Alimentation Jean Ziegler : « Les spéculateurs devraient être jugés pour crime contre l’humanité »

Les ressources de la planète peuvent nourrir 12 milliards d’humains, mais la spéculation et la mainmise des multinationales sur les matières premières créent une pénurie. Conséquence : chaque être humain qui meurt de faim est assassiné, affirme Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation. Il dénonce cette « destruction massive » par les marchés financiers. Des mécanismes construits par l’homme, et que l’homme peut renverser. Entretien réalisé par Élodie Bécu pour Bastamag.

Basta ! : Craignez-vous que la crise financière amplifie celle de la faim dans le monde ?

Jean Ziegler : Tous les cinq secondes, un enfant de moins de 10 ans meurt de faim. Près d’un milliard d’humains sur les 7 milliards que compte la planète souffrent de sous-alimentation. La pyramide des martyrs augmente. À cette faim structurelle, s’ajoute un phénomène conjoncturel : les brusques famines provoquées par une catastrophe climatique – comme en Afrique orientale, où 12 millions de personnes sont au bord de la destruction – ou par la guerre comme au Darfour. En raison de la crise financière, les ressources du Programme alimentaire mondial (PAM), chargé de l’aide d’urgence, ont diminué de moitié, passant de 6 milliards de dollars à 2,8 milliards. Les pays industrialisés ne paient plus leurs cotisations car il faut sauver la Grèce, l’Italie et les banques françaises. Une coupe budgétaire qui a un impact direct sur les plus démunis. Dans la corne de l’Afrique, le PAM est contraint de refuser l’entrée de ses centres de nutrition thérapeutique à des centaines de familles affamées qui retournent dans la savane vers une mort presque certaine.

Et les financiers continuent de spéculer sur les marchés alimentaires. Les prix des trois aliments de base, maïs, blé et riz – qui couvrent 75 % de la consommation mondiale – ont littéralement explosé. La hausse des prix étrangle les 1,7 milliard d’humains extrêmement pauvres vivant dans les bidonvilles de la planète, qui doivent assurer le minimum vital avec moins de 1,25 dollar par jour. Les spéculateurs boursiers qui ont ruiné les économies occidentales par appât du gain et avidité folle devraient être traduits devant un tribunal de Nuremberg pour crime contre l’humanité.

Les ressources de la planète suffisent à nourrir l’humanité. La malnutrition est-elle seulement une question de répartition ?

Le rapport annuel de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) estime que l’agriculture mondiale pourrait aujourd’hui nourrir normalement 12 milliards d’humains [1], presque le double de l’humanité. Au seuil de ce nouveau millénaire, il n’y a plus aucune fatalité, aucun manque objectif. La planète croule sous la richesse. Un enfant qui meurt de faim est assassiné. Il n’est pas la victime d’une « loi de la nature » !

Au-delà de la spéculation, quelles sont les autres causes de la faim dans le monde ?

Tous les mécanismes qui tuent sont faits de main d’homme. La fabrication d’agrocarburants brûle des millions de tonnes de maïs aux États-Unis. L’océan vert de la canne à sucre au Brésil mange des millions d’hectares de terres arables. Pour remplir un réservoir de 50 litres de bioéthanol, vous devez brûler 352 kg de maïs. Au Mexique ou au Mali, où c’est l’aliment de base, un enfant vit une année avec cette quantité de maïs. Il faut agir face au réchauffement climatique, mais la solution ne passe pas par les agrocarburants ! Il faut faire des économies d’énergies, utiliser l’éolien, le solaire, encourager les transports publics.

Autre élément : le dumping agricole biaise les marchés alimentaires dans les pays africains. L’Union européenne subventionne l’exportation de sa production agricole. En Afrique, vous pouvez acheter sur n’importe quel étal des fruits, des légumes, du poulet venant d’Europe à quasiment la moitié du prix du produit africain équivalent. Et quelques kilomètres plus loin, le paysan et sa famille travaillent dix heures par jour sous un soleil brûlant sans avoir la moindre chance de réunir le minimum vital.

