Paris admirable machine à détruire les âmes

Photo Christophe Reynaud De Cage

« Les Parisiens  »mis en scène par O. Py d’après son roman éponyme. Photo Christophe Reynaud De Cage

Avignon IN
Olivier Py adapte son roman à La Fabrica une cruelle et drôle de fresque initiatique à la vie parisienne

Paris est une fête. Né en 1965, un an après la publication du livre autobiographique d’Hemingway, Olivier Py pourrait avoir imaginé un envers à ce récit avec son roman, Les Parisiens (Actes Sud juin 2016) qu’il adapte à la scène. Un regard d’auteur provincial revendiqué qui témoigne des moeurs et coutumes en proposant une vue d’ensemble de cette vaste mosaïque qu’il a bien connue en tant qu’artiste et notable culturel dans la capitale. Les 4h30 de la pièce s’enchaînent avec des jeux de résonance où s’entremêlent les destins drôles et contrastés des personnages qui nous procurent une désolante sensation d’abandon.

Au milieu de façades haussmanniennes en noir et blanc, l’intrigue principale s’articule autour de la nomination d’un nouveau directeur à l’opéra au moment où le ministre de la Culture prépare ses cartons pour quitter la rue de Valois. Les prétendants aux nominations se déchirent en échafaudant des conspirations sur la base d’un jeu dont les cartes maîtresses leurs échappent.

On suit parallèlement, la carrière ascensionnelle d’Aurélien, jeune auteur et metteur en scène aux dents longues. Côté pile, Aurélien s’emploie à faire profiter de sa jeunesse à un éminent chef d’orchestre et à séduire une faiseuse de carrière. Côté face, il s’adonne à ses vraies amours. Lucas, enfant mal aimé, poète inaccompli qui cherche avec humilité et désespoir une raison de croire et de vivre. Et puis, Iris, Serena, Kamel, Gloria, Ulrika…, reines transgenres et faunes de la nuit, qui prennent d’assaut Pôle Emploi pour faire valoir la déclaration universelle des droits de la pute.

Un portrait de l ‘intérieur

« Dans ma (folle) jeunesse, j’étais double. En moi il y avait un contemplatif assoiffé de prière et un hédoniste qui dévorait le monde. Aurélien et Lucas sont ces deux parts de moi qui dialoguent encore. Le troisième personnage, c’est Paris. Je voulais faire un portrait de l’intérieur et convoquer toutes les figures du carnaval que j’ai admirées ou détestées

Le directeur du Festival d’Avignon cultive cette tension singulière typiquement parisienne entre le monde de la culture et les personnages de la République, sans délaisser la dualité qui anime son oeuvre entre mysticisme chrétien et folie dionysiaque.

L’amertume qu’a connue l’ex-directeur du Théâtre de l’Odéon, remercié sans ménagement par Sarkozy pour nommer Luc Bondy à sa place, se transforme chez le croyant Olivier Py en amour du théâtre qui permet d’échapper aux questions inutiles.

Toujours très lyrique, Py ne se départit pas d’un certain sens de l’autocritique théâtrale superbement campé par Mireille Herbstmeyer en roue libre dans le personnage sans ambage de Catherine : « Tu te prends pour Rimbaud mais tu ne renonces pas à Sacha Guitry...»

Un florilège théâtral, sur le sol en damier noir et blanc imaginé par le scénographe Pierre-André Weitz, activé par les mains invisibles de quelques huiles et grands argentiers du tout Paris, les pions bougent, cèdent, se sautent, disparaissent, apparaissent… dans une « party » sans fin. «Chacun pour soi et du champagne pour tous ! »

Jean-Marie Dinh

Aujourd’hui à 15h à La Fabrica. http://www.festival-avignon.com

Source La Marseillaise 15/07/2017

Voir aussi : Rubrique Festival, Avigon 2017, L’Antigone fraternelle de Miyagi, rubrique Théâtre,

 

 

Frédéric Jacques Temple ou les forces élémentaires d’un homme du sud

F-J Temple : La gourmandise du naturel

Médiathèque Emile Zola. L’exposition consacrée à Frédéric Jacques Temple invite au parcours d’une expérience humaine jusqu’au 15 janvier.

La médiathèque Emile Zola, rend hommage à Frédéric Jacques Temple jusqu’au 15 janvier à travers une exposition permettant de découvrir une partie du fond légué par le poète à sa ville natale. Celui-ci vient enrichir les collections patrimoniales de la médiathèque centrale de Montpellier. Livres dédicacés, correspondances, photographies, tapuscrits, objets,  sont autant de traces d’une vie en contact permanent avec l’écriture. « L’écrit n’est qu’une des nombreuses formes du vivre » confie avec simplicité l’auteur montpelliérain.

L’exposition présente plus de 200 pièces et documents sur un total de plus de 5 800 documents que compte la donation.

