Festival Voix de la Méditerranée. Plume poétique sous le plomb de l’austérité

downloadFestival. A Lodève, la mobilisation pour les Voix de la Méditerranée ne désarme pas. La voilure de l’événement devrait se réduire avec l’espoir que le vent vienne.

Rarement une ville de moins de 10 000 habitants aura fait une telle place à la poésie. Cette fenêtre ouverte sur les cultures méditerranéennes dans l’esprit d’un vivre ensemble participatif semble avoir atteint ses objectifs auprès des citoyens comme au sein des différentes appartenances culturelles présentes sur le territoire.

Depuis mi-janvier, date à laquelle la Communauté de communes du Lodèvois-Larzac préconisait un gel de l’organisation, les qualités du festival sont à l’origine d’une mobilisation pour le maintien des Voix de la Méditerranée sur ce territoire. Lancée par l’association Voix amies de la Méditerranée, la pétition de soutien à cet événement singulier a recueilli à ce jour 6 000 signatures.

« L’équipe du festival travaillait depuis plusieurs mois sur le prochain festival, explique la présidente de l’association Danielle Poletti, alors nous nous sommes invités au Conseil communautaire pour en savoir plus et nous avons appris que les élus travaillaient à un projet culturel de substitution. Les poètes coûtent trop cher… »

Les menaces se confirment dans un communiqué daté du 3 février de ladite Communauté de communes : « Oui, la situation est difficile. Oui, les Voix telles que nous les avons connues, n’existeront plus. »

Mais il en faut plus pour désarmer les amis du festival qui organisent des marches dans la ville. « Le festival dispose d’une véritable identité. Durant la manifestation les gens ouvrent leur cour, hébergent des poètes chez eux. Grâce à cet événement des écrivains et des artistes sont venus s’installer aux alentours de Lodève. On est sur une vraie dynamique y compris économique », défend Danielle Poletti.

« En annonçant une subvention de 70 000 euros le président André Vezinhet prend une position de principe pour maintenir une ambition culturelle de qualité sur cette partie du territoire, souligne le vice-président du Conseil général, en charge de la culture Jacques Atlan. Nous souhaitons que le festival se poursuive mais notre contribution sera-t-elle suffisante ? »

Cela, c’est encore difficile de le dire. La Communauté de communes Lodévois et Larzac appuie globalement sa décision sur la baisse des dotations de l’Etat estimée à 1,9 million d’euros sur 3 ans. Durement frappée par les restrictions budgétaires, elle juge indispensable de faire 400 000 euros d’économie en 2015.

« J’ai engagé une démarche auprès de l’Etat et des parlementaires sur cette question car j’estime que nous sommes anormalement impactés par les réductions budgétaires qui passe de 1 million à 150 000 euros, indique la présidente et maire de Lodève Marie-Christine Bousquet :

 » Notre politique culturelle reste un objectif prioritaire mais nous sommes contraints de faire des choix. Dans ce cadre, je me dois de privilégier la dimension structurelle avec la rénovation du Musée de Lodève et la construction d’une médiathèque qui bénéficieront à la population toute l’année. Notre contribution au festival sera réduite. Elle passe cette année de 260 000 à 100 000 euros. Ce qui permettra de maintenir la manifestation mais sous une forme plus modeste. »

On le dit sans odeur il est souvent dévastateur…

JMDH

Source L’Hérault du Jour : 14/02/2015

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La littérature française s’exporte-t-elle bien ?

1428585_3_093c_la-carte-et-le-territoire-de-michel_65e61b1499e68b4f926e58b0cc310732Périodiquement, la presse anglophone, surtout britannique – vieille tradition d’opposition avec le voisin français – explique que la littérature française ne s’exporte plus.

Ainsi, en décembre 2013, le site BBC News Magazine consacrait un article au sujet, sous le titre « Why don’t French books sell abroad ? » (« Pourquoi les livres français ne se vendent-ils pas à l’étranger ? »).