Et la dette extérieure des pays les plus pauvres les pénalise. Aucun gouvernement ne peut dégager le minimum de capital à investir dans l’agriculture, alors que ces États ont un besoin crucial d’améliorer leur productivité. En Afrique, il y a peu d’animaux de traction, pas d’engrais, pas de semences sélectionnées, pas assez d’irrigation.

Enfin, le marché agricole mondial est dominé par une dizaine de sociétés transcontinentales extrêmement puissantes, qui décident chaque jour de qui va vivre et mourir. La stratégie de libéralisation et de privatisation du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque mondiale et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a ouvert la porte des pays du Sud aux multinationales. La multinationale Cargill a contrôlé l’an dernier 26,8 % de tout le blé commercialisé dans le monde, Louis Dreyfus gère 31 % de tout le commerce du riz. Ils contrôlent les prix. La situation est la même pour les intrants : Monsanto et Syngenta dominent le marché mondial – donc la productivité des paysans.

Que faire face à cette situation ?

Ces mécanismes, faits de main d’homme, peuvent être changés par les hommes. Mon livre, Destruction massive, Géopolitique de la faim, malgré son titre alarmant, est un message d’espoir. La France est une grande et puissante démocratie, comme la plupart des États dominateurs d’Europe et d’Occident. Il n’y a pas d’impuissance en démocratie. Nous avons toutes les armes constitutionnelles en main – mobilisation populaire, vote, grève générale – pour forcer le ministre de l’Agriculture à voter pour l’abolition du dumping agricole à Bruxelles. Le ministre des Finances peut se prononcer au FMI pour le désendettement total et immédiat des pays les plus pauvres de la planète.

La crise de la dette européenne rend cette position plus difficile à envisager…

Elle complique la situation. Mais la taxe Tobin, quand elle a été proposée par Attac il y a quinze ans, était qualifiée d’irréaliste. Aujourd’hui, elle est discutée par le G20 ! Les organisations internationales sont obligées de constater la misère explosive créée par la hausse des prix des matières premières. Un chemin se dessine. Nous avons un impératif catégorique moral – au-delà des partis, des idéologies, des institutions, des syndicats : l’éveil des consciences. Nous ne pouvons pas vivre dans un monde où des enfants meurent de faim alors que la planète croule sous les richesses. Nous ne voulons plus du banditisme bancaire. Nous voulons que l’État à nouveau exprime la volonté du citoyen, et ne soit pas un simple auxiliaire des entreprises multinationales. Ces revendications créent des mouvements dans la société civile.

La crise ne risque-t-elle pas de provoquer une montée du populisme en Europe, plutôt qu’un nécessaire sursaut des consciences ?

La lutte est incertaine. Le chômage et la peur du lendemain sont les terreaux du fascisme. Mais il y a une formidable espérance à la « périphérie », comme le montrent les insurrections paysannes pour la récupération des terres que les multinationales se sont appropriées au nord du Brésil et du Sénégal, au Honduras ou en Indonésie. Si nous arrivions à faire la jonction, à créer un front de solidarité entre ceux qui luttent à l’intérieur du cerveau de ces monstres froids et ceux qui souffrent à la périphérie, alors l’ordre cannibale du monde serait abattu. J’ai d’autant plus d’espoir que l’écart entre Sud et Nord se réduit, parce que la jungle avance. La violence nue du capital était jusqu’ici amortie au Nord, par les lois, une certaine décence, la négociation entre syndicats et représentants patronaux. Aujourd’hui, elle frappe ici les populations humbles. Il faut montrer la voie de l’insurrection et de la révolte.

 

recueillis par Élodie Bécu (Bastamag)

À lire : Jean Ziegler, Destruction massive : Géopolitique de la faim, 2011, Éditions du Seuil, 352 pages, 20 euros.

Notes [1] Selon les critères de l’Organisation mondiale de la santé : 2 200 calories par individu et par jour.

