Garde-à-vue le projet reste insatisfaisant

Michelle Tisseyre :    . Photo Rédouane Anfoussi.

Michelle Tisseyre : . Photo Rédouane Anfoussi.

Entretien avec Michelle Tisseyre la nouvelle bâtonnière de Montpellier

Réforme de la garde-à-vue, budget de la Justice en baisse, pouvoir du Parquet, solidarité internationale…, la nouvelle bâtonnière du Barreau de Montpellier Michelle Tisseyre a pris ses fonctions le 1er janvier. Elle analyse la situation et son incidence pour les avocats.

On vous dit très attachée aux droits de l’Homme, ce qui vous laisse l’embarras du choix… sur quels dossiers travaillez-vous actuellement ?

Nous organisons le 31 mars prochain une fête des droits de l’Homme. Cette soirée sera consacrée à la défense de la défense. Les droits de l’Homme sont universels et inaltérables. Aujourd’hui, ils doivent de toute évidence être mieux respectés. Pour cela, il faut rappeler partout que tout être humain doit pouvoir avoir recours à un avocat. Le barreau est très mobilisé sur cette question. Nous sommes très attentifs à ce qui se passe en Chine où des confrères sont pourchassés, parfois emprisonnés parce qu’ils sont avocats.

Qu’en est-il de la situation tunisienne ?

Les avocats tunisiens ont été récemment pris à partie. Ils sont régulièrement victimes de violences et d’entraves à leur liberté d’exercice. Le Barreau tunisien a lancé un appel au Conseil national des Barreaux (CNB) qui représente les avocats français pour les alarmer. A Montpellier nous avons voté une motion d’émotion et de soutien, le CNB devrait envoyer une mission sur place.

Vous êtes-vous joints à l’initiative du Syndicat des avocats de France qui vient de demander au président français de condamner le régime tunisien avec plus de fermeté ?

Cette démarche est une action indépendante du SAF. En tant qu’institution, notre engagement est nécessairement différent. Chaque syndicat, il en existe quatre pour les avocats, a sa vie propre et développe ses priorités qui trouvent parfois une expression commune. Nos relations avec les syndicats sont excellentes. Les bâtonniers de Montpellier ont exercé pour la plupart d’entre eux des responsabilités syndicales.

Quelles relations votre ordre entretient-il avec le Parquet ?

D’institution à institution nos relations sont très correctes dans l’exercice de nos métiers respectifs. Nous faisons entendre notre voix afin d’obtenir pour nos confrères pénalistes la reconnaissance de leur place et de leur rôle dans les premières heures d’une garde à vue.

Votre position sur la réforme de la procédure de garde-à-vue dont le réexamen a débuté le 18 janvier ?

Nous sommes très préoccupés. Le projet de réforme a été toiletté mais il n’est toujours pas satisfaisant. Nous nous sommes engagés dans une action pour alerter les parlementaires et leur expliquer en quoi cette réforme n’est pas acceptable. On maintient la possibilité de retarder la présence de l’avocat pour les infractions les plus graves, or justement dans ce cas, si la cible est mal choisie la personne a d’autant plus la nécessité d’être soutenue par un avocat. Il convient aussi de restaurer les droits fondamentaux de toute personne gardée à vue comme le droit de garder le silence. De la même façon, pour assister le gardé à vue l’avocat doit avoir accès aux actes de l’enquête.

Où en est-on sur les questions liées au statut et au pouvoir du Parquet ?

Ce sont les avocats qui ont structuré la critique qu’il y avait lieu de formuler, en soulignant par anticipation que les textes ne seraient pas conformes à la Constitution. A Montpellier, nous avons accueilli Robert Badinter en 2010 qui s’est exprimé sur ces questions. Cela fait partie des règles de notre métier et nous devons les appliquer face à la mise en jeu de la liberté. Avec les arrêts de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), les hautes juridictions ont confirmé qu’un procureur n’était pas une autorité judiciaire indépendante du fait de sa subordination à la Chancellerie. Celle-ci est censée revoir sa copie avant le 1er juillet 2011. C’est un vrai casse tête chinois car respecter les injonctions de la Cour de cassation et de la CEDH suppose qu’il faut y mettre les moyens.

