Histoire : Le discours sur l’éducation à fin du XIX et au XXe siècle

L'historien Jean Sagnes

L’historien Jean Sagnes

Jean Sagnes. L’historien spécialiste de la région co-signe avec Louis Secondy «Ils ont parlé à la jeunesse, un ouvrage qui analyse les discours et le sens de l’éducation à fin du XIX et au XXe siècle

Jean Sagnes est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université de Perpignan Via-Domitia dont il a assuré la présidence. Il est un spécialiste de l’histoire contemporaine, notamment de la France et de l’histoire du Languedoc-Roussillon. Il a publié ou dirigé une quarantaine d’ouvrages dont L’Enseignement du second degré en France au XXe siècle, Jean-Moulin et son temps, 2000 et Jaurès.

D’où est partie l’idée de ce livre que vous co-signez avec l’historien Louis Secondy ?
Au cours des recherches menées sur l’histoire de la région,  nous sommes tombés sur un panel exceptionnel. Nous avons découvert plusieurs discours d’hommes célèbres prononcés dans le cadre de distribution de prix. A l’époque, ces moments qui ponctuaient la fin de l’année faisaient événement dans les établissement scolaires. Les discours sont certes conventionnels mais ils présentent aussi des particularités liés aux faits que les orateurs livrent à la jeunesse se qu’ils ont au fond du coeur.
Votre travail couvre les discours de notre région entre la fin du XIXe jusqu’à la moitié du XXe siècle.

Quel était l’objectif de ces interventions ?
On voulait donner du lustre à la distribution de prix qui donnait lieu au classement général de l’établissement. On considérait que cela introduisait une valorisation qui rejaillissait sur l’institution. Il n’existe pas de cérémonie équivalente aujourd’hui. Elles ont complètement disparu depuis 1968.

Qu’est ce qui a retenu votre attention dans le discours des personnages célèbres ?
Il y avait cette préoccupation commune, surtout pour les garçons, car nous n’avons pas trouvé de discours dans les établissements de filles, que la jeunesse était amenée à devenir les futurs citoyens. Chacun mettait dans ces discours ses convictions en fonction de sa personnalité et de l’environnement dans lequel il évoluait. Dans son discours de 1903 prononcé à Albi, Jaurès apporte la notion de courage, il fait de la politique. Il vante les mérites de la République du socialisme et de la paix alors qu’il ne devrait pas. On sent qu’il s’adresse aux parents en  oubliant un peu la jeunesse.  En 1931  au collège Victor Hugo de Narbonne le député audois Léon Blum évoque le passage du romantisme littéraire au romantisme moral, philosophique et politique en se gardant de mentionner les surréalistes français,  le constructivisme russe ou l’expressionnisme allemand. Quatre ans plus tard au collège de Sète l’académicien Paul Valery évoque déjà devant les élèves la crise de civilisation et d’idée liée a l’émergence d’un monde moderne modifiant la vie humaine en profondeur sans que les lois et la politique n’aient nsuivi. Il appelle de ses voeux une évolution profonde au moment où les revendications territoriale de l’Allemagne qui n’accepte pas le traité de Versaille se font plus pressantes.

Le discours du général de corps d’armée Jean de Lattre de Tassigny à Montpellier en juillet 1942 se tient lui sous l’autorité de Pétain…
En effet, lorsque le général de Tassigny prends la parole à Montpellier en juillet 1942, la partie nord et toute la côte atlantique sont occupées par l’armée Allemande. Le sud, dépend de l’autorité du gouvernement de Vichy avant que les allemands ne descendent du nord en novembre. Dans son discours, il fait l’éloge de Pétain, cultive le sens de l’effort et l’apologie du chef mais  certains points où non dit comme l’absence de toute référence à la collaboration laissent transparaître des messages subliminaux qui contre balancent sa docilité. Au moment du franchissement de la ligne de démarcation en novembre 1942 il refuse les ordres et est arrêté. Après son évasion de Gaulle le nomme générale d’armée.
Les discours ne prennent en considération le rôle éducatif des femmes que durant la guerre…

