17e FIRN. Témoins du noir pour un jour sans crépuscule

 FIRN le rendez-vous des passionnés du roman noir à Frontignan (Archives). Photo David Maugendre


FIRN le rendez-vous des passionnés du roman noir à Frontignan (Archives).                    Photo David Maugendre

Festival international du roman noir. Allez allez, on sort du lit pour rejoindre la 17e édition du Firn qui bat son plein à Frontignan de 10h à 5h du matin.

Aujourd’hui s’ouvre à Frontignan le 17ème Firn (Festival international du roman noir). Une journée et une nuit de fête en dépit ou plutôt en honneur à Michel Gueorguieff, décédé en septembre dernier, qui laisse le festival orphelin de son père fondateur. A 11h30 aura lieu l’inauguration du passage Gueorguieff Square de la liberté. Le lieu est bien choisi même si l’âme du maître des passions noires s’est répandu bien au-delà du parc. A l’heure du festival, c’est toute la ville de 20 000 habitants qui est concernée. Si les co-organisateurs, l’association Soleil noir et la ville de Frontignan, présentent cette édition exceptionnelle – réduite à 24h – comme une année transitoire, ils sont déterminés, comme Soulages, à faire du noir de la lumière.

« C’est un hommage à Michel confie Martine Gonzalez, pour Soleil noir, cette édition nous permet de reprendre souffle avant de lancer un nouveau concept qui conserve les ingrédients essentiels du Firn, comme l’innovation, les thématiques et la volonté de rendre le roman noir accessible. »

Il a fallu faire des tentatives de définition pour aboutir à ce qui fait le génie et l’originalité de ce festival. On est revenu aux fondamentaux. Comme l’idée pas évidente que le livre est avant tout populaire. Que depuis sa création, le Firn n’a eu de cesse d’inventer de nouvelles formes de mise en scène de la parole. Que les déclinaisons en thématiques annuelles, – cette année c’est : Je n’oublie rien – permettaient de ne pas se noyer avec la cavalerie de l’actualité pour approfondir les oeuvres et sélectionner les auteurs. Et puis aussi qu’en cas de doute, le seul maître-mot restait : la rencontre, entre ceux qui écrivent des histoires, ceux qui les vivent, ceux qui les lisent. Le Firn c’est simple ou compliqué comme la vie des humains.

550 auteurs de polars, de BD, de cinéma, des éditeurs, des journalistes, tous ceux venus de tous les coins de la planète noire, qui se sont retrouvés à Frontignan depuis 1998, le savent. Ils ont participé à cette journée et seront là en chair et en os comme Fred Vargas ou virtuellement, comme James Lee Burke qu’Hubert Artus est allé interviewé spécialement aux USA. Dans cette édition où le high-tech côtoie tongs et parasols le Firn interroge la marchandisation de la culture, et redonne la parole aux lecteurs.

L’inspiration et la vitalité artistique insufflées dans le Firn semblent ne jamais pouvoir se tarir. C’est la force du roman noir que de poser un cadre exigeant dans lequel se trouve les clés qui nous permettent d’en sortir.

JMDH

Programme : www.polar-frontignan.org

Source : L’Hérault du Jour 28/06/2014
Voir aussi : Rubrique Livre, rubrique  Roman noir, FIRN, Les amoureux du noir, rubrique Festival,

Michel Gueorguieff passeur incorruptible

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Clermont-l’Hérault,  juin 1997, le festival Roman noir et société bouge les lignes du genre  et rencontre un franc succès auprès du public. La première édition voit le jour grâce à un curieux attelage pluridisciplinaire composé de personnalités provenant du monde de l’architecture, de la justice et de la sphère littéraire. Au sein de ce collectif qui puise une partie de ses idées dans la philosophie situationniste, beaucoup de libres penseurs, on retrouve Michel Gueorguieff, président de Soleil noir, l’architecte Jean Gabriel Cochet, l’avocat Jean-Robert Phung, des auteurs français comme Gérardo Lambertoni, Serguei Dounovetz, et d’anciens taulards ayant pris la plume, Alexandre Dumal, Alain Dubrieu, Emmanuel Loi en sont, comme ce concierge parisien occasionnel dénommé Cesare Battisti… Ces personnalités ont pour dénominateur commun d’être de gauche et d’apprécier le roman noir  : pour eux, le polar s’inscrit dans une réalité sociale et souvent politique.