Un nouveau besoin pour un système judiciaire qui traverse déjà une crise sans précédent…

Effectivement c’est le débat cornélien chez les juges. D’une inauguration solennelle à l’autre, on retrouve le même discours sur la situation, les réductions budgétaires et le manque d’effectif. Les avocats ne sont pas opposés à des réformes, mais à l’heure où l’on parle d’avoir recours à des jurés populaires dans les complexes audiences correctionnelles, la Cour d’appel de Montpellier affiche entre 25% et 30% de sous effectifs.

La déliquescence de la justice ne touche-t-elle pas en priorité les populations les plus défavorisées ?

Le budget de la justice n’est pas une priorité en France. Il n’est pas en augmentation, cette année, loin s’en faut. A cela s’ajoute la crise qui frappe les catégories sociales les plus fragiles et une augmentation de la TVA. Selon l’exigence de l’UE qui a remis en cause le taux réduit de TVA applicable dans les dossiers bénéficiant de l’aide juridictionnelle, depuis le 1er janvier on est passé de 5,5% à 19,6%. Désormais soit l’avocat peut obtenir du client qu’il accepte l’augmentation, soit il doit la prendre à sa charge.

Menez-vous des actions pour l’égalité des droits ?

Nous sommes toujours présents pour défendre l’égalité de droit à travers différentes initiatives comme l’assistance juridique gratuite mais avec une limite. on ne peut plus supporter toute la charge. Il n’est pas légitime pour les avocats d’assurer la prise en charge du service public. A un moment donné, il doit y avoir un arbitrage, des priorités. La conséquence d’une justice à moindre coût se répercute à travers l’allongement des délais de traitements. Ce qui va à l’encontre des justiciables qu’ils soient victimes ou auteurs.

Votre mandat de deux ans implique un plan d’action rapide. Quelles sont vos priorités ?

Je souhaite m’attacher à faciliter l’exercice professionnel de mes confrères. Il faut davantage expliquer le rôles des avocats dans la démocratie. Notre profession sera toujours debout pour défendre les droits de l’Homme. Je m’efforcerai de valoriser nos règles déontologiques : probité, mesure dignité, respect du secret professionnel. J’entends enfin privilégier un partenariat de coopération avec les institutions, les collectivités, les chambres consulaires dans l’intérêt du justiciable ».

 Recueilli Par Jean-Marie Dinh (La Marseillaise) 

Voir aussi : Rubrique Justice, La garde à vue non conforme au droit européen, Des magistrats dans le mouvement social, Loppsi 2 : un fourre-tout législatif sécuritaire et  illisible ,

 

 

« La création de vérité se greffe sur l’expérience »

Amaldo Correa. Photo Rédouane Anfoussi

Amaldo Correa. Photo Rédouane Anfoussi

en 1935, Arnaldo Correa vit à La Havane. Après des études d’ingénieur des mines, il revient travailler dans son pays. Il a vécu certains épisodes relatés dans L’appel du pivert royal, premier livre de l’auteur traduit en français qui vient d’être édité à Sète aux Editions Singulières. Depuis son premier roman, paru en 1966, il est considéré comme l’un des fondateurs du thriller cubain.

Vous avez vécu certains épisodes que l’on retrouve dans votre livre. Comment avez-vous abordé le rapport entre fiction et réalité ?

