« On veut nous faire croire que l’identité est ce qui résiste à l’autre. » Photo Jérôme Bonnet
L’historien Patrick Boucheron inaugure ce soir le cycle de conférences gratuites des Chapiteaux.
Professeur à l’université Panthéon-Sorbonne, Patrick Boucheron est entré au collège de France en 2015. Ce médiéviste se préoccupe de rendre audible sa discipline à travers la société d’aujourd’hui. Il aime bouleverser l’ordonnancement des disciplines, recourir à de nouveaux découpages intellectuels pour mieux percevoir le présent, quitte à déranger les traditions épistémologiques les mieux établies.
Vous ouvrez ce soir le cycle de conférences sur le thème « De l’histoire comme art de résister ». L’histoire serait un art ?
Je suis médiéviste, au Moyen-âge on entendait l’art comme une modeste technique, juste un savoir-faire qui renvoyait à un groupe social qui se reconnaissait lui-même dans ce groupe et dans ce savoir-faire. J’aime cette définition, comme l’idée de l’atelier de l’historien qui se rêve artiste. Notre matière première c’est un passé qui ne nous attend pas. Un passé à construire, qui peut inspirer un autre rapport à la vie. Un des historiens qui m’a inspiré, Georges Duby, se présentait comme un travailleur dans l’atelier.
Selon vous, qu’est-ce que résister veut dire ?
Cela n’a rien de martial, de véhément. C’est une manière modeste et obstinée d’opposer une résistance à l’air du temps, à l’arrogance du présent. On ne peut affirmer n’importe quoi si l’histoire résiste comme on pourrait le dire d’un matériau. Après bien-sûr, je ne méconnais pas ce qu’est historiquement l’histoire. Elle est née de la nécessité de célébrer le pouvoir, c’est un discours d’escorte. C’est pourquoi, ce que j’énonce reste une vision minoritaire.
Comment s’est opérée votre rencontre avec l’histoire ?
Très simplement, ce sont des enseignants qui avaient une certaine manière de dire l’histoire. Cette voix m’a entraîné et je l’ai suivi. Les livres, je les ai lus après. Je trouvais ces profs libres. Ils pratiquaient l’art de l’émancipation.
L’histoire comme libération… Comment divulguer ce message aux jeunes pour qui elle renvoie plutôt au passé ?
Tout dépend du rapport que l’on entretient avec le présent et avec la possibilité collective d’imaginer le futur. Si celui-ci nous paraît prometteur et source de progrès, de réalisation, le passé peut être une ressource de consolation. On peut avoir de l’histoire un usage nostalgique, ce qui entraîne souvent la fonction de conservation de l’histoire. On peut aussi, ce qui est assez fréquent chez les jeunes, avoir le sentiment qu’il faut faire évoluer les choses parce que le futur qui nous est promis n’est pas satisfaisant. Moi je pense qu’à chaque révolte, ce qui encourage à se révolter est un exemple. Le passé rappelle que l’on a pu sortir de certaines conditions. Nous avons actuellement des exemples d’emprunts au passé. Les jeunes pensent aujourd’hui à l’espérance communale. Faire commune, c’est faire résonner une histoire ancienne.
Dans ce rapport au temps, on touche à votre terrain de prédilection, celui de déjouer l’ordre des chronologies pour produire une intelligibilité du présent…
Oui, déjouer les chronologies et les généalogies, désarmer la question des origines qui est une notion démobilisatrice. Cette question des origines est un point d’arrêt. C’est l’endroit où commence la généalogie de l’autorité, mais aussi de la contestation qui ne vaut guère mieux. User de l’histoire pour répéter le roman de la commune ne vaut pas mieux que de répéter le roman des rois. Il n’y a pas de vérité en soi, pas de vérité absolue. Il n’y a que des vérités que l’historien doit construire pour mieux savoir les défendre, quitte à les défendre contre ses propres enthousiasmes?: il faut accepter que l’on va décevoir.
Où situez-vous les ponts entre histoire et littérature ?
Pour moi, la littérature et l’histoire sont toutes deux des sciences sociales et partagent à ce titre l’art de la description du réel. Dans le choix que j’ai fait pour le Moyen-âge, il y avait cet attrait pour les médiévistes qui sautaient les barrières avec la capacité d’être sociologues, politistes, anthropologues…
Dans votre livre « Léonard de Vinci et Machiavel »*, vous usez de cette double source, historique et littéraire…
Avec ce livre, j’ai voulu tester la frontière entre histoire et littérature. C’est un essai où j’ai tenté quelque chose qui n’a rien à voir avec le fait de bien écrire. J’avais le souci du récit et lorsque se pose la question de qui ordonnera le récit, cela devient politique. Ce livre se situe au-delà de la frontière de la confrontation, puisque l’histoire et la littérature ont été rivales pour comprendre le monde. D’une certaine manière, Balzac est un historien et Michelet est un écrivain. Cependant, éprouver les frontières ne signifie pas vouloir les abolir. Je n’écris pas pour déstabiliser. Ma génération a défendu l’histoire. Il a fallu réarmer la notion de réel pour lutter contre les négationnistes.
