Prolongement des centrales nucléaires : comment se calculent les coûts ?

 En 2015, à la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux lors d’un contrôle décennal. Guillaume Souvant/AFP


En 2015, à la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux lors d’un contrôle décennal. Guillaume Souvant/AFP

Le 19 mars dernier s’est ouvert le débat public sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (la PPE), cette feuille de route qui fixe la politique énergétique de la France jusqu’en 2023.

La PPE doit mettre en œuvre les objectifs de la loi de transition énergétique adoptée en 2015 : réduire les émissions de gaz à effet de serre, réduire la consommation d’énergie, augmenter la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique, faire baisser la part du nucléaire dans la production d’électricité.

Évaluer les coûts du nucléaire

Dans ce débat public sur la PPE, il sera notamment question de l’évaluation des coûts du nucléaire. Si ce sujet a été abordé à maintes reprises, le débat de la PPE aborde cette question par une confrontation inédite et directe entre deux modalités de calcul des coûts, ce qui pourrait venir alimenter un des arbitrages importants que devra rendre la PPE : à savoir, le prolongement des centrales nucléaires ou la fermeture de certaines d’entre elles.

Le site Internet de la PPE donne accès à deux évaluations de ces coûts : celles produites par la Cour des comptes en 2014 et 2016 et un document rédigé par la Société française d’énergie nucléaire.

Ce ne sont pas les seules expertises existantes : nous pourrions ajouter le rapport de la Commission d’enquête parlementaire dirigée par François Brottes et Denis Baupin, publié en 2014 ; ainsi que le rapport réalisé la même année par le cabinet WISE pour l’ONG Greenpeace.

L’enjeu de l’objectivation des coûts

Le débat sur l’industrie nucléaire a toujours porté à la fois sur la sécurité et sur la compétitivité par rapport aux autres sources d’énergie. Depuis la fin des années 1990, l’argument de la compétitivité relative du nucléaire est présenté comme la clé de voûte du soutien d’une large partie de l’opinion publique en France.

La diversité dans l’évaluation des coûts provient essentiellement des éléments qui sont pris en compte dans le calcul et de la difficulté d’anticiper des coûts à venir et non de la crédibilité des informations données par les entreprises du secteur.

« L’escalade des engagements »

Les retours d’expériences de plusieurs grands projets nous interpellent sur notre capacité à aborder des décisions « au milieu du gué », quand d’importants investissements passés ont été réalisés et qu’il existe une incertitude sur les investissements et bénéfices futurs.

Tout projet s’inscrivant dans une longue temporalité et qui se trouve soumis à de fortes incertitudes peut ainsi être confronté à un phénomène d’« escalade des engagements », identifié en 1993 par les chercheurs Jerry Ross et Barry Staw à propos de la construction de la centrale nucléaire de Shoreham (près de New York).

Cette construction a connu un dépassement de coût de 5 milliards de dollars sans que jamais elle ne soit mise en exploitation pour des raisons économiques et de sûreté. L’une des explications de cette fuite en avant tient à l’existence d’un processus de décision qui rend les acteurs prisonniers des investissements passés et influence leurs délibérations via des estimations optimistes concernant les dépenses et bénéfices à venir.

En quoi ce concept d’escalade des engagements peut-il nous éclairer sur le prolongement du nucléaire français ? En quoi peut-il nous aider à clarifier le débat sur les coûts de ce prolongement ?

Le calcul de la Cour des comptes

Le calcul des coûts habituellement pris comme référence dans les débats sur l’industrie nucléaire est celui de la Cour des comptes.

Dans son rapport de 2016, celle-ci annonce un coût de production du nucléaire de 62,6 €/MWh, qui pourrait s’accroître jusqu’à 70 €/MWh dans le cas d’un doublement des coûts d’investissement pour le prolongement. Ce coût est parfois pris comme référence dans le débat pour une comparaison avec des sources d’énergies renouvelables : l’éolien terrestre se situe entre 50 et 108 €/MWh selon la localisation et le taux d’actualisation choisi (de 3 % à 8 %), alors que le photovoltaïque varie entre 64 et 167 €/MWh pour les centrales au sol.

D’après cette première comparaison, reprise et complétée par le rapport de WISE pour Greenpeace, les coûts complets des ENR et de l’électricité d’origine nucléaire sont donc tout à fait comparables.

De son côté, EDF a réalisé dès 2008 son propre calcul des coûts du prolongement des centrales existantes. Il s’agissait alors de choisir entre le prolongement des centrales existantes ou leur remplacement par des EPR. Dans une récente intervention donnée dans le cadre du débat public sur la PPE, le représentant d’EDF, Olivier Lamarre, annonçait un coût de 32 €/MWh pour l’électricité nucléaire provenant d’une centrale en prolongement.

D’où vient une telle différence avec le calcul de la Cour des comptes ?

Le calcul d’EDF

Le calcul d’EDF consiste à ne prendre en considération que le coût « restant à engager » pour produire de l’électricité nucléaire, à savoir 17 €/MWh d’exploitation des centrales, 10 €/MWh d’investissement de prolongement et de maintenance, 5 €/Mwh de combustible (y compris retraitement et provision pour le stockage des déchets). Dans son document, la SFEN propose un calcul similaire.

La décomposition des coûts est donc bien différente de la valeur de la Cour des comptes qui raisonne en « coût complet économique », c’est-à-dire un coût qui neutralise les effets de la temporalité des investissements. Ce coût prend ainsi en considération un « loyer économique » équivalent à 20 €/Mwh environ. Il s’agit d’estimer la valeur de l’utilisation de l’investissement, calculé à partir de la valeur de remplacement et de déconstruction des centrales existantes.

Le débat entre Olivier Lamarre (EDF) et Yves Marignac (WISE) souligne cette différence : le premier propose d’aborder le calcul dans le contexte actuel français en prenant en considération le fait que l’outil de production nucléaire existe et qu’il est préférable d’en tirer bénéfice.

Le second défend, au contraire, le raisonnement en « coût complet économique », considérant que le choix entre le nucléaire et les énergies renouvelables doit s’inscrire dans une logique de long terme. Pour lui, le raisonnement en termes de « coûts restant à engager » revient à se soumettre aux choix passés et conduit à renoncer à investir dans des solutions alternatives en accentuant une « dépendance au chemin emprunté » déjà bien établie.