Jean  Ziegler à Montpellier. Il sera l’invité de la librairie Sauramps mardi 17 Janvier 2012

à 17h30 : Conférence exceptionnelle de Jean Ziegler sur le thème : « Géopolitique de la faim dans le monde » – suivie d’une séance de dédicaces. Dans le cadre du cycle de conférences Les CultureSciences. > Montpellier SupAgro – Campus de La Gaillarde – Amphithéâtre Philippe Lamour – 2 place Pierre Viala – Montpellier (Entrée libre)

 

Veritas Ipsa et les errances de la république coloniale

Le 23 décembre, Le Parisien écrit « Le Premier ministre turc accuse la France de génocide en Algérie ». Mais les faits reprochés à la Turquie à propos de l’Arménie en deviendraient-ils moins réels ? Et pour quelle raison les instances internationales qualifiées ne font-elles pas la transparence sur l’ensemble de ces questions que des lois nationales ne paraissent pas aptes à régler « par la bande », dès lors que l’ONU existe et qu’en théorie ses compétences ont été admises ?

Paris Match constate à son tour « France-Turquie: Le divorce », et Le Point se demande « À quelle sauce les entreprises françaises vont être mangées en Turquie ». Camer répercute « France – Turquie : Erdogan accuse la France de « génocide » en Algérie », et Le Monde : « La Turquie accuse la France d’avoir commis un « génocide » en Algérie ». Se référant à l’appréciation d’un ancien diplomate, France 24 souligne « « Ankara prépare une deuxième vague de représailles contre Paris » ». Le Nouvel Observateur rapporte à son tour « La loi sur les génocides n’est « pas opportune », estime Alain Juppé ».

Mais en tout état de cause, peut-on imputer à un pays entier des faits dont quelques groupes dominants (économiques, politiques…) se sont trouvés à l’origine ? S’agissant de la politique coloniale française, il paraît indispensable de rappeler qu’elle rencontra en France une opposition très conséquente. Non seulement de la part du mouvement ouvrier et de groupes républicains progressistes, mais aussi de la part de courants catholiques fidèles à l’esprit de la bulle déjà ancienne Veritas Ipsa (1537) du Pape Alexandre Farnèse (Paul III) dont nous avons rappelé le contenu dans notre article « Crise, élections et « valeurs de gauche » (I) ».

Ce texte de Paul III avait été suivi d’une deuxième bulle du même Pape au contenu similaire, intitulée Sublimis Deus. Laissant de côté toute considération à caractère religieux, il paraît indispensable de rappeler clairement et de commenter encore ce document par rapport au colonialisme « moderne » qui lui fut très postérieur.

Quel a été vraiment, dans ce contexte colonial, le rôle de l’école prétendument laïque instituée par Jules Ferry ? Une école instrumentalisée à l’époque pour diffuser très largement une idéologie favorable au colonialisme, au racisme et au chauvinisme imposés à la population au cours de cette période historique. Et quelle est la facture historique de la première guerre mondiale, qui fut très largement le résultat de la montée de ce type d’idéologie au sein des principales puissances européennes ?

Indépendance des Chercheurs

[la suite, sur le lien  http://science21.blogs.courrierinternational.com/archive/2011/12/23/veritas-ipsa-et-les-errances-de-la-republique-coloniale.html ]

Crise, élections et « valeurs de gauche » (I)

Le 20 décembre, Les Echos publie un éditorial sur la crise intitulé « La grande fatigue ». Jean-Marc Vittori y évoque des « dirigeants européens » qui se trouveraient « au bout du rouleau ». Ces dirigeants font-ils autre chose que d’appliquer la politique des multinationales et des milieux financiers ?

La population faisant de moins en moins confiance aux partis politiques influents, les « petits candidats » se plaignent des blocages qui peuvent leur être opposés via l’exigence de 500 signatures d’élus. Mais Christophe Barbier (L’Express) estime « Présidentielle: il faut 1000 signatures ». Les « bonnes idées » dont parle Barbier seraient-elles « dévalorisées » par les résultats modestes des « petits candidats » ? Ou craindrait-on des résultats inattendus, dans un contexte de détresse croissante de la population ?

Le 20 décembre également, Radio Chine Internationale souligne « Le chef de la BCE appelle à l’ accélération du lancement du MES par crainte d’une dégradation de la note de la France », et Le Maghreb, « Crise de la dette : La zone euro sous pression se prépare à une nouvelle semaine délicate ». Challenges écrit « FMI : l’UE appelle le monde à la rescousse ». En réalité, l’image de la situation économique de l’Europe occidentale ne cesse de se dégrader dans le monde entier, alors que la coupole de l’Union Européenne défend systématiquement les intérêts des banques au détriment de la grande majorité de la population. Qui en fera les frais, si ce n’est les « petits citoyens » à qui, tout compte fait, on essaye de vendre la propagande électorale des mêmes partis politiques dont la stratégie des trois dernières décennies (délocalisations, privatisations…) a conduit à la crise actuelle ?