Des frictions entre certains membres aux caractères trempés provoquent une rupture. Michel claque la porte sans abandonner ses visions qu’il va bientôt transformer en vocation. Il voit grand et pense dans le long terme, avec l’idée vissée d’ouvrir son projet sur l’international. Il cherche alors un lieu susceptible de l’accueillir. Pour lui, implanter ce projet dans une ville de droite reste inconcevable. Par l’entremise de Françoise Bonnet et Michel Crespy, un ami sociologue et auteur, à l’époque bras droit du président du CG 34 Gérard Saumade, il va rencontrer Pierre Bouldoire qui vient d’être élu maire de Frontignan. L’affaire se conclue sur le fond. Le maire valide ce pari osé pour une ville de 20 000 habitants, en lui permettant de faire ses preuves. Michel qui n’en demande pas plus, ne va pas tarder pas à faire la démonstration du potentiel de son idée.

Deux ans plus tard, en juin 1999, la deuxième édition du festival et la première du festival international de roman noir de Frontignan (FIRN), affiche un plateau à faire pâlir la capitale : James Crumley, George V. Higgins, Gregory Mcdonald, Jim Nisbet, Daniel Woodrell … pour ne citer qu’eux, font le déplacement spécial. « Quand les Inrocks nous ont appelés pour nous dire que notre programme les intéressaient et qu’ils envisageaient de relayer des débats autour des grands auteurs, ils n’imaginaient pas un instant que ces monuments de la littérature débarquaient en chair et en os à Frontignan , se souvient Martine Gonzalez, la plupart ne s’étaient jamais publiquement produits en France.»

Dans cette première programmation figurent aussi des auteurs européens et français y compris de la région tels que Hélène Couturier, Gilles Del Pappas, Robert Gordienne, Marcus Malte, Jean-Bernard Pouy, ou Fred Vargas, bien avant le succès qui l’attendait. « Michel avait l’amour des auteurs, témoigne son ami Serguei Dounovetz, s’il avait aimé le texte, il s’intéressait à un mec venu de nulle part avec le même amour, la même sincérité qu’avec un auteur éminemment reconnu. »

Les graines de cette générosité naturelle pour ne pas dire constitutive, Michel les a fait germer dans sa ville. Une ville humaine qu’il aimait toujours retrouver au retour de ses nombreux voyages partout dans le monde où il trouvait l’occasion de se perdre. Une ville qu’il connaissait sous tous les angles, intimes et collectifs. Dans le cadre de ses fonctions politiques, il fut le créateur du journal Municipal Montpellier votre ville. Dans une dimension parallèle et jamais contradictoire, il aimait rire et boire des coups avec ses potes.

De 1997 à 2001, des cafés noirs lancés par l’association Soleil noir qu’il présidait, connaissent leurs heures mythiques. Passionnés et amateurs s’y retrouvent régulièrement dans différents lieux en ville. Au début la cave de la librairie Molière fait office de QG, mais les rencontres qui voient frayer les étoiles montantes du noir français, Jonquet, Pouy, Vargas… avec les auteurs et les lecteurs d’ici se multiplient au bar du château d’eau aux Arceaux, place de la Canourgue ou chez Pepe Carvalo. On découvre que le polar n’est pas monolithique. Montpellier devient une escale de l’école française du polar qui dresse une relation ethnographique et critique de la société française.

