Grande confusion outre-Rhin

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par François Leclerc

Par quel détour le nouvel élan qu’il était tenté de donner à l’Europe pourrait-il maintenant se frayer un chemin ? Les propositions de relance de Jean-Claude Juncker et d’Emmanuel Macron étaient loin de coïncider, mais les élections allemandes devaient au moins permettre d’engager des négociations lors du sommet européen du 15 décembre prochain. C’est raté ! le principal interlocuteur semble dans l’immédiat voué à expédier les affaires courantes.

Les élections ont révélé qu’il existait, au-delà des rangs des conservateurs de la CDU et de la CSU, des forces politiques disposant d’appuis électoraux – le FDP des libéraux et l’extrême-droite de l’AfD – fermement opposées à toute mutualisation financière. Et celles-ci pèseront quelle que soit la suite des évènements. Le long de ses mandats successifs, la chancelière a déplacé son parti vers le centre, amoindrissant le poids électoral du SPD, pendant que le pays se déplaçait vers la droite, éloignant toute reconduction de la grande coalition. La stabilité politique, cette marque de fabrique de l’Allemagne, appartient désormais au passé.

Le principal espoir restant repose aujourd’hui sur une hypothétique reconduction de la grande coalition. Mais, selon le tout dernier sondage, celle-ci pourrait ne pas disposer d’une majorité au Bundestag en cas de nouvelles élections. Toutes les combinaisons possibles sont les unes après les autres inventoriées dans la presse, mais chacune d’entre elle achoppe sur un obstacle ou sur un autre, comme les dernières tractations l’ont éloquemment montré. Dernière hypothèse en date, le SPD soutiendrait un gouvernement Merkel minoritaire et en prendrait la décision lors de sa conférence annuelle des 7 au 9 décembre prochains.

La recomposition du paysage politique allemand n’est pas favorable aux plans de relance, mais elle est par contre propice à l’enlisement. Le Royaume Uni quittant l’Union européenne, l’Allemagne où l’extrême-droite accède au parlement pourrait être le prochain acteur de son démantèlement. D’une manière ou d’autre autre, l’Allemagne fait toujours obstacle à une Europe débarrassée de ses vices de construction et jouant la carte de l’ultra-libéralisme. Sur quelles bases pourrait-elle être reconstruite et avec qui ? Qui pourrait-être tenté par cette aventure ?

Source Blog de Paul Jorion 22/11/2017

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Contre la haine Plaidoyer pour l’impur

136533_couverture_Hres_0Carolin Emcke conduit une analyse à la fois littéraire et philosophique des contextes qui expliquent la haine xénophobe, raciale, sociale et sexiste minant nos sociétés. Elle étudie les processus d’invisibilisation qui préparent les conduites haineuses et déconstruit les présupposés théoriques de la haine : naturalisation des identités, désir d’homogénéité et culte de la pureté. Ce livre réalise un équilibre rare entre description des situations concrètes de montée en puissance des passions tristes (Europe et États-Unis notamment) et analyse des causes. Le ton est descriptif avant d’être normatif, même si l’auteur ne cache pas son parti pris en faveur d’une démocratie sensible, accordée à une certaine expérience de l’amour : l’aspect le plus remarquable du livre tient dans ce lien établi sans aucune naïveté entre la politique et la sphère des sentiments.

Le projet littéraire de Carolin Emcke n’a pas d’équivalent en France : il s’agit d’articuler journalisme au meilleur sens du terme et philosophie. Les enjeux fondamentaux liés au devenir de la démocratie dans la globalisation, à la guerre et aux droits civiques sont restitués au plus près de l’expérience, parfois sur la ligne de front elle-même. Ce point de vue original confère un ton militant, mais jamais dogmatique, à ce livre. La haine n’y est pas envisagée comme une abstraction mais comme une possibilité ouverte par la modernité et à laquelle cette même modernité permet de répliquer. L’amor mundi revendiqué par Carolin Emcke se confronte à la réalité de l’extrême qu’elle a observé avec autant de courage que de finesse sur des théâtres d’opération divers (Kosovo, Liban, Irak, etc.). L’alliance entre le sérieux habermassien et la lucidité d’une femme qui a regardé la guerre en face n’est pas habituelle dans notre pays où les ponts entre philosophie et journalisme ont été coupés.