Votre question soulève un conflit intérieur qui se joue entre l’écrivain et la personne. Dans mon cas, ce conflit concerne aussi la manière de restituer ce que j’ai vécu à une certaine époque. La création de vérité se greffe sur l’expérience vécue. Je fais partie de la génération qui peut témoigner du Cuba de 1958, ce que reflète ce roman. A cette époque j’étais ingénieur pour une compagnie américaine. Je disposais d’une très bonne situation et à mes côtés, je voyais mon peuple perdre son sang dans la guerre. Issue d’une famille pauvre, j’avais fait beaucoup de sacrifices pour avoir une bonne situation mais là il fallait prendre une décision. J’ai opté pour le risque. Il en a résulté à la fois une bénédiction et une malédiction que j’ai traînée toute ma vie.

Comment avez-vous fait vos premiers pas vers l’écriture ?

C’était en 1953, je venais d’avoir 17 ans. J’aimais écrire. Un jour j’ai envoyé un recueil de mes textes à la revue Bohemia. En retour, j’ai reçu une lettre du directeur qui disait qu’il avait beaucoup apprécié et qu’il acceptait une collaboration régulière. J’étais ravi d’autant qu’il payait très bien, ce qui m’a permis d’aller faire mes études aux Etats-Unis. Quand il a appris mon âge, il m’a dit que j’étais un écrivain de naissance et m’a donné ce conseil : si tu veux devenir un écrivain, il faut d’abord que tu vives. Plus tard j’ai rencontré Hemingway qui a suivi la même voie. Après avoir écrit ce livre, je me suis dit que j’avais fait un peu comme lui avec la guerre d’Espagne.

L’action du livre débute en 1958. On retrouve un jeune ingénieur qui travaille en pleine guerre civile pour le compte d’une multinationale qui s’entend avec la dictature de Batista tout en négociant avec les rebelles …

C’est un épisode vécu, je me souviens quand les rebelles sont arrivés dans le camps avec leurs grandes barbes bibliques… L’histoire d’amour avec Adela est aussi tiré de ma rencontre avec une jeune femme en fuite après que les forces gouvernementale aient assassiné son père.

Vous avez travaillé avec Castro…

Avant je me contentais de vivre, après la révolution je voulais changer les choses. Cela m’a ouvert la conscience. J’ai réfléchi au sens de la vie, à la nature humaine. J’ai coupé de la cannes à sucre avec Fidèle pour montrer l’exemple. Aller à la campagne en tant qu’ingénieur hydraulique m’a permis d’acquérir une sensibilité écologique.

Castro vient de déléguer ses pouvoirs de chef du PCC. Quelle est la nature du débat qui traverse actuellement la société cubaine ?

La question qui se pose c’est comment résoudre les problèmes économiques en faisant en sorte que la société soit durable. Le jour où nous avons décidé d’alphabétiser et d’éduquer l’ensemble de la population il n’y avait plus de main d’œuvre pour travailler. Rêver ne coûte rien dit le proverbe, mais dans la réalité cela à un prix.

L’évolution du système castriste vous parez-elle possible ?

J’ai connu cinq systèmes à Cuba. Le capitalisme, le rêve, le système soviétique, la déroute liée à son effondrement, et la situation actuelle où les gens cherchent des solutions. Je suis très critique envers Cuba mais je n’oublie pas que le pays le plus puissant du monde y a mené une politique criminelle. Il faut trouver une sixième voie mais notre indépendance n’est plus négociable.

recueilli par Jean-Marie Dinh

L’appel du Pivert royal, éditions Singulières 19 euros

Voir aussi : Rubrique Rencontre

« Pas de confiance sans coopération »

Michela Marzanno, Oct 2010, Photo Rédouane Anfoussi

Philosophie politique. Rencontre avec Michela Marzano autour de son essai Le contrat de défiance qui construit et déconstruit notre rapport à la confiance.

Ancrée dans un champ de recherche contemporain, la philosophe italienne Michela Marzano signe un essai accessible et exigeant en posant la question fondamentale de la confiance et de sa perte dans le modèle idéalisé de la société néolibérale aujourd’hui dans l’impasse.

Le titre de votre essai renvoie à la notion de confiance. Peut-on toujours faire confiance à l’autre ?