Au début de l’année 2014, le site du Nouvel Observateur faisait état de cet article et publiait une réponse du Bureau du livre français à New York, soulignant que tous les livres étrangers récents peinaient à trouver une place sur le marché anglophone.

Seulement 1 % des romans publiés aux Etats-Unis chaque année est issu d’une traduction, tandis qu’en France les traductions représentent 33 % de la production romanesque. Cela dit, le français reste la langue la plus traduite aux Etats-Unis, devant l’allemand et l’espagnol. Et elle est la deuxième langue la plus traduite dans le monde, après l’anglais. Comme souvent, on appelait à la rescousse dans cet article, pour expliquer ce phénomène, le regretté André  Schiffrin (1935-2013), éditeur chez Pantheon, qui, après avoir été licencié pour cause de rentabilité trop faible, avait créé The New Press en voulant combattre « l’obsession récurrente de l’édition actuelle : que chaque livre devienne un best-seller ».

Ce qui exclut en effet les découvertes et les risques que l’on prend en traduisant des inconnus. Le Bureau du livre français soulignait aussi une coïncidence amusante : l’article de la BBC a été publié quelques jours après l’achat, par Penguin, de la Vérité sur l’affaire Harry Quebert, de Joël Dicker – publié en France chez Bernard de Fallois – pour 500?000?dollars.

GONCOURT OU PREMIER ROMAN

Parfois, quelques livres français figurent dans la liste de 100?livres de l’année, du New York Times, par exemple, en 2012, Trois Femmes puissantes, pour lequel Marie NDiaye avait eu le Goncourt. C’est ainsi. On traduit tantôt un roman qui a reçu un prix littéraire, tantôt un premier roman. Cela ne fait pas vraiment une politique éditoriale.

Quand Claude Simon a obtenu le prix Nobel en 1985, il n’était publié aux États-Unis que dans une petite maison d’édition. Et quand J.M.G. Le Clézio, pourtant auteur moins expérimental, a reçu la même distinction en 2008, on peinait à trouver quelques titres aux États-Unis.

Au vu de tout cela, il est facile de conclure que l’on en est réduit, pour mesurer l’influence des livres français à l’étranger, à se référer à des statistiques globales des cessions de titres pour traduction, à la mention de quelques exceptions, et à des impressions. Pour ce qui concerne les statistiques, elles sont établies par le Syndicat national de l’édition, par le Centre national du livre, par les services du commerce extérieur, par le Bureau international de l’édition française. Et tous ces organismes soulignent que leurs chiffres demeurent imprécis, car les éditeurs ne répondent pas tous à leurs demandes.

Du côté des impressions, pour la période récente, il semble que Michel Houellebecq soit l’auteur important de sa génération qui a réussi une percée sur le marché international. Et, en effet, l’impression est confirmée par les chiffres. Il a vendu 60?000 exemplaires des Particules élémentaires aux Etats-Unis. Pour un livre de littérature non populaire, c’est un best-seller.

Par exemple, la Tâche, de Philip Roth, écrivain américain qui a reçu les prix les plus prestigieux, s’est vendu à 50?000 exemplaires (contre 300 000 dans sa traduction française). Sur les auteurs français constituant le trio de tête des ventes à l’étranger, tout le monde s’accorde, d’autant mieux qu’ils sont tous morts. Arrive largement en tête le Petit Prince, de Saint-Exupéry. Depuis sa parution en 1943, il est l’ouvrage le plus vendu au monde, le plus traduit après la Bible. Il est suivi de l’Étranger, d’Albert Camus, et de Madame Bovary, de Flaubert.

LA LITTÉRATURE DE JEUNESSE, MOTEUR DES CESSIONS DE DROITS

Il faut toutefois préciser que ce n’est pas la quantité seule qui fait la réputation d’un auteur français à l’étranger. Ainsi Marcel Proust n’est pas un best-seller, mais il est l’auteur sur lequel on écrit et publie le plus de livres. Il a, dans de nombreux pays, des fans réunis dans des associations, qui veillent jalousement sur sa postérité.