Le coût de la sûreté après Fukushima

Même si l’on suit le raisonnement d’EDF, il existe plusieurs incertitudes quant au calcul des coûts d’investissement pour le prolongement ainsi que la durée des amortissements.

Les coûts évoqués par EDF s’appuient en effet sur la mise en œuvre d’un référentiel de sûreté qui intègre le retour d’expériences post-Fukushima, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ayant toutefois rappelé – au sujet des visites de contrôle des réacteurs de 900 MW – que les études de réévaluation doivent être conduites au regard des objectifs de sûreté applicables aux nouveaux réacteurs.

Il n’existe aujourd’hui aucune estimation rendue publique des conséquences économiques d’une augmentation de ces exigences de sûreté.

Dans son intervention, Yves Marignac identifie aussi des incertitudes économiques liées à la combinaison entre l’accroissement des exigences de sécurité et le vieillissement des centrales, qui pourront se combiner pour donner lieu à une hausse des coûts d’exploitation ou une réduction de la durée de vie des centrales.

La question de la temporalité des investissements

Outre les estimations des coûts, se pose également la question de la temporalité de ces investissements et de leur articulation avec les décisions de prolongement.

On observe que les principaux investissements de modernisation sont engagés bien avant l’échéance des 40 ans, qui correspond à la durée de vie des centrales autorisée jusqu’à présent par l’ASN. Par exemple, les changements des générateurs de vapeur, qui sont les équipements les plus importants et les plus coûteux à remplacer, ont été déjà en partie réalisés autour des 27 ans de fonctionnement.

Cela signifie que la décision de prolongement se trouve contrainte par le fait que les investissements les plus coûteux ont déjà été réalisés. Cette situation peut laisser craindre un mécanisme d’escalade des engagements, la décision publique de prolongement risquant d’être influencée par des investissements réalisés quelques années plus tôt.

Si un gouvernement décide donc de fermer une centrale nucléaire alors que l’exploitation de celle-ci est autorisée par l’ASN, il devra indemniser EDF pour le « manque à gagner ». Et celui-ci sera d’autant plus élevé que les investissements de prolongement auront été réalisés.

Clarifier les incertitudes économiques

Le débat autour de la PPE constitue une belle opportunité pour clarifier quelques-unes de ces incertitudes économiques, et tout particulièrement celles associées au nouveau référentiel de sûreté. Ce débat pourra aussi être l’occasion de s’interroger sur le décalage en matière de décision publique entre les décisions d’investissements de maintenance (prises avant 40 ans) et les décisions de prolongement.

Si le coût du nucléaire comprend encore des incertitudes, rappelons que c’est aussi le cas des énergies renouvelables, dont on ignore l’impact économique du caractère intermittent.

Il faudra enfin prendre en considération les incertitudes quant aux prix de marché de l’électricité qui, en Europe comme aux États-Unis, affectent la rentabilité des exploitants des centrales nucléaires, pouvant parfois entraîner des fermetures pour raison économique.

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Source  Conversation 10/04/2018

Le cabinet de guerre de Donald Trump

 John Bolton (g.) ; Mike Pompeo (d.) Gage Skidmore 2018 (J. Bolton) ; CIA 2017 (Mike Pompeo).


John Bolton (g.) ; Mike Pompeo (d.)
Gage Skidmore 2018 (J. Bolton) ; CIA 2017 (Mike Pompeo).

En nommant Mike Pompeo à la tête du département d’État et John Bolton à celle du Conseil de sécurité nationale, Donald Trump a profondément remanié l’équipe en charge de la politique étrangère des États-Unis. Et donné un poids accru aux « faucons ».

Donald Trump entend-il lancer une guerre contre la Corée du Nord ou plus probablement l’Iran ? Si l’on ne peut répondre à cette question de façon catégorique, une chose est sûre : il prépare le terrain à cette éventualité. En nommant Mike Pompeo à la tête du département d’État, puis John Bolton à celle du Conseil de sécurité nationale, il a désigné deux des figures les plus belliqueuses du Parti républicain. Bolton, en particulier, incarne depuis trois décennies la propension à vouloir tout régler par la force militaire — hier contre Cuba ou en Irak, aujourd’hui contre l’Iran ou la Corée du Nord — au point de jouir, jusque dans des cercles républicains, du surnom de « Strangelove », le fameux Docteur Folamour du film de Stanley Kubrick, qui symbolise la folie nucléaire. Avec ces nominations (et celle de Gina Haspel à la tête de la CIA, une femme qui a personnellement dirigé un site américain de tortures après le 11-Septembre et a autorisé la destruction de cassettes montrant ces pratiques), Trump a mis en place l’équipe dirigeante la plus va-t-en-guerre de l’ère moderne américaine, une équipe idéologiquement très marquée à l’extrême droite, du moins pour les deux premiers nommés.

Depuis quarante ans, Bolton personnifie une vision unilatérale et exceptionnellement belliciste de la politique extérieure américaine, qui fait de la « guerre préventive », prohibée par le droit international, son fondement stratégique. Il appartient à l’école ultra-nationaliste agressive, dans la tradition de Douglas MacArthur, l’homme qui prônait en 1948 de lancer la bombe A sur la Chine pour contrer l’avancée communiste, puis en 1951 contre la Corée du Nord. Il incarne jusqu’à la caricature ce que le politologue Richard Hofstadter désigna dans un ouvrage célèbre de 19651 comme « le style paranoïaque » d’une droite radicale américaine où les théories du complot prolifèrent, accompagnées d’une insondable détestation pour tout ce qui viendrait enrayer la mission légitime des États-Unis de dominer le monde. Ainsi Bolton déclara-t-il à l’ONU : « Il faudrait recomposer le Conseil de sécurité et qu’il n’y ait plus qu’un seul membre permanent : les États-Unis »

La droite radicale qu’étudie Hofstadter n’hésite devant aucun mensonge ou fabrication pour justifier ses ambitions. Bolton non plus. Lorsqu’en 2002, George W. Bush invoqua son « axe du mal » entre la Corée du Nord, l’Iran et l’Irak de Saddam Hussein, Bolton décréta immédiatement qu’il existait « des connexions puissantes entre les trois régimes » pour la fabrication d’armes de destruction massive. Ses outrances devinrent légendaires quand Bush le nomma ambassadeur à l’ONU, où il fit un passage éclair en 2005-2006. Vite marginalisé, y compris dans des milieux conservateurs, cela n’empêcha pas le Wall Street Journal puis Fox News, la chaîne de toutes les droites, de l’accueillir dès lors et jusqu’à ce jour avec bienveillance. L’homme eut tout loisir d’y déverser ses diatribes contre les innombrables menaces qu’affrontent les États-Unis — l’islam, l’Europe, la Chine, plus les ennemis intérieurs, eux aussi innombrables — et l’unique moyen qu’il connait pour les endiguer : frapper, encore et encore.