La confiance ne donne jamais de garantie. On se livre à l’autre pour le meilleur et pour le pire, cela implique une vulnérabilité. Selon le modèle du don conceptualisé par Mauss et Derrida, un modèle d’ouverture à l’autre qui veut que l’on donne quelque chose sans prétendre à un retour qui corresponde à ce que l’on a donné. Cela relève de l’asymétrie. On quitte l’échange purement économique du donnant donnant mais on reste dans une dynamique de mouvement qui nous sort de la fermeture individualiste. Aujourd’hui, l’application de ce modèle gagnant gagnant réduit tous nos rapports subjectifs, l’amitié, l’amour, ou encore la relation médecin patient, à un échange marchand.

Cette crise de la confiance se révèle également dans le cadre du volontariste économique ?

La confiance ne peut reposer sur un modèle volontariste. La crise des subprimes en 1998 l’a bien démontré. Il ne suffit pas de vouloir pour pouvoir. Cette attitude met entre parenthèses la possibilité de l’échec et de l’erreur, l’existence des limites matérielles et la contrainte de la réalité. Le rétablissement de la confiance suppose que l’on revienne à un discours de vérité qui nomme les difficultés telles qu’elles sont pour bâtir un projet réaliste.

Dans « Extension du domaine de la manipulation », vous déconstruisiez déjà la posture du management qui participe à une grande illusion ?

Le langage du management et de la confiance en soi pousse à vous faire dépasser toute sorte de problèmes. Il tend à envisager une indépendance totale vis-à-vis des autres. C’est l’idéologie du tout seul je peux devenir un winner et conquérir le monde. Un modèle directement remis en question par la crise. Aujourd’hui les managers ont bien compris que s’il n’y a pas un véritable esprit d’équipe au sein de l’entreprise lié à la coopération, tout le modèle s’effrite. Mais là encore le retour de la confiance exige de revenir aux bases et d’avoir le courage d’un discours de vérité. Avec une remise en question des objectifs notamment la vision à court terme, une reconnaissance des difficultés, et la capacité d’admettre l’impossibilité d’être dans la perfection. Les erreurs et les échecs font partie de la conduite humaine y compris sur les lieux de travail.

La crise économique semble déboucher sur une crise sans précédent de la crédibilité politique ?

On a promis et on continue de promettre des choses qui se situent au-delà des possibilités, des choses dont on était sûr qu’elles ne pourraient avoir lieu. Les gens attendent un rapport de vérité. C’est cela qui fait défaut. Mais une autre impasse serait de confondre vérité et transparence. Une tendance fréquente dans le milieu politique qui nous assomme avec cette idée. Le souci de transparence nous pousse à tout dire même ce que l’on ne connaît pas.

Avec l’effet paradoxal qui veut que plus les politiques maintiennent les gens dans le flou plus ils ont des chances de convaincre…

En effet, d’une part on continue à promettre des choses que l’on ne peut pas tenir et d’autre part, on est incapable de bâtir un programme qui prenne en compte les problèmes de la réalité. Il faut chercher ensemble des solutions envisageables, parce qu’il n’y a pas de confiance sans coopération. La population attend un retour sur le terrain et dans la réalité. En France comme en Italie, on manque de figures capables d’incarner ce qu’un homme ou une femme politique devrait faire aujourd’hui. C’est-à-dire avoir l’humilité de regarder en face la réalité et parfois de dire, il y a des choses que je ne peux pas changer mais je m’engage à prendre la mesure du possible pour pouvoir changer ce qui peut l’être.

L’humilité est-elle nécessaire dans la mesure ou comme vous le soulignez les hommes politiques produisent de plus en plus leurs propres normes d’action. Ce qui permet par exemple à Sarkozy de se présenter comme le président du pouvoir d’achat ?

Sarkozy s’est bien inspiré du modèle italien où l’on promet des choses que l’on ne tient jamais, parce qu’après, on change les règles de fonctionnement du système. Ce qui nous oriente vers la fin même du modèle de la démocratie. Je pense qu’il faut garder cela à l’esprit.