La première guerre mondiale place les femmes dans une condition nouvelle. A Agde en 1918 le discours  du professeurs Soulas se prononce en faveur d’une généralisation de la mixité dans l’enseignement et interroge l’inégalité de traitement  entre les hommes et les femmes inscrite dans le code civile. Clémenceau et nos braves républicains ne se sont pas battus pour l’accès des femmes à l’éducation. A partir de 1919, les différentes propositions de loi allant dans ce sens ont toujours été bloquées par le sénat.  Les femmes ne disposaient pas du droit de vote et l’église faisait un forcing pour maintenir ses prérogatives en matière d’éducation.

Malgré le centralisme républicain, la culture languedocienne semble bien présente dans les discours ?
On relève dans de nombreuses intervention de professeurs une mise en avant de la civilisation occitane. C’est d’autant plus étonnant que contrairement au personnes célèbres, leur discours devait recevoir l’assentiment du recteur. Jaurès évoque le génie méridionale permettant de mieux apprendre le français tandis que certains professeurs militent pour la réintégration de la langue d’Oc a une époque où les instituteurs ont pour mission ou se donnent pour mission de faire disparaître le «patois».

A la lecture de votre ouvrage on mesure l’importance donner à la valeur de l’enseignement quel est votre regard sur la crise que nous traversons actuellement ?
Je n’adhère pas vraiment à la thèse du niveau qui baisse. C’est un vieux serpent de mer. Aujourd’hui l’enseignement n’a plus pour objet l’éducation mais l’instruction. En tant que président d’université j’ai observé les difficultés rencontrées par les entreprises pour s’investir dans l’enseignement supérieur. Je ne considère pas l’entrée du privée comme une menace même si l’autonomie financière des universités peut changer la donne. Le danger viendrait plutôt de  l’ingérence des collectivités qui veulent ériger des grandes usines à gaz en regroupant les université pour les rendre plus visibles. Ce qui, on le sait ne permet pas le résultat recherché au niveau international. La Région a fait état de menaces précises à l’encontre de plusieurs universités dans le Languedoc-Roussillon. Je me réjouis  qu’elle se soit heurtée à des directions solides. Mais il faut demeurer vigilant car avec la nouvelle loi  du gouvernement socialiste et la paralysie des syndicats, on peut craindre le pire.

Propos recueillis par Jean-Marie Dinh

Ils ont parlé à la jeunesse, ed, Nouvelles Presses du Languedoc, 22 euros

Source : La Marseillaise 02/09/2013

Voir aussi : Rubrique Livre, rubrique Education, rubrique Histoire

Entretien avec Emanuel Gat chorégraphe invité de Montpellier Danse 2013

 

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Emanuel Gat découvre la danse à l’âge de 23 ans. Il fonde sa compagnie en 2004 au Suzanne Dellal center à Tel-Aviv avant de s’établir en 2007 en France à la Maison intercommunale d’Istres. Emanuel Gat est l’invité régulier de prestigieuses compagnies comme le Ballet de l’Opéra de Paris. C’est sa quatrième participation au festival Montpellier Danse où il officie cette année en tant que chorégraphe associé.

L’idée de mémoire émerge pour cette 33e édition. J.P Montanari évoque la mémoire comme « une des conditions de l’émergence de la réalité », partagez-vous cette vision ?
Personnellement je pense être trop dans le présent pour regarder en arrière ou me projeter vers le futur, c’est ce qui se passe dans l’instant qui capte l’essentiel de mon attention. La mémoire permet d’actualiser des idées. Elle informe le présent. On ne peut y échapper mais je l’assume de manière assez passive.

A propos de la danse, c’est le corps qui garde en mémoire, et qui peut se révéler un handicap dans la création. Comment perdre cette mémoire ? Comment s’en débarrasser pour ouvrir sur autre chose ?
C’est une vraie difficulté, en effet, de lutter contre les habitudes corporelles qui s’installent. Mon travail de chorégraphe consiste en partie à les perturber pour trouver des schémas qui innovent. Je me débrouille pour mettre les danseurs dans l’impossibilité de reproduire. Je les oblige à se remettre en question. Le fait d’avancer est lié à la capacité de perturber.