Ce grand bain d’idées et de confrontations fut très profitable aux auteurs de noir montpelliérains. D’ailleurs de Zamponi, à Lilian Bathelot de à Dounovetz à J-M Erre en passant par Joelle Vandenberg, force est de constater que tous ont pu se nourrir d’un échange avec Michel. C’était un découvreur de talents. Même s’il n’appréciait pas l’écriture, il voulait aider, considérant que quand un auteur de roman noir était parvenu à se faire éditer, c’était la moindre des choses de l’inviter.

Bref, si tout ça est assez logiquement resté dans l’ombre, cela n’en constitue pas moins une valeur, un héritage à ne pas trahir, et donne un sens durable aux petites choses de notre vie courante face à l’honorable société.

JMDH

Voir aussi : Rubrique Livre, rubrique  Roman noir, FIRN, Les amoureux du noir,

Rencontre Fred Vargas : Combat, amour et dépendance

Entretien avec Fred Vargas dans le cadre du Festival du Roman noir de Frontignan (FIRN) cet été où l’écrivain est reparu au terme d’une longue absence dans les festivals. Il émane de l’écrivain, une puissante détermination et une grande sensibilité qui ne vient pas la contrarier. Considérée comme la reine du polar français, l’auteur figure sur la liste des romanciers qui vendent le plus.

Traduite dans plus de quarante pays, elle est reconnue et encensée par ses lecteurs, mais comme Maria Vargas dans La Comtesse aux pieds nus, ne se laisse pas bercer par l’idylle qui la noue au succès.

La rencontre s’est tenue sur un coin de table peu après la libération de César Battisti dont l’auteur s’est fait l’ardente défenseuse à l’ombre des frasques médiatiques. Au moment de l’entretien, Fred Vargas ne tenait pas à aborder cette affaire pour préserver l’intégrité physique de l’auteur italien qui venait d’être libéré au Brésil.

Elle évoque son rapport avec ses personnages, notamment la psyché de l’intuitif commissaire Adamsberg en prise avec l’âme noire des cavaliers terribles dans son dernier livre, L’Armée furieuse.

César – A quoi tient votre absence des festivals ?
Fred Vargas – Depuis quelques années, je ne me rends plus dans les festivals. Je ne me sentais pas le cœur à participer à des festivités. Le FIRN, c’est différent. C’est une affaire d’amitié, de solidarité affective et de politique littéraire. Ici, c’est particulier. Je ne dirais pas qu’on y est bien accueilli parce que c’est plus fort que cela. C’est un peu la famille. Je me sens à l’aise. C’est amicalement doux.

On connaît votre combat en faveur de César Battisti que vous accompagnez d’une grande discrétion médiatique. Pourquoi choisir l’engagement privé plutôt que celui de l’auteur reconnu ?
Je ne suis pas une militante et la notoriété s’avère parfois à double tranchant. Je me suis engagée dans cette bagarre politique depuis quatre ans. Parfois le pouvoir politique agit sur les hommes de manière injuste.

Depuis mon enfance, j’ai toujours été sensible à l’injustice et à la cruauté. Il y a des choses qui croisent le chemin de votre vie sans que vous sachiez pourquoi. Et puis on se retrouve dans une situation qu’il faut gérer. Quand je commence un travail, il faut que je le finisse. Je me suis impliquée dans cette affaire, et cela m’a pris un certain temps.

La récurrence des héros de roman noir est-elle une dépendance ?
Nous allons aborder cette question difficile lors d’une table ronde. Je n’y ai pas encore répondu. Cette récurrence est à la fois un réconfort et un risque de dévotion par rapport à son personnage.

C’est ni plus ni moins différent qu’avec les gens que l’on aime dans la vie. J’aime les organisateurs de ce festival et cela crée une forme de dépendance avec eux. Le petit-déjeuner que l’on apprécie le matin est-il une dépendance ? Cela se passe un peu comme ça avec mes personnages. J’essaie de combattre la récurrence en créant des personnages nouveaux.