Et que signifient vraiment les prétendues « valeurs » au nom desquelles on cherche à attirer l’électorat ? « Valeurs de droite », « valeurs de gauche », « valeurs de centre »… Léon Gambetta et Jules Ferry, étaient-ils « de gauche » lorsqu’ils ont défendu une expansion coloniale qui, tout compte fait, s’est soldée par deux guerres mondiales et par la décadence des puissances européennes ?

Paradoxalement, alors que le colonialisme des « républicains » Gambetta et Ferry véhiculait une idéologie incroyablement raciste, un Pape du Concile de Trente (Paul III) avait diffusé trois siècles et demi plus tôt la première bulle antiraciste en défense des populations indiennes d’Amérique.

Indépendance des Chercheurs

[la suite, sur le lien http://science21.blogs.courrierinternational.com/archive/2011/12/20/crise-elections-et-valeurs-de-gauche-i.html ]

Voir aussi : Rubrique Chronniques, rubrique Société civile, Pour une république sans supplément d’âme,

Immigration en France éléments d’études 2011

Immigration, vieillissement démographique et financement de la protection sociale,

par Xavier Chojnicki et Lionel Ragot

(CEPII, mai 2011)

Globalement les principaux effets sur les finances de la protection sociale sont positifs et le sont d’autant plus, à court moyen-terme, que la politique migratoire est sélective (en faveur des plus qualifiés). A long-terme ces effets bénéfiques peuvent disparaître pour une politique très sélective. Cependant, les gains pour les finances publiques provenant de flux migratoires nets plus conséquents sont relativement modérés en comparaison des évolutions démographiques qu’ils impliquent.

L’immigration peut être une aubaine pour les pays industrialisés

par Isabelle Moreau (La Tribune, 1 déc 11)

Dans leur ouvrage « les Trente glorieuses sont devant nous », Valérie Rabault et Karine Berger estiment que l’économie française a besoin de 10 millions d’étrangers d’ici à 2040. « Compte-tenu de la structure de la population et des projections de l’Insee, la part des plus de 65 ans passera de 17 % à 28 % en 2040 si la France ne modifie pas sa politique d’immigration », prévient Valérie Rabault. Partant de là, ajoute-t-elle, « les dépenses de santé vont augmenter et la population active diminuer. Pour corriger cette évolution, il faut que la France redevienne attractive. Il ne faut ni une immigration subie, ni une immigration choisie. Pour que les ingénieurs indiens viennent en France et non aux États-Unis, il faut être attractifs, innovants et dynamiques. A cette condition, la France pourra se positionner dans la compétitivité mondiale. »

Immigration, vieillissement démographique et financement de la protection sociale.

CEPII. Mai 2011.

Document de travail du CEPII n°2011 (13 Mai 2011) : « Immigration, vieillissement démographique et financement de la protection sociale: une évaluation par l’équilibre général calculable appliqué à la France ».

par Xavier Chojnicki et Lionel Ragot.

L’immigration est souvent avancée comme l’un des instruments d’adaptation des économies confrontées au phénomène du vieillissement démographique. Dans cet article, nous évaluons, à l’aide d’un modèle d’équilibre général calculable dynamique, la contribution d’une politique migratoire à la réduction du fardeau fiscal lié au vieillissement démographique en France. Quatre variantes, par rapport à un scénario central qui reprend les projections officielles pour la France (INSEE, COR….), sont réalisées, avec pour objectif de quantifier au mieux les effets de l’immigration sur les finances de la protection sociale. La première consiste à évaluer les effets économiques de l’immigration en France telle qu’elle est projetée dans ces prévisions officielles. Les trois autres sont construites sur l’hypothèse d’un flux annuel d’immigrés plus élevé (correspondant aux flux qui ont caractérisés la deuxième grande vague d’immigration en France au XXème siècle). Elles se différencient par le niveau de qualification des nouveaux entrants. Nous montrons que la structure par qualification et par âge des immigrés est une caractéristique essentielle qui détermine en grande partie les principaux effets sur les finances de la protection sociale. Globalement ceux-ci sont positifs et le sont d’autant plus, à court moyen-terme, que la politique migratoire est sélective (en faveur des plus qualifiés). A long-terme ces effets bénéfiques peuvent disparaître pour une politique très sélective. Cependant, les gains pour les finances publiques provenant de flux migratoires nets plus conséquents sont relativement modérés en comparaison des évolutions démographiques qu’ils impliquent.

