Par Noël Mamère Député de Gironde
Une fois de plus, le lobby nucléaire a fait carton plein. Le 18 juin ne restera pas une date historique pour l’écologie, mais un jour d’immense déception pour tous ceux qui croyaient encore (les naïfs !) à la sincérité du gouvernement et du président de la République sur la transition énergétique.
En guise de transition, on se retrouve dans le droit fil de l’appel de Londres :
- la loi ne parle ni de la fermeture des centrales en fin de cycle, ni de la durée de vie des réacteurs, ni de l’arrêt de Fessenheim ;
- la production nucléaire est maintenue à son niveau actuel ;
- la pantalonnade à propos de l’enfouissement des déchets nucléaires à Bure (Meuse) renforce le sentiment d’une victoire par KO du lobby nucléocrate ;
- la promesse de faire passer la production d’électricité nucléaire de 75 à 50% en 2025 est un leurre pour laisser croire qu’il s’agit, à terme, de la fermeture d’une vingtaine de réacteurs. La réalité est plus sombre : il s’agit de gagner du temps afin de maintenir en place le nombre de réacteurs en fonctionnement, avec les risques accrus de leur vieillissement et de leur rafistolage.
L’actuelle ministre de l’Ecologie, qui avait promis dans sa campagne présidentielle de 2007 d’arrêter la construction de l’EPR de Flamanville, ne voit pas aujourd’hui quel mal il y aurait à en construire de nouveaux. Puisque, comme elle le dit elle-même :
« Nous ne sortirons pas du nucléaire, il y a 200 000 emplois en jeu. »
Un enterrement de première classe
Malgré Tchernobyl et Fukushima, malgré la hausse des coûts qui met cette énergie désormais hors de prix, malgré le retard pris dans les énergies renouvelables, l’Etat persiste et signe. EDF ne lâche rien. Ceux qui pensaient que les promesses en politique valent au-delà des campagnes électorales en sont pour leurs frais.
Un peu plus de deux ans après l’arrivée au pouvoir de ce qui s’appelle encore la gauche, nous avons assisté à un enterrement de première classe. Il n’y aura pas plus de reflux du nucléaire sous François Hollande que sous Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac ou François Mitterrand.
Tout changer pour ne rien changer. De NKM à Ségolène, c’est la même chanson : « Paroles, paroles, paroles. » Parler d’écologie pour mieux la mettre en bouteille. Tout se passe comme si, dans les cercles du pouvoir, une stratégie commune s’était dégagée : utiliser la conférence climat de 2015 pour finir de légitimer la politique nucléaire de la France.
La langue de bois articule cynisme et escroquerie. Même les énergies renouvelables sont mises à contribution. La voiture électrique, qui marche elle aussi au nucléaire, est survalorisée par rapport au transport ferroviaire dont on ne parle pas puisque, dans la même semaine, on entérine la future privatisation du rail, résultant de l’ouverture à la concurrence exigée par Bruxelles. Le seul motif de satisfaction est l’accent mis sur le soutien au fonds chaleur et aux projets de méthanisation.
Le nucléaire a gagné au poker menteur
Quant au plan d’avenir sur la rénovation thermique, le discours est le même que celui développé en son temps par Cécile Duflot.
La défiscalisation du montant des travaux engagés ne veut rien dire si elle n’est pas accompagnée, par exemple, d’une relance réelle de la filière industrielle photovoltaïque à l’agonie. On insiste tellement sur leur développement, sans leur donner les moyens d’émerger que, de fait, on annonce leur échec en rase campagne. Et comme à ce moment-là, il faudra bien résister aux énergies carbonées, comme le charbon, la seule possibilité qui restera à la France, pourtant seule au monde à s’être engagée dans cette folle impasse, sera le renforcement, ad aeternam, de la filière nucléaire.
Le piège se referme sur les benêts de l’écologie. Nos hamsters, tout à leurs jeux de pouvoir, ne voient pas l’essentiel. Comme le prédisait Delphine Batho, comme le crient, avec toute leur colère, mes amis Didier Anger et Michèle Rivasi, le nucléaire a gagné une fois de plus la partie de poker menteur, engagée depuis la signature de l’accord EELV-PS, qui apparaîtra comme la journée des dupes. Contre le plat de lentilles de quelques places à l’Assemblée, l’écologie politique a vendu son âme à l’EDF et à Areva. Triste fin de partie.
Ceux qui, chez les écologistes, croyaient s’en tirer à bon compte avec la fermeture de Fessenheim, peuvent déjà manger leur chapeau. Fessenheim ne fermera pas. Pire on, est en train de rouvrir Bure. Quelques-uns de mes collègues et responsables d’EELV se contorsionnent pour expliquer que le verre est quand même à moitié plein, que les objectifs sont tenus, puisqu’on nous promet la main sur le cœur qu’à l’horizon 2050, on réduira de 50% notre consommation finale.
Un rapport de force en dehors des institutions
Mais rappelons-nous : c’était il y a quatre ans, à peine, autant dire un siècle, sous Nicolas Sarkozy. Les lois sur le Grenelle I et II, elles aussi, se fixaient de nobles objectifs. On a vu et, surtout, on a subi la suite.
Avec l’arrivée de Ségolène, l’esbroufe continue, mais cette fois-ci au nom de « l’écologie positive ». Ségolène se fait le chantre de l’écologie d’accompagnement, sans aspérité, consensuelle, pouvant être aussi bien défendue par Anne Lauvergeon que par Nicolas Hulot. Les écologistes sont dorlotés, chouchoutés, reçus à déjeuner ou à diner. Mais il ne s’agit que d’opérations d’enfumage. Je ne mange pas de ce pain-là. Je juge sur pièce et je ne peux que voir l’histoire se répéter.
En 1997, Dominique Voynet avait été contrainte de capituler en acceptant l’ouverture du site d’enfouissement des déchets nucléaires de Bure. Aujourd’hui, Ségolène capitule en rase campagne avec, en plus, l’approbation de certains élus écologistes.
Conclusion : hier au gouvernement, aujourd’hui dehors, nous ne faisons que jouer les utilités, sommes obligés de reconnaître que les lobbies sont les plus forts et que le consensus nucléaire est plus que jamais la règle.
C’est donc en dehors des institutions qu’il nous faut reconstituer un autre rapport de forces face à l’Etat nucléaire. Et c’est maintenant aux citoyens de dire leur mot et de se rappeler au bon souvenir de ceux qui les ont pris pour quantité négligeable. Après tout, comme nous le rappelle l’abandon de l’écotaxe et la mascarade de son remplacement, les Bonnets rouges ont gagné par la rue. Il faudra peut-être que nous sortions nous aussi les Bonnets Verts pour nous faire entendre.
Source Rue 89 : 23/06/2014
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