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Pâleur mortelle, raideur cadavérique, figures d’enterrement : la scène évoque à la fois le musée Grévin, la famille Adams et un épisode inédit de The Walking Dead. Voire un singulier remake du Sixième sens : ils sont morts, mais ils ne le savent pas. Quoique non dénuée de qualités plastiques, l’image déclenche immanquablement quelque stupeur. Comment l’armada des conseillers de la présidence a-t-elle pu laisser faire ça ? Car cette démarche ne relève pas d’un accident, mais sans nul doute d’une opération calculée, organisée et validée par le staff de communication de l’Élysée.
Décorum antique
On devine sans peine que la visée principale (« relancer le quinquennat ») s’accompagne nécessairement d’objectifs comme « redonner une carrure présidentielle » à François Hollande, ce qui pourrait expliquer la pompe du décor – meubles Second empire, tapisseries, velours, soie, cristal et abondantes dorures – s’il devait servir au président lui-même. Mais s’agissant de son cabinet, ce décorum s’inscrit dans une colossale contradiction avec la période.
Ces « trentenaires surdiplômés » [1] ne sont manifestement pas là pour mettre les mains dans le cambouis, mais pour redorer – littéralement – l’image du pouvoir. En ce début d’année 2015, on aurait pu penser que la priorité ne serait pas de redoubler les stéréotypes sur l’énarchie en déroute. Peut-être les organisateurs de cette séance ont-ils cru que la dominante noire des vêtements suffirait à signifier l’adhésion de nos héros à l’austérité, mais elle ne fait que souligner l’opulence de leur biotope. Voire la blancheur de cet échantillon, que l’exacte parité hommes-femmes ne fait pas oublier.
Seules les mines sont austères. Jean-Jacques Barberis, en vedette puisqu’il a droit à une présence en solo sur la couverture de l’hebdomadaire, ne fait pas exactement profil bas avec sa panoplie de dandy. Il semble qu’à vouloir conjurer à la fois son prénom de quinquagénaire et son juvénile minois, il ne soit parvenu qu’à prendre l’apparence d’un gamin prématurément vieilli.
Génération Y, pas grecque
Le contraste est en tout cas saisissant avec le style des nouveaux dirigeants grecs, délibérément dépouillé des oripeaux du pouvoir – à commencer par la cravate. Les plus cyniques diront qu’il ne s’agit là que d’une autre forme de calcul, mais au moins est-il plus expéditif : Yanis Varoufakis doit mettre une bonne demi-heure de moins à s’habiller que Jean-Jacques Barberis [2].
Mais évitons le jugement de valeur. Après tout, les codes de ce milieu nous échappent complètement. Barberis n’est peut-être qu’un spécimen ordinaire de hipster du 8e arrondissement. D’ailleurs, la lecture de l’article confirme qu’on a très mal compris : ces jeunes-là sont en rébellion, en rébellion contre les baby-boomers dont ils ont cru qu’ils ne leur laisseraient jamais la place. C’est la génération Y de l’ENA que voilà ! De vrais punks. Ainsi, ils poussent l’irrévérence jusqu’à tutoyer François Hollande. Enfin, presque : « Monsieur le président, tu dois… »
Et ils sont là pour donner voix à la jeunesse si chère au candidat Hollande. « Même nous, qui sommes tous nés du bon côté du périphérique, dans des milieux ultrafavorisés, nous avons connus une forme de crainte de l’avenir », confie l’un d’eux. Jeunes des banlieue, rassurez-vous : la « génération Macron » est là pour vous représenter. C’est, aussi, qu’il s’agit de « ne pas abandonner à Manuel Valls le terrain du jeunisme », dit un ministre… Voilà pour le projet politique, en définitive.
Des chiffres et des lettres
Dans ce salon funéraire, cette jeunesse semble justement porter le deuil d’idéaux qu’elle n’a même pas eu le temps de nourrir. L’un d’eux, évoquant l’effet à l’Élysée de la tuerie de Charlie Hebdo : « Nous avons compris, nous qui avons la tête farcie de courbes, de statistiques, que, pour diriger un pays, les chiffres de suffisent pas. Il faut aussi des mots. » En d’autre termes : la technocratie, plus la com’. Vous n’espériez tout de même pas des idées ou des convictions ?
Nos spin doctors et leurs patients ne parviennent ici qu’à illustrer la vertigineuse fracture entre nos élites et les citoyens qu’elles s’avèrent ainsi – littéralement – incapables de représenter. Ils n’en ont même pas conscience, confinés dans un entre-soi sans ouverture vers l’extérieur (regardez l’image : portes fermées, pas de fenêtres, et l’impression que les personnages regardent moins l’objectif que leur propre image dans un miroir).
Reste à s’interroger, encore une fois, sur la participation d’un journal à cette mise en scène, sur l’intérêt qu’il trouve au sujet lui-même, sous l’emprise d’une fascination pour le personnel et les arcanes du pouvoir. Le journalisme politique fait le storytelling du storytelling, une mise en abîme qui parachève le rétrécissement de la politique en communication pour mieux la dépolitiser. Il ne reste qu’une sitcom à écrire : « Hollande, saison 2 », annonce la première page. Ils croient gouverner, ils ne jouent que la comédie du pouvoir. Mal, dans une langue disparue, au milieu d’un décor factice. Ils sont politiquement morts, mais ils ne le savent pas.
1] Petit relevé des appellations utilisées par l’article : « incroyablement jeunes » « tous la trentaine », « à peine sortis de l’adolescence », « allures de stagiaires », « génération Macron », « trentas », « e-generation » « cadets de la hollandie », « hussards de la saison 2 du Hollandisme ».
[2] Et l’on s’estimera heureux si Mediapart ne vient pas révéler quelque nouveau scandale sur son budget cirage ou pochettes en soie
Source : Regard.fr 09/02/2015
Voir aussi : Rubrique Politique rubrique Société, Livre, Essai, La guerre des riches commence au Fouquet,