Un bateau de réfugiés au large du Yémen, en septembre 2016.SALEH AL-OBEIDI / AFP
En mars dernier, un bateau civil avait été pris pour cible par un hélicoptère de la coalition menée par l’Arabie saoudite, indique un rapport confidentiel.
L’ONU accuse. Un rapport confidentiel, consulté par l’AFP, estime que le raid contre un bateau de réfugiés qui a fait 42 morts au large du Yémen au mois de mars a certainement été mené par la coalition arabe dirigée par l’Arabie saoudite.
Un hélicoptère avait ouvert le feu sur cette embarcation contenant 140 personnes, faisant ainsi 42 morts et 34 blessés, dans ce qui constitue une violation du droit international humanitaire, selon le rapport.
«Cette embarcation civile a été sûrement attaquée par un hélicoptère armé utilisant des munitions de calibre 7,62mm», explique le rapport, présenté par des experts des Nations unies au Conseil de sécurité cette semaine.
«La coalition arabe menée par l’Arabie saoudite est la seule puissance impliquée dans ce conflit qui a la possibilité de déployer des hélicoptères de combat dans cette zone», détaille le document.
L’hélicoptère opérait sûrement à partir d’un navire.
Les forces de la coalition arabe, soutien du gouvernement yéménite, nient cependant que leurs troupes aient été présentes dans la région de Hodeïda, où l’embarcation a été attaquée.
Deux autres attaques
«La coalition n’a pas ouvert le feu dans cette zone», a déclaré à l’AFP son porte-parole, le général Ahmed Assiri.
Deux autres attaques menées par des hélicoptères ou des navires de guerre contre des bateaux de pêche les 15 et 16 mars ont également fait 11 morts et 8 blessés, précise le rapport.
La guerre au Yémen oppose des forces progouvernementales, soutenues par l’Arabie saoudite, aux rebelles Houthis, soutenus par l’Iran et alliés à des unités de l’armée restées fidèles à l’ex-président Ali Abdallah Saleh.
Les civils constituent plus de la moitié des 8.000 morts du conflit depuis l’intervention arabe, selon l’ONU.
Le Yémen connaît également une crise humanitaire extrême: plus de 60% de la population est menacée par la famine, alors que le pays est touché par une épidémie de choléra qui a fait près de 1.900 décès et quelque 400.000 cas suspects.
Crise dans le Golfe. Pourquoi le Qatar est mis au ban par ses voisins
L’Arabie Saoudite et ses alliés, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, l’Égypte et le Yémen, ont annoncé le 5 juin la rupture de leurs relations avec le Qatar, isolant ainsi cette petite monarchie du Golfe, accusée de soutenir des groupes terroristes. Le décryptage de cette crise sans précédent par le quotidien beyrouthin L’Orient-Le Jour.
Le “Sunnistan” [les États arabes sunnites du Golfe] est à nouveau éclaté. L’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, l’Égypte et le Yémen ont rompu le 5 juin leurs relations diplomatiques avec le Qatar. C’est une décision sans précédent qui illustre les nombreuses divisions au sein du “camp sunnite”. Les pays concernés ont annoncé de plus la suspension de toutes les liaisons terrestres, aériennes et maritimes avec l’émirat qui est désormais exclu de la coalition arabe militaire qui intervient au Yémen.
Riyad et ses alliés ont justifié leur décision en accusant le Qatar de soutenir les “groupes terroristes” sunnites, y compris “Al-Qaida, l’organisation État islamique (EI) et la confrérie des Frères musulmans”, mais aussi les “groupes terroristes soutenus par l’Iran dans la province de Qatif”, [région portuaire située à l’est] en Arabie Saoudite. Le Qatar a réagi avec colère en accusant à son tour ses voisins du Golfe de vouloir le mettre “sous tutelle”.
Isoler diplomatiquement l’Iran
La crise sans précédent entre les partenaires du Golfe intervient une semaine après une vive polémique suscitée par des propos attribués à l’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani. Ce dernier aurait critiqué la volonté de Riyad d’isoler diplomatiquement l’Iran tout en prenant la défense du Hezbollah et des Frères musulmans. Il aurait également tenu des propos assez négatifs sur les relations entre l’administration de Donald Trump et le Qatar, pourtant un proche allié des États-Unis.
Les autorités qataries ont affirmé avoir été victimes de “hackers” [qui auraient publié fin mai sur l’agence de presse officielle qatarie, QNA, de faux propos attribués à l’émir cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani], mais cela n’a pas empêché Riyad et Abou Dhabi de bloquer, en conséquence, les médias qataris, comme Al-Jazira, sur leurs territoires.
