SNCF : le Sénat vote la réforme, les syndicats restent mobilisés

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Prévue ce mardi, l’adoption de la loi par les sénateurs pourra-t-elle mettre fin à une grève qui a déjà coûté plus de 400 millions d’euros à la SNCF ? Pas sûr.

La sortie de crise de la SNCF se rapproche-t-elle enfin ? Après son passage au Sénat, le texte prévoyant l’ouverture du secteur ferroviaire à la concurrence à partir de 2020, mettant fin au recrutement au statut à partir de 2020 à la SNCF et transformant celle-ci en société nationale à capitaux publics a été fortement amendé. Prévue ce mardi 5 juin, l’adoption de ce texte par les sénateurs marque une nouvelle étape importante de la réforme.

Cela peut-il mettre fin à une grève qui a déjà coûté quelque 400 millions d’euros, selon la direction de la SNCF ? Pas sûr. D’abord, il va falloir que la commission mixte paritaire entérine le 11 juin prochain les évolutions décidées par le Sénat. Une douzaine de points seraient encore à régler, Sénat et Assemblée nationale campant toujours sur des positions différentes à propos de points techniques de la réforme.

Enfin, il faudra que les organisations syndicales appellent à reprendre le travail… Même si certains syndicats ont participé grandement à l’élaboration des amendements adoptés au Sénat, ils cherchent toujours à maintenir la pression et seraient prêts à appeler à une nouvelle « journée sans cheminots » le 12 juin, lors de leur quinzième séquence de deux jours de grève.

Le 14 mai, avec 30 % de grévistes, avait été un succès alors que la mobilisation s’effritait. Le 12 juin pourrait donc être un dernier baroud d’honneur, notamment pour l’UNSA et la CFDT, les deux syndicats réformistes. Tour d’horizon de la réforme en passe d’être adoptée.

 

  • Les points intangibles de la réforme

Les organisations syndicales ont beau toujours refuser l’ouverture à la concurrence et la réforme de la gouvernance du groupe SNCF, et exiger le maintien du recrutement au statut des cheminots, le gouvernement, soutenu par les deux assemblées, n’a pas bougé sur ces principes « intangibles » de la réforme.

Le projet de loi prévoit une ouverture progressive du secteur ferroviaire national : à partir de 2020 pour les TGV, entre 2019 et 2023 pour les TER et en Ile-de-France, à partir de 2025 pour certaines lignes, et 2033 pour les autres. Quant à la fin du recrutement au statut, il est prévu au 31 décembre 2020, comme les sénateurs l’ont enfin écrit dans la loi.

En parallèle, le gouvernement a annoncé une augmentation de 200 millions d’euros des investissements pour la maintenance à partir 2022, portant l’effort annuel à 3,6 milliards d’euros, ainsi que la reprise de 35 milliards d’euros (sur 46,6 milliards d’euros à fin 2017) de dette de SNCF Réseau.

C’était un préalable au passage de SNCF Réseau d’établissement public industriel et commercial en société nationale. Cette somme sera transférée en deux temps dans les comptes publics de la nation, en 2020 et 2022. Cela devrait augmenter d’autant la dette publique de l’Etat mais, espère le gouvernement, soutenu dans son raisonnement par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), ce ne sera pas comptabilisé dans le déficit des années 2020 et 2022, permettant à la France de rester dans les clous de la règle des 3 % de déficit prévue par le traité de Maastricht.

 

  • Les adaptations apportées par le Sénat

Après l’avoir refusé aux députés de la France insoumise, le gouvernement l’a finalement accordé au Sénat : la SNCF sera non seulement une entreprise à capitaux publics détenus par l’Etat, mais ces capitaux seront également « incessibles ». Elisabeth Borne, la ministre des transports, a accepté d’intégrer ce terme.