Ainsi, aux Etats-Unis et en Allemagne, des projets de nouvelles traductions d’À la recherche du temps perdu ont suscité des polémiques. Aux États-Unis, le nouveau traducteur proposait de changer la traduction de la première phrase : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure. » Un tollé s’en est suivi. Et le festival Proust, organisé à New York en 2013 pour célébrer les 100 ans de Du côté de chez Swann a réuni plusieurs milliers de personnes et a donné lieu a de nombreux articles dans la presse.

Du côté des statistiques, le bilan est présenté comme satisfaisant et en progression. Pour 2013, le Syndicat national de l’édition fait état de 11 282 cessions de droits de traduction. Il souligne que la littérature de jeunesse s’affirme comme le moteur des cessions de droits, et que le scolaire et le pratique sont en forte croissance.

Dans ces domaines, comme en littérature, c’est la Chine qui devient le principal acquéreur, avec 1 238 titres en 2013. Suivie de près par la langue espagnole – l’Amérique latine traduit beaucoup du français – avec 1 134. Si l’on s’arrête à 500 titres traduits, viennent ensuite l’allemand avec 1 061, l’italien avec 1 020, l’anglais avec 797, le portugais avec 631, le coréen avec 568, le néerlandais avec 541.

Alors, quel est l’écrivain français le plus lu dans le monde, en dehors des classiques déjà mentionnés ? C’est un romancier populaire, ce qui, contrairement à ce que jugent certains critiques français, n’a rien de déshonorant. Marc Levy, depuis 2000, est l’auteur de 15 romans, de Et si c’était vrai… à Une autre idée du bonheur, en 2014. Les 14 premiers ont été traduits en 48 langues et vendus en tout à 30?millions d’exemplaires.

Josyane Savigneau

Source Le Monde 25/11/2014

Cet article est issu du hors-série Le Monde-La Vie « L’Atlas de la France et des Français »

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Conflit de pouvoirs : Une lettre de l’avocat des parents de Rémi Fraisse

7775131476_nantes-les-manifestants-denoncent-la-mort-de-remi-fraisse-un-jeune-militant-ecologiste-retrouve-mort-sur-le-site-du-barrage-de-sivens-dans-le-tarn02 novembre 2014 |  Par arié alimi (Avocat des parents de Rémi)

Je ne connaissais pas Rémi Fraisse. Et je ne pensais pas en acceptant de défendre ses parents, en qualité de parties civiles, que j’aurai également à le défendre. Car depuis une semaine, depuis le moment où il s’est effondré, touché par une grenade lancée par un membre de la gendarmerie mobile, il ne se passe pas un moment sans que l’on fasse offense à sa personne et à sa mémoire.

Casseur, djihadiste vert, ecoloterroriste…. Le discours du gouvernement ou de certains syndicats agricoles s’est établi et n’a cessé de monter en puissance. D’abord pour tenter de nier l’existence même des origines de sa mort. Rappelons-nous que dans les premiers moments, on ne parlait que d’un corps découvert dans la foret. On apprendra plus tard que le parquet, la direction de la gendarmerie et le gouvernement savaient déjà ce qu’il s’était passé puisque les gendarmes avaient quelques instants après sa mort ramassé le corps de Rémi.

Alors pourquoi  pendant deux jours, ce silence assourdissant, pourquoi cette absence de réaction du parquet, du gouvernement, pourquoi le refus de dire cette vérité que l’on connait depuis le début ? Pourquoi le parquet a-t-il tenté de semer une confusion indécente sur les circonstances de sa mort en ne donnant que des bribes d’informations, en ne parlant lors de la première conférence de presse que d’une explosion, laissant croire à la possibilité d’un décès dû à un Cocktail Molotov, pourquoi avoir lancé de fausses pistes, comme celles du sac à dos disparu, volontairement récupéré par les manifestants, et qui aurait pu contenir des substances explosives ? Simplement pour discréditer un jeune homme pacifiste, militant de la fédération Nature Environnement, botaniste, qui n’a jamais fait usage de violence ou eu maille à partir avec les forces de l’ordre. Salir l’image d’un jeune homme mort qui militait pour l’environnement et pour les générations avenir ?