Source TERRA : http://ses.ens-lyon.fr/1306825935340/0/fiche___actualite/&RH=40

L’immigration peut être une aubaine pour les pays industrialisés

Société – 01/12/2011 |

Alors que la France veut diminuer le nombre d’étrangers en situation régulière, d’autres pays européens optent pour la démarche inverse.

« Ne faisons pas des immigrés des adversaires », a lancé mardi l’ex-Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, en direction de l’UMP et de ses militants réunis lors d’une convention nationale sur le projet du parti majoritaire pour 2012. À quelques mois de la présidentielle et dans un contexte de crise et de flambée du chômage, le thème de l’immigration fait son grand retour sur la scène politique. Très incisif sur le sujet, le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, rappelle en boucle que la France accueille chaque année 200.000 étrangers en situation régulière et que c’est « trop ». D’où son objectif de diminuer en un an de 10 % cette immigration. Balayant les critiques qui l’accusent de braconner sur les terres du FN, il entend agir sur le regroupement familial, le recrutement des étrangers, dont les étudiants en fin de cycle, et même le droit d’asile qui serait « détourné » par des migrants économiques.

Déjà, en août, le gouvernement avait réduit la liste des métiers ouverts aux travailleurs non européens pour freiner l’immigration légale de travail. Car Claude Guéant est persuadé que l’on peut « résoudre les problème de l’emploi chez nous, au prix de la formation professionnelle ou de la réorientation professionnelle, plutôt que de faire venir des personnes d’ailleurs ». Reste que l’équation n’est pas si simple.

En France, comme ailleurs, « les travailleurs immigrés occupent des emplois dont ne veulent pas les populations locales et sont souvent surqualifiés par rapport aux postes occupés. Dans les pays affichant des forts taux de chômage, ils occupent des métiers comme le bâtiment ou les services à la personne », explique Raymond Torrès, directeur de l’Institut international d’études sociales de l’Organisation internationale du travail (OIT).

Ces questions d’immigration traversent l’ensemble des pays qui, tous, doivent jongler avec leurs impératifs démographiques et leurs besoins de main d’œuvre étrangère. La semaine dernière, le syndicat helvétique Travail.Suisse a appelé à une plus grande « flexibilité dans la politique d’administration de main d’œuvre étrangère en Suisse », estimant qu’il manquera d’ici 2030 quelque 400.000 travailleurs dans la Confédération. Outre-Rhin, la ministre des Affaires sociales veut, elle, faciliter l’entrée de travailleurs, non ressortissants de l’UE, sur son territoire. Ces positions sont à rebours de celles de la France. Pourtant, certains économistes estiment que l’immigration est une planche de salut pour la France.

Dans leur ouvrage « les Trente glorieuses sont devant nous », Valérie Rabault et Karine Berger estiment que l’économie française a besoin de 10 millions d’étrangers d’ici à 2040. « Compte-tenu de la structure de la population et des projections de l’Insee, la part des plus de 65 ans passera de 17 % à 28 % en 2040 si la France ne modifie pas sa politique d’immigration », prévient Valérie Rabault. Partant de là, ajoute-t-elle, « les dépenses de santé vont augmenter et la population active diminuer. Pour corriger cette évolution, il faut que la France redevienne attractive. Il ne faut ni une immigration subie, ni une immigration choisie. Pour que les ingénieurs indiens viennent en France et non aux États-Unis, il faut être attractifs, innovants et dynamiques. A cette condition, la France pourra se positionner dans la compétitivité mondiale. »

Isabelle Moreau (La Tribune)

 

« Pour une république qui n’a pas besoin de supplément d’âme »

Le philosophe Henri Pena-Ruiz

Philosophe de la laïcité mais aussi militant progressiste, Henri Pena-Ruiz rappelle quelques fondamentaux.  Philosophe, écrivain, professeur, ancien membre de la Commission Stasi pour l’application du principe de laïcité dans la République, Henri Pena-Ruiz répond à nos questions.

