Fukushima information et désinformation

Tel qu’annoncé la semaine passée par le Japon, Fukushima a été classé au niveau 7, le plus haut échelon de l’échelle en terme de gravité des accidents nucléaires civils. Les gens qui suivaient la situation de proche en étaient déjà conscients depuis des semaines, mais il aura fallu un mois aux autorités japonaises pour révéler au public ce qu’il savait depuis un mois.

En effet, les autorités japonaises ont été contraintes d’expliquer pourquoi il leur a fallu un mois pour rendre public les rejets à grande échelle de matières radioactives à la mi-Mars, provenant de la centrale nucléaire de Fukushima. Lorsque le gouvernement a annoncé le 12 avril qu’il avait relevé le niveau de la gravité de l’accident dans le complexe nucléaire de Fukushima Daiichi à 7, le pire à l’échelle internationale, le Japon a fondé cette décision en grande partie sur des modèles informatiques montrant les lourdes émissions d’iode radioactif et le césium entre le 14 et le 16 mars, peu de temps après le séisme d’une magnitude de 9,0 et du tsunami qui a rendu les systèmes refroidissement d’urgence de l’usine inopérants. Ce retard de près d’un mois avant de reconnaitre publiquement l’importance de ces émissions est un nouvel exemple de données et d’analyses portant à confusion, ce qui a mis les autorités sur la défensive quant à savoir si elles ont retardé ou bloqué la diffusion de l’information pour ne pas alarmer le public. Seiji Shiroya, un commissaire de la Commission de la sûreté nucléaire du Japon, un groupe indépendant qui supervise l’industrie nucléaire du pays, a suggéré une raison d’ordre public pour avoir gardé le silence. « Certains étrangers ont fui le pays même s’il semblait y avoir que peu de risque, dit-il. Si nous avions immédiatement décidé d’annoncer que la situation était de niveau 7, nous pourrions pu déclencher une réaction de panique». Les émissions de particules radioactives ont atteint un sommet après les explosions d’hydrogène dans trois des réacteurs de Fukushima. (Seattle Times/New York Times)

La majorité des Japonais ne font pas confiance à ce que leur gouvernement et Tepco leur racontent concernant la situation à Fukushima, et avec raison. D’autant plus que le gouvernement du Japon vient officiellement d’émettre une ordonnance aux sociétés de télécommunications ainsi qu’aux webmestres de censurer les rapports qui contredisent les communiqués de presse de l’État selon lesquels la catastrophe nucléaire de Fukushima est terminée. La nation a officiellement donné l’ordre aux sociétés de télécommunications et aux webmestres de supprimer le contenu des sites Internet qui contrent la position officielle du gouvernement que la catastrophe est sous contrôle et qu’il n’y a plus de menace provenant des radiations.

Le gouvernement affirme que les dommages causés par les tremblements de terre et par l’accident nucléaire sont amplifiés par les rumeurs irresponsables, et qu’ils doivent prendre des mesures pour le bien du public. L’équipe du projet a commencé à envoyer des « lettres de requête » à des organisations comme les compagnies de téléphone, fournisseurs d’accès à l’Internet, chaînes de télévision par câble, ainsi qu’à d’autres, exigeant d’eux qu’ils « prennent les mesures appropriées, basées sur les lignes directrices, en réponse à des informations illégales ». Les mesures comprennent d’effacer toutes les informations provenant de sites Internet que les autorités jugent nuisibles au moral et à l’ordre public. (Asia Pacific Journal)

La Commission de la sûreté nucléaire du Japon a publié seulement deux simulations par ordinateur des estimations de la dispersion de substances radioactives depuis l’accident nucléaire à la centrale de Fukushima Daiichi, alors que plus de 2000 d’entre elles ont été réalisées, selon les déclarations de sources proches de ce dossier.