Ce combat semble aujourd’hui devoir se poursuivre sous de nouvelles formes...
Effectivement, quand on est enseignant, c’est important parce que cela relève de notre responsabilité. Il n’est pas simple de lutter contre la vision complotiste en argumentant et en poussant la réflexion sans jeter le bébé avec l’eau du bain, car certains complots existent.
Dans votre leçon inaugurale au Collège de France vous évoquez à propos de la théorie du pouvoir, donc au-delà de la religion, le christianisme comme une structure anthropologique englobante qui semble particulièrement d’actualité dans le monde contemporain…
Les structures englobantes sont beaucoup plus robustes qu’on ne se l’imagine et on est beaucoup plus gouvernés qu’on ne le pense. Nous avons construit certaines idées fausses sur le Moyen-âge. On dit des hommes de cette époque qu’ils étaient crédules et obéissants et qu’aujourd’hui nous sommes libres. Mais quand on va chercher des ressources dans le passé pour comprendre le présent, on les trouve plus libres et on se trouve plus dépendants.
La théologisation politique du monde occidental s’oppose-t-elle, comme le prétendent les grands leaders politiques, au fondamentalisme ?
Sur ce point, il ne faut pas tergiverser parce que l’heure est grave. L’idéologie de la séparation se répand partout. On veut nous faire croire que l’identité est ce qui résiste à l’autre. Ce qui veut se confirmer à elle-même. Etre fidèle à son identité serait être soumis à ses intolérances. Je ne veux pas polémiquer mais lorsque j’entends Wauquiez appeler à « résister » contre le prétendu afflux des réfugiés, je trouve ces propos effrayants. L’histoire nous aide à résister contre la progression des idéologies de la séparation et à dire calmement que nous sommes plus nombreux à ne pas nous sentir menacés par la différence.
Sète. La poésie est une fête globale et lucide sur la réalité du monde.
Poésie, chemin de paix
« Quand la société est en crise le poète ne peut que prendre note dans sa poésie de la crise traversée », constate le poète libanais et président d’honneur du festival Salah Stétié. « Il arrive dans certains cas très rares qu’un souhait bien exprimé par un poète puisse se retrouver mobilisateur », ajoute-il encore.
A l’instar de ce vers du poète Abou Kacem Al Chebbi « Lorsque le peuple un jour veut la vie / Force est au destin de répondre / Aux ténèbres de se dissiper » devenu un élément de l’hymne national tunisien. Mais combien de poètes empêchés, emprisonnés, exilés pour leur amour de la liberté… Le festival Voix Vives qui bat son plein à Sète jusqu’au 30 juillet offre l’immense plaisir et privilège de les rencontrer dans les rues et d’éprouver le souffle de leur poésie et de leurs réflexions.
Ashur Etwebi est né à Tripoli, c’est un poète renommé en Libye qui a contribué à faire renaître une culture libre après la chute du président Kadhafi. Il a du quitter son pays en 2015 pour émigrer en Norvège. « Il n’est pas aisé de vivre cet exil… » Si le système intellectuel d’un Clausewitz a fait beaucoup de petits en s’évertuant à penser et à comprendre la nature et l’essence de la guerre, celui des poètes de la Méditerranée qui la subissent, cherchent les chemins de la paix.
« Il n’y a aucun courage dans la guerre. La guerre prend votre air, votre inspiration, la guerre prend votre ombre, la guerre prend ton âme, affirme Ashur Etwebi. Pendant 42 ans nous avons été sous le joug d’un dictateur fou. On attendait juste qu’une fenêtre s’ouvre à nous pour un lendemain. Lorsque le Printemps arabe a éclaté, nous avons vraiment cru que le paradis était juste à un bras de nous. Mais on s’est confronté quelques mois après à la réalité. Ce que nous pensions être un paradis n’était autre qu’un vrai enfer. Après avoir liquidé un gouverneur fou, on s’est retrouvé face à des milliers de fous sanguinaires qui ont mis le feu au pays. »
L’art des poètes est de nous toucher par leur sincérité. A Sète, les artistes témoignent parfois aussi de leur expériences politiques et sociétales apportant d’autres regards.
« La première année après la chute de Kadhafi, la société civile s’est développée. Pendant que nous essayons de la consolider, les islamistes extrémistes, travaillaient en toute intelligence à mettre la main sur le gouvernement. Le résultat du match fut la perte de la société civile et la réussite des groupes extrémistes islamistes. Ce qui est à noter, c’est que des pays étrangers, qui pratiquent la démocratie en paroles et en apparence, ont appuyé et armé ces groupes terroristes extrémistes. C’est pour cela que les Libyens connaissent aujourd’hui une grosse déception. C’est un désastre dans les âmes, dans l’économie et dans tous les domaines de la vie finalement. »
Que font les poètes dans ce contexte ? « Ils ont à leur disposition leur inspiration, parfois un organe de presse mais si cet organe déplaît à telle ou telle faction, ou au gouvernement, on a vite fait de l’étrangler et le poète se retrouve muet et souvent jeté dans les caves et les prison du régime jusqu’à ce que mort s’en suive, indique Salah Stétié, C’est arrivé en Europe. Il ne faut pas croire que l’Europe est descendue du ciel avec l’idéal démocratique. Les poètes peuvent ramener un peu de paix, demain un peu plus de paix, et peut être un jour la Paix...»