La demande d’une journée de la laïcité est portée à droite comme à gauche. Comment se décline le clivage politique sur cette question ?

Cela devrait être une valeur commune à tous les partis puisqu’elle relève de la définition du cadre démocratique qui permet à tous les citoyens de vivre ensemble. En réalité, ce n’est pas toujours ainsi. Le clivage gauche-droite a longtemps été perçu comme partisan et adversaire de la laïcité. C’était vrai du temps d’une droite cléricale, nostalgique d’une monarchie où la religion était instrumentalisée pour justifier les privilèges. Puis la droite s’est ralliée à la laïcité, notamment à l’âge du premier capitalisme où des bourgeois ont mené une lutte anti-cléricale. Au 19e siècle apparaît cependant un couplage de capitalisme et de charité chrétienne pour aider les plus démunis, avec une compensation religieuse dans une au-delà réparateur.

Le mouvement ouvrier s’est aguerri de tout cela, montrant que la question sociale relevait d’une restructuration de l’Etat, d’une république sociale et laïque en attendant la république socialiste. Dans ce cadre, la religion était une affaire privée et il ne devait pas y avoir charité mais solidarité redistributive de l’impôt. Dans ce contexte, le clivage gauche-droite correspondant au anti ou pro-laïcité fonctionnait.

Et aujourd’hui, tout ceci est remis en question ?

C’est en tout cas, plus compliqué. Beaucoup de croyants se sont retrouvés dans l’idéologie de gauche, sans vouloir cantonner le religion à la sphère privée. Cela s’appelle la deuxième gauche, très présente au parti socialiste qui a ainsi inventé le concept de laïcité ouverte, pour désigner le maintien des privilèges publics de la religion.  La question s’est alors brouillée notamment sur l’idéal de stricte égalité entre athées et croyants.

Le PCF a, lui, toujours été plus favorable  à la laïcité et moins affecté par ce processus. Néanmoins contre l’amalgame entre athéisme militant et laïcité et il y a eu ce qu’on appelle une politique de la main tendue. Or, la laïcité n’est pas hostile à la religion, elle est hostile au privilège public de la religion.  Marianne n’est ni croyante, ni athée : elle est neutre. Ceci posé, il faut bien constater qu’il y a plus de laïcité à gauche qu’à droite et qu’il est urgent de faire de cette laïcité et de la justice sociale, deux axes de travail fondamentaux. Car le chef du gouvernement a osé dire dans le discours de Latran que la République avait besoin de croyants. Et dans le monde ultralibéral qui est le nôtre, détruisant les services publics, cassant le code du travail, on voit un retour de ce « supplément d’âme dans un monde sans âme » qu’est la religion pour reprendre la formule de Marx.

N’y a t-il pas derrière cette offensive une dimension européenne. Cette Europe a un fonctionnement clientélisme et lobbyistes. Le communautarisme religieux n’en est-il pas une déclinaison ?

Nous sommes effectivement dans une Europe anti-laïque qui se retrouve dans le traité de Lisbonne. Cela a permis au capitalisme de déguiser une politique entièrement au service de ses intérêts en une construction européenne, de se travestir d’idées humanistes et internationalistes. Ce dévoiement de cette belle idée de dépassement des frontières passe aussi, effectivement, par la reconnaissance aux églises d’un statut de lobby : on les met en position d’interlocuteur privilégié de l’institution. Et ce, même si plusieurs figures coexistent en Europe et que l’idée laïque progresse au niveau des peuples.

Revenons au lien entre religion et capitalisme. Est-ce caricatural de dire que le capitalisme a besoin d’une religion qui, via le destin ou la promesse d’un paradis ultérieur, le sert davantage que la prétention au bonheur ici et maintenant ?