The Christian Science Monitor notait récemment que Iouli Andreev, un spécialiste russe dans le domaine des accidents nucléaires, qui en tant que directeur de l’agence de nettoyage Soviet Spetsatom ayant contribué il y a 25 ans aux efforts pour nettoyer Tchernobyl, a également accusé l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) d’être trop près des entreprises. « Il ne s’agit que d’une fausse organisation parce que chaque organisation qui dépend de l’industrie nucléaire – et l’AIEA dépend de l’industrie nucléaire – ne peut pas fonctionner correctement. »

En fait, les gens de l’AIEA n’ont même pas eu le courage d’entrer sur les lieux de Fukushima pour se rendre compte de la situation et les grands patrons de Tepco se défilent sans cesse. À la fin de cette vidéo, on peut voir des images normalement dissimulées des braves travailleurs de Tepco qui sont envoyés à leur mort en différé, à bord d’un autobus, en route pour aller réparer les dégâts à Fukushima. Tout cela pendant que le grand patron de Tepco disparait en se plaignant de stress et d’être sous énorme pression, et que les gens de l’industrie de l’énergie nucléaire nous chantent qu’elle est propre et sécuritaire, comme ce fût le cas dernièrement encore, de la part du directeur de General Electric Jeffrey Immelt qui était en visite au Japon, suite à la déconfiture des réacteurs Mark-1 que GE a construits. Eux, ils engrangent des milliards de dollars en profits avec cette industrie nucléaire, mais lorsque ça tourne au vinaigre, ils ne vont jamais régler leurs désastres eux-mêmes. Bien sûr que non. Ils envoient de pauvres petits travailleurs qui ont un courage et une dignité qu’ils n’auront jamais. Des travailleurs ayant décidé de sacrifier leurs vies pour tenter d’éviter le pire. Pourquoi ne pas forcer ces patrons, ces gens du gouvernement et du lobby de l’industrie nucléaire aller constater les dégâts et les nettoyer eux-mêmes?

Et que dire de la dépendance de General Electric à l’égard des relations publiques pour couvrir leurs dégâts? De 1990 à 2005, General Electric a dépensé plus de $122 millions en relations publiques, lobbying et efforts juridiques « pour lutter contre les demandes de nettoyer trois sites contaminés aux biphényles polychlorés (BPC) » rapporte O’Dwyer’s. Les trois sites sont « une bande de 320 kilomètres de la rivière Hudson, Housatonic (Pittsfield, MA) et un centre de transformateurs (Rome, GA) ».

Bien que ce soit difficile à imaginer, Tepco avait prévu de construire deux réacteurs supplémentaires sur le site de la centrale de Fukushima Daiichi, les n° 7 et 8 et en avait fait la demande officielle les jours suivant le début de la crise le 11 mars 2011. Les réacteurs de la centrale devaient entrer en opération en 2016 et 2017. Le président Masataka Shimizu a annoncé lundi que la société avait annulé leur plan de construire deux nouveaux réacteurs à sa centrale de Fukushima Daiichi, dans le nord du Japon. Ce n’est que la première fois depuis le 11 mars que la compagnie reconnait qu’elle abandonnera définitivement son projet de construire de nouveaux réacteurs. Shimizu a déclaré dans son témoignage devant le Parlement qu’il serait difficile de justifier la poursuite du projet d’ajouter ces deux réacteurs suite au tremblement de terre et le tsunami qui ont frappé la centrale. Il a dit que Tepco présentera bientôt un nouveau plan au gouvernement, sans les nouvelles unités.

Lorsque c’est rendu que même Fox News accuse le gouvernement japonais d’agir de manière plus secrète que la CIA, c’est tout dire! Et cela se poursuit de plus belle: le Secrétaire général du gouvernement, Yukio Edano, a présenté ses excuses au public à propos des déclarations faites aux médias concernant les zones  autour de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi qui seraient inhabitables à long terme. Un conseiller du Cabinet, Kenichi Matsumoto, a déclaré aux journalistes hier que le Premier ministre a fait remarquer que des zones autour de la centrale nucléaire seraient inhabitables pendant une longue période. Plus tard, il est revenu sur ses commentaires et le Premier ministre a lui aussi nié avoir fait une telle déclaration. Mais les rapports ont mis en colère les dirigeants locaux, dont le gouverneur de Fukushima. Edano a déclaré qu’il est regrettable que les rapports aient suscité des inquiétudes pour les résidents ayant évacué la zone autour de la centrale nucléaire. (NHK)

C’est le langage orwellien: Kan déclare quelque chose qui est approximativement vrai, mais il est forcé de se rétracter!

Une chose semble assez claire pour certains, comme le géant bancaire Morgan Stanley, cependant: c’est que la situation au Japon est assez sérieuse pour partir de là, même si cela signifie de perdre beaucoup d’argent. Morgan Stanley a simplement décidé de plier bagage et de faire défaut sur la dette qu’il possédait pour un édifice situé à Tokyo. Morgan Stanley a remis les clés le 15 avril, sans tapage médiatique. Pourtant, il s’agit du plus important défaut de paiement de l’histoire du Japon: 3,3 milliards de dollars. Le bon sens nous dicte qu’ils savent quelque chose que nous ne savons pas, ou ils peuvent lire les signes. Tokyo reçoit une quantité importante de retombées nucléaires provenant de la fusion nucléaire de Fukushima. Ils ont décidé de quitter leurs investissements là-bas.