Sur un autre plan, que vous évoque le concept politique de devoir de mémoire ?
Il me paraît lié au fait de ne pas revenir sur nos pas, d’empêcher le retour de conditions ayant abouti à de grandes souffrances. Cela participe à améliorer notre compréhension pour évoluer, ce qui suppose un vrai travail.

Le chemin semble long, comment expliquer par exemple, que le festival Montpellier Danse a consacré deux éditions au thème de la Méditerranée en mettant à l’honneur Israël dans l’une d’entre-elles et les autres pays dans la suivante ?
Ma réponse sera purement pragmatique. On ne peut pas aujourd’hui réunir l’ensemble de ses représentants, tant du point de vue protocolaire que de celui du financement.

Passons de l’idée de mémoire à celle de continuité dans votre œuvre. Que conservez-vous d’une pièce à l’autre ?
Il n’y a pas de processus de répétition dans mon travail, ni de rupture. Cela évolue en permanence, sur une même pièce, tout est différent entre la première et la vingtième ou la centième représentation. Les choses changent, on se remet en question par rapport à ce qui se passe. Mon travail ne vise jamais à parvenir à une forme stable.

Vous attachez une importance particulière à la structure. Quelle place prend-elle dans votre processus de création ?
La structure est centrale dans ma démarche. Je suis à la recherche de structures qui engendrent des systèmes y compris humains, elle dessinent des formes. L’émotion ne repose pas sur la structure, c’est la structure qui génère des émotions. J’attends des danseurs une implication individuelle. Le champs de jeux est complètement libre dans un environnement déterminé. A partir de cela, j’analyse la situation dans laquelle se font leurs choix, puis j’esquisse et je clarifie.

L’image canonisée d’Emanuel Gat vous agace-t-elle ?
On porte sur moi un regard que je comprends, mais qui ne me correspond pas toujours. Il suffit d’utiliser une musique ou une autre pour être classé dans un tiroir. Il faut du temps pour développer et approfondir une oeuvre dans ses subtilités.

En tant qu’artiste invité, quel regard portez-vous sur le public de Montpellier Danse ?
Un regard extrêmement positif. Montpellier est l’endroit, avec Berlin, où j’ai le plus de plaisir à revenir. Un dialogue avancé est possible avec le public d’ici. Cette évidence dans l’échange est non seulement agréable, mais aussi productive dans le sens artistique.

Vous avez la volonté d’inscrire le public dans le processus de la création ?
Oui dans Corner études qui regroupe quatre pièces de 15 mn, une partie se fera avec le public qui participera par sa présence à l’échange. Toutes les phases de répétition sont ouvertes pendant la période de création où j’inclurai ce regard dans le processus.  200 personnes seront autour du plateau lors du spectacle. Je n’ai jamais fait cela et suis curieux de  savoir ce qui va se passer.

Corner études s’inspire de  Brilliant corners créé à Montpellier en 2011 ?
L’idée est d’entrer dans un processus d’approfondissement. Nous avons éjecté certains aspects pour les travailler de manière indépendante. Chacun des éléments participera à la construction d’une pièce unique.

Vous ouvrez le festival avec la création The goldlandbergs  sous la forme d’une fugue…
C’est une pièce pour huit danseurs qui adopte une configuration plus classique. Elle intègre La variation de Goldberg de Bach interprétée par Glenn Gould, et The quiet in the land, une composition, de Gould également, qu’il a réalisée en 1977 en s’immergeant dans une communauté mennonite aux Etats-Unis. Ce regard sur un groupe de personnes, une famille, une communauté, rejoint une recherche sur le fonctionnement des relations que j’ai entrepris depuis vingt ans. Je crois qu’il s’est passé quelques chose d’intime dans cette pièce qui a débloqué les choses.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Source : L’Hérault du Jour, 22/06/2013