Les mensonges de Berlusconi ne l’ont pas empêché de sortir victorieux des élections régionales…

Là, on est en plein dans la manipulation de l’opinion publique qui est poussée très loin en Italie avec un contrôle très fort des médias. On n’en est pas encore là en France même si cette tendance s’affirme de plus en plus. Ce qui nous pousse à y résister en gardant une forme de défiance vis-à-vis du pouvoir. Cette défiance participe au fonctionnement démocratique tant qu’elle ne bascule pas dans la théorie du complot. Une posture où l’on pense construire une niche à l’abri du mensonge d’Etat, en se retrouvant finalement dans un mode de vie à part.

En quoi la confiance peut-elle nous permettre de renouer avec ce rôle d’acteur ?

Le problème de nos sociétés, c’est le manque de capacité à s’impliquer directement dans la vie. On attend un salut d’en haut sans jamais croire que la situation pourra être résolue. Pour sortir de cette paralysie chacun doit s’impliquer à son niveau. Les enseignants dans l’éducation, les parents avec leurs enfants… La confiance est quelque chose que l’on découvre dès l’enfance. Le changement sera progressif, il est lié à l’implication de chacun.

Vous opposez la confiance de Montesquieu à la défiance pessimiste d’Hobbes ?

Hobbes est le dernier penseur politique qui reste à l’intérieur de la pensée théologico-politique dans le sens où il construit le rapport entre le citoyen et l’Etat sur la base du rapport entre le croyant et Dieu. Il faut, selon lui, avoir une confiance absolue dans l’autorité politique et s’y soumettre en dépit des problèmes qui peuvent surgir. Aujourd’hui ce modèle ne peut plus fonctionner. La situation appelle plutôt un modèle à la Locke qui nécessite une confiance de la part du citoyen vis-à-vis de l’Etat, avec une capacité de vigilance. Capacité que Montesquieu formalise par la séparation des pouvoirs qui est mise à mal. Alors que ce système de contrôle, permet à la démocratie de rester en place sans tomber dans la méfiance absolue qui reste en retrait par rapport à la participation active dans la vie d’une cité.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Le contrat de défiance, Grasset, 19 euros

Voir aussi : Rubrique Philosophie Deleuze et les nouveaux philosophes, rubrique Politique rubrique Rencontres, Jean-Claude Milner, Michela Marzano: de la peur, Daniel Bensaïd, Bernard Noël, Dominique Shnapper, rubrique Italie, Berlusconi passe l’épreuve de force, L’Italie à l’avant garde de la xénophobie, Cinéma Le système berlusconnien, Portrait d’Italie,

Le modernisme de Marco le subversif…

 

Marco Ferreri : Dillinger est mort

Rencontre Cinemed : Pour évoquer Marco Ferreri, Noël Simsolo révèle d’autres facettes du réalisateur.

Réalisateur, comédien, scénariste, historien du cinéma et auteur de roman noir, Noël Simsolo est l’invité du Cinemed. L’homme aux yeux doux et espiègles arbore un joli plâtre au bras gauche. Il participait hier à une table ronde dans le cadre de l’hommage rendu à Marco Ferreri qu’il a bien connu en tant qu’acteur et scénariste.

 