Tensions préexistantes
La récente crise médiatico-politique a rallumé la mèche de la discorde au sein du camp sunnite. Mais elle n’a fait que révéler les tensions préexistantes entre d’une part le Qatar et d’autre part Riyad et ses alliés, dont les stratégies sur la scène régionale sont souvent en compétition.
Riyad a fait du containment iranien son principal objectif dans la région. Plus qu’une politique, c’est une véritable hantise pour le royaume wahhabite qui craint que l’Iran accroisse son influence dans toute la région et déstabilise les régimes du Golfe en encourageant la révolte des populations chiites. Doha n’est clairement pas sur la même longueur d’ondes puisqu’il ne considère pas Téhéran comme un ennemi, encore moins comme un ennemi prioritaire. Doha refuse de couper tous les ponts avec Téhéran et continue d’entretenir des relations diplomatiques avec ce dernier. Le Qatar était par exemple en première ligne ces derniers mois pour négocier l’évacuation des populations civiles syriennes au sein des deux camps avec les milices chiites pro-Téhéran.
Riyad et ses alliés reprochent également à leur voisin de soutenir les groupes islamistes, voire djihadistes, sunnites, dans la région. Doha refuse de placer les Frères musulmans sur la liste des groupes terroristes et continue d’apporter un soutien à plusieurs groupes islamistes, proches de la confrérie, notamment en Libye et en Syrie. Abou Dhabi et Le Caire, qui considèrent pour leur part les Ikhwan [Frères musulmans] comme l’ennemi absolu, entretiennent des relations très tendues avec le Qatar depuis déjà plusieurs années. En chef de file du camp sunnite, le roi Salmane d’Arabie Saoudite, moins hostile que son prédécesseur à la confrérie, arbitrait jusqu’à récemment les conflits entre ces différents États. Mais, conforté dans sa ligne anti-iranienne par les récents discours du président américain Donald Trump, Riyad semble avoir décidé qu’il n’était plus question de tolérer la moindre dissidence au sein du “Sunnistan”.
Faire plier Doha
Le projet de Donald Trump de créer un Otan arabe, qui aurait vocation à combattre l’extrémisme sunnite comme chiite, ressemble aujourd’hui plus que jamais à un mythe. Les pays arabes sunnites ne parviennent pas à s’entendre autour d’une stratégie commune et Riyad n’est toujours pas parvenue à imposer totalement son leadership aux autres puissances.
Le Qatar, émirat aux moyens importants, notamment en gaz et en pétrole, mais qui reste un petit pays dans la région, apparaît néanmoins aujourd’hui plus isolé que jamais. Il ne peut même pas vraiment compter sur la Turquie, dont la politique n’est pourtant pas si éloignée, mais dont la priorité est aujourd’hui donnée au combat contre les Kurdes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) et leurs satellites dans la région [le président turc Recep Tayyip Erdogan a néanmoins appelé le 6 juin à résoudre la crise par les négociations et le dialogue].
Le rapport de forces est clairement à l’avantage de Riyad et de ses alliés, qui vont faire pression pour faire plier Doha. Par tous les moyens.
Anthony Samrani
Source L’Orient du jour
RIYAD POURRAIT FOMENTER UN COUP D’ETAT AU QUATAR
L’émir du Qatar, Cheikh Tamim bin Hamad Al-Thani, dans le palais royal, le 3 août 2015, à Doha. PHOTO / BRENDAN SMIALOWSKI / REUTERS
Plus le temps passe, plus les Saoudiens seront tentés par le recours à des solutions radicales pour faire plier Doha. L’enjeu pour eux : maintenir leur crédibilité de puissance régionale.
Et ils sont condamnés à ne pas répéter le scénario de 2014, quand ils avaient déjà exigé du Qatar la fermeture de la chaîne de télévision Al-Jazira : Or le Qatar avait refusé d’obtempérer, mettant ainsi en évidence aux yeux de tout le monde les limites de la puissance de ces deux pays.”
Aujourd’hui, à nouveau, “plus le temps passe, plus la situation devient compliquée”, les deux pays risquant de perdre la face après avoir mis la barre très haut.
Ils doivent donc absolument réussir à contraindre le Qatar à mettre genou à terre. En dernier recours, ils pourraient chercher d’autres moyens pour y parvenir, y compris un changement de régime, que ce soit par une invasion ou en fomentant un coup d’État.”