Voir aussi : Rubrique Danse,  rubrique Festival, rubrique Rencontre

Entretien avec James Thiérrée

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Dans la lucarne de James Thiérrée

Festival. Avec «Tabac Rouge» le petit-fils de Chaplin relance les dés pour « empêcher le ciment de prendre »

James Thiérrée le petit-fils de Chaplin, présente Tabac Rouge au Printemps des Comédiens. Après Raoul, présenté au festival l’année précédente, il opère un retour en puissance renouvelant son approche. Pour la première fois Thiérrée ne foule pas le plateau. Ce «chorédrame» d’une grande intensité physique marque un tournant dans son oeuvre. Entretien.

Quand le tabac est rouge, il se consume, le titre renvoie-t-il à cette ultime incandescence ?
Je cherchais un titre qui n’ait pas de vocation descriptive. Un objet séparé du spectacle qui puisse en même temps le révéler. J’ai pensé à abat-jour et j’ai inversé, ce qui donne Tabac rouge. J’ai aimé l’aspect toxique, addictif, c’est presque une texture, ce titre…

Le jeu du décor vivant et des comédiens dans un mouvement continu évoque le changement et laisse comme un goût d’inachevé…
Une des idées maîtresses du spectacle tournait autour de la transformation. On est pris dans une forme d’ébullition, avec des courants, des mouvements et des pauses. Après avoir traversé l’enfer de Dante, le monarque atterrît. J’ai toujours pensé qu’il fallait bouger pour que la matière reste dans le théâtre. Pour empêcher le ciment de prendre. Ce n’est pas une histoire structurée avec des intrigues humaines, c’est une alchimie et des sentiments. Je fais encore des réglages, rien n’est figé.

On retrouve l’humanité de votre pièce précédente « Raoul » mais l’étendue du sujet, le rapport au groupe et au pouvoir rend ce spectacle plus périlleux…
Avec Raoul, j’étais arrivé à un point où je pouvais consolider. Mais j’ai préféré sortir de mes habitudes, chercher dans des zones non acquises. Tabac rouge, est la première pièce que je monte avec autant de monde, c’est la première fois que je travaille avec des danseurs et la première fois où je n’ai pas de contact direct avec le plateau. J’ai aussi épuré au niveau des décors. J’ai voulu relancer les dès dans ma manière de travailler sans me lancer complètement dans un trou noir.

Le regard de metteur en scène aiguise-t-il votre approche critique ?
Oui.

La problématique du pouvoir fait ressortir des interdépendances humaines mais aussi avec la technique, la machinerie…
je me suis retrouvé face à un monstre. Le maître se trouve face à son Frankeinstein. Il a construit cette machine, il essaie de faire comprendre qu’il s’est fait emporter. Il subit une oppression qui le détourne de son pouvoir mais il y est ramené par le groupe qui le contraint à prendre ses responsabilités.

Il tente de démissionner ce qui renvoie à l’impuissance du politique et aussi à la question du pouvoir artistique ?
Effectivement, dans mes premières divagations l’action se situait autour d’un créateur, presque d’un metteur en scène face à son oeuvre. Mais je ne voulais pas basculer dans ce sujet frontalement et j’ai dérivé vers le politique.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Festival, Entretien avec Jean Varela, Regards sur le Printemps des Comédiens 2013, rubrique Théâtre,  rubrique Rencontre

Entretien avec Jean Varela directeur du Printemps des Comédiens

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Face aux mutations contemporaines, Jean Varela, le directeur du Printemps des comédiens, qui se tient jusqu’au 30 juin au Domaine d’O à Montpellier, évoque les défis de la politique culturelle publique.

Acteur, directeur de SortieOuest à Béziers et du festival du Printemps des Comédiens à Montpellier, Jean Varela figure aujourd’hui parmi les derniers mohicans. Dans la lignée de Jean Vilar et Gabriel Monnet c’est un acteur convaincu de la décentralisation culturelle et un fédérateur de talents artistiques, qui donne sens à la politique culturelle publique.