« Bombardons l’Iran »

Même si l’on se restreint au seul Proche-Orient, les citations affolantes de Bolton ne se comptent plus. Peu avant que l’accord international avec l’Iran sur le nucléaire militaire soit finalisé, il signe dans le New York Times un article titré : « Pour arrêter la bombe iranienne, bombardons l’Iran » (« To Stop Iran’s Bomb, Bomb Iran », 26 mars 2015). Cet appel advenait après des centaines d’autres. De 2002 à ce jour, Bolton n’a cessé d’annoncer que la menace nucléaire iranienne était « imminente ». En 2009, il déclare à l’université de Chicago : « Sauf si Israël est disposé à user de l’arme nucléaire contre le programme iranien, l’Iran aura une arme nucléaire dans un très proche avenir ». Comme l’écrit Uri Friedman dans The Atlantic (« McMaster is Out, and even Bigger North Korea Hawk is In », 22 mars 2018), c’est le seul cas connu où un politicien américain a justifié qu’un autre pays que les États-Unis, « puisse non seulement utiliser la bombe A, mais y est même encouragé. »

Car Bolton est également un grand ami d’Israël, ou plus précisément de sa fraction ultra. « La solution à deux États est un non-sens. Un État palestinien deviendrait inévitablement un État terroriste à la frontière d’Israël », a-t-il toujours expliqué, reprenant une vieille antienne israélienne. Sa nomination au Conseil national de sécurité américain a d’ailleurs été accueillie avec enthousiasme par le gouvernement israélien. « Le président Trump continue de nommer de vrais amis d’Israël à de hautes positions, et Bolton ressort parmi eux », a déclaré Ayelet Chaked, ministre de la justice et membre de l’extrême droite coloniale religieuse. À l’opposé, Hanane Hachrawi, une figure intellectuelle du nationalisme palestinien, a jugé qu’avec Bolton, l’administration Trump « s’adjoint les sionistes extrémistes, les fondamentalistes chrétiens et les racistes blancs ». Quant à l’islam, il suffit de rappeler que Bolton, adepte du « choc des civilisations », fit l’éloge en 2010 d’un ouvrage, The Post-American Presidency, signé par deux islamophobes des plus radicaux, Robert Spencer et Pam Geller, cofondateurs du mouvement Stop Islamization of America. Ils y assurent que Barack Obama est un musulman masqué, suggérant que le gouvernement américain est « infiltré » par un « complot islamique secret ». Qui s’étonnera que le sénateur républicain Rand Paul, après la nomination de Bolton, ait vu en lui un homme « dérangé » ?

 

« Nous savons que Jésus-Christ est notre sauveur »

Mike Pompeo, lui, est un radical d’un type différent, mais aux opinions similaires. Chrétien fondamentaliste, politicien de carrière — il a siégé huit ans à la Chambre — il a été proche de Steve Bannon, l’idéologue de l’« alter »-droite, et un leader important du Tea Party, mouvement qui a diffusé les attaques les plus désolantes et racistes contre l’ex-président Obama. Dès la victoire de Trump acquise, en novembre 2016, Pompeo s’exclame concernant l’accord sur le nucléaire signé avec l’Iran par les grandes puissances et validé par deux résolutions de l’ONU : « J’ai hâte d’abroger cet accord désastreux conclu avec le plus grand sponsor du terrorisme au monde ». Proche de Benyamin Nétanyahou, Pompeo déclarait en 2014, à Wichita, au Kansas, que le terrorisme islamiste « nous oblige à prier, nous battre et clamer que nous savons que Jésus-Christ est notre sauveur, qu’il est vraiment la seule solution pour notre monde ». Sa vision apocalyptique d’un combat engagé entre le « bien » (l’Amérique telle que Pompeo la conçoit) et le « mal » (tous les autres et l’islam d’abord) a été sa référence constante — jusqu’à ce qu’il minore cet aspect une fois nommé à la tête de la CIA. Sa définition de la politique ? « Un combat jamais fini… jusqu’à parvenir au ravissement ». Ce thème du « ravissement », qui doit marquer le retour de Jésus sur terre, est très ancré dans l’évangélisme américain. Enfin, Pompeo s’est vu décerner un prix d’honneur par ACT for America !, autre association réunissant de grandes figures de l’islamophobie radicale aux États-Unis.

Pourquoi avoir nommé deux figures si « identitaires », l’une de la droite nationaliste extrême et l’autre de l’évangélisme militant ? Ces derniers mois, Trump a multiplié les gestes, y compris sur le terrain international, qui montrent qu’il se préoccupe d’abord… de politique intérieure. Des propos menaçant l’Iran (et la Corée du Nord) proférés aux Nations unies jusqu’aux mesures de taxation accrue de l’acier étranger en passant par la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, la liste est longue des décisions prises récemment par Trump destinées, en premier lieu, à conforter sa base électorale — laquelle, grossièrement, unit précisément des nationalistes protectionnistes aux évangélistes radicaux. Avec, dans les deux camps, une obsession à défendre l’homme blanc américain menacé dans son identité, parce que progressivement dépossédé de son statut dominant. À l’approche d’échéances électorales, flatter cette base et ses espérances est, pour Trump, un impératif.

Comme le président Nixon au Vietnam

Qu’attendre, désormais, de nominations si inquiétantes ? On sent poindre, parmi les commentateurs américains, deux écoles. Soit Trump continue de « faire du Trump », soit on est réellement entré dans une phase nouvelle de son mandat. Qu’est-ce que « faire du Trump » ? L’Institution Brookings a révélé, en octobre 2017, une discussion privée à la Maison Blanche entre Donald Trump et ses conseillers. Elle tourne autour d’un ultimatum à la Corée du Nord. Trump s’emporte. « Non, non, vous ne leur donnez pas trente jours [pour accepter]. Vous leur dites que s’ils n’acceptent pas les concessions exigées dès maintenant, ce fou peut balancer l’affaire à chaque instant » ! Bref, Trump, simule la « dinguerie » pour mieux obtenir ce qu’il exige par l’effroi qu’il suscite, reprenant à son compte la fameuse « madman theory », la « théorie du dingo » que le président Nixon aurait imaginée en 1969 pour faire croire aux Nord-Vietnamiens qu’il pourrait lâcher sur eux la bombe A pour gagner la guerre. Dans cette vision, à la veille de négocier avec Pyongyang, de proposer un « plan de paix » au Proche-Orient qu’il entend imposer aux Palestiniens et de remettre en cause l’accord nucléaire avec Téhéran, Trump aurait nommé Pompeo et Bolton dans le seul but d’effrayer ses interlocuteurs récalcitrants, afin de négocier en position favorable.