« La SNCF est une entreprise publique dont les titres sont intégralement détenus par l’Etat. Ce qui veut dire qu’elle est strictement incessible, rappelait-elle lundi 4 juin dans La Provence. Mais j’ai bien vu que le fait que ce terme d’incessibilité ne figure pas dans le texte suscitait inquiétudes, rumeurs et faux débats. Alors, nous l’avons ajouté au Sénat. La pédagogie, c’est la répétition. »

Par ailleurs, les sénateurs ont voté en faveur de la création d’un périmètre social ferroviaire qui permettra à un cheminot actuel d’être au statut et de bénéficier du cadre social global du cheminot, y compris dans les filiales Fret et Gares. « En clair, tous les salariés des différentes filiales de la holding SNCF travailleront dans un groupe unifié, traduit-on au ministère des transports. C’était une exigence forte des syndicats. Les cheminots pourront, par exemple, bénéficier d’une mobilité interne à ce périmètre ou pourront relever d’un même comité d’entreprise. »

De la même manière, le Sénat a encadré plus finement le transfert des salariés de la SNCF vers d’autres sociétés dans le cas de la perte d’un appel d’offres de la société publique face à des entreprises de droit privé. Les organisations syndicales n’ont pas obtenu que seuls les cheminots volontaires soient transférés à un opérateur concurrent, mais le Sénat leur a apporté un certain nombre de garanties.

Par exemple, dans le cas d’une ligne transférée à la concurrence, un cheminot qui y consacre moins de 50 % de son activité globale ne sera pas transféré automatiquement à l’opérateur concurrent. La SNCF devra lui proposer un reclassement interne, soit dans la même région, soit au niveau national. De même, pour baisser le recours aux transferts obligatoires, tout cheminot volontaire et installé dans la région pourra rejoindre l’opérateur concurrent. Les syndicats ont enfin obtenu un droit au retour pour les cheminots transférés. Ils pourront revenir à la SNCF entre trois et huit ans après leur départ, et retrouver alors leur statut s’ils le souhaitent.

Parallèlement, le Sénat a précisé que les cheminots transférés à la concurrence conserveront non seulement leur salaire, mais également les autres éléments de leur rémunération (primes, allocations, etc.). Les syndicats tentent toujours d’obtenir davantage, notamment la suppression de l’obligation de transfert. Car si un cheminot refuse un transfert ou les propositions de reclassement, il risque d’être licencié.

 

  • Ce qui pose encore problème

Tous les acteurs entendent en finir avec la rédaction de la loi lors de la commission mixte paritaire (CMP), programmée le 11 juin. Cependant, le texte voté par le Sénat ne plaît pas complètement aux députés. Si ces derniers sont d’accord avec les modifications d’ordre social en faveur des cheminots, il reste quelques désaccords plus techniques, concernant notamment la régulation de l’offre vers certaines destinations.

De même, pour protéger certaines régions, le Sénat a introduit des exceptions à la mise en concurrence qui complexifient le système ferroviaire. Enfin, l’accélération du calendrier d’ouverture à la concurrence en Ile-de-France n’est pas partagée par les députés. « Il y aura encore d’importants débats de fonds lors de la CMP, présage un député. Et cela pourrait être long ! »

Éric Béziat et Philippe Jacqué

Source La Monde 05/06/2018

Vers une sortie de crise après les rencontres des cheminots à Matignon …

An agent waits for passengers to board a TGV high-speed train at Montparnasse railway station in ParisAux syndicats qui se sont succédé  à Matignon, le Premier ministre, Edouard Philippe, a confirmé que l’Etat reprendrait 35 milliards d’euros de dette, dont 25 milliards en 2020 et 10 milliards en 2022, afin que l’entreprise atteigne « l’équilibre » financier « avant la fin du quinquennat ».Pour mémoire, les grévistes soutenus par l’opinion demandaient le retrait total du projet du gouvernement en s’opposant à l’ouverture à la concurrence,à la transformation de l’entreprise publique en société par actionsà la casse sociale.L’Etat qui a temporisé longuement sur la question de la dette (54 milliards) se propose aujourd’hui de la prendre en charge en partie (35 milliards). C’est un des éléments de la problématique mais ce n’est pas le contenu de la loi ni de la réforme. Un élément qui semble néanmoins déterminant pour remettre les affaires sur les rails. 

COMPTE-RENDU DE LA BILATERALE A MATIGNON DU 25 MAI 2018

Une délégation de la Fédération CGT des cheminots accompagnée de Philippe Martinez, a été reçue lundi à Matignon (comme les autres organisations syndicales représentatives) par le Premier ministre et la ministre des Transports.

La délégation est revenue sur l’ensemble des thèmes revendicatifs en partant du contexte de lutte dans l’entreprise à l’appui du rapport de force après 22 jours de grève (le plus long conflit depuis 1995) ainsi que du résultat de la « Vot’Action ». Le Premier ministre s’est dit très attentif à la situation affirmant, contrairement à la direction d’entreprise, ne pas contester le vote des Cheminots.