Cette troisième saison avec laquelle vous faite l’unanimité vous porte dans un quasi état de grâce. Quels étaient les ingrédients de base de votre programmation??

L’état de grâce, comme vous y allez… J’aime faire la cuisine, mais je n’ai pas vraiment d’ingrédient de base pour travailler la programmation. Je réponds cependant à certaines exigences, qui tournent autour du partage. La programmation est une alchimie particulière. On s’emploie à rassembler des artistes. Après on construit en regardant dans le même temps ce qui émerge. Il y a des renvois, comme par exemple entre les spectacles Kiss and Cry et Nobody, qui proposent chacun à leur manière, des images de cinéma en temps réel. Il s’est également dégagé un fil rouge autour du théâtre allemand avec Les revenants de Thomas Ostermeier, que je voulais faire venir depuis longtemps, le Woyzeck de Marie Lamachère, et le Richard II du Berliner Ensemble.

Le rôle de directeur artistique vous invite à répondre aux enjeux variés de la programmation artistique parmi lesquels l’hybridation des formes. Comment situez-vous l’art proprement théâtral dans cette profusion ?

Je me réfère à l’émotion. Pour présenter Kiss and Cry j’ai inventé une histoire un peu épique qui raconte une visite dans un grenier… Mais la sensualité du spectacle ; ce ne sont que des doigts qui bougent. Si on se réfère à la représentation habituelle du corps dans la pratique théâtrale, au premier abord, on peut éprouver un sentiment lié à l’absence corporelle, alors qu’en réalité, les artistes sont complètement dans leur corps. De la même façon, dans la pièce 300 El X 50 el X 30 EL de F.-C. Bergman, il n’y a pas de texte, mais le procédé narratif, proche du synopsis, nous emporte sans que nous quittions l’art de la représentation dramatique. On a beaucoup dit que le théâtre était en perte de vitesse ces dernières années. J’ai l’impression qu’il envahit d’autres formes d’expression comme la chanson, le cirque, la danse…, un peu comme l’olivier mort qui repart après le gel. Mais qu’est-ce que le théâtre ?

Face à la mutation profonde qui lamine les couches les plus fragiles de notre société et pèse fortement sur les classes moyennes, le spectacle vous paraît-il un moyen d’évasion ?

Je ne considère pas que le spectacle soit un moyen d’évasion dans le sens : offrir une récréation ou un divertissement. Pour moi, c’est un moyen d’édification. J’essaie de faire en sorte que notre action participe à la constitution des individus. Je pense que notre travail devrait se situer au commencement des politiques publiques pour contribuer à la découverte de la part sensible de chaque individu. En s’y prenant très tôt, dès le plus jeune âge, je suis convaincu que nous construirions une société différente, où les uns et les autres seraient plus forts que la crise économique. J’aimerais mesurer notre productivité en terme de bien-être. Envisager les choses ainsi suppose un travail sur le long terme. On a besoin d’un temps long.

Reste qu’aujourd’hui les vertus de la culture semblent loin de prendre le dessus sur les effets immédiats de l’orthodoxie économique. Une partie croissante de la population ne peut plus accéder au spectacle, tandis que le public habituel réduit ses sorties…

On observe concrètement dans notre environnement quotidien le problème du pouvoir d’achat. Les difficultés économiques imposent des choix aux gens qui se demandent : Où vais-je mettre mon argent disponible ? Le Domaine d’O peut procurer un bonheur immédiat avec une programmation qui nous ramène à l’intime, au partage, mais encore faut-il pouvoir le saisir. C’est pour cela que nous avons mis en place un tarif à 8 euros pour les jeunes de moins 25 ans.

Quels choix faites-vous par rapport aux conditions préoccupantes de création et de diffusion ?