La seconde tendance estime que même si cette analyse correspond à l’unique méthode que connait Trump en toute situation — s’imposer par la peur — cela ne répond pas aux interrogations. Car si cette option ne porte pas ses fruits — ce qui, dans les trois cas, est hautement probable —, alors la seule issue pour son instigateur consiste à battre en retraite piteusement ou à passer à l’acte. C’est ici que les « scénarios Folamour » deviennent plausibles et que, comme l’a déclaré Bob Corker, le président (républicain) de la commission des affaires étrangères du Sénat, Trump risque de « nous mener sur la voie d’une troisième guerre mondiale ».

Car, pour s’en tenir au Proche-Orient, on voit mal comment les Iraniens, en position de force au regard du droit international, accepteraient de faire la moindre concession pour réviser un accord validé par deux résolutions des Nations unies. Téhéran a déjà réagi avec mépris aux appels de Trump à renforcer les sanctions. Or, avec les nominations de Pompeo et Bolton, les observateurs sont unanimes : le 12 mai prochain, à l’échéance qu’il a lui-même fixée, Trump retirera de manière formelle la signature des États-Unis de l’accord approuvé par son prédécesseur. Dès lors, les options guerrières vis-à-vis de l’Iran seront à nouveau sur la table. Par ailleurs, alors que l’administration Trump entend toujours imposer un « accord » israélo-palestinien qui verrait Israël préserver l’essentiel de ses colonies et la vallée du Jourdain dans une Palestine réduite à plusieurs bantoustans discontinus avec une capitale sise dans un faubourg de Jérusalem, on ne voit pas, quelle que soit la manne financière qui accompagnerait cet illusoire « accord de paix », quel dirigeant palestinien — et même, à vrai dire, quel dirigeant arabe — viendrait l’adouber publiquement.

Dès lors, la politique du « retenez-moi où je fais un malheur » a toutes les chances de se briser sur les réalités internationales. Mais c’est à ce moment que s’ouvriront les options les plus terrifiantes. Car si Kim Jong-un refuse d’abandonner son maigre arsenal atomique qui constitue l’unique arme de dissuasion dont dispose son régime paranoïaque pour garantir sa survie, Trump se retrouvera face à l’obligation d’élever le niveau des pressions. Jusqu’où ? De même, une fois le traité avec l’Iran annulé et de nouvelles pressions américaines votées contre Téhéran, combien de temps l’Iran acceptera-t-il de préserver son respect d’un accord saboté par son principal interlocuteur ? C’est là que, quel que soit l’état d’esprit réel de Trump — joue-t-il au fou ou l’est-il vraiment ? — la question est de peu d’importance. On entrerait dans une zone de turbulences où les nominations de Pompeo et Bolton pourraient s’avérer décisives.

L’Irak et la Syrie nouveaux champs d’affrontement ?

Pour la plupart des analystes, une attaque contre les sites de production atomique de la Corée du Nord semble quasi impensable. Chinois, Japonais et Sud-Coréens ont depuis longtemps mis en garde Washington contre les risques qu’une telle opération leur ferait courir. Une offensive contre des sites en Iran serait l’option que l’équipe Trump-Pompeo-Bolton devrait privilégier. Elle serait soutenue, activement ou tacitement, par Israël, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis avec d’autant plus de facilité que l’Iran, lui, ne dispose pas de l’arme nucléaire. C’est là qu’un Bolton et un Pompeo, bellicistes déterminés, pourraient « envoyer la politique de sécurité nationale américaine vers des eaux inconnues », écrit Richard Silverstein dans Middle East Eye (14 mars 2018). Avant même leur nomination, Robert Malley, président de l’International Crisis Group et ex-conseiller d’Obama sur le Proche-Orient, s’inquiétait vivement de l’éventualité d’un accrochage militaire entre Iraniens et Américains dans la région, par exemple en territoire irakien, qui provoquerait une « escalade » potentiellement incontrôlable. Avec Pompeo et Bolton aux manettes, le pire serait à craindre.

Certes, au vu du fonctionnement de Trump, qui peut prédire ce que sera leur influence réelle ? Mais pour beaucoup d’analystes, l’attitude des Européens, et notamment des Allemands et des Français, face à la fuite en avant belliciste de l’administration Trump, sera déterminante. S’ils optent de manière déterminée pour préserver l’accord signé avec Téhéran, il leur faudra mener une diplomatie visant à isoler le plus possible Washington, dans l’espoir d’amener l’administration Trump à prendre conscience des conséquences néfastes pour elle-même de son attitude. Il n’est cependant pas sûr que des personnalités telles que Trump, Pompeo ou Bolton y soient sensibles. Au contraire, on peut s’attendre à ce que les Européens — qui, de plus, ont rarement manifesté un courage débordant et surtout une unité sans faille face aux Américains sur la scène proche-orientale — craignent qu’un tel isolement américain pousse Trump et ses proches à tenter de sortir par le haut en s’engageant dans un conflit armé contre l’Iran. Si cette éventualité advenait, les conséquences, à l’échelle régionale et peut-être planétaire, pourraient être incommensurables.