Carolin Emcke, née en 1967, a étudié la philosophie, les sciences politiques et l’histoire à Londres, Francfort-sur-le-Main avec Jürgen Habermas, dont elle est proche, et Harvard. Elle a été reporter de guerre de 1998 à 2013 et a notamment couvert les guerres du Kosovo, du Liban et d’Irak. Elle collabore depuis 2007 avec l’hebdomadaire Die Zeit. Outre le prestigieux Friedenspreis de la foire de Francfort 2016, elle a reçu le prix Theodor-Wolff (2008), le prix Otto-Brenner (2010) et le prix Lessing (2015).

 Le Seuil Essais
Date de parution 28/09/2017
17.00 € TTC

Marchés financiers les dangers de la Bulle. La BCE continue à gonfler les ballons des marchés financiers

188440-5x3-newsletter580x348_0717bc105fLa Banque centrale européenne entend diviser par deux ses rachats d’actifs à compter de janvier 2018. De janvier à septembre 2018, elle se propose de limiter à 30 milliards d’euros le montant mensuel de ses rachats d’obligations d’Etats. La banque d’émission a laissé inchangé son taux directeur. Si certains commentateurs approuvent le virage prudemment amorcé par Mario Draghi à la tête de la BCE, d’autres trouvent qu’il ne va pas assez vite.

 

La stimulation permanente des marchés est risquée, met en garde De Tijd

«La BCE appuie moins fort sur l’accélérateur, mais elle ne relève pas le pied. … L’économie réelle pourrait se passer des mesures d’aide extraordinaires. Mais cette analyse s’applique-t-elle également aux marchés financiers ? … Ceux-ci sont devenus comme dépendants de l’argent à taux zéro. Si jamais la BCE arrêtait net ses injections de moyens financiers dans les marchés, ceux-ci pourraient présenter de graves symptômes de sevrage. Mario Draghi n’a aucun intérêt à causer sur les marchés financiers un crash qui pourrait avoir des conséquences négatives sur l’économie réelle. … Mais sa démarche n’est pas sans risques. La BCE continue à gonfler les ballons déjà bien remplis des marchés financiers.»

Source De Tijd (quotiden boursier Belge)

 

 

Draghi doit redresser la barre plus rapidement

Le virage pris par la BCE est bien trop timoré

«Les ménages achètent des logements qu’ils ne seront pas en mesure de rembourser. Les Etats de la zone euro perdent la motivation d’assainir leur budget. Et une bulle menace de se former sur les marchés des capitaux. Que fera-t-on si elle explose ? Et étant donné que la BCE ne trouve plus les volumes suffisants pour ses achats qu’auprès d’Etats européens lourdement endettés, la part des pays comme l’Italie, la France et l’Espagne continue d’augmenter sur la valeur totale des portefeuilles d’obligation de la BCE. … Les gardiens de la monnaie encourent d’énormes risques, tellement énormes que même certains des protagonistes en ont les jambes flageolantes. C’est pourquoi il est bon de faire une pause. … Il faudra attendre de nombreuses années d’ici à ce que les dangers soient circonscrits et que l’argent et les intérêts aient retrouvé leur fonction de contrôle de la bonne marche de l’économie. Il aurait été préférable de tirer le frein plus franchement et plus rapidement.»

Source Süddeutsche Zeitung : (quotidien All)

 

Un changement de cap prudent et bien avisé

Le journal Les Echos salue l’action de Draghi

«Les Etats-Unis avaient resserré trop vite leur politique monétaire dans les années 1930, accentuant alors la grande dépression. Le Japon a fait la même erreur dans les années 1990. La Fed prend tout son temps en ce moment pour relever ses taux et réduire son bilan. Mario Draghi a bien compris la leçon : il va prendre tout son temps avant de sonner la fin de l’ère de l’argent facile. Il est même possible que l’italien n’ait jamais à relever lui-même les taux de la BCE. Son mandat prendra fin dans deux ans très exactement. Et la question de sa succession va rapidement se poser.»