Né en 1921 à Montpellier, Frédéric Jacques Temple vit aujourd’hui dans un village du Gard. Il entretient très tôt une passion pour la littérature américaine : Melleville, Whiteman, Dos Passos, Faulkner, Hemingway… Il traduit notamment Lawrence Durell, Haniel Long, et Henri Miller avec qui il entretient une solide amitié.

Une vie d’engagements

A Alger où il suit son père nommé préfet en 1942, il rencontre l’éditeur de Camus Edmond Charlot qui publiera son premier recueil de poèmes. En 1943-1944, Frédéric Jacques Temple participe aux combats contre l’Afrikakorps en Tunisie, à la campagne d’Italie, et au débarquement de Provence. Cette expérience le pousse à écrire. Le recueil « poèmes de guerre » (1996) réunit ses textes inspirés de cette expérience.

De retour à Montpellier en 1948, l’écrivain entreprend une carrière dans la Radiodiffusion-télévision française. C’est à cette époque qu’il se lie d’amitié avec Joseph Delteil et Blaise Cendrars.

Pour Temple, la vie compte davantage que la fréquentation des salons littéraires. Ses premiers recueils de poèmes ne sont réunis qu’en 1989 par Actes Sud dans une anthologie personnelle plusieurs fois rééditée, qui a obtenu le prix Valery Larbaud. Il a également publié cinq récits chez le même éditeur ainsi que des traductions et des essais. A l’instar de celle de son compagnon Max Rouquette, l’œuvre de Frédéric Jacques Temples se conjugue avec la nature méditerranéenne et une certaine nostalgie d’un paradis perdu.

En complément de l’exposition, une série de manifestations permettent d’approfondir  l’œuvre de cet artiste en prise constante avec son époque. L’attraction qu’exerce la folie du monde nourrit le poète montpelliérain. Elle exhume ses forces élémentaires, le pousse à explorer sans jamais rompre avec les amarres de ses origines.

La carte blanche cinématographique  offerte à l’auteur dans le cadre du Cinemed comme le colloque, ponctué d’un hommage musical organisé par l’université Paul Valéry, ont permis d’approcher l’univers de Frédéric Jacques Temple. La soirée Parcours d’écrits ouvrira prochainement une autre voie d’accès. Le comédien Julien Guill, le musicien Michel Bismut et le sound designer Armand Bertrand ont choisi avec l’auteur des extraits de son œuvre qui donneront lieu à une performance* forte et sensible.

Jean-Mari Dinh

* Le 14 décembre prochain à 19h à la Médiathèque Emile Zola.

Voir aussi : Rubrique Livre, Littérature Française, rubrique Poésie, rubrique Culture d’Oc,

 

« La création de vérité se greffe sur l’expérience »

Amaldo Correa. Photo Rédouane Anfoussi

Amaldo Correa. Photo Rédouane Anfoussi

en 1935, Arnaldo Correa vit à La Havane. Après des études d’ingénieur des mines, il revient travailler dans son pays. Il a vécu certains épisodes relatés dans L’appel du pivert royal, premier livre de l’auteur traduit en français qui vient d’être édité à Sète aux Editions Singulières. Depuis son premier roman, paru en 1966, il est considéré comme l’un des fondateurs du thriller cubain.

Vous avez vécu certains épisodes que l’on retrouve dans votre livre. Comment avez-vous abordé le rapport entre fiction et réalité ?

Votre question soulève un conflit intérieur qui se joue entre l’écrivain et la personne. Dans mon cas, ce conflit concerne aussi la manière de restituer ce que j’ai vécu à une certaine époque. La création de vérité se greffe sur l’expérience vécue. Je fais partie de la génération qui peut témoigner du Cuba de 1958, ce que reflète ce roman. A cette époque j’étais ingénieur pour une compagnie américaine. Je disposais d’une très bonne situation et à mes côtés, je voyais mon peuple perdre son sang dans la guerre. Issue d’une famille pauvre, j’avais fait beaucoup de sacrifices pour avoir une bonne situation mais là il fallait prendre une décision. J’ai opté pour le risque. Il en a résulté à la fois une bénédiction et une malédiction que j’ai traînée toute ma vie.

Comment avez-vous fait vos premiers pas vers l’écriture ?

C’était en 1953, je venais d’avoir 17 ans. J’aimais écrire. Un jour j’ai envoyé un recueil de mes textes à la revue Bohemia. En retour, j’ai reçu une lettre du directeur qui disait qu’il avait beaucoup apprécié et qu’il acceptait une collaboration régulière. J’étais ravi d’autant qu’il payait très bien, ce qui m’a permis d’aller faire mes études aux Etats-Unis. Quand il a appris mon âge, il m’a dit que j’étais un écrivain de naissance et m’a donné ce conseil : si tu veux devenir un écrivain, il faut d’abord que tu vives. Plus tard j’ai rencontré Hemingway qui a suivi la même voie. Après avoir écrit ce livre, je me suis dit que j’avais fait un peu comme lui avec la guerre d’Espagne.