Restent plusieurs inconnues. Bolton aura-t-il l’influence qu’on lui octroie ? Le général James Mattis au Pentagone et les généraux de l’état-major hostiles à une aventure guerrière contre l’Iran pourraient-ils contenir les velléités de la Maison Blanche d’attaquer si l’ordre était donné ? Indubitablement, le bellicisme de Trump reste loin d’être majoritaire aux États-Unis. Mais on sait combien les opinions publiques peuvent basculer une fois un conflit engagé. À Paris, l’ancien directeur du département Afrique du Nord Moyen-Orient au ministère des affaires étrangères, Yves Aubin de la Messuzière, juge qu’il faut placer les États-Unis dans une situation d’isolement maximal. « La France, dit-il, s’honorerait en prenant l’initiative ambitieuse d’un appel commun entre Européens, Chinois et Russes sur le thème “respect de l’accord, rien que l’accord, tout l’accord” avec Téhéran, pour empêcher toute évolution guerrière aux conséquences imprévisibles ». Un tel appel bénéficierait de soutiens au sein même de la classe politique américaine. Car si les États-Unis attaquaient directement le territoire iranien, les Iraniens « pourraient réagir en bloquant le détroit d’Ormuz et en attaquant des cibles américaines en Irak et en Syrie. Les suites seraient inconnues ». Aubin veut croire que les dirigeants américains en sont conscients. La probabilité la plus grande, conclut-il, est que si Trump attaque les Iraniens, il lance une opération militaire contre eux en Syrie. « Ça n’aura pas le même poids, mais même là, les risques de dérapage incontrôlé et de conséquences à l’échelle régionale seront importants ».

1The Paranoid Style in American Politics ; traduit en français en 2012 sous le titre Le style paranoïaque dans la politique américaine, François Bourin éditeur.

Source :  Orient XXI 02/04/2018

Apple, la Chine, la confidentialité des données de ses utilisateurs… et nous

Atlantico. Sans surprise, Apple a cédé aux exigences chinoises. En effet, depuis le 28 février, Pékin n’a plus à demander l’autorisation aux autorités américaines pour avoir accès aux données personnelles des comptes utilisateurs chinois, puisque leur stockage se fera désormais à l’intérieur des frontières du pays. Quelles peuvent être les conséquences directes pour les données des utilisateurs chinois, in fine, si l’on se base sur le cas de Yahoo en 2005 ?

Franck DeCloquement : Comme vous le rappelez en introduction, il y a une dizaine d’années en effet, Yahoo laissait le régime chinois accéder aux données de ses utilisateurs. De triste mémoire, l’entreprise américaine avait ainsi rendu possible l’arrestation puis l’emprisonnement consécutif de deux opposants politiques chinois. Ainsi, l’affaire avait aussi contribué à éveiller les consciences et permis de jeter un regard très cru sur les conséquences funestes que pouvait entrainer la délégation d’un système technologiques à un régime autoritaire, aux méthodes policières particulièrement expéditives.

Sous la pression d’une possible interdiction des ventes ou l’abandon de ses services de Cloud dans le pays, Apple se retrouve elle aussi aujourd’hui confrontée à ce dilemme. Bien qu’aux États-Unis, la firme à la pomme ait fait mine de s’en désoler par communiqués de presse interposés, la messe est dite. Et pour la première fois, l’entreprise californienne très exposée aux décisions du régime chinois tourne le dos à ses valeurs fondamentales. Elle stockera donc désormais en République populaire de Chine, les clés numériques de chiffrement qui permettent de débloquer les comptes utilisateurs chinois de son service iCloud. La presse internationale c’est en effet faite l’écho de cette euphémique « transition significative » anticipée par les spécialistes du secteur. C’est bien entendu dans une optique business qu’Apple se soumet expressément à la nouvelle législation chinoise promulguée en 2017, et qui impose que toutes les données collectées auprès des utilisateurs locaux restent hébergées sur le sol national. Le régime dispos donc, dès à présent, d’un accès privilégié – « premium » diront certains – à toutes les informations personnelles de ses ressortissants, sans s’astreindre aux contraintes du droit américain. Une annonce sans surprise au demeurant pour les observateurs avisés, puisque Apple avait déjà cédé par le passé aux directives pressantes de Pékin qui avait exigé des nombreuses entreprises étrangères basées en Chine, de n’utiliser que des logiciels dûment validés par les autorités du pays pour accéder à la toile mondiale. Mais pour Apple, la Chine représente le troisième marché le plus lucratif après les États-Unis et l’Europe. Au dernier trimestre 2017, la firme à la pomme enregistrait d’ailleurs 19 % de ses revenus en Chine. Faisant d’elle, l’un des rares géants américains implantés dans le pays, puisque Google, Facebook ou encore Amazon sont absents du marché Chinois.

Il s’agit évidemment d’un jour funeste pour les défenseurs des droits humain fondamentaux, très soucieux de garantir la confidentialité des données personnelles, et leur protection subséquente des visées régaliennes en verve chez les régimes autoritaires. En tête de cortège, l’organisation Amnesty internationale qui rappelait cruellement sur son blog mardi 27 février, l’une des promesses emblématiques affichées en toutes lettres sur le site officiel de la marque à la pomme : « chez Apple, nous croyons que la vie privée est un droit humain fondamental. » Reste à savoir si Apple peut mettre ses mots en action, poursuit en substance laconiquement l’ONG dans le rédactionnel de sa page web pour clôturer sa réprimande.

Un renoncement qui passe d’autant plus mal chez les militants, puisque que la firme américaine s’était forgé la réputation d’être une puissante défenseure de la confidentialité et de la sécurité des données. Ce faisant, le PDG d’Apple, Tim Cook, avait d’ailleurs rédigé lui-même une lettre retransmise personnellement à tous les utilisateurs de sa marque, afin de leur expliquer l’importance que pouvait revêtir pour lui la confidentialité des données pour son entreprise, suite à une décision d’un tribunal américain qui permettait désormais au Bureau Fédéral d’Investigation (FBI) de contourner la sécurité du Smartphone le plus populaire du monde, pour des raisons de sécurité nationale.

En conséquence, et à partir de la date du 28 février, l’ensemble des données personnelles qui auront été sauvegardées sur le service iCloud de la firme de Cupertino  –  incluant les photos, les messages privés, les documents, les contacts, et les correspondances des utilisateurs Chinois  –  seront hébergées sur les serveurs de la société chinoise, Guizhou-Cloud Big Data Industry Development Co., Ltd (« GCBD »), et non plus aux États-Unis comme cela était le cas précédemment. Ce partenariat local qu’a privilégié Apple, est au demeurant une société très clairement financée et soutenue par les autorités de Pékin. Mais comment aurait-il pu en être autrement ? Cependant, l’accord en cause ne concerne pas les données stockées en local sur un iPhone ou un iPad, mais uniquement celles sauvegardées sur iCloud par un utilisateur chinois de la marque à la pomme. Toutefois, la firme américaine n’est pas au bout de ses peines en matière d’arbitrages futurs, et risque fort de se confronter à un véritable « casse-tête Chinois » quand il s’agira d’évaluer si les demandes d’information du gouvernement pourraient violer les droits humains des utilisateurs. Et personne ne saura vraiment dire à l’avance comment Apple répondra à ce type de missive sur le plan moral et éthique, jusqu’à ce qu’elle ne soit mise à l’épreuve des faits. Ce qui n’est probablement qu’une simple question de temps, étant donné que de très nombreuses dispositions de la loi chinoise ne protègent pas – ou très mal – la vie privée, ou la liberté d’expression individuelle. Et vérifier si les demandes d’information du gouvernement sont conformes à la loi chinoise ne déterminera pas au demeurant pour la firme, si le respect de la demande peut contribuer aux violations des droits humains des personnes visées. L’affaire qui se profile n’est pas simple.