Lors de la précédente réunion, les grandes lignes des annonces avaient déjà été faites. La CGT a donc demandé le contenu précis des décisions, sans toutefois obtenir toutes les réponses : reprise de la dette, investissements (besoins, montants, priorités…), amendements au Sénat (nature et portée), étude d’impact sur la transformation des EPIC en SA et coût du capital, volonté de maintenir la suppression du Statut malgrè la fonte de son surcoût supposé (10 millions d’euros, soit 20 fois moins que le budget communication), recul de la volonté de concurrence par les Régions (Bourgogne abandonne sa demande), dumping social, CCN de branche, cadrage et engagement du gouvernement dans des négociations à venir avec l’UTP, organisation de la production (réinternalisation et arrêt de la gestion par activité).

Sur la dette, le Premier Ministre a annoncé la reprise de 25 Md€ en 2020 et 10 Md€ en 2022. Sur les investissements, 200 M d’€ supplémentaires/an seront affectés à la modernisation de l’infra.

Notre demande de table ronde tripartite (début juin) avec le Gouvernement, l’UTP et les organisations syndicales a été acceptée, même si le Premier Ministre semble vouloir la limiter aux questions sociales.

Ces annonces sont à mettre évidemment au crédit de la lutte en cours, notamment la reprise d’une partie conséquente de la dette par l’Etat et l’organisation d’une table ronde début juin. Elles sont liées à la stratégie de lutte dans la durée.

Pour autant, elles sont très loin des attentes des cheminots !

Il nous faut donc poursuivre et amplifier la mobilisation pour gagner sur les revendications. Toutes et tous en grève les 28 et 29 mai 2018 !

Source CGT

Démantèlement de la SNCF : avec 30 ans de retard, Macron va-t-il répéter les mêmes erreurs que les Britanniques ?

 Photo : Barry Lewis CC via flickr

Le gouvernement envisage d’accélérer la libéralisation du rail et la transformation, sinon le démantèlement, de la SNCF. Les recettes proposées sont les mêmes que celles qui ont été appliquées aux autres entreprises publiques, de France Télécom à EDF, et qui n’ont bénéficié ni aux salariés ni aux usagers. L’exemple de la libéralisation des chemins de fer britanniques, initiée dans les années 1990 et marquée par une succession de faillites et de scandales, devrait pourtant inciter à la prudence. Au Royaume-Uni, un mouvement pour la ré-appropriation de ce service public par les usagers et les salariés prend de l’ampleur.

Le 15 février, Jean-Cyril Spinetta, ancien PDG d’Air France et ancien président d’Areva, a rendu public un rapport sur l’avenir de la SNCF et du rail en France. Ce 19 février, le gouvernement vient d’ouvrir une période de concertation sur ce nouveau chantier, en recevant direction de l’entreprise publique et syndicats. Transformation de la SNCF en société anonyme, ouverture à la concurrence des lignes ferroviaires, voire de la gestion du réseau, fin programmée du statut de cheminot, suppression des dessertes jugées non rentables… Les préconisations du rapport Spinetta n’ont rien pour surprendre, tant elles correspondent aux « recettes » appliquées précédemment à d’autres entreprises publiques, de France Télécom à EDF, en passant par La Poste. Elles ont immédiatement été reprises à son compte par le gouvernement, qui a annoncé l’ouverture d’une période de concertation en vue de leur mise en œuvre.

La « réforme » – ou le « démantèlement » – du service public ferroviaire serait rendue nécessaire et inéluctable par la dette de la SNCF et les exigences européennes de libéralisation du rail – l’ouverture à la concurrence étant fixée en 2020 pour les lignes nationales de transport de passagers. Ceux qui poussent ce projet – parmi lesquels il faut compter la direction de la SNCF elle-même – feraient pourtant bien de regarder ce qui se passe de l’autre côté de la Manche.

Le rail britannique est libéralisé dès les années 1990. British Rail, l’ancien service public, est alors divisé en plusieurs morceaux avant d’être vendu. Le réseau ferroviaire est séparé de la gestion des lignes, elles-mêmes réparties en plusieurs concessions régionales. Moins connu : la flotte des trains est confiée à des entreprises séparées, qui les louent au prix fort aux opérateurs des lignes, assurant à leurs actionnaires des millions de profits garantis d’année en année.