Ce n’est pas si confortable. Lorsque vous faites dix livres avec les mêmes personnages, il faut trouver de nouvelles histoires qui imprègnent leur vie. Vos personnages vous habitent affectivement. Vous avez envie de les retrouver. Il arrive aussi que le héros évolue de lui-même, et pas toujours dans le bon sens. Je pense qu’Adamsberg devient de plus en plus placide. Il adopte une manière d’être très personnelle. Je lui envie sa capacité contemplative, sa façon de vivre les choses sans anxiété. (Elle allume une cigarette.)

Qu’est ce que cela vous inspire ? (Désignant l’image répulsive sur le paquet avec la légende « Fumer tue »).
A l’étranger, on utilise depuis longtemps les images les plus atroces à des fins pédagogiques. Au Brésil, une fois, j’étais derrière un homme à qui on venait de donner un paquet sur lequel était mentionné l’effet nocif du tabac sur la virilité. Il l’a rendu au commerçant en demandant : « pouvez-me donner celui qui donne le cancer ? »…

Dans L’Armée furieuse, vous jouez sur un double registre à plusieurs intrigues. Comment avez-vous abordé cette structure complexe où se mêlent superstition et enquête rationnelle ?
J’avais mon intrigue qui se déroulait à peu près comme je l’avais prévue. Dans ce livre, il y a une histoire en mode majeur et une petite thématique qui passe derrière ; le chœur de l’orchestre, c’est la légende de L’Armée furieuse.

Et d’un coup, je vois Adamsberg (commissaire zen sans véritable méthode d’investigation – ndlr) qui marche avec désinvolture dans la forêt, puis je vois une vieille dame assise sur le sentier. Il va dormir chez elle. Vous pourriez peut-être m’informer, je me suis dit. Je n’avais pas idée de où cela m’entraînerait.

Une partie de l’histoire se fait en écrivant. Des personnages arrivent, je les vois arriver, je les suis un moment et je parviens quelque part. Il faut laisser de la souplesse, c’est ainsi qu’a émergé l’histoire du pigeon. À un moment, bien sûr, l’histoire se termine. Il faut boucler avec tous les personnages.

C’est un exercice qui m’est assez difficile. J’aimerais faire des thrillers bien carrés, mais je n’y parviens pas. A chaque fois ça prend le chemin de l’école buissonnière.

C’est à cause d’Adamsberg ?
Sans doute, ce qui lui arrive le désorganise. Il laisse les choses se faire constamment. Et les rêves entrent comme par les portes battantes du saloon. Il n’a pas peur de l’arrière de son cerveau. Il ne se connaît pas lui-même et je ne le connais pas vraiment non plus.

C’est un type qui arrive à laisser monter les choses comme de l’eau, vous voyez ? Dans le livre, il est en prise avec son fils adoptif. Celui-là, j’ai peur qu’il devienne comme son père. Lui non plus, je ne le connais pas. Je le suis un peu selon les principes des contes à catharsis dans un univers indéterminé dans le temps et l’espace, magique, car tout peut y arriver.

Vous agissez de même avec la conscience de vos personnages secondaires ?
Je crois. J’aimerais que Danglard arrête de boire et puis il descend à sa planque et il le fait. Je ne suis pas d’accord. Est-ce que c’est une dépendance de regarder vivre ses personnages secondaires ?

Je m’y attache. C’est le cas avec les membres de la famille Vendermot : je les aimais bien. Mais je n’en dis pas plus pour ne pas donner de repères aux lecteurs. Je les respecte.

Propos recueillis par Jean-Marie Dinh  (Cesar)

Titulaire d’un doctorat d’Histoire, sur La peste au Moyen-Âge, ex-chercheuse au CNRS, elle est spécialiste d’archéozoologie et a travaillé sur des chantiers de fouilles archéologiques. Ces dernières années, ses livres se sont vendus entre 500 000 et 1 million d’exemplaires. Elle a été récompensée de nombreuses distinctions. Son dernier ouvrage, L’Armée Furieuse est publié aux Editions Viviane Hamy.

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