Mais pour le reste de la population, autant au Japon qu’ailleurs, une seule phrase résonne partout: « Il n’y a aucun risque pour la santé et la sécurité humaine ».

François Marginean (Les 7 du Québec)

 

Voir aussi : Rubrique Japon, Une légende à réinventer, L’accident nucléaire, On Line, Adieu Japon, Ça va bien aller

BRICS: La voix des émergents se fait entendre sur la Libye

Jusque là, on les attendait sur un créneau économique. Réunis jeudi à Sanya sur l’île chinoise de Hainan, les Brics, sigle acronyme des grands pays émergents de la planète – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud- ont trouvé une voix commune pour exprimer leur opposition à l’intervention militaire en Libye. (A lire: Obama, Cameron et Sarkozy sortent du cadre de l’ONU)

Le président chinois Hu Jintao, ses homologues brésilien Dilma Rousseff, sud-africain Jacob Zuma, russe Dmitri Medvedev et le Premier ministre indien Manmohan Singh ont envoyé un message clair à l’Occident  et à ses principaux ténors dont la France qui mènent l’offensive. Ils demandent dans leur communiqué final « qu’une solution négociée soit trouvée pour résoudre la crise en Libye ». Précisant que  « le recours à la force devait être évité », ils se prononcent pour une solution négociée et saluent les efforts de médiation de l’Union africaine (UA) conduite justement par le président sud-africain Jacob Zuma.

Nouvelle donne géopolitique

Cette prise de position unitaire, quoiqu’encore timide, n’en marque pas moins un tournant pouvant jeter les bases d’une alliance géopolitique d’un nouveau type. Notons quand même que cette unité stratégique a cruellement fait défaut lors des votes de sécurité de l’Onu que ce soit sur le Côte d’Ivoire que sur la Libye. Les Brics y ont conduit le débat en ordre dispersé. A l’exception de l’Afrique du Sud qui avait alors voté en faveur de la résolution 1973. Les quatre autres pays avaient préféré s’abstenir. Pourtant Moscou et Pékin, membres permanents du conseil de sécurité disposent d’un droit de veto qui, utilisé, aurait immédiatement contraint à l’abandon de la résolution. Pour Pékin c’était un premier écart dans sa politique diplomatique de non-ingérence dans les affaires intérieures de pays étrangers.

« Ingérence militaire »

La violence des frappes de l’Otan, la perte des victimes civiles ont poussé en quelques jours les Brics à critiquer ouvertement l’attaque militaire et ses ambitions réelles. La Chine l’a officiellement fait savoir à Nicolas Sarkozy lors de son passage à Pékin fin mars. « Les expériences passées ont déjà montré que l’intervention humanitaire n’est qu’un prétexte pour une ingérence militaire dans les affaires intérieures d’une autre nation » écrivait dans le même temps, Tang Zhichao, un spécialiste de l’Institut chinois des relations internationales contemporaines, dans le Quotidien du peuple.

Moins d’une semaine après le vote de la résolution le 17 mars, les Brics appelaient à un cessez le feu. Sans être entendus. La déclaration de Sanya donne à cette demande une dimension plus solennelle. « Les résolutions du Conseil de sécurité devraient être appliquées (..) en accord avec leur lettre et leur esprit », relevait  Dimitri Medvedev à l’issue du Sommet . « Nous avons essentiellement une opération militaire. La résolution ne dit rien de cela », estimait-il précisant que « sur cette question, les pays du Brics sont totalement unis ». Selon une source diplomatique, tous les dirigeants ont été catégoriques. « Ils ont tous condamné les bombardements ».

(L’Humanité)

Voir aussi : Rubrique Politique Internationale, L’Afrique du sud rejoint les BRIC, rubrique Lybie,

Entretien Atiq Rahimi « Le vide, je suis en plein dedans »

 

Atiq Rahimi, l’écrivain franco-afghan, était jeudi dernier l’invité de la librairie Sauramps pour évoquer son dernier roman « Maudit soit Dostoïevski ». Une déclinaison de Crime et Châtiment dans une Kaboul secouée par les bombes, où «tuer est l’acte le plus insignifiant qui puisse exister».