JMDH
Source La Marseillaise 28/07/2016
L’ouverture du festival Sètes quartiers hauts dr
Poésie
Le festival Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée a débuté hier dans l’île singulière un marathon poétique de neuf jours qui éprouve les sens. L’entraînement n’est pas requis, il suffit de tendre l’oreille, sentir, voir… pour éprouver les embruns de toutes les rives.
La saison Voix Vives a débuté. Au bord de la grande bleue, c’est le moment où la ville de Sète s’ouvre à la mer comme un livre ivre. Celui où les lettres s’émancipent pour tracer tous les sens imaginables de la liberté. Profitant de la léthargie temporaire des cahiers scolaires, les milliers de mots se rebiffent pour célébrer le culte de la poésie vivante. Cent poètes traversent les rives tels des prophètes, pour investir la ville de Sète où ils vont se croiser durant neuf jours dans pas moins de six cent cinquante rendez-vous ! Les poèmes sont livrés par leur auteur en langue originale, puis traduit par des comédiens. Ils résonnent parfois aux rythmes des musiciens, du balancement des hamacs, ou du frémissement des feuilles, ou encore de la houle des vagues pendant les lectures en mer…
Quarante pays représentés
Parmi les poètes invités on pourra notamment croiser dans les rues cette année Jacques Ancet (France), Horia Badescu (Roumanie), Mohammed Bennis (Maroc), Jean-Pierre Bobillot (France), Denise Boucher (Francophonie/Québec), Philippe Delaveau (France), Haydar Ergülen (Turquie), Déwé Gorodé (Francophonie/Nelle-Calédonie), Vénus Khouy-Ghata (Liban/France), Paulo Jose Miranda (Portugal), María Antonia Ortega (Espagne), Anthony Phelps (Francophonie/Haïti), Liana Sakelliou (Grèce), Yvan Tetelbom (Algérie) sans oublier son président d’honneur, Salah Stétié (Liban) empêché l’an passé pour des raisons de santé.
Cette liste pourrait se prolonger. Elle révèle l’ouverture du festival sur un monde que les visions éthnocentriques ignorent bien dangereusement. Quarante pays sont représentés à Voix Vives cette années. On y accède gratuitement, de l’aube à la nuit par le plus sûr des moyens, la poésie comme regards portés sur le monde et comme chemin vers l’humain.
JMDH
Concerts du festival au Théâtre de la Mer avec Pierre Perret, Tiken Jah Fakoly et Misa Criolla. Réservation : 04 99 04 72 51
Claudio Magris «La vérité fait une concurrence déloyale à la littérature». Photo dr
Ecrivain chercheur et voyageur né à Trieste Claudio Magris fait partie du patrimoine, bien vivant, de la littérature mondiale
A l’invitation de la Comédie du livre Claudio Magris est revenu vendredi sur son rapport à la littérature dans le cadre d’un grand entretien. La question des racines triestines de l’auteur né aux frontières orientales de l’Italie, habite son oeuvre. «Les problèmes d’identité liés à l’histoire incroyable de cette ville nous poussent à une continuelle mise-en scène. Quand on ne sait pas qui l’on est, la littérature s’impose comme le seul royaume possible...»
A 18 ans Claudio Magris quitte Trieste pour étudier à Turin l’autre ville qui marque son parcours «Turin est le contraire de Trieste, pour la liberté de pensée. La ville est à l’origine du communisme italien, la capitale de 68, des Brigades Rouges et de la réaction contre les Brigades rouges. Turin a aussi accueilli massivement les immigrants venus du Sud de l’Italie. Je suis poursuivi par une bigamie entre Trieste pour la liberté gitane, et Turin ville de fièvre et de connaissance. Sans Trieste je ne serais pas devenu un écrivain. Sans Turin , je n’aurais pas pu écrire.»
Pour Magris le processus d’écriture ne peut se prédéfinir, il participe d’une démarche. Comme un voyage qui suit le fleuve en se détournant parfois de son lit. « C’est comme une aventure. Je suis entré dans un bois où j’avais des racines sans savoir ce que j’allais écrire et puis des sentiers se sont ouverts», rapporte-il à propos de son grand roman Danube.
Claudios Magris exerce de longue date une activité de journaliste pour le Corriere della Serra qu’il envisage comme une tentative de se confronter à la réalité. « Cela exige précision d’un côté et imagination de l’autre. La vérité fait une concurrence déloyale à la littérature. Je suis fasciné par la vérité. Dans mes romans je considère que chaque personne à le même droit à la philologie. J’ai le sentiment d’écrire à partir d’une mosaïque composé de morceaux de réalité avec lesquels je crée de la fiction.»