Atlantico. En matière de souveraineté numérique, est-ce que ce véritable coup de force imposé par les autorités Chinoises à l’un des plus emblématiques GAFAS, ne pourrait pas servir de modèle, être appliqué ou reproduit au niveau européen au bénéfice des pays de l’union ? Est-ce seulement envisageable ?

« Tordre ainsi le bras » à Apple n’est pas imaginable en l’état au niveau européen, puisque le rapport de forces est quelque peu inversé si l’on se place dans la perspective européenne que vous évoquez. Le contexte géopolitique Chinois, la nature même du régime considéré ainsi que les enjeux de pouvoir ne sont pas comparables, et ne peuvent donc être comparés et mis en relation avec la situation européenne. En régime démocratique, les pays sont soumis à des contraintes institutionnelles, des arbitrages internationaux, économiques, budgétaires et réglementaires très forts qui leur interdisent d’imposer puissamment leur volonté « d’une seule voix », comme le pratique la Chine visàvis d’Apple.

La Chine assume totalement sa position de puissance, à l’égale des Etats-Unis d’Amérique. Ce qui n’est évidemment pas le cas de l’Europe et des institutions qui pilote sa destinée, ou le terme même de « puissance » est révéré. Et entre la protection des comptes de ses utilisateurs Chinois et de ses intérêts économiques manifeste en Chine – où rappelonsle, la firme à la pomme avait prévu d’investir 470 millions de Dollars US – Apple a eu tôt fait de céder aux injonctions de Pékin pour faire prospérer son business. Retirant illico de sa boutique d’applications téléchargeables pour ses Smartphone, les applications mobiles de VPN nonautorisées par les autorités du pays, puisqu’elles permettaient au demeurant de contourner les dispositifs de blocage informatique imposés par le régime, pour accéder sans entrave à la toile mondiale…

L’énorme pression politique des autorités de Pékin aura été la plus forte en l’occurrence, compte tenu des enjeux financiers. Obligeant sans ambages l’entreprise américaine à renier sa politique affichée dans le reste du monde, de protection de la confidentialité des données personnelles de ses utilisateurs. Dans les faits, cela signifie aussi que les autorités chinoises n’auront plus à solliciter les tribunaux américains avec les protections juridiques afférentes, pour obtenir des informations sur leurs ressortissants utilisant iCloud d’Apple. Elles pourront utiliser leur propre système judiciaire pour exiger d’Apple la remise des données personnelles d’utilisateurs Chinois. Exposant ces derniers aux investigations policières musclées aux normes locales, sans la garantie d’un contrôle judiciaire indépendant. A cet effet, lorsque les utilisateurs acceptent les conditions d’utilisation d’iCloud en Chine, ils acceptent aussi que leurs informations personnelles et leurs contenus soient transmis aux forces de l’ordre « si la loi l’exige ».

On le mesure ici à travers les différents rapports d’Amnesty : « le droit interne donne au gouvernement chinois un accès pratiquement illimité aux données des utilisateurs stockées en Chine, sans protection adéquate des droits des utilisateurs à la vie privée, la liberté d’expression ou d’autres droits humains fondamentaux. La police locale dispose d’un large pouvoir discrétionnaire et utilise des lois et une règlementation large et ambiguë pour réduire la dissidence à sa partie congrue, restreindre ou censurer l’information, harceler et poursuivre les défenseurs des droits humains au nom de la « sécurité nationale » et autres délits présumés ».

En conséquence, les internautes chinois peuvent très vite être confrontés à des arrestations et des emprisonnements discrétionnaires, pour avoir simplement accédé à des informations et des idées que les autorités réprouvent et interdisent. En outre, rappel Amnesty International dans son billet, la loi chinoise sur la cybersécurité exige des opérateurs de réseau qu’ils fournissent, « soutien et assistance technique » aux agents de la force publique, et à la sécurité de l’État Chinois :  « Cela signifie que lorsque les autorités s’adressent à l’entreprise partenaire d’Apple Guizhou-Cloud Big Data Industry Development Co., Ltd (« GCBD ») pour obtenir des informations sur un utilisateur d’iCloud aux fins d’une enquête criminelle, cette société aura l’obligation légale de le fournir, et peu ou pas de moyens légaux viables pour contester ou refuser la demande ». Sombre perspective.

Atlantico : Comment dès lors se protéger pour les utilisateurs chinois, si le service iCloud d’Apple est désormais à la main d’un régime autoritaire, et dont les pratiques connues sont bien différentes de celles usitées dans les Etats européens vis-à-vis de leurs populations ?

Pour les utilisateurs des services iCloud Chinois, les meilleurs moyens de se protéger dans un tel contexte sont encore d’éviter de stocker ses données personnelles sur des serveurs hébergés en Chine. Les utilisateurs disposant d’une carte de paiement et d’une adresse de facturation en dehors de la Chine pourraient s’en servir pour enregistrer leurs comptes, et ainsi conserver leurs données iCloud hors de Chine. Mais la seule option « réaliste » disponible serait de supprimer tout bonnement leurs comptes iCloud, et de désactiver définitivement le service. Les risques encourus sont à ce titre assez sérieux, car même si Apple affirme de son côté disposer de bonnes protections pour garantir la sécurité et la confidentialité des données en place, et affirmer qu’aucune backdoor ne sera créée dans les systèmes, de quelle garantie la firme dispose-t-elle face à un piratage toujours possible ?