Le ministre des Affaires étrangères émirati a certes déclaré le 6 juin que le but de son pays était d’imposer au Qatar “un changement de politique et non pas un changement de régime”, comme l’a rapporté la presse d’Abou Dhabi. Mais des médias émiratis et saoudiens envoient également d’autres signaux.
Opération médiatique
Aussi bien le journal saoudien Al-Hayatque celui des Émirats The Nationalavaient ainsi, dès le début de la crise, parlé d’un prince de la famille régnante du Qatar, Cheikh Saoud ben Nasser Al Thani, qui aurait l’intention de “retourner dans son pays pour y créer un parti d’opposition”.
De même, le journal saoudien donne la parole à l’ancien chef des services secrets du Qatar, Mahmoud Mansour, visiblement prêt à se mettre au service des Saoudiens. Selon lui, les dirigeants du Qatar devraient comparaître devant la justice internationale pour leur politique “criminelle de soutien à des fauteurs de troubles”.
En effet, non seulement Doha apporterait son soutien aux Frères musulmans, mais, à en croire ses allégations, il pourrait même “avoir donné l’asile à Abou Bakr Al-Baghdadi”, le ‘calife’ de l’organisation État islamique (Daech).
Des déclarations qui sonnent, en effet, comme une opération médiatique destinée à justifier un droit d’ingérence régionale.
La diplomatie française redouble d’efforts pour tenter d’apaiser les tensions entre Riyad et Doha.
Appels au dialogue, rencontres, tentatives de médiation, la France multiplie les gestes en vue de rapprocher les points de vue entre le Qatar d’une part, l’Arabie saoudite et ses alliés de l’autre. Hier encore, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, annonçait qu’il allait s’entretenir par téléconférence avec le président français Emmanuel Macron et l’émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad al-Thani.
Dès le lendemain de la crise, qui a éclaté lundi dernier, la France s’est mise en ligne de front pour appeler au dialogue entre les frères ennemis. Le président français s’est entretenu avec ses homologues turc et qatari une première fois. À la suite de cette conversation téléphonique, le porte-parole du Quai d’Orsay a souligné que la France est « aux côtés des pays de la région dans l’intensification nécessaire de la lutte contre les groupes terroristes, leurs soutiens et leur financement ». Et pas plus tard qu’il y a deux jours, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a reçu son homologue qatari à Paris pendant la tournée européenne de ce dernier. Le ministre des Affaires étrangères de l’émirat, cheikh Mohammad ben Abdel Rahman al-Thani, a pour sa part affirmé que M. Macron a été « très actif dans la communication entre les différentes parties de cette crise (…) et la France parle aux gouvernements en faveur d’une désescalade ». Plus tôt, M. Le Drian avait également rencontré le chef de la diplomatie saoudienne, Adel al-Jubeir.
Ne pas souffler sur les braises
La France est sur tous les fronts diplomatiques de la crise, aux côtés de la Turquie et du Koweït, pour le séisme le plus grave dans la région depuis la création du Conseil de coopération du Golfe (CCG), en 1981 (à l’exception de l’épisode de l’occupation du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein, en 1990, et de la guerre du Golfe qui en a découlé).
« La France, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, a des responsabilités particulières au sein du groupe européen », précise Frédéric Charillon, professeur des universités en science politique et spécialiste des relations internationales. Dans ce coin stratégique du globe, elle est « sans doute l’une des puissances les mieux placées parmi les membres du Conseil de sécurité pour aider à renouer le dialogue », estime le chercheur. Par ailleurs, Paris « n’a aucun intérêt à souffler sur les braises », ajoute-t-il.
Et pour cause, au-delà de la sphère géopolitique, le Qatar présente un intérêt économique majeur pour la France. Au-delà de ses acquis fortement médiatisés dans le monde sportif (le PSG), le petit émirat a investi dans de nombreux domaines divers. Luxe, immobilier, commerce ou encore médias, Doha semble être presque partout. À noter que la France est le deuxième bénéficiaire des investissements qataris après le Royaume-Uni. La relation privilégiée avec Doha se renforce durant le mandat de Nicolas Sarkozy, aux dépens de l’Arabie saoudite. Par la suite, si François Hollande mène une politique autrement plus balancée entre Riyad et Doha, les relations entre le richissime Qatar et la France restent bonnes. La vente de 24 Rafale au petit émirat en 2015 menée par Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense à l’époque, souligne « la constance, la fiabilité, la crédibilité de la France », selon M. Hollande. Autant d’éléments avec lesquels le nouveau président français va devoir conjuguer.