JMDH
Les éditions Liana Levi : L’Italie au coeur
Liana Levi
Liana Levi est une éditrice d’exception, discrète et exigeante. livre après livre, elle a offert aux lecteurs français un des plus beau catalogue de littérature contemporaine, française comme étrangère. L’itale au coeur, elle a révélé en France des auteurs transalpins importants. Autour d’elle, la célèbre romancière sarde Milena Agus, Giorgio Scianna, très beau romancier récemment traduit en France, et l’agent littéraire Marco Vigevani, fils d’Alberto Vigevani, auteur de Un été au bord du lac. Une rencontre débat se tient à 11h30 avec Liana Levi et les écrivains Milena Agus et Giorgio Scianna et l’agent littéraire Matco Vigevani. A 11h30 Espace Rencontre Comédie.
Auteur : Milena Agus
Milena Agus
Milena Agus enthousiasme le public français en 2007 avec Mal de pierres. Le succès se propage en Italie et lui confère la notoriété dans les 26 pays où elle est aujourd’hui traduite. Après Battement d’ailes, Mon voisin, Quand le requin dort, La Comtesse de Ricotta et Prends garde (janvier 2015, Piccolo 2016), Milena Agus poursuit sa route d’écrivain, singulière et libre. Mal de pierres, adapté au cinéma par Nicole Garcia avec Marion Cotillard, sortira en salle le 19 octobre 2016.
Milena Agus vient de collaborer avec l’historienne Luciana Castellina, figure de la gauche italienne à une expérience éclairante dans le livre Prends gardes. L’ ouvrage offre deux approches, l’une fictionnelle, l’autre historique d’un même fait divers.Chacune à sa manière raconte les tragiques événements des Pouilles. En 1946, dans les Pouilles, des ouvriers agricoles se révoltent contre l’iniquité des propriétaires fonciers. Les soeurs Porro, quatre femmes aisées, à la vie monotone, sont agressées dans leur palais par la foule de paysans en colère. Deux d’entre elles, Luisa et Carolina, périssent lynchées.
Prends gardes Liana Levi 2016.
Goncourt 2015. Grand entretien avec Mathias Enard
Mathias Enard avait usé de sa carte blanche en offrant une superbe programmation en 2013. Il est de retour à la Comédie du livre cette année après avoir remporté le prix Goncourt 2015 pour son roman Boussole, une exploration sensible et érudite des liens qui rapprochent depuis des siècles Orient et Occident en une fascination réciproque. Boussole est le dixième livre de Mathias Enard, né à Niort en 1972, diplômé de persan et d’arabe, qui a beaucoup voyagé au Liban, en Syrie et en Turquie, notamment, et dont toute l’œuvre porte la trace de sa passion pour cette partie du monde. Entré en littérature en 2003 avec La Perfection du tir (Actes Sud), où l’on se tenait au plus près d’un sniper, dans un pays ressemblant furieusement au Liban, il s’est imposé comme l’un des grands auteurs de sa génération grâce à son quatrième roman, Zone (Actes Sud, 2008), tour de force sans point, embrassant l’histoire du XXe siècle sur le bassin méditerranéen, récompensé par le prix Décembre et le prix du livre Inter.
A l’occasion de cet entretien animé par Thierry Guichard, du Matricule des Anges, le romancier reviendra sur l’ensemble de son oeuvre. A 15h30 Salle Molière.
Roman
Rome. Walter Siti La Contagion Walter Siti. Voyage dans les zones sombres de la société italienne Professeur de littérature, romancier, essayiste et critique littéraire, Walter Siti est un spécialiste de Paolo Pasolini dont il prolonge l’héritage tout en le renouvelant dans un monde un peu plus usé. Chez Siti les coupables ne sont pas toujours les autres. On en trouve la preuve dans La contagion son dernier roman traduit en français (Verdier 2015).
A partir de l’immeuble de la rue Vermeer, l’auteur trace un portrait saisissant de la borgata quartier périphérique romain où se retrouvent les pauvres, les paumés et la faune, en gros les victimes de la crise. La structure du roman, évoque un peu la Vie mode d’emploi de Perec pour le réalisme baroque, mais avec beaucoup plus de noirceur, de came et de sexe. La vie de chaque foyer et les liens entre les habitants dressent une toile pasolinienne de notre siècle d’un pessimisme effrayants.
On y croise Chiara et son mari Marcello, ancien bodybuilder entre deux sexes, Francesca, handicapée militante, Bruno supporter de la Roma, Gianfranco, dealer qui veut s’élever, Eugénio ouvrier amoureux d’une prostituée… Walter Siti observe avec délectation ce petit laboratoire au quotidien qui révèle tout ce que la bienséance laisse dans le noir. Pour pénétrer ce monde l’auteur semble s’être inoculer une partie du mal pour mieux en traduite son effet. La contagion morale, celle des péchés, des vices et des hérésies, est un de ses thèmes récurrents. Elle est antérieure au modèle théorisé par la médecine. Ne dit on pas que l’amour est une maladie contagieuse ?