Hausse de 23 % des billets de train depuis la privatisation

C’est la privatisation du réseau ferroviaire – envisagée en filigrane pour la France par le rapport Spinetta, qui propose la transformation de SNCF Réseaux en société anonyme – qui en Grande-Bretagne a dégénéré le plus rapidement. Les problèmes de coordination et de perte d’expertise ont entraîné de nombreux incidents, qui ont culminé avec la catastrophe ferroviaire de Hatfield en 2000, laquelle a coûté la vie à quatre personnes. Le gouvernement s’est trouvé contraint de renationaliser le réseau dès 2002, et n’a jamais tenté de le privatiser à nouveau.

La gestion des lignes elles-mêmes est également marquée par des faillites et des scandales à répétition. Selon un sondage réalisé en 2017 pour la campagne We Own It (« Ça nous appartient »), qui milite pour la renationalisation ou la remunicipalisation des services publics au Royaume-Uni, 76% des Britanniques interrogés se déclarent en faveur d’un retour du système ferroviaire sous contrôle 100% public. Bien que les prix du train au Royaume-Uni soient parmi les plus chers d’Europe, ces services continuent d’être largement financés par les contribuables, tout en assurant des profits confortables à leurs opérateurs. Selon les chiffres mêmes du ministère britannique des Transports, les prix du train ont augmenté de plus de 23 % depuis la privatisation en valeur réelle (c’est à dire compte tenu de l’inflation). Les équipements ont vieilli. Et les firmes qui opèrent les lignes font l’objet des mêmes critiques sur la ponctualité des trains, les nombreuses annulations, les conflits sociaux, les wagons bondés et la qualité du service que la SNCF en France.

Des entreprises privées qui laissent tomber les lignes qu’elles gèrent

Tout récemment, Virgin Trains et le groupe de transport Stagecoach, les deux entreprises privées qui ont obtenu la gestion de l’East coast main line – partie du réseau reliant Londres à Édimbourg en longeant la côte Est – ont annoncé qu’elles abandonneraient leur concession trois ans avant la fin du contrat. Et qu’elles ne payeront pas les redevances qu’elles devaient verser à l’État. Apparemment, la concession n’était pas aussi profitable que ces entreprises l’avaient espéré. Cet abandon représente un manque-à-gagner de plus de 2 milliards de livres (2,25 milliards d’euros) pour le trésor public britannique. Ironie de l’histoire : l’East coast main line a été gérée directement par le gouvernement de 2009 à 2014 suite à la défaillance successive de deux prestataires privés. Elle a été re-privatisée en 2015. Ces événements n’ont pas empêché le ministère britannique des Transports de confier – et sans mise en concurrence – le contrat de concession d’une autre ligne ferroviaire, InterCity west coast, aux deux mêmes entreprises, Virgin et Stagecoach.

Le gouvernement britannique se trouve ainsi régulièrement contraint, du fait de la défaillance des acteurs privés, de renationaliser aux frais du contribuable des services qu’il avait privatisés. Un scénario qui n’est pas sans rappeler le sauvetage et la renationalisation des banques durant la crise financière de 2008. Faut-il transformer ces renationalisations involontaires en entreprises ou régies publiques pérennes ? Beaucoup commencent à se poser la question. Ils ont été rejoints par le Labour (parti travailliste) qui, sous l’égide de Jeremy Corbyn et de son numéro deux John McDonnell, a adopté pour les élections de juin 2017 un programme radical de renationalisation des services publics, suscitant l’opprobre des milieux d’affaires et de l’aile néolibérale du parti. Ce programme semble avoir trouvé un écho dans l’électorat, puisque le Labour est passé à deux doigts d’une victoire surprise et reste en position de l’emporter en cas d’élections anticipées.

