise, les exemples Irakiens et Libyens tendent à prouver que cette solution n’est pas la panacée. La chute précipitée d’Assad déboucherait soit sur une guerre civile qui contraindrait les troupes occidentales à rester des années sur place soit sur la prise de pouvoir de sunnites islamistes, alternative guère alléchante. De plus, cette intervention devra se faire hors du cadre des Nations Unies – La Chine et la Russie s’y opposeront -, ce qui la rendra très très vite impopulaire aux yeux des opinions publiques des pays qui y participent.
« Les Amis de la Syrie » se borneront certainement donc à soutenir le plan de la Ligue Arabe qui prévoit les étapes d’une transition démocratique en Syrie. Bien que ce plan a le mérite de proposer une issue pacifique à la crise actuelle, celui-ci reste l’œuvre de l’Arabie Saoudite et du Qatar, deux régimes plus intéressés par l’élimination de l’un des alliés de l’Iran, leur ennemi juré, que par la promotion de la démocratie et de justice sociale, qu’ils n’offrent même pas à leurs populations respectives.
La situation en Syrie est donc dans une impasse complète. L’opposition — ou plutôt les oppositions — est incapable de renverser le régime, et le régime est incapable de venir à bout de l’opposition. La communauté internationale, elle-même divisée sur la réponse à donner à la crise, se retrouve également dans cette impasse et ne peut à l’heure actuelle que proposer de l’aide humanitaire. Pendant ce temps la répression continue, les combattants étrangers et les armes affluent en Syrie de part et d’autres et le spectre de la guerre civile se rapproche à grand pas.
Geoffroy d’Aspremont Medea 24/02/12
Syrie/ sommet de Tunis: les décisions
La conférence de Tunis 24 février 2012.
Beaucoup d’idées et très peu de concret : tel est le bilan de cette conférence internationale sur la Syrie, organisée à Tunis et qui réunissait des représentants de l’opposition syrienne et plus de soixante pays. A l’exception de la Russie et de la Chine, qui s’opposent depuis le début du conflit à toute idée d’ingérence en Syrie, la Russie étant de surcroît un allié traditionnel de la Syrie.
Vers un renforcement des sanctions
Le groupe de 60 pays présents à la conférence des amis du peuple syrien s’est engagé, dans la déclaration finale de la réunion vendredi 24 février « à prendre des mesures pour appliquer et renforcer les sanctions sur le régime ». La conférence a également appelé à l’arrêt immédiat des violences afin de permettre l’accès de l’aide humanitaire.
« Il est temps pour tout le monde ici d’infliger des interdictions de voyages sur les hauts responsables du régime (…) de geler leurs avoirs, de boycotter le pétrole syrien, de suspendre tout nouvel investissement (dans le pays) et d’envisager de fermer ambassades et consulats », a déclaré la secrétaire d’État Hillary Clinton lors de la conférence.
La conférence va lancer « un appel à renforcer les sanctions de nature à faire plier le régime » syrien, avait pour sa part indiqué pour sa part Alain Juppé, en évoquant notamment un gel des avoirs de la banque centrale syrienne.
Le Conseil national syrien, « un représentant légitime »
Le groupe reconnaît le Conseil national syrien comme » un représentant légitime des Syriens qui cherchent un changement démocratique pacifique » et l’encourage à former un groupe « représentatif » et incluant toutes les sensibilités. Il s’engage à fournir « un soutien effectif » à l’opposition, sans plus de précisions.
Proposition de création d’une « force arabe »
Le président tunisien Moncef Marzouki ainsi que le ministre qatari des Affaires étrangères Cheikh Hamad bin Jassim al-Thani ont appelé de leurs vœux la création d’une force arabe. « La situation actuelle exige une intervention arabe dans le cadre de la Ligue arabe, une force arabe pour préserver la paix et la sécurité, et pour accompagner les efforts diplomatiques pour convaincre Bachar de partir », a déclaré Moncef Marzouki.
« Nous voulons que cette réunion soit le début de l’arrêt de la violence en Syrie et cela ne peut être fait que par la formation d’une force arabe internationale de maintien de la sécurité, l’ouverture de corridors humanitaires de sécurité pour apporter de l’aide au peuple syrien et à la mise en oeuvre des décisions de la Ligue Arabe », a ajouté le Cheikh Hamad bin Jassim al-Thani lors de la conférence.