Y a-t-il attitude plus basse et plus veule ?

Pourquoi ne pas assumer ses responsabilités et dire : nous l’avons tué. Notre politique l’a tué. Nous n’avons pas voulu choisir la voie du dialogue, nous avons voulu montrer que nous sommes forts aux yeux des Français, et cela passe par des démonstrations de violences contre ces militants majoritairement pacifistes. Nous les avons harcelés, frappés, nous avons brulé leurs effets personnels, les avons délogés sans autorisations judiciaires, puis nous avons fait usage de Flash balls, de grenades fumigènes et de désencerclement. Et comme ils ne partaient toujours pas, nous avons fait lancer des grenades contenant des explosifs, en les jetant sans sommations, sans respecter les règles élémentaires d’usage de ces grenades, en l’air directement sur les manifestants, ou même dans des lieux clos, comme dans une caravane occupée. Nous les avons blessés, alors qu’ils tentaient simplement de sauver notre patrimoine naturel, eux qui ont cette conscience que nous n’avons plus, à force de vouloir produire et gagner toujours plus.

Je suis désolé de dire cela, je ne suis qu’avocat. Je ne devrais pas parler de ce qui me dépasse, de ce qui dépasse mon champ d’action, le droit. Mais c’est plus fort que moi. Je me dois aujourd’hui de défendre Rémi Fraisse, ou plutôt ce qu’il en reste. Un corps dans une morgue. Un corps au centre d’un conflit de pouvoir. De tous les pouvoirs, politiques, judiciaires, militaires, médicaux, médiatiques. Un corps autopsié, malmené, disséqué par la France entière qui se le déchire, comme Damien supplicié en place publique, objet de la toute-puissance de la souveraineté. Un corps auquel le pouvoir refuse de redonner un nom, une dignité. Un corps que le pouvoir refuse de rendre à ses parents qui à ce jour n’ont toujours pas pu voir leur enfant, auquel ils ont donné naissance, qu’ils ont vu faire ses premiers pas, dire ses premiers mots, crier ses premières révoltes, et qu’ils ne pensaient pas devoir inhumer, envers et contre toute logique générationnelle.

Ce n’est pas qu’un drame ou une tragédie qui s’est nouée autour de Rémi. Il est mort parce qu’il s’est retrouvé par hasard au milieu d’une déflagration de pouvoir et d’expression de la violence publique. Ce qui a tué Rémi Fraisse, ce n’est pas seulement un gendarme jetant une grenade offensive en pleine nuit en direction de jeunes manifestants, quelle que soit la violence de ceux-ci. Ce qui a tué Rémi, c’est la violence Etatique. Un Etat gouverné par des hommes dont la boussole n’est orientée que vers la prochaine échéance électorale,  des hommes motivés par leur stratégie de communication, et qui en ont oublié que l’Etat dont ils sont les représentants n’était finalement qu’une simple fiction destinée en premier lieu à protéger ceux qui avaient accepté de se soumettre à sa violence légitime. Mais lorsque la violence n’est plus légitime, lorsque l’on utilise des armes de guerre non pas contre un autre Etat belligérant, mais contre sa propre population,  lorsque l’Etat tue ceux qu’il est sensé protéger, alors la question de l’Etat, de son fonctionnement, de ses intérêts et de ses représentants doit inéluctablement être posée. Dimanche à 16H00, je serais devant le mur de la paix, avec une renoncule à feuille d’ophioglosse sur le torse, et je penserai aux parents de Rémi Fraisse, je penserai à Rémi, et à toute cette vie, plus importante que tout le reste, qui s’est en allée. Pour Rémi Fraisse.

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Mouvement. Au bout du souffle

142-mouvement-coversFin de partie : Mouvement est mis en liquidation judiciaire, ce mercredi 28 mai. Après un an de lutte acharnée pour continuer à avoir « droit de publication », peut-on laisser le champ libre aux seuls courants asphyxiants ; ou tenter, encore, de persévérer et d’imaginer un nouveau devenir ?