Source Les Echos

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Rachats d’Alstom : la com’, et les coups tordus

Capture d'e?cran issue du documentaire sur LCP (DR)

Capture d’e?cran issue du documentaire sur LCP (DR)

Chaque matin du lundi au vendredi, si possible à 9h15 précises, Daniel Schneidermann publie cette chronique sur les dominantes médiatico-numériques du matin. Ou parfois de la veille au soir (n’abusons pas des contraintes). Cette chronique est publiée sur le site indépendant arrêt sur images (financé par les abonnements) puis sur Rue89.

C’est reparti pour les hymnes au « champion européen ». A en croire la presse unanime, Alstom et Siemens devraient annoncer aujourd’hui leur fusion. Les passagers du TGV rouleront donc allemand.

Enfin, disons, franco-allemand. Qu’on se rassure dans les chaumières françaises, rien à craindre pour le « fleuron français » du ferroviaire : la fusion se fera à égalité ; l’emploi est préservé pour quatre ans ; enfin l’actuel PDG d’Alstom, le Français Henri Poupart-Lafarge, sera maintenu à la direction du nouvel ensemble.

De toutes manières, c’est la moins mauvaise solution : le concurrent chinois guette à la porte. Ça, c’est le rideau de fumée de com’ qui enveloppe tous les épisodes du gigantesque Mecano industriel.

Pour connaître la réalité des bras de fer, des coups tordus, et des épreuves de force, il faut attendre -dans le meilleur des cas- quelques années. Heureusement, la chaîne parlementaire diffusait opportunément, hier soir, un documentaire sur le rachat par General Electric de la branche « énergie », de la même Alstom, en 2014, titré « Guerre fantôme, la vente d’Alstom à General Electric ».

Quelques années ayant passé, un coin du voile peut être soulevé (un premier coin l’avait déjà été l’an dernier par l’émission de Canal+ Special Investigation). Et sous le voile, illustrations apocalyptiques à l’appui, c’est l’histoire d’une entreprise, Alstom donc, prise en tenaille entre une amende pour corruption infligée par le Département de la Justice américain, et la proposition opportune de rachat par General Electric, qui propose, dans ce cas, de payer l’amende à la place d’Alstom.

Y a-t-il eu concertation entre le Département de la Justice et General Electric ? En d’autres termes, quelques vautours industriels américains suivent-ils à la la trace, autour du monde, les inspecteurs anti-corruption US, pour racheter à bas prix les entreprises inquiétées par la Justice américaine ? Tout le monde en France le soupçonne, personne ne peut le prouver. De la même manière, que personne ne peut prouver que c’est sous la menace de cette amende, et de poursuites personnelles contre lui, que le PDG d’Alstom, Patrick Kron, a vendu à GE.

« On n’est pas au Venezuela »

N’empêche que tout le monde le soupçonne, même Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie, qui faisait état de ses soupçons devant une commission de l’Assemblée. Soupçons qui ne l’avaient pas empêché quelques mois plus tôt, alors secrétaire général adjoint de l’Elysée, de favoriser la vente, contre le ministre de l’économie Montebourg, dont il triompha avec cet argument massue : « on n’est pas une économie dirigée. On n’est pas au Venezuela ».

Des soupçons, pas de preuves, et pas d’enquête officielle : ainsi, et pas autrement, naissent les légendes conspirationnistes. Après avoir, dans un premier temps, promis une fusion à 50/50, GE a donc mis la main sur la branche énergie d’Alstom, et notamment sur sa pépite, la fameuse turbine Arabelle, dont vous n’avez jamais entendu parler parce que la presse ne parle pas de ces choses triviales, mais que le monde nous envie.

Cette turbine équipe notamment les centrales nucléaires françaises, ce qui donne désormais à GE le contrôle de la maintenance de ces centrales, pouvoir dont l’Américain entend bien se servir, si j’en crois cet écho.

Que l’on trouve, aux avant-postes de la dénonciation de cette absorption, toute la fine fleur du souverainisme politico-médiatique français (le journaliste Jean-Michel Quatrepoint, intervenant régulier de Polony.tv, l’ex-député homophobe et assadophile Jacques Myard, ou Nicolas Dupont-Aignan, qui était ce matin sur France Inter), doit bien sûr conduire à la prudence, mais n’invalide pas a priori le récit de l’opération. Sur laquelle, donc, toute la lumière n’est pas encore faite. Dans une dizaine d’années ?