Apaiser les tensions
Mais au-delà des sphères économiques, la crise entre le Qatar, l’Arabie saoudite et ses alliés représente une étape majeure pour Emmanuel Macron. Arrivé à la présidence il y a un mois jour pour jour, ses premiers pas sur le devant de la scène diplomatique moyen-orientale sont observés à la loupe, surtout par les pays de la région. Il porte un lourd poids sur ses épaules alors qu’il avait annoncé durant la campagne présidentielle vouloir « mettre fin en France aux accords qui favorisent le Qatar » et avait reproché au quinquennat de Nicolas Sarkozy d’avoir été trop « complaisant » à l’égard de Doha « en particulier ». L’ancien banquier va devoir prouver ses capacités de négociation pour ramener les pays frères autour de la même table. Tâche difficile alors que le chef de la diplomatie koweïtienne, cheikh Sabah al-Khaled al-Sabah, rappelait dimanche « l’inéluctabilité de résoudre la crise dans le cadre du Golfe ».
« Paris ne pourra naturellement pas régler seul un différend qui est d’abord l’affaire de pays arabes », note M. Charillon. « Emmanuel Macron peut réaffirmer la volonté de la France d’aider à apaiser les tensions de la région, et tenter de proposer de nouvelles méthodes. Mais le Moyen-Orient nous a appris à être prudents et humbles », conclut le chercheur.
Entretien. Ferhat Aït Ali, économiste : “Doha a les moyens de résister”
Avec ses ressources économiques, ses relations diplomatiques et ses liens supposés avec les djihadistes, le petit émirat peut tenir tête à l’Arabie Saoudite, affirme l’économiste algérien Ferhat Aït Ali dans les colonnes du Temps d’Algérie.
Le Temps d’Algérie : Plusieurs sanctions économiques ont été prises à l’encontre du Qatar par l’Arabie Saoudite et ses alliés. Selon vous, quelles seront les répercussions économiques immédiates sur le Qatar ?
Ferhat Aït Ali : Le Qatar, émirat gazier par excellence et pays à faible densité démographique, qui n’a pas de besoins en infrastructures de base sur des distances importantes – mais qui n’a pas énormément investi sur son territoire par rapport aux émirats dont la plus grande part des investissements est nationale, et aux Saoudiens, dont les budgets explosent –, n’est pas, dans l’immédiat, dans une posture pire que celle de ses adversaires. Avec des rentrées annuelles à peu près équivalentes à celles de l’Algérie, il peut vivre avec des dépenses bien inférieures à celles de ses voisins, et sur des réserves généralement bien placées et rentables. Il aura certainement des surcoûts dus aux nouvelles distances à franchir pour s’approvisionner, mais il pourra éventuellement compter sur la Turquie, le Koweït, et même Oman, pour servir de relais ou de passages vers des marchés extérieurs?; il pourra aussi se rabattre sur des pays comme le Pakistan ou l’Inde, tout proches par voie maritime, pour contourner l’embargo saoudien qui ne vaut que vers l’ouest.
Le Qatar pourra donc résister économiquement. Mais combien de temps ?
Il pourra résister assez longtemps pour voir ses adversaires soit réguler leurs passions, soit partir vers une aventure militaire qui coûtera cher à toutes les parties. Cet émirat, ne l’oublions pas, a des alliés assez puissants, dont les États-Unis, qui jouent un double jeu dans cette affaire.
Le Qatar peut également jouer la carte de ces fameux terroristes qu’on le soupçonne de soutenir, en en activant toutes les cellules dormantes s’il est directement attaqué. Économiquement, il aura toujours des débouchés pour écouler son gaz, et des fonds pour approvisionner son économie et se défendre le cas échéant?; de ce côté, il a de quoi tenir longtemps encore.
Quel sera le poids de cette crise sur l’Opep ?
Dans l’immédiat, l’impact semble être nul dans les deux sens, vu la perte de poids de l’Opep [Organisation des pays exportateurs de pétrole] et de ses membres sur les marchés pétroliers et les nouvelles technologies qui permettent de les contourner petit à petit. L’émirat est un État gazier par vocation, et cette ressource n’étant pas liée au pétrole sur les marchés,même les cours du gaz ne s’en sont pas ressentis. Par contre, un retrait du Qatar de l’accord actuel [sur les quotas de production], bien que sans incidence majeure sur les quantités de pétrole qu’il pourrait injecter en plus – 30?000 barils/jour –, pourrait représenter une incitation pour les autres pays à se débarrasser d’un accord qui les gêne, car sans grands résultats sur les prix. Cela pourrait alors tourner à la débandade au sein de l’organisation et sur les marchés.