L’oeuvre de Siti l’est aussi, parsemée d’éléments soulevant le comportement discutable de ses semblables. La cruauté provocatrice et destructrice de ses personnages, renvoie à certaines évidences. Pourquoi les gens agissent-ils de la sorte ?
« C’est qu’ils y prennent du plaisir, sinon ils ne le feraient pas » indique l’auteur qui prend également un certain plaisir à imbriquer de manière obscène le cynisme, l’opulence, la politique, le sexe, l’affairisme, la drogue, la spéculation, la corruption, les assassinats commandités, les pots de vin et l’impuni.
Tous ces ingrédients font de La contagion un roman romain polymorphique incontournable.
La Fable d’Antonio Moresco régénère le territoire du roman
Roman. Fable d’amour, Antonio Moresco, éditions Verdier.
« Il était une fois un vieil homme qui s’était éperdument pris d’amour pour une fille merveilleuse. Ce n’était pas simplement un vieil homme, c’était aussi un clochard, un de ceux qui dorment dans la rue sur des cartons, un homme perdu, un déchet humain.»
On ne saura pas avec précision ce que fuit le narrateur, sans doute le monde urbain contemporain, son désordre, ses dissonances, sans doute aussi une lassitude, un désarroi plus intime et plus secret. Quand s’ouvre le roman, il est déjà là, solitaire et attentif, immergé dans ce paysage. Fin observateur de ses contemporains, Antonio Moresco se saisit du pouvoir de la fable à travers une histoire d’amour qui se démarque de l’ordinaire mais comme toute histoire d’amour reste plausible.
Il séduit le lecteur avec ce récit rythmé, limpide et plaisant tout en dénonçant les travers humains. Les deux personnages affrontent leur propre destin au cœur duquel l’auteur fait briller le véritable enjeu, celui d’aimer.
Moresco capture l’attention en faisant appel à notre sensibilité enfantine. Il use de l’art poétique, plus efficace que les discours sérieux et les dénonciations politiques bien que cela en soit une. Les deux personnages principaux sont animés du désir d’échapper à tous les régimes de restriction qui étouffent l’existence et l’imaginaire, ce qui les entraîne dans un abîme de perdition.
L’univers onirique se dessine en dépit de la précision. Comme les protagonistes, le lecteur est porté par une voix créative venue des profondeurs qui libère une énergie enfouie et régénère les territoires du roman d’une multitude de visions littéraires inédites.
A qui parle l’écriture de Moresco ? à nos doutes. Elle rallume un élan de désir, qui pourrait être aussi élan d’amour. La limpidité incandescente de cette écriture laisse entendre une voix mi enfantine-mi adulte, prose dépouillée de tout mouvement pathétique, tragique, ou sentimental. Face au monde qui est en train de disparaître, l’amour prend le dessus.
JMDH
Les frontières poreuses entre pouvoir et crime
Comédie du livre samedi à 15h à la Panacée
Débat Paris Palerme Roberto Scarpinato procureur général auprès du parquet de Palerme et le directeur de Médiapart, Edwy Plenel évoquent leurs combats pour la démocratie.
La Comédie du livre ne permet pas seulement de découvrir l’actualité éditoriale et de faire connaissance avec les auteurs des oeuvres qui partagent nos nuits. L’échange d’idées permettant d’affûter notre pensée et de développer l’esprit critique figure dans l’ADN même de la manifestation.
Deux rencontres programmées cette année font passerelles avec la crise démocratique que nous traversons, en questionnant le contexte d’une transformation radicale du modèle étatique qui nous est familier. Dans le cadre d’une conférence, Jean-Claude Milner est revenu hier sur la déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789 en l’éclairant à la lumière du XXIe siècle.
Après avoir distingué les droits du citoyens des droits de l’homme, toujours inscrits dans notre constitution, Milner, en vient à la question : Les non citoyens ont-ils des droits aujourd’hui ? Ce qui pose de manière très sérieuse le problème des réfugiés sans autre statut que celui d’être humain.
Roberto Scarpinato et Edwy Plenel abordent aujourd’hui les liaisons dangereuses qu’entretiennent le pouvoir et le crime en l’Italie ( à 14h Auditorium de la Panacée). À travers le prisme d’une vie que la violence mafieuse a irrémédiablement bouleversée, Roberto Scarpinato a livré en 2011, un premier témoignage avec Le dernier des juges. Il poursuit son analyse avec Le retour du prince pouvoir et criminalité, sorti l’année dernière aux éditions de la Contre allée.
« En début de carrière, je croyais qu’il existait une ligne de démarcation précise entre le monde des criminels et celui des honnêtes gens.Mais j’ai dû me rendre compte que les deux mondes communiquaient entre eux par des milliers de chemins secrets(…) Suivant les traces des assassins aux mains tachées de sang, et celles des capitaux de la corruption et de la mafia blanchis dans le monde entier, je me suis retrouvé à juger plusieurs insoupçonnables hommes au sommet des institutions, de la politique et de la haute finance.» Ce constat sera croisé avec celui d’Edwy Plenel qui vient de publier Dire nous. un plaidoyer contre la peur et le renoncement politique. Ce renoncement des politiques à affirmer l’intérêt générale face au pouvoir de l’argent, et celui des citoyens à être représentés par leurs élus, devraient apparaître dans ce débat.