A la différence de Syngué Sabour qui s’inscrivait dans un huis clos, votre dernier roman nous invite à une errance dans Kaboul, espace qui donne un sentiment de détachement où le vide occupe une place centrale…

Le vide, je suis en plein dedans. Ce sera le sujet de mon prochain livre et d’un projet d’exposition qui m’occupe actuellement. Dans Maudit soit Dostoïevski le personnage de Rassoul vit dans le vide. Au début, il sombre dans son orgueil comme  le Raskolnikov de Dostoïevski dans Crime et Châtiment. Puis, il évolue au fil de sa discussion avec le narrateur. Rassoul pense que sans lui le monde serait vide mais celui-ci lui fait comprendre que sa disparition aurait pour effet un monde sans lui. Dans ce parcours se définit quelque chose qui aboutit à un détachement.

Votre livre comporte un aspect métaphysique à travers la recherche du personnage mais aussi celle d’un pays mystique, l’Afghanistan, qui a perdu le sens des responsabilités ?

La littérature persane afghane est peuplée de grands penseurs mystiques qui ont mis l’accent sur le sens, le retour sur soi alors que la pensée religieuse n’a pas de pensée individuelle. Elle considère l’individu au nom de son identité ethnique, politique ou religieuse. En Afghanistan s’ajoute la situation propre à l’état de guerre qui annihile aussi la liberté individuelle.

Le meurtre que commet Rassoul est une façon d’affirmer sa liberté dans une guerre civile où il n’a pas choisi son camp ?

Il le croit. Mais son crime ne le rend pas plus libre. Cela réduit au contraire sa liberté alors que ceux qui continuent à tuer autour de lui parviennent à se sentir libre parce qu’ils n’ont pas de conscience. Rassoul va chercher à faire reconnaître sa culpabilité. Lacan disait que la pathologie de la culpabilité aboutit à deux résultats : la névrose chez ceux qui s’enferment avec leur culpabilité ou la psychose quand les gens refusent de l’endosser.

Guidé par une des femmes qui le hantent tout au long du récit, Rassoul se livre aux autorités mais ne parvient pas à faire exister son crime ?

Pour les autorités son appartenance supposée communiste revêt plus d’importance que l’acte criminel. Rassoul souhaite que l’on reconnaisse sa faute. Il veut être jugé. Cela peut nous renvoyer aux procès des criminels de guerre. Si le jugement n’a pas lieu, la loi aveugle de la vengeance demeure.

Elle se résout aussi parfois par un recours  à l’amnistie nationale…

Oui, ce fut au cœur de la polémique entre Mauriac et Camus au sortir de la guerre. Mauriac prenant le parti de l’amnistie au nom de la cohésion nationale et Camus se prononçant pour un jugement. Le débat est toujours d’actualité.

A vous lire on réalise à quel point la littérature nous est nécessaire pour porter l’histoire humaine et ses absurdités.

Maudit soit Dostoïevski est précisément un livre sur la littérature depuis son titre qui rend hommage à l’auteur russe jusqu’aux questions de conscience qu’il est, je l’espère, susceptible de soulever.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Maudit soit Dostoïevski, éditions P.O.L 19,5 euros

Voir aussi : Rubrique Rencontre Atiq Rahimi Le Goncourt je ne m’y attendais pas, Nahal Tajadod  L’Iran, pays des métamorphoses , Bahiyyih Nakhjavani La femme qui lisait trop,  rubrique Livre  Sur les pas de RûmiClair obscure à Théhéran ,  rubrique Afghanistan,

Japon, une légende à réinventer ?

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Dans mon appartement, à la télévision, j’ai vu et revu ces images en boucle des marées boueuses emportant tout, des raffineries en feu au bord de la mer, puis du nuage de fumée au-dessus de la centrale nucléaire. Tels les raz-de-marée qui ont avalé nos barrages du Pacifique, ces images me martelaient les yeux, les oreilles, l’esprit et le cœur. Elles pénétraient jusque dans mon système nerveux, faisant naître en moi le sentiment aigu de perdre le pays et de gagner une fascination pour la mort qui détournait ma conscience.