Le fait que le Qatar se rapproche de l’Iran est très mal perçu notamment par l’Arabie Saoudite, mais aussi par les États-Unis évidemment. À quoi doit-on s’attendre ?
À part l’Arabie Saoudite, qui a fait de la guerre contre le chiisme une sorte de nouveau cheval de bataille dans sa tentative de leadership sur le monde musulman, aucun État n’a jamais réellement rompu avec l’Iran, même pas Israël.Et le Qatar ne peut pas se le permettre, en plus d’entrer en conflit, direct ou larvé, avec une puissance qui se trouve juste en face de lui et qui partage sa seule ressource, le gaz, sur des champs limitrophes aux contours indéfinis.
Des relations apaisées avec ce pays, quel que soit son régime ou son dogme religieux, sont une nécessité vitale pour cet émirat, et jamais l’Arabie Saoudite ne lui a demandé de cesser ces relations, jusqu’à l’avènement messianique du roi Salmane. Si le Qatar faisait quoi que ce soit qui déplaise effectivement aux Américains, ces derniers l’auraient déjà rappelé à l’ordre.
Source Le Temps d’Algérie 16/06/2017
AUCUNE ISSUE RAPIDE A L’HORIZON DE LA CRISE SAOUDO-QATARIE
Les Libanais du Qatar, à l’instar des nombreuses autres communautés d’expatriés dans le pays, s’inquiètent de la tournure de la crise qui sévit actuellement entre l’Arabie saoudite et ses alliés, d’une part, et le Qatar, d’autre part. Il faut dire que la communauté libanaise est forte de 35 000 personnes et qu’elle envoie annuellement au Liban un total de 54 millions de dollars.
L’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, a en effet rejeté une invitation du président américain Donald Trump à se rendre à Washington pour prendre part à une réunion de médiation entre l’émirat et l’Arabie saoudite, même si, selon certaines informations, il craindrait également d’être victime d’un coup d’État. Doha continue également de soutenir que toutes les accusations de soutien au terrorisme faites par Riyad et ses alliés sont « infondées », et, de source diplomatique, on estime désormais que la crise s’est installée dans un « tunnel obscur » dont l’issue est à l’heure actuelle très peu claire.
Il faut également ajouter à ce sombre tableau la chute la plus raide du riyal qatari depuis 1999, puisque même si, dans les faits, la monnaie de l’émirat n’est passée que de 3,64 à 3,65 face au dollar, il n’en reste pas moins que c’est là un indice peu prometteur de l’évolution de la situation. Les experts s’attendent à une nouvelle dégringolade dans le cas où la crise s’inscrirait dans la durée.
Sur le plan économique, les pénuries de produits en provenance d’Arabie commencent à se faire ressentir, et c’est désormais l’Iran et la Turquie qui ont proposé de prendre le relais afin que le pays reste à flot en matière de denrées alimentaires et de produits de première nécessité.
L’Arabie Saoudite et ses alliés, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, l’Égypte et le Yémen, ont annoncé le 5 juin la rupture de leurs relations avec le Qatar, isolant ainsi cette petite monarchie du Golfe, accusée de soutenir des groupes terroristes. Le décryptage de cette crise sans précédent par le quotidien beyrouthin L’Orient-Le Jour.
Le “Sunnistan” [les États arabes sunnites du Golfe] est à nouveau éclaté. L’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, l’Égypte et le Yémen ont rompu le 5 juin leurs relations diplomatiques avec le Qatar. C’est une décision sans précédent qui illustre les nombreuses divisions au sein du “camp sunnite”. Les pays concernés ont annoncé de plus la suspension de toutes les liaisons terrestres, aériennes et maritimes avec l’émirat qui est désormais exclu de la coalition arabe militaire qui intervient au Yémen.
Riyad et ses alliés ont justifié leur décision en accusant le Qatar de soutenir les “groupes terroristes” sunnites, y compris “Al-Qaida, l’organisation État islamique (EI) et la confrérie des Frères musulmans”, mais aussi les “groupes terroristes soutenus par l’Iran dans la province de Qatif”, [région portuaire située à l’est] en Arabie Saoudite. Le Qatar a réagi avec colère en accusant à son tour ses voisins du Golfe de vouloir le mettre “sous tutelle”.
