Entretien
Réforme de la garde-à-vue, budget de la Justice en baisse, pouvoir du Parquet, solidarité internationale…, la nouvelle bâtonnière du Barreau de Montpellier Michelle Tisseyre a pris ses fonctions le 1er janvier. Elle analyse la situation et son incidence pour les avocats.
On vous dit très attachée aux droits de l’Homme, ce qui vous laisse l’embarras du choix… sur quels dossiers travaillez-vous actuellement ?
Nous organisons le 31 mars prochain une fête des droits de l’Homme. Cette soirée sera consacrée à la défense de la défense. Les droits de l’Homme sont universels et inaltérables. Aujourd’hui, ils doivent de toute évidence être mieux respectés. Pour cela, il faut rappeler partout que tout être humain doit pouvoir avoir recours à un avocat. Le barreau est très mobilisé sur cette question. Nous sommes très attentifs à ce qui se passe en Chine où des confrères sont pourchassés, parfois emprisonnés parce qu’ils sont avocats.
Qu’en est-il de la situation tunisienne ?
Les avocats tunisiens ont été récemment pris à partie. Ils sont régulièrement victimes de violences et d’entraves à leur liberté d’exercice. Le Barreau tunisien a lancé un appel au Conseil national des Barreaux (CNB) qui représente les avocats français pour les alarmer. A Montpellier nous avons voté une motion d’émotion et de soutien, le CNB devrait envoyer une mission sur place.
Vous êtes-vous joints à l’initiative du Syndicat des avocats de France qui vient de demander au président français de condamner le régime tunisien avec plus de fermeté ?
Cette démarche est une action indépendante du SAF. En tant qu’institution, notre engagement est nécessairement différent. Chaque syndicat, il en existe quatre pour les avocats, a sa vie propre et développe ses priorités qui trouvent parfois une expression commune. Nos relations avec les syndicats sont excellentes. Les bâtonniers de Montpellier ont exercé pour la plupart d’entre eux des responsabilités syndicales.
Quelles relations votre ordre entretient-il avec le Parquet ?
D’institution à institution nos relations sont très correctes dans l’exercice de nos métiers respectifs. Nous faisons entendre notre voix afin d’obtenir pour nos confrères pénalistes la reconnaissance de leur place et de leur rôle dans les premières heures d’une garde à vue.
Votre position sur la réforme de la procédure de garde-à-vue dont le réexamen a débuté le 18 janvier ?
Nous sommes très préoccupés. Le projet de réforme a été toiletté mais il n’est toujours pas satisfaisant. Nous nous sommes engagés dans une action pour alerter les parlementaires et leur expliquer en quoi cette réforme n’est pas acceptable. On maintient la possibilité de retarder la présence de l’avocat pour les infractions les plus graves, or justement dans ce cas, si la cible est mal choisie la personne a d’autant plus la nécessité d’être soutenue par un avocat. Il convient aussi de restaurer les droits fondamentaux de toute personne gardée à vue comme le droit de garder le silence. De la même façon, pour assister le gardé à vue l’avocat doit avoir accès aux actes de l’enquête.
Où en est-on sur les questions liées au statut et au pouvoir du Parquet ?
Ce sont les avocats qui ont structuré la critique qu’il y avait lieu de formuler, en soulignant par anticipation que les textes ne seraient pas conformes à la Constitution. A Montpellier, nous avons accueilli Robert Badinter en 2010 qui s’est exprimé sur ces questions. Cela fait partie des règles de notre métier et nous devons les appliquer face à la mise en jeu de la liberté. Avec les arrêts de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), les hautes juridictions ont confirmé qu’un procureur n’était pas une autorité judiciaire indépendante du fait de sa subordination à la Chancellerie. Celle-ci est censée revoir sa copie avant le 1er juillet 2011. C’est un vrai casse tête chinois car respecter les injonctions de la Cour de cassation et de la CEDH suppose qu’il faut y mettre les moyens.
Un nouveau besoin pour un système judiciaire qui traverse déjà une crise sans précédent…
Effectivement c’est le débat cornélien chez les juges. D’une inauguration solennelle à l’autre, on retrouve le même discours sur la situation, les réductions budgétaires et le manque d’effectif. Les avocats ne sont pas opposés à des réformes, mais à l’heure où l’on parle d’avoir recours à des jurés populaires dans les complexes audiences correctionnelles, la Cour d’appel de Montpellier affiche entre 25% et 30% de sous effectifs.
La déliquescence de la justice ne touche-t-elle pas en priorité les populations les plus défavorisées ?
Le budget de la justice n’est pas une priorité en France. Il n’est pas en augmentation, cette année, loin s’en faut. A cela s’ajoute la crise qui frappe les catégories sociales les plus fragiles et une augmentation de la TVA. Selon l’exigence de l’UE qui a remis en cause le taux réduit de TVA applicable dans les dossiers bénéficiant de l’aide juridictionnelle, depuis le 1er janvier on est passé de 5,5% à 19,6%. Désormais soit l’avocat peut obtenir du client qu’il accepte l’augmentation, soit il doit la prendre à sa charge.
Menez-vous des actions pour l’égalité des droits ?
Nous sommes toujours présents pour défendre l’égalité de droit à travers différentes initiatives comme l’assistance juridique gratuite mais avec une limite. on ne peut plus supporter toute la charge. Il n’est pas légitime pour les avocats d’assurer la prise en charge du service public. A un moment donné, il doit y avoir un arbitrage, des priorités. La conséquence d’une justice à moindre coût se répercute à travers l’allongement des délais de traitements. Ce qui va à l’encontre des justiciables qu’ils soient victimes ou auteurs.
Votre mandat de deux ans implique un plan d’action rapide. Quelles sont vos priorités ?
Je souhaite m’attacher à faciliter l’exercice professionnel de mes confrères. Il faut davantage expliquer le rôles des avocats dans la démocratie. Notre profession sera toujours debout pour défendre les droits de l’Homme. Je m’efforcerai de valoriser nos règles déontologiques : probité, mesure dignité, respect du secret professionnel. J’entends enfin privilégier un partenariat de coopération avec les institutions, les collectivités, les chambres consulaires dans l’intérêt du justiciable ».
Recueilli Par Jean-Marie Dinh (La Marseillaise)
Voir aussi : Rubrique Justice, La garde à vue non conforme au droit européen, Des magistrats dans le mouvement social, Loppsi 2 : un fourre-tout législatif sécuritaire et illisible ,