Par Jean-Marc Adolphe publié le 28 mai 2014

Il suffirait de peu de mots : voilà, c’est fini.

Ce mercredi 28 mai 2014, le Tribunal de Commerce de Paris prononce la liquidation judiciaire des Editions du Mouvement, SARL de presse éditrice de la revue Mouvement et de son site internet, mouvement.net, ainsi contraints de cesser toute activité.

Ainsi se refermerait, pour de bon, une aventure éditoriale commencée en 1993, il y a 20 ans et des poussières, sous ce titre : Mouvement.

Un geste de papier, ensuite élargi (dès 2001) aux rivages d’Internet.

Un espace éditorial unique en son genre, conçu, animé, chahuté, vivant, pour faire hospitalité à la création contemporaine et aux multiples écritures qu’elle suscite, pour créer du questionnement et du débat, pour reconnaître ce que nous ne connaissons pas encore, dans la quête indisciplinaire de ce qui vient, de ce qui s’efface et revient, de ce qui émerge et se transforme. A l’écoute des formes artistiques et des éclats qu’elles provoquent. A l’affût des initiatives qui leur font écho, soutiennent et propagent leur devenir.

Sur 8 pages, en noir et blanc, gratuitement distribué, le tout premier numéro de Mouvement, en 1993, faisait annonce d’une revue « en chantier ». Tout au long de ces 20 ans et quelques poussières, le chantier a été permanent. Déjouant la fixité des « rubriques », redistribuant chaque fois le jeu des « matières vives », scrutant « l’agenda des possibles », chroniquant le « cours des choses », invitant artistes à des « cartes blanches » et « portfolios », faisant place à de grands entretiens comme au travail de l’analyse et au bonheur du reportage, traçant entre arts et politique une voie originale de compréhension critique du monde contemporain. Sans aucun dogmatisme, Mouvement a tenu à affirmer une constellation d’engagements. Jusqu’à aujourd’hui, son histoire a été émaillée de positions qui ont fait date, et singularisé la place de cette revue dans le « paysage médiatique » mais aussi dans le « champ culturel ». Si nous avons pu contribuer, ici ou là, à faire « bouger les lignes », c’est que par essence le mouvement est instable, autant que perpétuel. Jamais assagi, il ne cherche pas à connaître d’avance ses limites, engendre sa propre dynamique, se propage parfois très loin de sa source d’émission.

20 ans et quelques poussières

Mais assez de romantisme ! Ce fut aussi, le plus souvent, pendant ces 20 ans et quelques poussières, un rude combat pour préserver la possibilité-même de dire et d’écrire, de mettre en pages et en ligne, de « tenir » sans renier engagements, convictions et désirs. Et il ne suffit pas de simplement « tenir », si les forces et les énergies mises en jeu ne peuvent plus continuer à « inventer » et se retrouvent prises au piège de la seule gestion des affaires courantes. Or, par vagues successives, les temps se sont durcis, venant jusqu’à étouffer le plaisir de la création éditoriale, rendant sa dévorante exigence de plus en plus difficile et chronophage.

Ces difficultés-là, il est encore trop tôt pour en faire maintenant le récit détaillé et circonstancié. Pour l’heure, il suffit de dire qu’en 2008-2009, le cumul de certains déboires a sérieusement détérioré les conditions de navigation de « l’aventure-Mouvement ». Il est sans doute inutile de rappeler ici le contexte général où ont surgi ces difficultés : « crise de la presse » (qu’il conviendrait d’analyser en profondeur plutôt que de rejeter systématiquement la faute sur Internet), et plus largement « crise économique » (sur laquelle il y aurait là aussi beaucoup à dire, mais qui n’a pas épargné, loin s’en faut, les « milieux culturels »).