Isoler diplomatiquement l’Iran
La crise sans précédent entre les partenaires du Golfe intervient une semaine après une vive polémique suscitée par des propos attribués à l’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani. Ce dernier aurait critiqué la volonté de Riyad d’isoler diplomatiquement l’Iran tout en prenant la défense du Hezbollah et des Frères musulmans. Il aurait également tenu des propos assez négatifs sur les relations entre l’administration de Donald Trump et le Qatar, pourtant un proche allié des États-Unis.
Les autorités qataries ont affirmé avoir été victimes de “hackers” [qui auraient publié fin mai sur l’agence de presse officielle qatarie, QNA, de faux propos attribués à l’émir cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani], mais cela n’a pas empêché Riyad et Abou Dhabi de bloquer, en conséquence, les médias qataris, comme Al-Jazira, sur leurs territoires.
Tensions préexistantes
La récente crise médiatico-politique a rallumé la mèche de la discorde au sein du camp sunnite. Mais elle n’a fait que révéler les tensions préexistantes entre d’une part le Qatar et d’autre part Riyad et ses alliés, dont les stratégies sur la scène régionale sont souvent en compétition.
Riyad a fait du containment iranien son principal objectif dans la région. Plus qu’une politique, c’est une véritable hantise pour le royaume wahhabite qui craint que l’Iran accroisse son influence dans toute la région et déstabilise les régimes du Golfe en encourageant la révolte des populations chiites. Doha n’est clairement pas sur la même longueur d’ondes puisqu’il ne considère pas Téhéran comme un ennemi, encore moins comme un ennemi prioritaire. Doha refuse de couper tous les ponts avec Téhéran et continue d’entretenir des relations diplomatiques avec ce dernier. Le Qatar était par exemple en première ligne ces derniers mois pour négocier l’évacuation des populations civiles syriennes au sein des deux camps avec les milices chiites pro-Téhéran.
Riyad et ses alliés reprochent également à leur voisin de soutenir les groupes islamistes, voire djihadistes, sunnites, dans la région. Doha refuse de placer les Frères musulmans sur la liste des groupes terroristes et continue d’apporter un soutien à plusieurs groupes islamistes, proches de la confrérie, notamment en Libye et en Syrie. Abou Dhabi et Le Caire, qui considèrent pour leur part les Ikhwan [Frères musulmans] comme l’ennemi absolu, entretiennent des relations très tendues avec le Qatar depuis déjà plusieurs années. En chef de file du camp sunnite, le roi Salmane d’Arabie Saoudite, moins hostile que son prédécesseur à la confrérie, arbitrait jusqu’à récemment les conflits entre ces différents États. Mais, conforté dans sa ligne anti-iranienne par les récents discours du président américain Donald Trump, Riyad semble avoir décidé qu’il n’était plus question de tolérer la moindre dissidence au sein du “Sunnistan”.
Faire plier Doha
Le projet de Donald Trump de créer un Otan arabe, qui aurait vocation à combattre l’extrémisme sunnite comme chiite, ressemble aujourd’hui plus que jamais à un mythe. Les pays arabes sunnites ne parviennent pas à s’entendre autour d’une stratégie commune et Riyad n’est toujours pas parvenue à imposer totalement son leadership aux autres puissances.
Le Qatar, émirat aux moyens importants, notamment en gaz et en pétrole, mais qui reste un petit pays dans la région, apparaît néanmoins aujourd’hui plus isolé que jamais. Il ne peut même pas vraiment compter sur la Turquie, dont la politique n’est pourtant pas si éloignée, mais dont la priorité est aujourd’hui donnée au combat contre les Kurdes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) et leurs satellites dans la région [le président turc Recep Tayyip Erdogan a néanmoins appelé le 6 juin à résoudre la crise par les négociations et le dialogue].
Le rapport de forces est clairement à l’avantage de Riyad et de ses alliés, qui vont faire pression pour faire plier Doha. Par tous les moyens.