Je me citais inlassablement des exemples de notre technologie de survie et d’adaptation aux changements de milieu, art majeur au Japon, grâce à la recherche de la souplesse et de la légèreté dans les artefacts et les mouvements de l’esprit et du corps. Je me récitais les légendes entourant la tragédie et la reconstruction d’Hiroshima, pour le moins miraculeuses ; je me représentais même ce qu’a saisi l’œil des aviateurs de la Seconde Guerre mondiale, en position de départ sans retour, dans leur dernier baiser du regard à l’adresse de la longue bande de terre qu’ils appelaient empire du Soleil-Levant. Enfin, de tous ces débris de la mémoire collective, je tentais de me reconstruire, à l’encontre des images de la télévision, ma patrie, qui devait, me semblait-il, passer elle-même bientôt pour une légende.

Mais il n’était pas possible de masquer la cruelle évidence de la fragilité de mon pays, isolé au bord d’un océan vraiment «trop grand pour lui». Malgré la légende d’un Japon expert en résurrection et en renaissance, la colonne vertébrale du territoire a failli cette fois-ci. Ses racines ont été remuées dans leur assise, et ont subi des modifications de l’axe de l’écliptique. La précaire existence de l’île au gré des flots se révélait soudain, devant le monde entier, n’être pas une affaire d’esthétique ni de poésie, encore moins de psychologie collective, mais d’évolution de la Terre.

Il y a quelques années, un de nos grands voisins a déclaré ceci, à la manière d’un fanfaron : «Une île aussi petite que le Japon aura disparu dans trente ans.» Il a dit cela dans une perspective économique mais, après le 11 mars, rarement un défi s’est révélé capable de nous toucher aussi douloureusement le cœur que celui-là. La patrie, pour nous, c’est ce que chantait Du Fu (712 -770), poète originaire de ce pays voisin, que nous, petits écoliers japonais avions appris par cœur à l’école : «Après la défaite, devant la patrie en ruine, je retrouve les montagnes et fleuves toujours aussi tranquilles.» C’est le refrain qui montait aux lèvres des survivants d’Hiroshima au sortir de l’été 1945. En mars 2011, il nous faut de tous nos moyens réinventer la notion de patrie.

Loin de Paris, loin de Montréal, l’archipel japonais semble cependant continuer d’accomplir les devoirs quotidiens inscrits dans son carnet de bord, tranquillement comme avant. Le Japon ne change rien à ses habitudes. Les gens de Tokyo n’ont même pas pris un jour de congé depuis le 11 mars. La terre frémit encore, les réacteurs incandescents toussent dangereusement et on craint le réveil imminent de quelque volcan endormi. Les opérations de secours continuent avec ordre. On a déjà secouru 10 000 personnes. Mais on sait qu’il y aura vraisemblablement une vingtaine de milliers de morts. A côté des nouvelles alarmantes et décourageantes, chacun continue de poursuivre sa tâche sans sourciller, en diminuant la consommation d’électricité, de gaz et de téléphone de moitié, pour en laisser aux zones en souffrance. Une telle constance du peuple japonais contraste avec l’appel à l’exode immédiat lancé par les ambassades étrangères à Tokyo en direction de leurs ressortissants. Les étrangers installés depuis longtemps au Japon, mais trop conscients de ce que veut dire «l’échec de refroidissement d’un réacteur nucléaire», se sont éloignés, avant le 13 mars, du périmètre de 300 kilomètres des centrales. Certains d’entre eux restaient mystifiés, d’autres en colère, devant l’immobilisme japonais. Mais cet immobilisme n’a rien à voir avec une éventuelle insuffisance d’informations, comme l’a soupçonné un journaliste britannique, et encore moins avec une cécité volontaire sur la situation. Pour penser la patrie, j’en viens à l’héritage spirituel et à son essence immatérielle, qui dictent sans doute un tel comportement concerté chez les Japonais, au-delà de leur fameux esprit de groupe. C’est peut-être là que je peux trouver un fil pour remonter à la raison de notre continuité, à un certain héritage d’esprit qui s’associe au territoire et qui s’en dissocie librement aussi. Peut-être, à l’image même d’un archipel, l’hermétisme moral est-il l’envers de l’ouverture à l’incertitude de la vie comme à la force inconnue de la terre ?