En juin 2013, confrontées à une situation de « cessation de paiement » (dont ont notamment fait les frais les auteurs qui contribuent à la revue et à son site internet)  les Editions du Mouvement ont été placées en redressement judiciaire par le Tribunal de Commerce de Paris. Car un « espace éditorial » qui ne dépend d’aucune institution, d’aucun subventionnement pérenne, c’est aussi une (petite) entreprise, avec ses devoirs et obligations. Depuis lors (bientôt un an), il a fallu décupler les efforts pour sortir de l’ornière, pour maintenir dans des conditions fort contraignantes la liberté de paraître et de publier, mais aussi pour tenter de colmater les brèches, renflouer et réparer les dommages. La tâche fut sans repos, éreintante. Il ne saurait être question d’oublier les nombreux et touchants messages de soutien et d’encouragement, la confiance accordée par des souscripteurs (particuliers, compagnies, théâtres, centres d’art et festivals), par la Région Ile-de-France (qui a accordé à Mouvement une subvention exceptionnelle), par nos annonceurs, abonnés et lecteurs. Jusqu’au bout, nous y avons cru. Mais sans doute le fardeau était-il trop lourd, sans doute la pente trop ardue à remonter, et sans doute l’époque n’est-elle guère propice pour pouvoir engager dans ce processus quelque mécène, ou quelque « investisseur » qui puisse encore accorder du crédit à une telle aventure éditoriale résolument libre et indépendante. Début mai, il a fallu se résoudre à l’évidence qu’en dépit de tous les efforts déployés, les moyens manquaient pour engager la réalisation du numéro d’été, et au-delà, pour garantir la viabilité d’un « plan de continuation » qui puisse maintenir durablement l’activité des Editions du Mouvement. Fin de partie, donc.

Un titre, et une jeunesse qui n’a pas dit son dernier mot.

Il est bien sûr exagéré (certains diront même « déplacé ») de lier le sort d’une revue comme Mouvement au résultat de l’élection européenne qui voit le Front national s’affirmer comme « premier parti de France ». Et pourtant… La création de Mouvement en 1993, résultait pour une large part du constat (ou pour mieux dire, de la prescience) d’une raréfaction de « l’espace critique », notamment dans la presse généraliste. Le premier numéro de Mouvement, mis en kiosques en 1998, comportait, sous le titre « Fascisme et culture », un entretien avec Bruno Mégret, alors principal idéologue du Front national. Non pas qu’il se soit alors agi de bêtement « faire le buzz », comme on dit aujourd’hui, mais parce qu’il semblait déjà qu’il ne fallait pas craindre de s’affronter à la « culture » où ce mouvement d’extrême-droite plongeait ses racines, sans se réfugier dans la seule invocation, hier comme aujourd’hui, des « valeurs républicaines », dont on voit bien qu’elles ne font plus suffisamment sens auprès d’un nombre grandissant de citoyens qui se sentent « largués ». De débat sur « l’identité nationale » en soumissions au seul horizon d’une austérité économique où la « rigueur » serait inéluctablement… de rigueur, d’ostracisations en relégations (l’immigration, les « banlieues », les Roms, etc.), le gouvernement de la peur, quelle qu’ait l’alternance de ses couleurs, a lentement et patiemment instillé le poison dont le « séisme » des dernières élections est le résultat prévisible.

Et Mouvement, demandera-t-on ? Il suffit de lire Prospérités du désastre, un recueil de textes du philosophe Jean-Paul Curnier récemment paru aux éditions Lignes, pour saisir à quel point la disparition ou la paupérisation des espaces de pensée, de critique et de débat, a pu préparer le terrain aux herbes vénéneuses des « populismes » et « intégrismes » de tout poil, qui se nourrissent mutuellement dans la haine. « On fait ce qu’on peut », entend-on de la bouche de certains responsables politiques. Des mots tournent à vide. Il est vrai, comme le dit Jean-Luc Godard dans son dernier film, Adieu au langage, que « bientôt chacun aura besoin d’un interprète pour comprendre ce qui sort de sa propre bouche », tant le langage a été malmené, anémié, « sensuré », comme l’écrit Bernard Noël. On s’entend répondre à foison, par des responsables publics chargés des affaires courantes (notamment culturelles) : « il n’y a plus d’argent ». La plupart ne daignent même plus répondre ; les plus compatissants adressent un impuissant « bon courage ». Il n’y a plus d’argent ? Qu’il suffise de penser que seulement 1% de l’aide de l’Etat versée annuellement à huit hebdomadaires télé aurait permis, sur les cinq prochaines années, à une revue comme Mouvement de se restructurer et de se renflouer durablement. Imagine-t-on alors, dans de telles proportions, le nombre de publications et de titres fragiles mais essentiels qui pourraient ainsi être sauvés du naufrage voire nouvellement créés ?