Handelsblatt ne croit pas que Trump deviendra l’artisan de la paix au Proche Orient :
«Le président des Etats-Unis n’apporte pas dans la région une nouvelle stratégie de sortie de crise, il mise sur l’ancienne coalition du statu quo. Tandis qu’Obama voulait aider le printemps arabe à percer, Trump table sur un long hiver politique dans la région. … Son administration mise sur les anciennes alliances – avec d’une part les autocrates d’Arabie saoudite et l’Egypte et de l’autre le bloc de droite du Likoud de Nétanyahou. C’est exactement la coalition du statu quo qui, pendant des années, a empêché une paix durable au Proche-Orient. En se rendant dans la région en crise à un stade précoce de son mandat, Trump voulait envoyer un message. A y regarder de près, c’est un retour vers le passé.»
La politique menée par les Etats-Unis au Proche-Orient reste tout aussi contradictoire sous l’égide de Donald Trump, analyse l’expert en géostratégie Hadrien Desuin sur le site Causeur :
«Les Saoudiens et les Israéliens s’étaient beaucoup inquiétés des négociations sur le nucléaire iranien. Trump aussi. Il n’a d’ailleurs pas félicité le ‘modéré’ Rohani pour sa réélection à la présidence. Bien au contraire. Il organise sa venue à Riyad au lendemain de sa victoire. La coïncidence a de quoi troubler. Les premiers contacts avec le Prince héritier Ben Salmane et le président avaient été très bons. Ils vont sans doute le rester. Généraux, diplomates et autres faucons du Sénat sont rassurés. Donald Trump poursuit la politique schizophrène des Etats-Unis : prêche des valeurs américaines au Proche-Orient d’un côté et union sacrée militaro-industrielle avec le régime le plus rétrograde de la région de l’autre. Pour exhorter à un islam modéré, un premier voyage à Riyad, la capitale mondiale du salafisme, n’est pas crédible.»
Samedi à Riyad, Trump a participé à une traditionnelle danse du sabre. Si cette image le présente sous un jour sympathique, elle n’occulte pas le goût amer que laisse le contrat d’armes qu’il a conclu, dont le montant atteint 110 milliards de dollars, écrit Karar :
«Qu’adviendra-t-il de ces armes ? Contre quel ennemi les Saoudiens les dirigeront-elles, ces armes, mais aussi les armes et les avions militaires déjà achetés par tonnes ? … Celui-là même qui avait interdit aux ressortissants de certains pays musulmans d’entrer sur le sol américain s’est-il rendu dans le pays qui est le berceau de l’islam pour lever des fonds et brandir le sabre ? … Cette visite n’est pas nette, pas nette du tout. Des armes et des avions militaires qui ont pour unique fonction de maintenir en vie l’industrie de l’armement et dont on sait qu’ils sont voués à rouiller dans quelque entrepôt des pays acheteurs : l’affaire est extrêmement louche.»
Le succès de la coopération forgée à Riyad dépend de plusieurs facteurs, analyse le quotidien public égyptien Al-Ahram :
«D’abord, il faudrait savoir dans quelle mesure on peut se fier aux Américains. Par le passé, on a trop souvent bâti nos attentes sur du sable. … Deuxièmement, l’alliance ou coopération arabo-islamo-américaine devrait définir ses priorités. La lutte antiterroriste passe par la résolution définitive du conflit israélo-palestinien. … Les Etats-Unis sont-ils prêts à faire pression sur Israël et à adopter une position neutre ? De même que les Etats-Unis considèrent l’Iran comme un risque pour la sécurité et la stabilité au Proche-Orient, ils devraient comprendre qu’Israël ne constitue pas une menace moindre. … Troisièmement, il est temps qu’Arabes et musulmans aient recours à des moyens de pression au niveau international. Ils ne sont pas faibles et doivent cesser d’être les simples exécutants des desseins de pays puissants et influents.»
Le Hezbollah craint l’emprise de Samir Geagea sur la rue chrétienne.
Le Hezbollah serait sérieusement inquiet de l’alliance qui s’est établie entre le Courant patriotique libre et les Forces libanaises à la veille de la présidentielle. Une appréhension confortée d’une part par le discours d’investiture à connotation purement nationale, et d’autre part les prises de position successives affichées par le chef du CPL, Gebran Bassil, et le président Michel Aoun. Le tout couronné par l’annonce faite par le chef de l’État de renouer avec l’Arabie saoudite, qui figure en tête de liste de ses déplacements à l’extérieur.
Dans certains milieux chiites informés non proches du Hezbollah, on affirme que ce dernier a de plus en plus d’appréhensions face au rapprochement entre le CPL et les FL. C’est la raison pour laquelle il œuvre actuellement à saper par tous les moyens l’alliance entre ces deux formations chrétiennes tout en faisant en sorte de couper court à toute tentative de leur part de mettre sur pied d’autres alliances politiques avec le courant du Futur et le PSP.