Noël Simsolo

Noël Simsolo

 Né en 1944, Noël Simsolo a collaboré avec les grands noms du cinéma français, Eustache, Chabrol, Vecchialli, Godard, Tavernier…  » Je viens d’appeler Mocky avec qui je dois bientôt tourner pour lui dire que j’avais le bras dans le plâtre. Il m’a répondu : très bien je n’aurais pas à t’en mettre un.  » Un certain esprit de répartie qu’affectionne particulièrement Simsolo.  » Ferreri était un peu comme ça, il captait les idées au vol. Il disait : je suis dans la rue. Je vois deux hommes qui se parlent, puis se disputent, ça me suffit pour en faire un film.  » C’est ainsi que naissent des chefs d’œuvre connus comme La Grande Bouffe. Présenté dans la sélection française à Cannes en 1973, le film fait scandale. Avec un goût certain de la provocation, le réalisateur milanais signe des films moins connus, mais tout aussi hallucinant, comme Touche pas à la femme blanche (1974).  » Dans l’appartement que lui avait prêté Piccoli, Marco faisait des concours de pâtes, avec Tavernier et Mocky et après ils regardaient des films. C’est ainsi que lui est venue l’idée de faire un film sur des gens qui meurent en mangeant. Pour Touche pas à la femme blanche, il voulait faire un film différent. Il a vu ce trou des Halls, ça lui a donné envie de faire un western dans une époque contemporaine.  » Le film où l’on voit Custer (Mastroianni) et Buffalo Bill (Piccoli) débarquer dans le Paris des années 7O pour karchériser les Indiens traverse les âges sans en pâtir, ce qui témoigne de sa modernité.  »  Ces Indiens que l’on veut faire disparaître, c’est une parabole pour parler des algériens. Aujourd’hui cela peut très bien s’appliquer aux Roms « , souligne Noël Simsolo qui s’est fait embarquer dans le tournage alors qu’il était simplement venu dire bonjour.

la-grande-bouffeA propos de la dimension politique de Ferreri, Simsolo met en lumière le réalisme du réalisateur italien.  » Il était de gauche. Mais il restait lucide sur sa condition d’artiste bourgeois. D’ailleurs dans la plupart de ses films ses personnages principaux sont des bourgeois en rupture. Un peu comme Chabrol qui démonte la bourgeoisie de l’intérieur.  » Un réalisme qu’il exprime aussi à travers son style :  » C’était un amis d’Antonioni, de Pétri, de Rossellini et de Pasolini avec qui il entretenait une relation plus complexe, mais au niveau stylistique il est plus proche de l’éthologie de Godard dans son approche des motivations comportementales humaines. Il s’intéressait à la petitesse du désespoir. On l’a pris pour un comique, mais ce n’est pas ça. Il allait jusqu’au bout. A quel moment on met une balle dans le revolver et on tue sa femme comme dans Dillinger est mort. » Comme tous les grands réalisateurs modernes et subversifs, Ferreri n’a pas d’héritier même si certains cinéastes comme Mocky poursuivent leur chemin dans la même veine.  » Ferreri était un moraliste pessimiste, pense Simsolo, Mais les pessimistes, on le voit actuellement avec les mouvements sociaux, sont les seuls à agir. Tout le monde savait que le gouvernement ne reculerait pas sur les retraites, les optimistes pensent que tout est pourri et qu’il n’y a rien à faire. Les pessimistes y vont quand même, ce sont les seuls qui ont de l’espoir. L’avenir leur appartient. « 

Jean-Marie Dinh

Angoisse

 Journée Dario Argento 

Dario Argento

Dario Argento

Aujourd’hui un hommage est rendu au Maître du thriller italien, Dario Argento qui a présenté hier le film de Sergio Léone Il était une fois dans l’Ouest auquel il est associé en temps que scénariste. On retient de ce réalisateur sa période dite des années surnaturelles avec Suspiria, sorti en 1977, qui est un thriller surnaturel extrêmement violent considéré par beaucoup comme son meilleur film. Libéré des contraintes du format plus conventionnel, Suspiria est un essai irréel où l’histoire et les personnages ont moins d’importance que le son ou l’image. Argento avait prévu que ce film serait le premier opus d’un trilogie sur les trois mères (Mater suspiriarum, Mater tenebrarum et Mater lachrimarum), trois anciennes sorcières vivant dans 3 villes modernes différentes. Le second volet fut Inferno en 1980, va encore plus loin dans l’art pur. La trilogie des trois mères est aujourd’hui achevée grâce au troisième opus sorti en Italie le 2007 intitulé la troisième mère que l’on pourra voir ce soir à 21h suivi de quatre autres de ses films lors de Une nuit d’enfer au Centre Rabelais. A noter également une table ronde en présence du réalisateur à 17h espace Joffre au Corum.