«Les secrets du pouvoir sont l’instrument de la corruption et le poison de la démocratie» avance le procureur de Palerme. Mais les contraintes budgétaires imposées par l’UE, ne rendent plus possible de soutenir les coûts de la corruption en augmentant la dette publique. « Aujourd’hui, les coûts de la corruption sont payés en détournant les fonds et l’argent de l’Etat destinés aux services publics» explique Scarpinato. «Ainsi, après avoir épuisé le gras des finances publiques, la corruption s’attaque désormais au tissu connectif de la nation, c’est-à-dire au réseau de solidarité collectif garanti par les services assurés par l’Etat.» Ce qui ne semble pas concerner seulement l’Italie…
JMDH
Rencontre L’Italie et ses fantômesViolence et poids de l’Histoire
Francesca Melandri
Dans, Les Oeuvres de miséricorde, (Verdier) Mathieu Riboulet s’interroge sur le mal tel qu’il s’insinue dans l’histoire des hommes. Singulièrement sur les violence qui les font s’entretuer, violences multiformes, «historiques, guerrières, sociales, individuelles, sexuelles, massivement subies mais de temps à autre consenties». Un poids qui continue à peser sur les épaules des survivants et de leurs descendants. Cette question universelle fait lien avec le débat animé par Fabio Gambaro intitulé L’Italie et ses fantômes : Violence et poids de l’Histoire dans le roman italien qui réunit les auteurs Francesca Malandri, Giorgio Vasta, et Kareen De Martin Pinter. La violence est une composante fondamentale de l’Histoire de l’Italie de la seconde moitié du XXe siècle : les troubles communautaires dans le Haute-Adige, les années de plomb et les actions menées par les Brigades rouges, la mémoire douloureuse de ses drames qui continuent à hanter l’Italie aujourd’hui sont au coeur des fictions des trois écrivains réunis lors de cette rencontre.Aujourd’hui à 18h Auditorium de la Panacée.
BD Le dessinateur scénariste Fabcaro lauréat du prix des Libraires
Chaque année, les libraires du réseau Canal BD réseau de libraires spécialisés dans la bande dessinée en Belgique, France, Italie, Québec et Suisse sélectionnent plusieurs albums qui devront par la suite concourir pour remporter le Prix des Libraires de Bande Dessinée. Ce dernier récompense le meilleur album après un vote organisé entre les différentes librairies du réseau. Les libraires des réseaux Canal BD et Album soutiendront les auteurs et le livre primé durant une année entière. Cette année La bande dessinée Zaï zaï zaï zaï de Fabcaro, publiée par les éditions montpelliéraine 6 pieds sous terre, a reçu le Prix des Libraires de Bande Dessinée. L’auteur qui vit à Bédarieux signe un album critique et spirituel, un brun paranoïaque, inspiré de situations du quotidien où le schéma de narration joue du miroir pointant l’idéologie fallacieuse qui nous conduit nulle part. Il dédicace son ouvrage hilarant sur le stand de la Région qui regroupe cette année 46 éditeurs.
Auteurs Christine Avel, montpelliéraine, dédicace «Autoportrait à la valise»
S’éloigner, la narratrice en a rêvé toute son enfance. Adulte, elle s’est spécialisée en départs, et son métier l’entraîne sur tous les continents. Piégée dans un aéroport birman par un malentendu administratif, elle attend la décision d’ubuesques autorités. Cernée de faux balayeurs qui sont de vrais espions et de fausses grand-mères aux allures de sorcières, elle s’interroge : d’où lui vient son obsession du départ? C’est ainsi qu’elle nous mène aux quatre coins de nos contradictions entre désir de fuite, d’aventures, de mouvement perpétuel et d’immobilité nostalgique.Christine Avel a travaillé pour des projets de développement en Afrique et en Asie. Elle en a profité pour beaucoup voyager, avant de poser ses valises à Montpellier.
Autoportrait à la valise (Seuil 2016) Christine Avel Une éloge moderne du mouvement et de la fuite, une ode au désir de monde, qui fait décoller quand tout va de travers.