Je vais terminer en vous transmettant quelques mots de mes compatriotes. D’abord un épisode : dans la nuit du 11 au 12 mars, les trois cents rescapés de la noyade après le raz-de-marée sur la préfecture de Miyagi s’étaient réfugiés au dernier étage d’un hôpital. Ce soir-là, il faisait particulièrement froid, mais le ciel était dégagé. Tout comme après les orages, les étoiles brillaient tout près de la terre. Ces rescapés, dont personne ne savait encore s’ils étaient vivants ou pas, se sont tour à tour allongés sur le dos, sur le toit du bâtiment, pour écouter le chant du ciel nocturne. Après avoir été secourus, ils ont dit de concert : «Qu’elles étaient belles, les étoiles…» Insouciante et candide, cette sensibilité héritée est également pragmatique, comme le montre le propos d’une amie écrivain, en référence à la fois à sa maladie incurable et aux accidents nucléaires de Fukushima : «Je ne préfère pas l’optimisme ni le pessimisme, seulement je ne désespère pas. Marchons.» Jubilatoire, un collègue a laissé ce mot sur son blogue : «Tout est revenu à zéro ! Alors il n’y a plus qu’à travailler ensemble ! Nous allons tout refaire, à zéro, ç’a toujours été comme ça !»

Yukito Kano*

Texte publié dans le Devoir au Québec.

*Yukiko Kano Professeure de lettres françaises à l’université Kobé-Jyogakuin et membre fondatrice de l’Association japonaise des études québécoises (Ajeq)

Voir aussi : rubrique Japon,

Séisme Japon l’accident nucléaire

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L’état d’urgence a été décrété dimanche dans une deuxième centrale nucléaire touchée par le fort séisme qui a frappé le Japon vendredi et où un niveau élévé de radioactivité a été enregistré, a annoncé l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

« Les autorités japonaises ont informé l’AIEA que le premier (c’est-à-dire le plus bas) état d’urgence dans la centrale d’Onagawa a été signalé par la Tohoku Electric Power Company », a déclaré dans un communiqué l’agence onusienne, dont le siège est à Vienne.

« Les autorités japonaises tentent de déterminer la source des radiations », a ajouté l’agence. Le gouvernement japonais a mis en garde dimanche contre le risque d’une nouvelle explosion à la centrale de Fukushima N°1 en raison d’une accumulation d’hydrogène.

Au lendemain du tremblement de terre de 8,9 sur l’échelle de Richter et du tsunami qui a suivi, touchant les côtes nord-est du pays, ce sont les installations nucléaires japonaises qui concentrent les plus fortes inquiétudes. Une explosion a été rapportée samedi  à la centrale nucléaire de Fukushima (à 250 km au nord de Tokyo). Le toit et les murs se sont effondrés.

Le Premier ministre japonais a tenu une conférence de presse pour tenter de rassurer la population : la cuve du réacteur serait intacte et le vent chasserait, pour l’instant, les particules radioactives vers l’océan. Sur place, la radioactivité reçue en une heure par personne correspond à la limite à ne pas dépasser annuellement.

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Le Mox, combustible particulièrement toxique

Le MOX, combustible utilisé dans la centrale nucléaire japonaise de Fukushima, qui concentrait dimanche toutes les inquiétudes, est un matériau particulièrement toxique, a souligné le Réseau Sortir du nucléaire (RSN). Le réacteur N°3 en particulier, en proie à une forte surchauffe, fonctionne au MOX – pour « mélange d’oxydes »- un combustible « extrêmement dangereux qui entre plus facilement en fusion que les combustibles classiques », indique RSN dimanche.

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« La France et le Japon porte parole au niveau mondial d’une utilisation résonnée de l’énergie nucléaire »

Composé d’uranium et de plutonium, issu de déchets nucléaires recyclés, le MOX est « bien plus réactif que les combustibles standard », a expliqué à l’AFP Jean-Marie Brom, ingénieur atomique, directeur de recherches au CNRS. « Le plutonium, qui n’existe pas à l’état naturel, est un poison chimique violent. Le mieux aurait été de ne pas en mettre du tout », explique-t-il. Selon RSN, sa « toxicité est redoutable: il suffit d’en inhaler une particule pour développer un cancer du poumon ».

Le Japon a commencé récemment à utiliser du MOX pour faire fonctionner ses centrales et avait prévu depuis 2008, d’étendre progressivement son usage en 2011-2012. Un contrat de fourniture de MOX a d’ailleurs été passé avec l’opérateur nucléaire français AREVA.

AFP

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Voir aussi : Rubrique Japon, rubrique Politique internationale, Fillon et Sarkozy misent sur l’aide de tokyo pour défendre le nucléair civil, rubrique Economie, Nucléair civil:  tour du monde des nouvelles puissances, Rubrique Santé, Manifeste pour l’indépendance de l’OMS, On Line l’article d’Owni «Areva au cœur du réacteur de Fukushima»