Car ce ne sont pas les forces qui manquent ; ni les énergies, ni les désirs, ni les écritures, ni les initiatives. Dans le cas de Mouvement, cet élan fédère de façon transgénérationnelle des expériences et des commencements. La jeunesse d’un lectorat, dont certains sont nés en même temps que la revue, voilà 20 ans et des poussières ; la jeunesse de celles et ceux qui, notamment ces tout derniers mois, ont tenu avec brio le gouvernail de la revue et de son site internet, ne peuvent être abandonnés en rase campagne d’une « liquidation judiciaire » sans lendemain. Derrière une entreprise aujourd’hui mise en faillite, il y a une histoire mais aussi un devenir ; il y a un titre qui n’a pas dit son dernier mot. Avec celles et ceux qui voudront bien, les prochaines semaines seront décisives, pour s’employer à « rebondir », trouver les moyens de persévérer, de reprendre le chantier inachevé, où tant de directions nouvelles restent encore à explorer et à accomplir. Imaginer dès maintenant que Mouvement ait une nouvelle vie, c’est tout le contraire d’un acharnement thérapeutique, mais prendre soin de l’avenir et ne pas laisser aux forces de décomposition le champ libre pour nous asphyxier davantage encore. « Pourquoi ai-je un horizon ? J’attendais de la vie l’infini. Déception », écrivait Thomas Mann. Apprendre à composer avec cette « déception », la surmonter, dépasser l’horizon de tel ou tel « projet », voilà le risque à prendre.

A l’heure où ces lignes sont écrites, nous ne savons pas encore ce qu’il adviendra du site internet (qui devrait, logiquement, être fermé dans de brefs délais). Il faut, pourtant, maintenir le contact, continuer à échanger. Il y aura des rendez-vous, des pistes de réflexion à partager, un réseau à reconstruire. En dehors de notre page de Facebook, qui reste active, tous messages de soutien, toutes idées et propositions, sont particulièrement bienvenus. Nous créons pour cela une adresse mail, mouvementcontinue@gmail.com, et vous y attendons, en mouvement.

Source Mouvement 28/05/2014

Voir aussi : Rubrique Médias, rubrique Politique culturelle,

Michel Gueorguieff passeur incorruptible

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Clermont-l’Hérault,  juin 1997, le festival Roman noir et société bouge les lignes du genre  et rencontre un franc succès auprès du public. La première édition voit le jour grâce à un curieux attelage pluridisciplinaire composé de personnalités provenant du monde de l’architecture, de la justice et de la sphère littéraire. Au sein de ce collectif qui puise une partie de ses idées dans la philosophie situationniste, beaucoup de libres penseurs, on retrouve Michel Gueorguieff, président de Soleil noir, l’architecte Jean Gabriel Cochet, l’avocat Jean-Robert Phung, des auteurs français comme Gérardo Lambertoni, Serguei Dounovetz, et d’anciens taulards ayant pris la plume, Alexandre Dumal, Alain Dubrieu, Emmanuel Loi en sont, comme ce concierge parisien occasionnel dénommé Cesare Battisti… Ces personnalités ont pour dénominateur commun d’être de gauche et d’apprécier le roman noir  : pour eux, le polar s’inscrit dans une réalité sociale et souvent politique.