Pierre Assouline
L’écrivain membre de l’Académie Goncourt Pierre Assouline sera à Montpellier aujourd’hui où il participera notamment a la rencontre Mitteleuropa?: les réécritures d’un mythe littéraire. à 15h au Centre Rabelais. Ecrivain, journaliste, enseignant. Chroniqueur et conseiller, il collabore avec l’Histoire, le Magazine littéraire, ou encore la République des livres qu’il crée en 2005. Avec plus d’une trentaine de titres, Pierre Assouline est l’auteur de dix biographies (Hergé, Gallimard, Kahnweiler…) et de plusieurs romans (Lutetia, Les invités, Le Portrait…). Il produit également plusieurs séries sur France Culture et enseigne l’écriture depuis plus d’une quinzaine d’années à Sciences Po Paris. Pierre Assouline dédicacera son dernier roman Golem
Auteurs Entretien littéraire avec Sorj Chalandon Espace rencontre à 11h
« Mon père disait qu’il avait été chanteur, footballeur, professeur de judo, parachutiste, espion, pasteur d’une Église pentecôtiste américaine et conseiller personnel du Général de Gaulle jusqu’en 1958. Un jour, il m’a dit que le Général l’avait trahi. Son meilleur ami était devenu son pire ennemi. Alors mon père m’a annoncé qu’il allait tuer de Gaulle. Et il m’a demandé de l’aider. Je n’avais pas le choix. C’était un ordre. J’étais fier.»
Profession du père, le dernier roman de Sorj Chalandon, a récemment reçu le prix du Style 2015. Il met en scène avec force et pudeur une enfance tyrannisée par le comportement d’un père violent et mythomane. A l’occasion de cet entretien animé par Oriane Jeancourt, le grand romancier évoquera également ses livres précédents.
Dialogue entre Maylis de Kerangal et Joy Sorman
Dans le cadre de la liberté de programmation offerte à Maylis de Kerangal par la Comédie du livre. L’auteur dont l’écriture mêle fiction et documentaire, propose une carte blanche collective en invitant des écrivains dont les travaux entrent en échos avec ses thématiques. C’est notamment le cas de Joy Sorman qui navigue à la frontière des métiers dérivés de la littérature. Dans Comme une bête, qui dressait le portrait d’un boucher tout en chair et sensualité elle abordait le lien homme-animal, Dans Boys, Boys, Boys, elle exhortait les filles à prendre la parole et dans son dernier roman, L’inhabitable (Gallimard 2016) Joy Sorman reprend l’enquête de terrain sur les immeubles insalubres à Paris qu’elle avait réalisé en 2010, pour voir où en sont les choses. Une expérience aux frontières du reportage et du récit, de l’enquête et de la dérive urbaine qui devrait donner du grain à moudre à cette rencontre. Aujourd’hui à 11h30 au Gazette café.
Sélection Verdier du jour
Ecrire la peinture avec Mathieu Riboulet et David Bosc
Une rencontre à l’auditorium du musée Fabre dans le cadre de l’hommage rendu à l’éditeur Verdier sur le thème Ecrire la peinture. Le riche catalogue des éditions Verdier est peuplé de textes qui placent l’acte de peindre, et les figures de peintre, au coeur du récit. Dans un roman de Mathieu Riboulet le narrateur est hanté par les oeuvres du Caravage, au point d’en reconnaître les personnages principaux dans les corps de ceux qui l’émeuvent. «?Quand il peignait, Courbet plongeait son visage dans la nature, les yeux, les lèvres, le nez, les deux mains, au risque de s’égarer, au risque surtout d’être ébloui, soulevé, délivré de lui-même?», écrit David Bosc dans le roman qu’il a consacré à Gustave Courbet La claire fontaine (Verdier 2012). Ce dialogue dans l’enceinte du Musée Fabre entre les deux écrivains semblait couler de source. Il sera précédé d’une lecture de texte de Pierre Michon autre grande plume de la maison d’édition qui écrit environné d’images qui sollicitent en permanence son imagination. L’échange sera suivi d’une promenade dans les collections du musée, ponctuée de lectures par les romanciers et le comédiens Jean-Marc Bourg. Gratuit mais places limitées. Photo David Bosc
Source La Marseillaise 28/05/2016
Edition Verdier ou les trois bonnes raisons de mettre cet éditeur à l’honneur.
Plusieurs raisons pourraient concourir à expliquer les motifs de la mise en lumière des éditions Verdiers à l’occasion de cette 31e édition de la Comédie du livre. Nous en retiendrons trois.
La première concerne le lieu de naissance de la maison dans notre région en suivant le sens que lui donne Colette Olive, une de ses fondatrices : « Le choix de Lagrasse (Aude) s’est imposé à nous naturellement parce que nous y étions bien. » « La misère au soleil c’est quand même mieux » aurait ajouté Gérard Bobillier, autre fondateur, disparu en 2009. « Bien que très attachés à cette région, notre implantation n’induit pas un positionnement régionaliste, précise Colette, nous sommes dans cette région pour l’offrir au monde.»
Une formule empruntée à Joë Bousquet dont la maison garde les traces écrites. En d’autres termes se trouver dans une région suppose qu’on participe à sa vie. Ce que font volontiers les éditions Verdier en organisant depuis 1995 l’événement littéraire, Le Banquet de Lagrasse programmé cette année du 5 au 12 août. « Pour nos auteurs, Le Banquet est une occasion de rencontres. Il permet de cultiver l’échange de la pensée en public, de célébrer l’humanité et le vivre ensemble », indique Colette Olive. Ce qui pourrait laisser penser que vivre dans une région signifie entreprendre sa métamorphose, et participer au changement…
La seconde raison d’inviter les éditions Verdier à la Comédie du livre est liée à l’ attachement de la maison au pouvoir de l’écriture.