La Grande-Bretagne, laboratoire européen de la privatisation

Des années Thatcher aux années Blair, le Royaume-Uni est le pays européen qui a mené le plus loin la privatisation et la libéralisation des services publics. Eau, rail, télécommunications, gaz et électricité, poste, transports urbains, prisons… Il n’y a guère que le service public national de la santé, le NHS, qui ait résisté jusqu’à présent. Les autorités britanniques ont aussi massivement développé les montages financiers de type « partenariat public privé » pour construire écoles, hôpitaux et autres infrastructures. La vague néolibérale a gagné l’intérieur même de l’État : un grand nombre de fonctions administratives de base – la gestion de certaines aides sociales, la collecte de la redevance télévisée, les services de probation, les demandes d’asile… – sont aujourd’hui confiées à des entreprises privées. Les marchés de sous-traitance administrative absorberaient aujourd’hui l’équivalent de 250 milliards d’euros, soit le tiers des dépenses publiques britanniques !

Cette politique a fait la fortune d’hommes d’affaires et d’entreprises qui se sont spécialisées sur ce créneau et vu leur chiffre d’affaires exploser en quelques années. Elle a aussi donné lieu à des scandales à répétition – comme la gestion des allocations handicapés par l’entreprise française Atos (lire notre article) – et à des faillites retentissantes. Mi janvier, l’entreprise de BTP Carillion, à laquelle le gouvernement britannique et les collectivités locales ont confié de nombreux chantiers d’infrastructures, a soudainement déclaré faillite, laissant les pouvoirs publics et des milliers de travailleurs sur le carreau. Avant de mettre la clé sous la porte, les actionnaires et les dirigeants de Carillion se sont copieusement servis. Le scénario pourrait se répéter avec Capita, une firme spécialisée dans les services financiers qui s’est enrichie en multipliant les contrats de sous-traitance à partir des années 1990. Elle aussi vient soudainement d’annoncer des difficultés financières.

« Remettre ces industries entre les mains de ceux qui les font fonctionner et les utilisent »

Cette succession d’événements et l’audace du Labour de Jeremy Corbyn ont changé le sens du vent. « C’est incroyable à quel point la situation et le débat public sur la privatisation et la nationalisation ont changé en seulement un an », se félicite Cat Hobbs, animatrice de la campagne We Own It. Au point que même le Financial Times, peu suspect de sympathies envers le Labour, a publié un bilan sans complaisance des privatisations au Royaume-Uni, admettant que le recours au secteur privé n’est pas toujours adapté et qu’une régulation gouvernementale plus active apparaît nécessaire pour empêcher les abus.

Du côté des travaillistes, on n’entend pas se contenter d’aménagements marginaux. « Face à l’ampleur des problèmes, nous devons aller aussi loin que le gouvernement travailliste dans les années 1940 [qui avait créé ou nationalisé les grands services publics britanniques au sortir de la Deuxième guerre mondiale],voire encore plus loin », affirmait récemment Jeremy Corbyn, lors d’un événement sur les « modèles alternatifs de propriété » organisé par son parti [1].

S’ils revendiquent l’objectif de renationaliser ces services, les leaders actuels du Labour assurent qu’ils n’entendent pas en revenir aux monopoles centralisés et bureaucratiques d’antan. Ils envisagent des services publics plus décentralisés, donnant un large rôle au secteur coopératif, et gérés de manière plus démocratique. « Nous devons remettre ces industries entre les mains de ceux qui les font fonctionner et les utilisent au quotidien, les travailleurs et les usagers. Personne ne sait mieux qu’eux comment les gérer », déclare John McDonnell, numéro deux du parti. « Nous devons être aussi radicaux que Thatcher l’a été en son temps. »

Quand les privatisations britanniques profitent aux entreprises publiques françaises

Les privatisations britanniques ont largement profité aux entreprises étrangères, en particulier françaises : Atos ou Steria pour la sous-traitance administrative, Vinci, Bouygues et Eiffage pour les partenariats public-privé, Sodexo pour les prisons, EDF pour l’énergie… Côté transports, des filiales de la RATP gèrent des lignes de tramway à Manchester et de bus à Londres. Keolis, filiale privée de la SNCF – à 70%, les 30% restant appartenant au fonds de pension public québécois, la Caisse des dépôts et placements –, est déjà présente sur plusieurs concessions au Royaume-Uni, notamment la plus importante, « Thameslink, southern and Great northern » (Nord et sud de Londres), marquée récemment par des conflits sociaux [2], et « Southeastern » (Sud-est du pays). Paradoxe : ces nouveaux marchés issus des anciens services publics sont souvent dominés par des entreprises qui sont la propriété de l’État français, et qui font chaque année traverser la Manche à de généreux dividendes tirés de la gestion des services privatisés britanniques.