Au demeurant, vous soulevez également dans cette dernière partie une question fondamentale quant à la responsabilité des entreprises de TIC, qui pourraient être amenées à agir et à prospérer lorsqu’elles opèrent en Chine. Les entreprises occidentales comme le rappel Amnesty Internationale : « ont la responsabilité de respecter tous les droits de l’homme partout où elles opèrent dans le monde. Les utilisateurs de leurs produits et services doivent recevoir des informations claires et spécifiques sur les risques auxquels ils pourraient être confrontés en matière de vie privée et de liberté d’expression en Chine, et sur les mesures prises par l’entreprise pour y répondre ». En outre, elles devraient procéder comme aux Etats-Unis et en Europe, à des évaluations régulières et vérifiables sur l’impact de la mise à disposition de leur technologie de contrôle dans un tel contexte. Et démontrer par la même publiquement qu’elles ont mis en place des mesures nécessaires de diligence et de responsabilité pour garantir le respect des droits humains. Enfin, et c’est aussi peut-être là un volet assez utopique, une firme de réputation mondiale telle qu’Apple devrait pouvoir faire tout ce qu’elle peut pour « influencer » le gouvernement chinois à limiter l’usage de ces technologies de contrôle, afin d’atténuer les risques élevés de violations des droits de l’homme consécutifs. Mais ceci est une autre histoire dans un contexte concurrentiel particulièrement durci, ou les BATX chinois (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) menacent désormais l’hégémonie des GAFAM américains (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft).

Source Atlantico 01 /04/2018

 

 

Franck DeCloquement  est praticien et expert en intelligence économique et stratégique (IES). Membre fondateur du Cercle K2 et ancien de l’Ecole de Guerre Economique de Paris (EGE), il est en outre professeur à l’IRIS (Institut de Relations internationales et stratégiques) en « Géo-économie et intelligence stratégique ». Il enseigne également la « Géopolitique des médias » en Master 2 recherche « Médias et Mondialisation », à l’IFP (Institut français de presse) de l’université de Paris II Panthéon-Assas. Franck DeCloquement est aussi spécialiste sur les menaces Cyber-émergentes liées aux actions d’espionnage économique et les déstabilisations de nature informationnelle et humaine. Il est en outre intervenu pour la SCIA (Swiss Competitive Intelligence Association) à Genève, aux assises de la FNCDS (Fédération Nationale des Cadres Dirigeants et Supérieurs), à la FER (Fédération des Entreprises Romandes à Genève) à l’occasion de débats organisés par le CLUSIS – l’association d’experts helvétiques dédiée à la sécurité de l’information – autour des réalités des actions de contre-ingérence économique et des menaces dans la sphère digitale.

Offensive turque en Syrie: les Kurdes appellent à la mobilisation générale

 REUTERS/Khalil Forces armées turques au nord-est d'Afrine, Syrie, le 23 janvier 2018. REUTERS/ Khalil Ashawi

De violents affrontements se sont déroulés, mardi 23 janvier, dans la région d’Afrine, bastion des Unités de protection du peuple (YPG), une milice kurde honnie par Ankara mais soutenue par Washington. L’armée turque et ses alliés arabes syriens ont lancé plusieurs assauts dans le nord de la Syrie. La milice kurde, pour sa part, a demandé à la population de prendre les armes pour repousser l’offensive.

La Turquie a lancé son opération militaire après la constitution d’une force  antijihadiste par les Etats-Unis. Cette force comprend  30 000 hommes déployés dans le nord de la Syrie, dans la zone frontalière avec la Turquie.

Or, la majeure partie de cette force est constituée de Kurdes syriens, qu’Ankara qualifie de « terroristes » en raison des liens qui les lient aux Kurdes de Turquie. Washington, pour le moment, se contente d’appeler à la retenue. En vain.

Ankara a l’intention de créer en Syrie une zone de sécurité large d’une trentaine de km à l’intérieur du territoire syrien.

Du côté kurde, la résistance s’organise autour de trois fronts On se bat au nord-est, au nord-ouest et au sud-ouest d’Afrine. Pour tenter de contenir cette offensive turque, les autorités du canton de Jaziré, l’un des trois territoires contrôlés par les Kurdes en Syrie avec Afrine et Kobané, ont décrété une « mobilisation générale » pour « défendre Afrine ».

Mais les combats ont gagné à présent la ville syrienne de Ras el-Ain, à 300 km d’Afrine. Autant dire que pour le moment, il n’y a aucune chance que les combats cessent.


Les Kurdes d’Irak solidaires

Avec notre correspondante à ErbilOriane Verdier

Quelque 5 000 personnes ont dû quitter leur foyer à Afrine, selon les Nations unies, suite à l’offensive turque lancée samedi dans l’enclave kurde syrienne. De l’autre côté de la frontière, les Kurdes irakiens affichent leur soutien à leur communauté. Malgré les divisions politiques intra-kurdes, la solidarité domine au sein d’une communauté persécutée depuis des centaines d’années.

Voilà trois jours que les Kurdes du Sud, les Kurdes irakiens, manifestent en soutien à leurs frères de l’Ouest. Aujourd’hui à Erbil des dizaines de personnes étaient rassemblées devant le quartier sécurisé des Nations unies. Ils demandaient à la communauté internationale de ne pas rester silencieuse face au massacre de civils kurdes.

Si le peuple kurde affiche son soutien, le gouvernement kurde irakien, lui, peine à taper du poing sur la table. Certaines manifestations ont été interdites. Le Kurdistan irakien traverse une grave crise politique, les autorités tentent donc de contrôler tout rassemblement qui pourrait tourner en leur défaveur. Aucune déclaration n’a été faite suite au bombardement mardi matin des montagnes du Kurdistan irakien par la Turquie qui affirme avoir visé des combattants du PKK considérés comme groupe terroriste par la Turquie.

Voilà de toute façon plusieurs années que la Turquie bombarde les montagnes du nord du Kurdistan irakien et leurs villages sans opposition du PDK. Le parti kurde irakien au pouvoir est en conflit avec le PKK et son frère syrien le PYD, un conflit qui avait explosé en affrontement armé il y a quelques mois seulement. Si le peuple kurde s’affiche uni, les partis politiques eux, peinent à oublier leurs divisions.