L’émotion complexe des vrais mensonges

Le 32e Cinemed est déclaré ouvert a lancé sa marraine Carmen Maura vendredi dans un Corum plein d’effervescence.

Photo David Maugendre.

Nathalie Bayle. Photo David Maugendre.

Le contraste apparaît saisissant entre les deux films de cette première soirée : le court métrage de Serge Avedekian « Chienne de Vie » qui a décroché cette année La Palme d’or à Cannes, et la comédie de Pierre Salvadori De vrais Mensonges projetée en avant première en présence du réalisateur de Nathalie Baye et Audrey Tautou. Deux films en relation avec le Languedoc-Roussillon puisque le premier est Co-Produit par La Fabrique basée dans les Cévennes et le second a été tourné à Sète. Deux films réussis qui portent tant dans la forme que dans le fond, la diversité d’expression que nous donne à voir jusqu’au 30 octobre à Montpellier ce fantastique rendez-vous du cinéma.

Le mensonge mène parfois à la vérité

Salle Berlioz, on a pu mesurer vendredi la première réaction « du vrai public« , selon les mots d’Audrey Tautou, lors de la projection du film de Pierre Savaldori. Les rires durant le film et l’acclamation finale augurent plutôt d’un bel avenir à cette subtile comédie. « C’est une histoire d’amour où l’on accède à la vérité par le mensonge explique Pierre Savaldori qui co-signe un scénario à la fois fin et rigoureux avec Benoît Graffin. Emilie reçoit une belle lettre d’amour anonyme qu’elle jette, avant d’y voir le moyen de sauver sa mère, qui a sombré dans la déprime depuis le départ de son mari.

Pierre Salvadori. Photo DM

Pierre Salvadori. Photo DM

« Dans le film, le personnage d’Emilie (Audrey Tautou) incarne un peu la dictature du bonheur. Elle ne laisse aucun libre arbitre aux autres. Elle est persuadée qu’elle sait ce qui va faire leur bonheur. C’est elle qui introduit la contagion des sentiments par le mensonge. Avec cette question : peut-on aimer quelqu’un et le trahir dans un même élan ? Après de multiples rebondissements, elle prend une leçon. » souligne le réalisateur. Avec ses quiproquos sentimentaux, l’intrigue emprunte au théâtre de Marivaux et de Musset.  » Ce sont des auteurs qui me paraissent inatteignables mais qui nous ont stimulé dans la manière exaltante qu’ils ont de vouloir combler le spectateur « , confie Pierre Savaldori.

Un scénario béton

Dans le rôle de Maddy, Nathalie Baye, interprète le rôle de la mère d’Emilie. Une femme déprimée qui a dédié sa vie à l’art et à la beauté et qui devient manipulatrice.  » Ce qui me plait dans ce personnage, c’est qu’elle est complètement barrée, explique l’actrice, Le fait qu’elle puisse se sentir désirable produit un déclic qui révèle une autre facette de sa personnalité. Ce rôle était très intéressant pour la richesse et la diversité des sentiments auxquels il fait appel, la mélancolie, la colère, la folie, le plaisir, la vengeance, l’épanouissement… Tous les personnages sont travaillés en profondeur, le jeux semble juste, sans être appuyé. C’est la situation qui prime.  » Souvent dans le cinéma, les producteurs ne mettent pas assez d’argent en amont pour rémunérer les scénaristes. Dans ce film le travail est exemplaire. « 

Pierre Salvadori, aborde cette comédie avec beaucoup de sérieux. On rit beaucoup mais pas à n’importe quel prix.

Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Festival, Cinemed 2010 Ligne éditoriale, Cinemed 2009 , Cinemed 2008, Rencontre Pierre Pitiot « sont méditerranéens ceux qui ont envie de l’être, Cinéma , Languedoc-Roussillon Cinéma,