C’est une analyse que je partage. Nous sommes dans une société qui ne soucie plus de justice sociale. Le capitalisme se pense comme seul en scène et a cassé toutes les conquêtes sociales. La défaite des idéaux de gauche a conduit une partie de la gauche à reprendre le vocabulaire de la droite, sur les privatisations, sur l’assistanat ou sur les charges sociales en lieu et place de cotisations patronales… On voit bien que l’ultra capitalisme l’a emporté et que la figure caritative a repris le dessus. Sans oublier l’ambiguïté de la société civile qui déploie tant d’efforts, respectables, pour atténuer les effets mais qui pourtant ne pourra jamais pallier les carences de l’Etat et s’y substituer.

Je pense cependant que le Front de Gauche remet tout cela en question, que cette nouvelle alliance autorise des espoirs de reconstruire ce que Jaurès appelait la République sociale et laïque, une république qui n’ait plus besoin de ce  » supplément d’âme pour un monde sans âme « .

Recueilli  par Angélique Schaller (La Marseillaise)

Voir aussi : : Rubrique Religion, La question religieuse dans l’espace social, rubrique Politique, Sarkozy le discours de Latran, Aubry s’étonne, Laïcité République histoire de la sainte trinité, La difficile émergence d’un islam de France, rubrique Rencontre, Entretien avec Daniel Bensaïd, Jean Rohou,

Au PS, le nucléaire est bien gardé

Bernard Cazeneuve, l’un des quatre porte-parole de François Hollande, est un ardent défenseur de l’énergie nucléaire. Photo Photo Joel Saget AFP.

Les écologistes auront tout tenté pour convertir le PS à la sortie du nucléaire. C’était sans compter avec les fervents défenseurs de cette industrie qui peuplent le Parti socialiste.

C’est pourtant bien parti… L’axe Aubry-Duflot devait révolutionner la pensée des socialistes sur la question du nucléaire, comme le raconte Le Monde dans son édition du 22 novembre. Mais en triomphant de la première secrétaire lors de la primaire, François Hollande a sapé le travail de fond entrepris depuis plusieurs mois. Pas question pour le vainqueur de reprendre à son compte l’objectif de sortie du nucléaire énoncé pendant la primaire par sa rivale. Le programme du candidat socialiste inclut toutefois la réduction de 75% à 50% en 2025 de la part du nucléaire dans la production d’électricité, avec à la clé la fermeture de centrales atomiques. Une inflexion importante lorsqu’on sait que le PS compte en son sein de fervents adeptes de l’atome.

D’ailleurs, l’un d’entre eux, le député-maire de Cherbourg Bernard Canezeuve vient d’être propulsé porte-parole du candidat Hollande. Lors de la primaire, ce spécialiste de la Défense s’était abstenu de s’engager en faveur de l’un des candidats. D’où cette interrogation: pourquoi ce fabiusien, certes hollando-compatible, a-t-il obtenu l’un de ces postes si convoités?

Certains mauvais esprits l’imaginent en caution donnée au lobby nucléaire qui aurait besoin d’être rassuré après l’accord PS-écolos. Il est vrai que Bernard Cazeneuve a dans sa circonscription le site de retraitement de La Hague géré par Areva. Environ 6000 personnes travaillent grâce à ce site. Du coup, l’élu socialiste a la réputation d’être proche de ce lobby et voit rouge dès qu’il entend parler de « sortie du nucléaire ». Avec les années, il est devenu l’un des plus ardents défenseurs de l’énergie nucléaire au Parlement.

L’intéressé dément fermement. « D’une part, je n’ai fait aucune démarche pour devenir porte-parole, jure-t-il. Et d’autre part, mes rapports avec Areva sont très mauvais depuis qu’ils ont choisi Le Havre pour implanter leur usine d’éoliennes. »

Pourtant, c’est bien lui qu’Areva s’est permis d’appeler, mardi 15 novembre, pour lui demander quel était le contenu de l’accord avec les écologistes sur l’avenir de la filière. Un coup de téléphone « court et froid », selon Bernard Cazeneuve. Toujours est-il que s’ensuit le retrait temporaire du passage sur le Mox qui a laissé perplexe de nombreux responsables d’Europe Ecologie-Les Verts, dont la candidate Eva Joly. « Il suffit d’un coup de téléphone d’Areva pour que le grand PS, avec sa tradition et son histoire, se mette au garde à vous! » a lâché, amer, Daniel Cohn-Bendit.