Source RFI 21/01/2018

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Moyen Orient, Kurdistan, Irak, Turquie, Ankara choisira le réalisme, Syrie, Iran,

Tunis commémore la révolution dans un contexte tendu

Manifestation contre le gouvernement dimanche 14 janvier devant les quartiers généraux de la puissante centrale syndicale UGTT à Tunis. / Anis Mili/AFP

Manifestation contre le gouvernement dimanche 14 janvier devant les quartiers généraux de la puissante centrale syndicale UGTT à Tunis. / Anis Mili/AFP

En Tunisie, les célébrations officielles de la chute de Ben Ali, le 14 janvier 2011, ont été marquées par la persistance de la frustration, au terme d’une semaine de troubles.

Sur l’avenue Habib-Bourguiba, l’artère principale de la capitale, un cortège de quelques centaines de personnes réunies à l’appel de partis et d’organisations d’extrême gauche, dont le Front populaire, défilait en scandant « Le peuple veut la chute de la loi de finances?! », slogan inspiré du leitmotiv de la révolution « Le peuple veut la chute du régime?! ».

La commémoration désormais rituelle de la folle journée du 14 janvier 2011, achevée par la fuite du président Ben Ali en Arabie saoudite, a été marquée par un climat de grogne sociale.

Une série de mesures sociales en préparation

Les mesures fiscales prévues au budget 2018 ont suscité des troubles sociaux depuis le 3 janvier. Alors que la tension a diminué depuis jeudi 11 janvier (en dépit de quelques heurts dans la soirée de samedi), une série de mesures ont été annoncées pour répondre à la frustration sociale.

Les organisations politiques et syndicales signataires du « document de Carthage », adopté le 13 juillet 2016 et censé servir de feuille de route au gouvernement d’union nationale, ont décidé samedi 13 janvier d’une augmentation du montant de l’allocation destinée à 120?000 familles. Il en coûtera 70 millions de dinars « arrachés à la chair de l’État », selon le président de la République Béji Caïd Essebsi, en visite dimanche matin dans une banlieue populaire de Tunis.

Le gouvernement a évoqué ensuite, par la voix du ministre des affaires sociales Mohamed Trabelsi, un projet de loi en cours de préparation prévoyant une série de mesures?: couverture maladie universelle pour les chômeurs, minima sociaux pour les retraités, augmentation du salaire minimum, caution de l’État pour l’accès au logement des plus démunis.

La grogne des militants syndicaux

Pendant son discours prononcé du haut de son balcon, place Mohamed-Ali, lieu mythique d’où partaient les manifestations à Tunis pendant la révolution de 2011, le secrétaire général de la puissante centrale syndicale UGTT, Noureddine Taboubi, a dû affronter la grogne des militants syndicaux.

Ceux-ci sont loin d’être convaincus par les mesures annoncées la veille, comme par ses appels à la rectification de la loi de finances. Ils l’ont plusieurs fois interrompu au cri de « Il faut sortir de Carthage?! » et se sont montrés très remontés contre son soutien au gouvernement.

Membre du conseil central du Front populaire et ancien directeur des études fiscales au ministère des finances, Lotfi Ben Aissa estime que « le gouvernement ne va pas chercher l’argent là où il se trouve?: dans l’évasion fiscale, dans l’économie parallèle qui représente plus de la moitié du PIB et dans certains secteurs sous-imposés où se constituent des fortunes ».

À quelques dizaines de mètres de là, devant le ministère de l’intérieur, dans une portion de l’avenue désormais interdite au public, là où, sept ans plus tôt, des milliers de personnes scandaient « Ben Ali dégage?! », une petite troupe de majorettes se trémoussait aux sons d’airs du folklore américain.

Thierry Brésillon

Source La Croix 14/01/2018

 

Tensions

Tunisie : des inégalités régionales explosives

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 C’est dans les régions du Centre-Ouest, dans les gouvernorats de Sidi Bouzid et de Kasserine, que s’est levée fin 2010 la révolution arabe qui, en Tunisie, a abouti à la chute de Ben Ali. C’est aussi de ces régions qu’est partie une vague de protestations anti-gouvernementales contre la misère et le chômage qui a submergé le pays en janvier 2016. Et il faut se souvenir que les tribus de la région de Kasserine étaient déjà à la pointe de la lutte contre le colonisateur français, qu’elles se sont opposées après l’indépendance au pouvoir de Bourguiba, et que les terroristes des attentats du Bardo et de Sousse en 2015 en sont originaires.

Une jeunesse désespérée

Concernant les régions de l’Ouest et du Sud, les autorités tunisiennes et les observateurs internationaux sont surtout préoccupés de terrorisme. Mais les populations locales, les jeunes en particulier, sont surtout désespérées par les conditions de vie, la rareté de l’emploi et l’avenir qu’on leur réserve. Ces régions, de loin les plus défavorisées du pays, battent des records de taux de pauvreté et de chômage.

Alors que le taux de jeunes diplômés du supérieur sans travail atteint déjà les 31 % en moyenne dans le pays, il grimpe à 58 % dans le gouvernorat de Tataouine, au Sud. Le Centre-Ouest, quant à lui, est le plus mal doté en matière de santé publique.

A l’inverse, 92 % des entreprises industrielles sont à moins d’une heure de route des trois plus grandes villes (Tunis, Sousse, Sfax). Ces trois régions fournissent 85 % du produit intérieur brut (PIB) du pays. Et 94 % des formations au bac sont situées sur le littoral, dont 47 % à Tunis.

Le sentiment d’être abandonnées par le pouvoir central soude les populations des régions de l’intérieur. Et les élites locales sont souvent, elles aussi, discréditées, car accusées de corruption et de faire profiter leur clientèle de fonds publics théoriquement destinés au développement régional. Si bien que l’inscription dans la Constitution votée en 2014 du rééquilibrage régional par l’attribution de nouvelles compétences économiques aux collectivités locales n’inspire guère confiance.

Les premières élections municipales depuis le renversement de Ben Ali, qui devaient se dérouler en décembre 2017, ont été reportées, pour cause d’impréparation, au 28 mars 2018. Voilà qui risque d’approfondir encore la défiance des populations envers la classe politique, en particulier dans les régions défavorisées.

Gérard Vindt

Source Alternative Economique 12/01/2018

 

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Méditerranée, Tunisie, Les Tunisiennes déchaînées contre le «No woman no fly» des Emirats, Point sur le processus de justice transitionnelle en Tunisie, Les espoirs du peuple tunisien toujours d’actualité, Rubrique Politique, société civile, rubrique Société, Mouvements sociaux, rubrique Rencontre, Nadia El Fani, Christophe Cotteret,