La proposition est pour l’instant accueillie avec précaution par les Occidentaux, et notamment par le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé. Sans exclure cette idée, le ministre des affaires étrangères français a indiqué que cette force devrait obtenir « le feu vert » du Conseil de sécurité de l’ONU. « Certains évoquent cette hypothèse. C’est au Conseil de sécurité de donner le feu vert à une telle opération », a déclaré Alain Juppé à la presse, indiquant que le sujet n’avait pas été évoqué lors des travaux à huis clos de la conférence internationale sur la Syrie.
Le communiqué final rendu public à l’issue de la réunion indique quant à lui que le groupe des 60 pays « prend note de la demande faite par la Ligue arabe au Conseil de sécurité de l’Onu de former une force conjointe arabe et des Nations unies de maintien de la paix (…) et a décidé de poursuivre les discussions sur les conditions du déploiement d’une telle force », selon le texte.
Le groupe des amis « réaffirme son attachement à la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de la Syrie » et souligne la nécessité d’une « solution politique » à la crise.
« Accès libre et sans entraves des agences humanitaires »
Le groupe de 60 pays demande par ailleurs au gouvernement syrien de « permettre l’accès libre et sans entraves des agences humanitaires » dans les régions les plus touchées par la répression, notamment dans la ville de Homs, pilonnée depuis trois semaines par l’armée syrienne.
Immunité judiciaire pour Assad ?
Le président tunisien Moncef Marzouki a demandé vendredi que soit accordée « l’immunité judiciaire » au président syrien Bachar al-Assad et sa famille, et évqué un éventuel refuge en Russie pour le dirigeant syrien. « Il faut chercher une solution politique », a fait valoir Moncef Marzouki à l’ouverture de la conférence sur la Syrie en Tunis.
Aude Laurriaux 25/02/12 (Le HuffPost et AFP)
Le sitcom syrien Just freedom remet en question la propagande officielle
Deux jeunes syriens sirotent leur thé en regardant dans le vague, assis dans un garage.
“Tu sais quoi ? J’aimerais y aller.”
“Aller où ?”
“Là bas, avec les manifestants, chanter avec eux” répond le premier.
“Tu es fou. Ils ne peuvent pas sortir juste comme ça, c’est impossible. Ils prennent sûrement un truc…”
“Ils prennent quoi ?”
À ce moment là, un vendeur de rue passe avec son charriot en criant:
“Des hallucinogènes ! Des pilules ! J’ai de tout ! Al Arabiya, Al Jazeera, France 24, BBC… Hallucinogènes !”
“Tu vois !” dit le second, alors qu’il jette un coup d’oeil au vendeur.
Owni
Sur la Syrie de la propagande à longueur de commentaires
Sous ce titre, le Monde.fr souhaite prévenir ses lecteurs d’une menace en s’extrayant étrangement d’un processus dont il participe à sa manière. Comment expliquer sinon qu’un journal réputé de référence ne donne pas les clés pour comprendre les enjeux d’un conflit majeur assimilé un peu vite à une guerre civile ?
« Après les attaques lancées par les robots spammeurs de « l’armée électronique syrienne », nos réseaux sociaux sont désormais la cible d’autres commentaires de lecteurs. Les nuances sont plus difficiles à cerner que lorsqu’il s’agissait de textes automatiquement postés une vingtaine de fois, à la gloire de Bachar Al-Assad. S’alarme le Monde.fr.
En Une, le site renvoie sur le blog du social média editor et du community manager qui montent sur le plus beau pied d’estale de la déontologie journalistique pour ramener le lecteur furtif à la bergerie : « L’objectif est le même : verser à nouveau dans la propagande, en semant la confusion quant à la réalité des faits et des enjeux dans la guerre larvée en cours depuis des mois, à Homs et dans tout le pays.«
Evidemment la réalité des faits évoqués ici, ne décolle pas d’une approche strictement factuelle et qui plus est inaccessible : « Le Monde, de même que tous les autres médias, éprouve certes des difficultés à couvrir la situation sur place. » En somme, on nous dit : nous ne parvenons pas à faire notre travail mais ne prenez pas en compte les autres sources. Comme si la minorité de citoyens qui lit encore Le Monde, ne pouvait se prémunir d’une propagande aussi grossière.