« L’OPECST, une bande de scientistes »

Les écologistes découvriraient-ils la Lune? A l’Assemblée nationale, les socialistes partisans du nucléaire ne manquent pourtant jamais une occasion de défendre ce fleuron industriel français.

Christian Bataille est l’un d’eux. La loi de 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs porte son nom. Spécialiste de ces questions, il compose avec l’UMP Claude Birraux le « duo nucléocrate » de l’Assemblée nationale, selon Greenpeace. Tous deux rédigent l’essentiel des rapports parlementaires sur le nucléaire. Christian Bataille est également membre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) dont Claude Birraux est d’ailleurs le président.

Dans leur livre Députés sous influences, Hélène Constanty et Vincent Nouzille qualifient l’OPECST de « poste avancé du lobby nucléaire ». « C’est un collège de scientistes convaincu que l’avenir du monde passe nécessairement par le développement de la technologie », surenchérit un élu écologiste.

Nucléocratie locale

Arnaud Montebourg n’est pas un spécialiste de ces questions, ni même un membre de l’OPECST, ce qui n’empêche pas Greenpeace de lui reprocher un discours très ambigu sur le sujet. En avril 2011, le député de Saône-et-Loire écrit pourtant sur son blog: « La crise nucléaire japonaise démontre que notre modèle de développement, plutôt que d’assurer la prospérité, risque de nous détruire ». S’il se prononce pour la réduction du nucléaire dans le mix énergique français, il rejette toutefois l’idée d’une sortie. « On ne peut pas raisonner en sortie du nucléaire à court ou moyen terme », expliquait-il durant la primaire.

Pour l’ONG écologiste, cette position s’explique avant tout par la présence dans le département dont il préside le conseil général de sites industriels qui fabriquent des pièces pour les centrales nucléaires. « Quand on a Areva dans sa circonscription ou dans son département, c’est difficile d’être anti-nucléaire », reconnait une élue socialiste. Gisements d’emplois importants, retombées fiscales non négligeables pour les communes: la filière nucléaire arbore de nombreux atouts pour séduire les élus locaux.

Dans cette catégorie, l’ancien socialiste Eric Besson fait figure d’exemple, dépeint comme un dévôt de la cause nucléariste par ses anciens camarades de Solférino. Il faut dire que sa commune de Donzère, dans la Drôme, se situe à quelques kilomètres de la centrale du Tricastin.

DSK le lobbyiste

Ces affinités ne datent pas d’hier. Dans les années 1990, Dominique Strauss-Kahn menait des opérations de lobbying en faveur de ce que l’on nommait à l’époque « le réacteur du futur », le fameux EPR. Dans leur livre, Les vies cachés de DSK, publié en 2000, Véronique Le Billon et Vincent Giret racontent comment DSK aurait reçu plus d’un million et demi de francs (environ 225 000 euros) d’EDF et de la COGEMA pour des missions en France et à l’étranger. Des activités tout à fait légales, même si la Cour des comptes s’était étonnée à l’époque de « l’insuffisance des termes des contrat d’origine, qui ne donne aucune indication sur le contenu de la prestation assurée ».

A l’époque, Dominique Strauss-Kahn est notamment assisté dans sa tâche par Jean-Yves Le Déaut, député socialiste depuis 1986 et toujours membre de l’OPECST, qu’il a lui-même présidé par le passé.

Hollande bien entouré

Aujourd’hui, l’entourage du candidat socialiste compte plusieurs anciens responsables de la filière nucléaire. Selon Le Monde, l’ancien président d’honneur d’EDF, François Roussely, proche des socialistes, aurait été contacté par son successeur, Henri Proglio, pour intervenir auprès du candidat PS et s’assurer que les désiderata des écologistes resteraient lettre morte.

Débarquée de la tête d’Areva en juin dernier par Nicolas Sarkozy, Anne Lauvergeon n’a pas oublié le soutien apporté à sa reconduction par François Hollande. L’ancienne « sherpa » de François Mitterrand connait bien le candidat socialiste. A Solférino, la rumeur court qu’elle pourrait même décrocher une investiture PS aux prochaines législatives.

Michel Verron (L’Express)

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