L’action du livre débute en 1958. On retrouve un jeune ingénieur qui travaille en pleine guerre civile pour le compte d’une multinationale qui s’entend avec la dictature de Batista tout en négociant avec les rebelles …

C’est un épisode vécu, je me souviens quand les rebelles sont arrivés dans le camps avec leurs grandes barbes bibliques… L’histoire d’amour avec Adela est aussi tiré de ma rencontre avec une jeune femme en fuite après que les forces gouvernementale aient assassiné son père.

Vous avez travaillé avec Castro…

Avant je me contentais de vivre, après la révolution je voulais changer les choses. Cela m’a ouvert la conscience. J’ai réfléchi au sens de la vie, à la nature humaine. J’ai coupé de la cannes à sucre avec Fidèle pour montrer l’exemple. Aller à la campagne en tant qu’ingénieur hydraulique m’a permis d’acquérir une sensibilité écologique.

Castro vient de déléguer ses pouvoirs de chef du PCC. Quelle est la nature du débat qui traverse actuellement la société cubaine ?

La question qui se pose c’est comment résoudre les problèmes économiques en faisant en sorte que la société soit durable. Le jour où nous avons décidé d’alphabétiser et d’éduquer l’ensemble de la population il n’y avait plus de main d’œuvre pour travailler. Rêver ne coûte rien dit le proverbe, mais dans la réalité cela à un prix.

L’évolution du système castriste vous parez-elle possible ?

J’ai connu cinq systèmes à Cuba. Le capitalisme, le rêve, le système soviétique, la déroute liée à son effondrement, et la situation actuelle où les gens cherchent des solutions. Je suis très critique envers Cuba mais je n’oublie pas que le pays le plus puissant du monde y a mené une politique criminelle. Il faut trouver une sixième voie mais notre indépendance n’est plus négociable.

recueilli par Jean-Marie Dinh

L’appel du Pivert royal, éditions Singulières 19 euros

Voir aussi : Rubrique Rencontre

William Bayer un as du clash psychologique

bayer-interview1Avec son dernier livre « Le rêve des chevaux brisés », l’enfant de Cleveland nous tient en haleine. D’un bout à l’autre le lecteur plonge sur la piste d’un parcours à double détente. Celui d’un couple improbable qui finit en clash. Et celui plus obsessionnel, d’une quête psychologique qui pousse le personnage principal sur les traces troublées de son enfance.William Bayer fait escale à Montpellier à l’occasion du Festival International du Roman noir qui se tient jusqu’à dimanche à Frontignan. Il a déjà commis une quinzaine de romans. Ce n’est pas le genre d’homme à laisser les choses au hasard. Ce qui ne veut pas dire qu’il soit maniaque. Il aime Hemingway, et comme lui, se fait adepte du style maigre, écriture concise, dépouillée… Mais là où l’auteur du Vieil homme et la mer fuit tant qu’il peut la psychologie, Bayer se délecte à tisser dans les méandres de l’inconscient. Dans Le rêve des chevaux brisés, David Weiss le narrateur, est témoin d’un acte criminel sans avoir vu la scène du meurtre, et il ne le réalise qu’à l’âge adulte. Le rythme du livre est assez lent comme celui de l’écriture « Plus j’avance dans l’âge plus je prends mon temps » confie l’auteur. La dimension du temps justement, est maniée avec finesse et dextérité. Bayer l’allie au lieu de l’action en jouant avec les allers-retours entre passé et présent.

Dans le livre tout commence par le retour de David dans sa ville natale Calista  ville fictive et espace physiquement et moralement vécu et parcouru par l’auteur lui-même. En réalité, Calista n’est rien d’autre que sa ville natale, Cleveland. « J’ai choisi un autre nom pour ne pas être prisonnier des détails. Je voulais faire un parallèle entre l’âge d’or de cette ville et ce qu’elle est aujourd’hui après le déclin économique. C’est pourquoi le meurtre a lieu 25 ans plus tôt. Je voulais aussi évoquer le fonctionnement de ces villes pleines de secrets et de non dits. »

reve-chevaux-brisesWilliam Bayer a un parcours plutôt atypique. Diplômé de Harvard et Cambridge en histoire de l’art, le sexagénaire affiche aujourd’hui les traits d’un bon vivant. Sous la présidence de Kennedy, il a travaillé aux affaires culturelles du Département d’Etat américain qu’il dit avoir quitté, même si certains de ses collègues de l’époque sont aujourd’hui nommés à des postes de pouvoir. « Je n’avais pas envie de passer ma vie à lécher des bottes pour ça.» Alors il a basculé dans le roman noir, pour trouver sa vraie place et pour notre plus grand plaisir.

Jean-Marie DINH

William Bayer Le rêve des chevaux brisés, éditions Rivages.

Voir aussi : Rubrique Roman noir,