SNCF : le Sénat vote la réforme, les syndicats restent mobilisés

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Prévue ce mardi, l’adoption de la loi par les sénateurs pourra-t-elle mettre fin à une grève qui a déjà coûté plus de 400 millions d’euros à la SNCF ? Pas sûr.

La sortie de crise de la SNCF se rapproche-t-elle enfin ? Après son passage au Sénat, le texte prévoyant l’ouverture du secteur ferroviaire à la concurrence à partir de 2020, mettant fin au recrutement au statut à partir de 2020 à la SNCF et transformant celle-ci en société nationale à capitaux publics a été fortement amendé. Prévue ce mardi 5 juin, l’adoption de ce texte par les sénateurs marque une nouvelle étape importante de la réforme.

Cela peut-il mettre fin à une grève qui a déjà coûté quelque 400 millions d’euros, selon la direction de la SNCF ? Pas sûr. D’abord, il va falloir que la commission mixte paritaire entérine le 11 juin prochain les évolutions décidées par le Sénat. Une douzaine de points seraient encore à régler, Sénat et Assemblée nationale campant toujours sur des positions différentes à propos de points techniques de la réforme.

Enfin, il faudra que les organisations syndicales appellent à reprendre le travail… Même si certains syndicats ont participé grandement à l’élaboration des amendements adoptés au Sénat, ils cherchent toujours à maintenir la pression et seraient prêts à appeler à une nouvelle « journée sans cheminots » le 12 juin, lors de leur quinzième séquence de deux jours de grève.

Le 14 mai, avec 30 % de grévistes, avait été un succès alors que la mobilisation s’effritait. Le 12 juin pourrait donc être un dernier baroud d’honneur, notamment pour l’UNSA et la CFDT, les deux syndicats réformistes. Tour d’horizon de la réforme en passe d’être adoptée.

 

  • Les points intangibles de la réforme

Les organisations syndicales ont beau toujours refuser l’ouverture à la concurrence et la réforme de la gouvernance du groupe SNCF, et exiger le maintien du recrutement au statut des cheminots, le gouvernement, soutenu par les deux assemblées, n’a pas bougé sur ces principes « intangibles » de la réforme.

Le projet de loi prévoit une ouverture progressive du secteur ferroviaire national : à partir de 2020 pour les TGV, entre 2019 et 2023 pour les TER et en Ile-de-France, à partir de 2025 pour certaines lignes, et 2033 pour les autres. Quant à la fin du recrutement au statut, il est prévu au 31 décembre 2020, comme les sénateurs l’ont enfin écrit dans la loi.

En parallèle, le gouvernement a annoncé une augmentation de 200 millions d’euros des investissements pour la maintenance à partir 2022, portant l’effort annuel à 3,6 milliards d’euros, ainsi que la reprise de 35 milliards d’euros (sur 46,6 milliards d’euros à fin 2017) de dette de SNCF Réseau.

C’était un préalable au passage de SNCF Réseau d’établissement public industriel et commercial en société nationale. Cette somme sera transférée en deux temps dans les comptes publics de la nation, en 2020 et 2022. Cela devrait augmenter d’autant la dette publique de l’Etat mais, espère le gouvernement, soutenu dans son raisonnement par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), ce ne sera pas comptabilisé dans le déficit des années 2020 et 2022, permettant à la France de rester dans les clous de la règle des 3 % de déficit prévue par le traité de Maastricht.

 

  • Les adaptations apportées par le Sénat

Après l’avoir refusé aux députés de la France insoumise, le gouvernement l’a finalement accordé au Sénat : la SNCF sera non seulement une entreprise à capitaux publics détenus par l’Etat, mais ces capitaux seront également « incessibles ». Elisabeth Borne, la ministre des transports, a accepté d’intégrer ce terme.

« La SNCF est une entreprise publique dont les titres sont intégralement détenus par l’Etat. Ce qui veut dire qu’elle est strictement incessible, rappelait-elle lundi 4 juin dans La Provence. Mais j’ai bien vu que le fait que ce terme d’incessibilité ne figure pas dans le texte suscitait inquiétudes, rumeurs et faux débats. Alors, nous l’avons ajouté au Sénat. La pédagogie, c’est la répétition. »

Par ailleurs, les sénateurs ont voté en faveur de la création d’un périmètre social ferroviaire qui permettra à un cheminot actuel d’être au statut et de bénéficier du cadre social global du cheminot, y compris dans les filiales Fret et Gares. « En clair, tous les salariés des différentes filiales de la holding SNCF travailleront dans un groupe unifié, traduit-on au ministère des transports. C’était une exigence forte des syndicats. Les cheminots pourront, par exemple, bénéficier d’une mobilité interne à ce périmètre ou pourront relever d’un même comité d’entreprise. »

De la même manière, le Sénat a encadré plus finement le transfert des salariés de la SNCF vers d’autres sociétés dans le cas de la perte d’un appel d’offres de la société publique face à des entreprises de droit privé. Les organisations syndicales n’ont pas obtenu que seuls les cheminots volontaires soient transférés à un opérateur concurrent, mais le Sénat leur a apporté un certain nombre de garanties.

Par exemple, dans le cas d’une ligne transférée à la concurrence, un cheminot qui y consacre moins de 50 % de son activité globale ne sera pas transféré automatiquement à l’opérateur concurrent. La SNCF devra lui proposer un reclassement interne, soit dans la même région, soit au niveau national. De même, pour baisser le recours aux transferts obligatoires, tout cheminot volontaire et installé dans la région pourra rejoindre l’opérateur concurrent. Les syndicats ont enfin obtenu un droit au retour pour les cheminots transférés. Ils pourront revenir à la SNCF entre trois et huit ans après leur départ, et retrouver alors leur statut s’ils le souhaitent.

Parallèlement, le Sénat a précisé que les cheminots transférés à la concurrence conserveront non seulement leur salaire, mais également les autres éléments de leur rémunération (primes, allocations, etc.). Les syndicats tentent toujours d’obtenir davantage, notamment la suppression de l’obligation de transfert. Car si un cheminot refuse un transfert ou les propositions de reclassement, il risque d’être licencié.

 

  • Ce qui pose encore problème

Tous les acteurs entendent en finir avec la rédaction de la loi lors de la commission mixte paritaire (CMP), programmée le 11 juin. Cependant, le texte voté par le Sénat ne plaît pas complètement aux députés. Si ces derniers sont d’accord avec les modifications d’ordre social en faveur des cheminots, il reste quelques désaccords plus techniques, concernant notamment la régulation de l’offre vers certaines destinations.

De même, pour protéger certaines régions, le Sénat a introduit des exceptions à la mise en concurrence qui complexifient le système ferroviaire. Enfin, l’accélération du calendrier d’ouverture à la concurrence en Ile-de-France n’est pas partagée par les députés. « Il y aura encore d’importants débats de fonds lors de la CMP, présage un député. Et cela pourrait être long ! »

Éric Béziat et Philippe Jacqué

Source La Monde 05/06/2018