Le parti chiite craint en effet une emprise des Forces libanaises sur la rue chrétienne, maintenant que Michel Aoun a été propulsé à Baabda. Samir Geagea peut désormais mettre à profit ses relations avec le CPL et le président pour consolider sa position, leur alliance devant être consolidée un peu plus lors des prochaines législatives que les deux formations comptent mener ensemble via des listes conjointes établies sur l’ensemble du territoire. D’ailleurs, la proposition de présenter 128 candidats dans toutes les circonscriptions est on ne peut plus symbolique, le message étant que l’alliance entre les deux formations n’a pas un caractère chrétien mais surtout national.
Le Hezbollah appréhende par ailleurs un éventuel changement dans la stratégie du chef de l’État qui se considère désormais comme étant l’arbitre de la nation et donc au-dessus des parties et des formations en présence. Une crainte qu’est venue exacerber la déclaration de Gebran Bassil, qui avait affirmé que « lorsque Michel Aoun se trouvait à Rabieh, il était le chef du CPL. Maintenant qu’il est à Baabda, il est le père de tous ». Cela signifie que les choix que le président fera à partir du palais présidentiel « seront des options à dimension nationale et non sectaire », commente un responsable politique.
Le parti chiite craint enfin que Michel Aoun ne soit politiquement assiégé par ses deux nouveaux alliés, le chef du courant du Futur Saad Hariri et le leader des FL Samir Geagea, qui tentent par tous les moyens de l’empêcher d’avaliser les choix du Hezbollah.
D’ailleurs, ce dernier ne compte pas se laisser faire face au renforcement progressif d’un nouveau front chrétien allié au mandat, et projette de constituer un front opposé, avec son volet chrétien qui comprendrait les Marada, les Kataëb et des personnalités indépendantes. Selon des sources politiques, le parti chiite a déjà effectué, loin des feux de la rampe, des contacts dans cette direction, tout en tenant à préserver la confidentialité de cette démarche afin qu’elle ne soit pas torpillée en cours de route.
À l’instar du Front du rassemblement consultatif créé de toutes pièces en 2003 par les Syriens pour contrer la rencontre de Kornet Chehwane, le Hezbollah entend réitérer la stratégie en parrainant un front chrétien face au tandem CPL-FL. Ce front serait ainsi appelé à s’élargir pour englober des personnalités musulmanes telles que le président du Parlement Nabih Berry, qui sert depuis quelque temps de façade au parti chiite, lequel cherche à éviter tout affrontement direct avec les aounistes tout en continuant de soutenir officiellement le nouveau mandat. En même temps, le Hezbollah continue de protester de sa bonne foi face aux accusations selon lesquelles il appréhenderait l’alliance FL-CPL et tout rapprochement de ces formations avec le courant du Futur et le PSP de Walid Joumblatt.
C’est dans ce contexte qu’il faudra d’ailleurs interpréter la visite « préventive » effectuée à Walid Joumblatt à son domicile rue Clemenceau par une délégation du parti, notamment pour convaincre ce dernier de rester aux côtés du président de l’Assemblée Nabih Berry sans être tenté de lorgner ailleurs. Lors de cette rencontre, les membres de la délégation se sont attelés à rassurer le leader druze au sujet de la prochaine échéance électorale, en lui affirmant que la future loi, quelle qu’elle soit, ne sera adoptée que si elle prend en considération les appréhensions de M. Joumblatt en termes de représentation. Objectif : tenir le leader druze loin des alliances concoctées autour du mandat, une mission d’autant plus cruciale que le parti chiite craint d’ores et déjà les résultats des prochaines élections ainsi qu’un scénario similaire à celui des législatives de 2009 qui s’étaient conclues par une victoire du 14 Mars.
D’ailleurs, commentent des sources politiques chiites, il ne faut surtout pas croire que le Hezbollah, qui revendique haut et fort la proportionnelle, souhaite réellement son adoption, et ce pour des raisons simples : le Hezbollah, qui n’est plus sûr de sa popularité d’antan dans les milieux chiites, notamment après son intervention en Syrie et le nombre de morts occasionnés dans ses rangs, risque d’en payer le prix dans les urnes. Comme il ne peut non plus réitérer le scénario sanglant des combats de rue déclenchés le 7 mai 2008, il a opté pour l’heure pour la flexibilité et la main tendue dont les députés du parti se sont fait l’écho lors du vote de confiance au Parlement.