Pendant que la Grande-Bretagne se lançait corps et âme dans des privatisations tous azimuts, les dirigeants français suivaient en effet une tout autre stratégie : celle de transformer les anciens monopoles publics – Air France, France Télécom, EDF-GDF, La Poste, SNCF, etc. – en entreprises commerciales sous le contrôle plus ou moins dilué de l’État, tirant profit de leur situation de rente en France et de la protection du gouvernement pour s’étendre à l’étranger… y compris en acquérant les services privatisés par d’autres pays. Cela explique sans doute pourquoi les dirigeants français ne se sont toujours opposés que très mollement aux politiques d’ouverture à la concurrence impulsées depuis Bruxelles. C’est exactement le modèle poursuivi depuis une dizaine d’années par la direction de la SNCF (lire notre enquête) et que le rapport Spinetta vient valider aujourd’hui en proposant la transformation de l’entreprise ferroviaire en société anonyme.

Olivier Petitjean

Source Bastamag 20/02/2018

SNCF : la ministre Florence Parly touchait 52.000 euros par mois pour vous faire préférer le train

Florence Parly est la ministre la mieux rémunérée du gouvernement. - CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Florence Parly est la ministre la mieux rémunérée du gouvernement. – CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Sur les six premiers mois de 2017, avant de devenir ministre des Armées, Florence Parly a touché 80% de sa rémunération annuelle prévue auprès de son employeur, la SNCF. Ses émoluments la placent au premier rang des ministres les mieux rémunérés.

La dette de la SNCF s’élève aujourd’hui à 42 milliards d’euros… et pourrait atteindre les 63 milliards en 2026. Cela n’empêche pas l’entreprise ferroviaire de payer grassement ses cadres dirigeants. Sur les six premiers mois de 2017, la discrète ministre des Armées, Florence Parly, a en effet reçu pas moins de 52.569 euros net mensuels, soit 315.418 euros, de la part de l’entreprise publique, dont elle était directrice générale chargée de SNCF Voyageurs, la branche dédiée aux trajets de longue distance. L’équivalent de 35 Smic. C’est ce qu’il ressort de la déclaration d’intérêts de la ministre, transmise en plein creux du mois d’août, après l’immense majorité de ses collègues, et publiée ces derniers jours sur le site de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Son poste dans l’entreprise publique lui avait déjà rapporté des sommes rondelettes en 2016 : 365.961 euros, soit 30.496 euros net mensuels. Grâce à de sympathiques revenus complémentaires, obtenus via une présence aux conseils d’administration de plusieurs sociétés, comme Ingenico, Altran, Zodiac Aerospace ou BPI France – pour un total de 139.119 euros en 2016 -, plus quelques milliers d’euros de dividendes perçus de ces sociétés, Florence Parly apparaît comme la ministre la mieux rémunérée du gouvernement en 2016 et en 2017. Elle a en effet touché au total 505.080 euros net en 2016, soit 42.090 euros net mensuels, et 413.257 euros net de janvier à juin 2017, soit 68.876 euros net mensuels. Nicolas Hulot, qui n’a pas renseigné ses revenus de 2017, est relégué à la seconde place de ce hit-parade en 2016, avec « seulement » 412.289 euros, soit 34.357 euros net mensuels.

En 2016, la rémunération totale de Florence Parly a largement dépassé la limite réglementaire pour les dirigeants d’entreprises publiques. Depuis un décret passé par la majorité socialiste en juillet 2012, les salaires des dirigeants d’entreprises publiques sont en effet plafonnés. Ils ne peuvent pas gagner plus de 450.000 euros brut par an, soit à peu près 370.000 euros net, pour limiter les écarts salariaux dans ces entreprises de un à vingt maximum. Mais cette limite ne prend pas en compte les jetons de présence dans les conseils d’administration, qui arrondissent les fins de mois de la haut-fonctionnaire à hauteur de 11.000 euros par mois environ.

Pas concernée par le plafond réglementaire

Le cabinet de la ministre nous apprend qu’elle n’est de toute façon… pas concernée pas le décret : « Le plafond de rémunération à 450.000 euros pour les dirigeants d’entreprise publique s’applique aux personnes ayant le statut de ‘mandataire social’. Or, Florence Parly était contractuelle de droit privé. Elle aurait donc pu être rémunérée au-delà de 450 000 euros par an« .