Daniel Schneidermann

Source Rue89 26/09/2017

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Crise diplomatique entre Berlin et Hanoï après l’enlèvement d’un Vietnamien en Allemagne

59833c44cd706e263f2d36a8Les autorités allemandes affirment ne plus avoir de doutes quant à la participation des services secrets vietnamiens au rapt de Trinh Xuan Thanh, ancien cadre du Parti communiste vietnamien tombé récemment en disgrâce dans son pays.

Berlin, un matin d’été. Un homme se promène dans le parc de Tiergarten, non loin de la chancellerie, quand, soudain, des individus armés font irruption, lui administrent quelques coups et l’engouffrent dans une voiture immatriculée en République tchèque, avant de prendre la fuite à toute allure… Une scène d’un roman de Philip Kerr ? Non, l’histoire bien réelle de Trinh Xuan Thanh, naguère député vietnamien, et kidnappé dimanche 23 juillet au cœur de la capitale allemande. Une histoire qui provoque aujourd’hui une grave crise diplomatique entre Berlin et Hanoï.

Car le gouvernement allemand en est désormais convaincu : « Il n’y a plus le moindre doute sur le fait que les services secrets vietnamiens et l’ambassade du Vietnam à Berlin ont participé à [cet] enlèvement », a affirmé, mercredi 2 août, le porte-parole du ministère des affaires étrangères, qualifiant ce geste d’« atteinte flagrante et sans précédent aux lois allemandes et au droit international ». Les autorités vietnamiennes ont réagi jeudi, rejetant ces accusations.

Agé de 51 ans, Trinh Xuan Thanh s’était installé à Berlin il y a quelques mois. Ancien cadre du Parti communiste au pouvoir au Vietnam, ancien membre du Parlement, il était récemment tombé en disgrâce, accusé notamment d’avoir fait perdre 125 millions d’euros à la société publique d’hydrocarbures, dont il était le président.

Poursuivi par la justice de son pays, il avait pensé refaire sa vie en Allemagne, où il avait déjà vécu dans les années 1990. Lundi 24 juillet, il avait d’ailleurs rendez-vous dans les bureaux berlinois de l’Office fédéral des migrations et des réfugiés, où sa demande d’asile devait être étudiée. Ce jour-là, l’un de ses avocats s’était étonné de son absence. Il n’imaginait pas ce qui lui était arrivé, la veille, au parc de Tiergarten…

« Procédure inacceptable »

Ce n’est qu’une semaine après sa disparition que Trinh Xuan Thanh est réapparu. Lundi 31 juillet, un journal vietnamien annonçait qu’il était de retour dans son pays, affirmant qu’il s’était livré de lui-même aux autorités. Une version contestée par ses avocats allemands. « Jamais il ne se serait rendu librement aux autorités vietnamiennes. Il savait que, pour des raisons politiques, il ne serait pas traité selon les règles du droit », ont-ils déclaré à plusieurs médias.

Depuis déjà plusieurs semaines, le cas de Trinh Xuan Thanh faisait l’objet de pourparlers entre Berlin et Hanoï. Mercredi, le porte-parole du ministère des affaires étrangères allemand a ainsi déclaré que « de hauts responsables vietnamiens avaient demandé son extradition en marge du sommet du G20 » organisé à Hambourg, les 7 et 8 juillet.

Le gouvernement allemand a fait savoir à l’ambassadeur du Vietnam à Berlin, qui a été convoqué mardi au ministère des affaires étrangères, qu’il « exigeait que Trinh Xuan Thanh puisse revenir sans délai » outre-Rhin. Assurant être prêt à « tirer toutes les conséquences politiques et économiques » de cette « procédure inacceptable », Berlin a par ailleurs fait savoir, mercredi, qu’il considérait désormais le responsable des services secrets de l’ambassade comme « persona non grata » et qu’il lui donnait quarante-huit heures pour quitter l’Allemagne.

Thomas Wieder

Source Le Monde 02/08/2017

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