La supplique du community manager, qui arbitre l’opinion des lecteurs de son bureau tourne à la parano » De nombreuses réactions à nos articles affirment avec force que, quoi que nous disions sur le sujet, nous avons tout faux. Elles abondent notamment dans les théories du complot et accusations de manipulation » Et le community manager de dénoncer les instigateurs de cette manipulation comme le fondateur de Réseau Voltaire Thierry Meyssan dont la personnalité controversée et certaines de ses relations incitent à faire le tri dans ses propos (voir Mensonges et vérités sur la Syrie).
On objectera cependant que dans un contexte où la manipulation de l’opinion est omniprésente, le libre citoyens n’a pas à choisir un camp pour se forger son opinion. S’informer sur ce qui se passe en Syrie n’est pas aisé. Cela suppose d’avoir recours à des sources qui traitent le sujet en profondeur et à croiser de nombreux aspects liés à la problématique syrienne : politiques, géopolitique, religieux, économique… Seul un tel examen permet un regard averti sur la propagande, subtile ou grossière, émanant des nombreux protagonistes impliqués dans ce conflit. La vision répandue dans les médias français d’une guerre civile entre un peuple opprimé et les partisans d’un dictateur sanguinaire apparaît particulièrement simpliste.
Reçamment, les services syriens spécialisés ont affirmé avoir arrêté un bataillon français de transmission composée de 120 militaires, à Zabadani en ajoutant que « cette nouvelle explique le changement de ton de Paris, qui fait désormais profil bas, de peur que cette affaire n’affecte la campagne de Nicolas Sarkozy. Alain Juppé a été chargé de négocier avec son homologue russe Sergueï Lavrov pour trouver une solution et libérer les 120 militaires Français ».
Cette information a été démentie par Le Réseau Voltaire : Nous n’avons pas trouvé d’éléments permettant de confirmer les imputations selon lesquelles 120 Français auraient été faits prisonniers à Zabadani. Cette rumeur semble être une exagération de nos informations et paraît sans fondement. Lors de la prise du bastion insurgé dans le quartier de Bab Amr, à Homs, l’armée syrienne a fait plus de 1 500 prisonniers, dont une majorité d’étrangers. Parmi ceux-ci, une douzaine de Français ont requis le statut de prisonnier de guerre en déclinant leur identité, leur grade et leur unité d’affectation. L’un d’entre eux est colonel du service de transmission de la DGSE. »
En revanche, les envoyés spéciaux des grands médias occidentaux sur place ont préféré mettre le couvercle sur cette info*, laissant ainsi à Alain Juppé la possibilité de négocier en secret. La France aurait sollicité l’aide de la Fédération de Russie pour négocier avec la Syrie la libération des prisonniers de guerre.
En cette période de grande confusion, il importe de se rappeler que l’info factuelle doit être mise en perspective. Les Syriens, les Russes et les Chinois n’ont pas le monopole de la propagande. On se souvient de cette jeune femme, témoignant en 1990, les larmes aux yeux, devant le Congrès américain, qu’elle a assisté à des atrocités au Koweit, et notamment qu’elle a vu les soldats irakiens tirer sur des bébés et leur enlever les couveuses. L’identité de la femme est gardée secrète au motif de sa protection. On donna un nombre de centaines de bébés. En fait, l’histoire fut inventée. Mais elle fut répétée par George H. W. Bush et servit à justifier l’entrée en guerre contre l’Irak. La jeune femme était la fille de l’ambassadeur du Koweit à Washington.
Jean-Marie Dinh
*Capturer des ennemis avant qu’une guerre soit déclarée facilite la démonstration qu’il s’agit d’une guerre offensive.
Voir aussi : Rubrique Syrie, rubrique Iran, rubrique Irak, rubrique Afghanistan, rubrique Israël, rubrique Médias, Tunisie les éditocrates repartent en guerre, Le postulat de la presse libre revue et corrigé, On Line, A. Gresh à propos de la Syrie,