L’écrit comme un combat
« La maison fut conçue comme le dépassement et le fruit d’une longue expérimentation politique des anciens membres de la gauche prolétarienne », expliquait Gérard Bobillier en 1992 dans le 1er numéro du Matricule des Anges. Depuis, ce dépassement pousse vers la subjectivation politique. Il n’a eu de cesse de se développer, sans pour autant renier la force du lien initial. « Nous formions un groupe qui militait ensemble. On s’est jamais trop quitté, confirme Colette Olive. Verdier est né dix ans après que nous ayons mis fin à cet engagement de jeunesse, nous avons eu le désir d’exprimer des idées par le biais de la littérature, de la philosophie. Et on a poursuivi sous cette bannière. »
Démonstration élégante
L’engagement et l’ouverture littéraire dont fait preuve la ligne éditoriale conjuguée à l’exigence de qualité qui émerge comme une évidence à la lecture du catalogue, est une troisième raison d’inviter Verdier. La collection Hébraïque constitue les premiers pas de la maison. A l’instar de l’ œuvre majeure Le Guide des égarés de Moïse Maïmonide (1135-1204) apôtre du savoir et d’une pratique épurés des superstitions fondées sur l’intelligence.
Cette collection sera suivie d’autres initiatives aussi passionnantes que nécessaires comme L’islam spirituel, ou la collection italienne Terre d’Altri inspirée du poète Vittorio Sereni. Verdier abrite des grands noms de la littérature française qui envisagent le rapport au temps présent, comme David Bosc, Patrick Boucheron, Mathieu Riboulet… A (re)découvrir d’urgence en trois jours…
Jean-Marie Dinh
Dans son dernier roman Cris murmures et rugissements, Marcello Fois livre un somptueux rendu du silence de l’impensé et de l’absence.
Sardaigne
Né à Nuoro, en Sardaigne en 1960, Marcello Fois fait ses premiers pas dans le noir. A trente ans, il cofonde le groupe des treize avec des écrivains de polar bolonais. Deux ans plus tard il emporte le prix Calvino avec son premier roman Picta. Il partage sa vie entre Bologne et son petit village insulaire Gavoi où il a fondé un festival littéraire.
Très attaché à sa terre natale, il la dépeint à travers son héros Bustianu, avocat et journaliste dans la Sardaigne du XIXème siècle ou la saga Mémoire du vide… Le titre de son dernier roman Cris, murmures et rugissement apparaît comme un clin d’œil à Berman. Dans ce court et intense roman, Marcello Fois rétrécit le champ panoramique de son approche habituelle pour pénétrer la sphère intime, sans délaisser les thèmes récurrents de la mémoire, de l’identité et du silence omniprésents dans son œuvre.
Huis clos
A la mort de leur père qui les a abandonnées alors qu’elles étaient petites, Marinella et Alessandra, deux sœurs jumelles se retrouvent dans l’appartement de leur enfance. Il n’y a pas de description de la situation ou des personnages, juste la règle des trois unités de la tragédie antique chère à l’auteur.
L’univers apparaît en arrière-fond, dans les recoins, sur le papier peint des pièces, comme les morceaux d’une jungle dans laquelle les deux sœurs participent à la faune sauvage que le deuil révèle. L’auteur sculpte dans le temps les silences présents et passés. « Dans l’appartement on n’entend que les lointains cris d’hyènes affamées dans les tuyaux, et les radiateurs, les sifflements de serpents venimeux. »
Alessandra, celle qui n’a pas le droit de s’exposer au chagrin, mesure l’abîme de sa tristesse. « Elle en vint à songer aux absurdités qu’il lui avait fallu accomplir pour balayer toutes manifestations de son mal-être. » Marinella hésite à confier son secret.
Phrases avortées, sentiments fugitifs, mouvement des ondes transversales issu d’une profonde souffrance, l’auteur sarde pose un climat subtil et féroce invitant à une perception émotionnelle qui dit peu ou rien des faits mais beaucoup sur la vie. Non à travers ce qu’elle est mais selon la manière dont elle est vécue.
« J’ai voulu me situer en un lieu mixte. Le point de rencontre du théâtre et du roman », confie l’écrivain. Comme un accompagnateur invisible, l’auteur place le mystère, la force et le potentiel féminin au cœur de son roman. A l’instar des contours quasi fantomatiques de la voisine, troisième personnage du roman, ou de l’histoire vraie d’une île remontée à la surface au large de la côte sicilienne, à la suite d’un tremblement de terre, puis disparue.
Le livre émerge comme une vision métaphorique d’un morceau de terre présent et invisible qui existe à l’insu des êtres. L’écriture ciselée de Marcello Fois n’a rien d’inoffensif. Il a dédié son roman au féminin karstique qui est en lui.
JMDH
Cris, murmures et rugissements édition du Seuil 16,50 euros.