Le Printemps est un festival où tous les artistes sont payés. En matière de création, nous affirmons la volonté que le festival redevienne une référence qui entraîne le désir d’autres grandes maisons de théâtre. Nous accueillons cette année beaucoup de programmateurs et de directeurs importants. C’est un travail de retissage pour faire en sorte que les spectacles qui naissent ici, aient une vie en région et hors région.

Que vous inspire la confrontation entre ce qui fonde aujourd’hui les valeurs politiques et culturelles, et notamment la situation alarmante de la culture à Montpellier ?

Je suis très inquiet de cette situation pour les structures. Cela me conforte dans les sentiments que j’ai toujours exprimés en disant : soyez conscients que nos outils qui paraissent immuables sont d’une fragilité extrême. Ils n’existent que par la volonté politique. Cette volonté est grande quand elle porte des projets. On ne doit pas toucher à ça. Il ne faut ni considérer la culture comme un élément d’adaptation budgétaire, ni s’en servir comme un élément de promotion personnelle. Moi je continue à avoir confiance en la chose publique, et j’ai la chance ici, d’avoir avec elle une relation exceptionnellement heureuse. Grâce à l’argent public, je m’efforce de diffuser des valeurs d’ouverture sur le monde dans lequel nous vivons. J’essaie de démontrer qu’à partir du moment où l’on donne les clés, on peut porter les gens très loin.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Théâtre, rubrique Festival, rubrique Rencontre, Entretien avec James Thiérrée,

Kent Anderson : Noirceur d’un regard de l’Au-delà

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Invité des K-fé-krim Sauramps, l’auteur Kent Anderson est venu évoquer son troisième opus traduit sous le titre «Pas de saison pour l’enfer».

Il a développé très tôt une passion pour le verbe, prétend-il. Par goût des grands espaces, il s’est engagé à 19 ans dans la marine marchande. Trois ans plus tard, sa vie bascule sur le front du Nord Vietnam. Comme tous les vétérans, Kent Anderson a dû lutter contre des hordes de fantômes. Il combattait dans une unité des forces spéciales. Avec un collègue, ce sont les seuls bérets verts à être sortis en vie de leur unité. « Je me considérais comme déjà mort ». A son retour au pays il trouve du boulot dans la police.

Son second livre Chiens de la nuit, s’inspire des huit années où il fut officier de police dans les quartiers noirs de Portland et d’Oakland. « Ma vie est une se?rie d’erreurs. En rentrant du Vietnam, je ne pouvais rien faire d’autre. », explique -t- il. Pas de saison pour l’enfer est son troisième livre traduit en France. Il compile des récits parus aux Etats-Unis auxquels s’ajoutent une série d’inédits couvrant la période 1983-1993.

C’est peu de dire que la plume de Kent Anderson puise dans une matière trouble. Qu’il s’agisse des corridas, des combats de coqs ou de son parcours de zombie dans la jungle vietnamienne, les descriptions exaltantes ou douloureuses, respirent le vécu. « Toute littérature est un mélange entre fiction et me?moire, une perte de repère. »

Dans cette noirceur totale, les chevaux et la nature surgissent comme des oasis. Il évoque le film de Sydney Pollack Jeremiah Johnson : « C’est mon film préféré. J’ai besoin de la nature pour garder l’équilibre. Elle m’a évité,de mettre fin à mes jours. »

Il parle des difficultés qu’il a rencontrées quand il s’était mis dans l’idée de vendre les droits d’adaptation cinématographique de Sympathy for the devil, premier livre de témoignage sur l’enfer de la guerre. « C’est un roman sans héros. Le personnage principal est un tueur, un psychopathe, même, diraient certains » Pas très commercial… Par la force des choses Kent Anderson compatit avec les minorités américaines, les fêlés du bocal de tous poils. « Le Vietnam a fait de moi un tueur. », confie-t-il fébrile.

Jean-Marie Dinh

Pas de saison pour l’enfer – 13e Note Editions – 23 euros.

Source : La Marseillaise 06/04/2013

Voir aussi : Rubrique Littérature, Roman noir, littérature anglo-saxone, rubrique Rencontre rubrique Vietnam, rubrique Etats-Unis,