Des frictions entre certains membres aux caractères trempés provoquent une rupture. Michel claque la porte sans abandonner ses visions qu’il va bientôt transformer en vocation. Il voit grand et pense dans le long terme, avec l’idée vissée d’ouvrir son projet sur l’international. Il cherche alors un lieu susceptible de l’accueillir. Pour lui, implanter ce projet dans une ville de droite reste inconcevable. Par l’entremise de Françoise Bonnet et Michel Crespy, un ami sociologue et auteur, à l’époque bras droit du président du CG 34 Gérard Saumade, il va rencontrer Pierre Bouldoire qui vient d’être élu maire de Frontignan. L’affaire se conclue sur le fond. Le maire valide ce pari osé pour une ville de 20 000 habitants, en lui permettant de faire ses preuves. Michel qui n’en demande pas plus, ne va pas tarder pas à faire la démonstration du potentiel de son idée.

Deux ans plus tard, en juin 1999, la deuxième édition du festival et la première du festival international de roman noir de Frontignan (FIRN), affiche un plateau à faire pâlir la capitale : James Crumley, George V. Higgins, Gregory Mcdonald, Jim Nisbet, Daniel Woodrell … pour ne citer qu’eux, font le déplacement spécial. « Quand les Inrocks nous ont appelés pour nous dire que notre programme les intéressaient et qu’ils envisageaient de relayer des débats autour des grands auteurs, ils n’imaginaient pas un instant que ces monuments de la littérature débarquaient en chair et en os à Frontignan , se souvient Martine Gonzalez, la plupart ne s’étaient jamais publiquement produits en France.»

Dans cette première programmation figurent aussi des auteurs européens et français y compris de la région tels que Hélène Couturier, Gilles Del Pappas, Robert Gordienne, Marcus Malte, Jean-Bernard Pouy, ou Fred Vargas, bien avant le succès qui l’attendait. « Michel avait l’amour des auteurs, témoigne son ami Serguei Dounovetz, s’il avait aimé le texte, il s’intéressait à un mec venu de nulle part avec le même amour, la même sincérité qu’avec un auteur éminemment reconnu. »

Les graines de cette générosité naturelle pour ne pas dire constitutive, Michel les a fait germer dans sa ville. Une ville humaine qu’il aimait toujours retrouver au retour de ses nombreux voyages partout dans le monde où il trouvait l’occasion de se perdre. Une ville qu’il connaissait sous tous les angles, intimes et collectifs. Dans le cadre de ses fonctions politiques, il fut le créateur du journal Municipal Montpellier votre ville. Dans une dimension parallèle et jamais contradictoire, il aimait rire et boire des coups avec ses potes.

De 1997 à 2001, des cafés noirs lancés par l’association Soleil noir qu’il présidait, connaissent leurs heures mythiques. Passionnés et amateurs s’y retrouvent régulièrement dans différents lieux en ville. Au début la cave de la librairie Molière fait office de QG, mais les rencontres qui voient frayer les étoiles montantes du noir français, Jonquet, Pouy, Vargas… avec les auteurs et les lecteurs d’ici se multiplient au bar du château d’eau aux Arceaux, place de la Canourgue ou chez Pepe Carvalo. On découvre que le polar n’est pas monolithique. Montpellier devient une escale de l’école française du polar qui dresse une relation ethnographique et critique de la société française.

Ce grand bain d’idées et de confrontations fut très profitable aux auteurs de noir montpelliérains. D’ailleurs de Zamponi, à Lilian Bathelot de à Dounovetz à J-M Erre en passant par Joelle Vandenberg, force est de constater que tous ont pu se nourrir d’un échange avec Michel. C’était un découvreur de talents. Même s’il n’appréciait pas l’écriture, il voulait aider, considérant que quand un auteur de roman noir était parvenu à se faire éditer, c’était la moindre des choses de l’inviter.

Bref, si tout ça est assez logiquement resté dans l’ombre, cela n’en constitue pas moins une valeur, un héritage à ne pas trahir, et donne un sens durable aux petites choses de notre vie courante face à l’honorable société.

JMDH

Voir aussi : Rubrique Livre, rubrique  Roman noir, FIRN, Les amoureux du noir,