Florence Parly profite en effet d’une faille du décret, imaginée dès l’été 2012. Parce que modifier les contrats de travail des directeurs généraux d’entreprises publiques posait des problèmes juridiques, il a été décidé que seuls les « mandataires sociaux », à savoir le numéro un et parfois le numéro deux, seraient concernés par le décret. Pour les hauts-cadres, comme Florence Parly jusqu’en juin 2017, il n’y a pas de règle mais un encouragement à la modération salariale. Les PDG ont été « invités » à appliquer des « mesures de modération salariale similaires » pour leurs collaborateurs, et le salaire de chacun a dû être approuvé par le ministre de l’Economie , « en tenant compte des spécificités de chaque entreprise afin de garder une hiérarchie, d’éviter que ces rémunérations ne convergent toutes vers le plafond« , expliquait le ministre Pierre Moscovici, auprès de Challenges, en 2012.

L’entourage de Florence Parly nous indique que sa rémunération brute à la SNCF correspondait précisément à 450.000 euros annuels maximum : « Son salaire était cependant le suivant : 300 000 euros brut/an + une part variable pouvant aller jusqu’à 50% de la rémunération brute, soit un maximum de 150 000 euros. Donc un salaire maximum de 450 000 euros brut par an, correspondant au plafond appliqué aux mandataires sociaux.« 

« Prime de résultats »… avant les résultats ?

Pour autant, son salaire à la SNCF en 2017 interroge. En moins de six mois, Florence Parly a pu toucher près de 80% de sa rémunération annuelle telle que présentée par son cabinet. Si le salaire de la haut-fonctionnaire s’était maintenu tout au long de l’année, il aurait dépassé les 450.000 euros dès septembre. Selon l’entourage de la ministre, cette augmentation importante découle d’une « prime de résultats » touchée au moment de sa nomination au gouvernement : « En 2017, Florence Parly a touché une part variable au titre de l’atteinte de ses objectifs de l’année 2016. Au moment de son départ de la SNCF pour devenir ministre, elle a perçu une part variable au titre de ses résultats de l’année 2017, proratisée au nombre de mois effectivement passés à la SNCF.« 

En clair, la SNCF a considéré, dès juin 2017, que Florence Parly avait rempli ses objectifs… portant sur l’année dans sa totalité. Avantageux. En supposant que la ministre paye environ 15,5% de cotisations sur son salaire brut, on peut s’apercevoir qu’elle a touché le maximum de la part variable imaginée dans son contrat, à savoir 150.000 euros brut pour 2016 et 75.000 euros pour 2017.

« Oubli » de la période Air France

La déclaration d’intérêts de Florence Parly recèle par ailleurs quelques petits manques, comme l’a relevé Libération. Alors que la loi prévoit que les ministres précisent leurs rémunérations sur les cinq dernières années, cette administratrice civile n’a mentionné que ses deux dernières années de salariat, auprès de la SNCF. Exit ses deux ans à Air France, en tant que directrice générale adjointe d’Air France Cargo jusqu’en 2013, puis comme directrice générale adjointe de l’activité « Passage Point » à Point Orly et Escales France. Oubliés aussi ses dix-huit premiers mois à la SNCF, entre novembre 2014 et avril 2016, en tant que directrice générale adjointe chargée de la stratégie et des finances.

Auprès de Marianne, l’entourage de la ministre explique que cet « oubli » découle de l’ambiguïté du décret d’application de la loi, qui dispose que celle-ci doit déclarer « les activités professionnelles donnant lieu à rémunération ou gratification exercées à la date de l’élection ou de la nomination ou au cours des cinq années précédant la déclaration« . « Florence Parly a conclu de cette formulation que, ayant une activité à la date de la nomination, elle devait déclarer les revenus perçus au titre de cette activité« , nous explique-t-on. Sans préciser ses revenus précédents, donc.

Or, pour la Haute autorité de transparence de la vie publique (Hatvp), l’intégralité des rémunérations touchées ces cinq dernières années est bien concernée. Florence Parly a donc transmis, le 18 septembre, une déclaration modificative contenant ces dernières informations. Celle-ci n’a pas encore été publiée. L’occasion de découvrir de nouveaux émoluments d’ampleur ?

 Étienne Girard

Source Marianne 06/10/2017