Jürgen Habermas : Pour une Europe démocratique !

Jurgen Habermas en novembre 2010

 

Par Jürgen Habermas*

A court terme, la crise requiert la plus grande attention. Mais par-delà ceci, les acteurs politiques ne devraient pas oublier les défauts de construction qui sont au fondement de l’union monétaire et qui ne pourront pas être levés autrement que par une union politique adéquate : il manque à l’Union européenne les compétences nécessaires à l’harmonisation des économies nationales, qui connaissent des divergences drastiques dans leurs capacités de compétition.

Le « pacte pour l’Europe » à nouveau renforcé ne fait que renforcer un vieux défaut : les accords non contraignants dans le cercle des chefs de gouvernements sont ou bien sans effets ou bien non démocratiques, et doivent pour cette raison être remplacés par une institutionnalisation incontestable des décisions communes. Le gouvernement fédéral allemand est devenu l’accélérateur d’une désolidarisation qui touche toute l’Europe, parce qu’il a trop longtemps fermé les yeux devant l’unique issue constructive que même la Frankfurter Allgemeine Zeitung a décrit entre-temps par la formule laconique : « Davantage d’Europe ». Tous les gouvernements concernés se retrouvent désemparés et paralysés face au dilemme entre d’une part les impératifs des grandes banques et des agences de notation et d’autre part leur crainte face à la perte de légitimation qui les menace auprès de leur population frustrée. L’incrémentalisme écervelé trahit le manque d’une perspective plus large.

Depuis que le temps de l’embedded capitalism est révolu et que les marchés globalisés de la politique s’évanouissent, il devient de plus en plus difficile pour tous les Etats de l’OCDE de stimuler la croissance économique et de garantir une répartition juste des revenus ainsi que la Sécurité sociale de la majorité de la population. Après la libération des taux de change, ce problème a été désamorcé par l’acceptation de l’inflation. Etant donné que cette stratégie entraîne des coûts élevés, les gouvernements utilisent de plus en plus l’échappatoire des participations aux budgets publics financées par le crédit.

La crise financière qui dure depuis 2008 a aussi figé le mécanisme de l’endettement étatique aux frais des générations futures ; et en attendant, on ne voit pas comment les politiques d’austérité – difficiles à imposer en politique intérieure – pourraient être mises en accord sur la longue durée avec le maintien du niveau d’un Etat social supportable. Les révoltes de la jeunesse sont un avertissement des menaces qui pèsent sur la paix sociale. Au moins a-t-on reconnu, dans ces circonstances, comme étant le défi véritable le déséquilibre entre les impératifs du marché et la puissance régulatrice de la politique. Au sein de la zone euro, un « gouvernement économique » espéré devrait redonner une force neuve au pacte de stabilité depuis longtemps évidé.

Les représentations d’un « fédéralisme exécutif » d’un type particulier reflètent la crainte des élites politiques de transformer le projet européen, jusque-là pratiqué derrière des portes closes, en un combat d’opinion bruyant et argumenté, obligeant à se retrousser les manches, et qui serait public. Au vu du poids des problèmes, on s’attendrait à ce que les politiciens, sans délai ni condition, mettent enfin les cartes européennes sur table afin d’éclairer de manière offensive la population sur la relation entre les coûts à court terme et l’utilité véritable, c’est-à-dire sur la signification historique du projet européen.

Ils devraient surmonter leur peur des sondages sur l’état de l’opinion et faire confiance à la puissance de persuasion de bons arguments. Au lieu de cela, ils s’acoquinent avec un populisme qu’ils ont eux-mêmes favorisé par l’obscurcissement d’un thème complexe et mal-aimé. Sur le seuil entre l’unification économique et politique de l’Europe, la politique semble retenir son souffle et rentrer la tête dans les épaules. Pourquoi cette paralysie ? C’est une perspective engluée dans le XIXe siècle qui impose la réponse connue du demos : il n’existerait pas de peuple européen ; c’est pourquoi une union politique méritant ce nom serait édifiée sur du sable. A cette interprétation, je voudrais en opposer une autre : la fragmentation politique durable dans le monde et en Europe est en contradiction avec la croissance systémique d’une société mondiale multiculturelle, et elle bloque tout progrès dans la civilisation juridique constitutionnelle des relations de puissance étatiques et sociales.

Etant donné que jusque-là l’UE a été portée et monopolisée par les élites politiques, une dangereuse asymétrie en a résulté – entre la participation démocratique des peuples aux bénéfices que leurs gouvernements « en retirent » pour eux-mêmes sur la scène éloignée de Bruxelles, et l’indifférence, voire l’absence de participation des citoyens de l’UE eu égard aux décisions de leur Parlement à Strasbourg. Cette observation ne justifie pas une substantialisation des « peuples ». Seul le populisme de droite continue de projeter la caricature de grands sujets nationaux qui se ferment les uns aux autres et bloquent toute formation de volonté dépassant les frontières. Après cinquante ans d’immigration du travail, les peuples étatiques européens, au vu de leur croissant pluralisme ethnique, langagier et religieux, ne peuvent plus être imaginés comme des unités culturelles homogènes. Et Internet rend toutes les frontières poreuses.

Dans les Etats territoriaux, il a fallu commencer par installer l’horizon fluide d’un monde de la vie partagé sur de grands espaces et à travers des relations complexes, et le remplir par un contexte communicationnel relevant de la société civile, avec son système circulatoire d’idées. Il va sans dire que cela ne peut se faire que dans le cadre d’une culture politique partagée demeurant assez vague. Mais plus les populations nationales prennent conscience, et plus les médias portent à la conscience, à quelle profondeur les décisions de l’UE influent sur leur quotidien, plus croîtra l’intérêt qu’ils trouveront à faire également usage de leurs droits démocratiques en tant que citoyens de l’Union.

Ce facteur d’impact est devenu tangible dans la crise de l’euro. La crise contraint aussi, à contrecoeur, le Conseil à prendre des décisions qui peuvent peser de façon inégale sur les budgets nationaux. Depuis le 8 mai 2009, il a outrepassé un seuil par des décisions de sauvetage et de possibles modifications de la dette, de même que par des déclarations d’intentions en vue d’une harmonisation dans tous les domaines relevant de la compétition (en politique économique, fiscale, de marché du travail, sociale et culturelle).

Au-delà de ce seuil se posent des problèmes de justice de la répartition, car avec le passage d’une intégration « négative » à une intégration « positive », les poids se déplacent d’une légitimation de l’output à une légitimation de l’input. Il serait donc conforme à la logique de ce développement que des citoyens étatiques qui doivent subir des changements de répartition des charges au-delà des frontières nationales, aient la volonté d’influer démocratiquement, dans leur rôle de citoyen de l’Union, sur ce que leurs chefs de gouvernement négocient ou décident dans une zone juridique grise.

Au lieu de cela nous constatons des tactiques dilatoires du côté des gouvernements, et un rejet de type populiste du projet européen dans son ensemble du côté des populations. Ce comportement autodestructeur s’explique par le fait que les élites politiques et les médias hésitent à tirer des conséquences raisonnables du projet constitutionnel. Sous la pression des marchés financiers s’est imposée la conviction que, lors de l’introduction de l’euro, un présupposé économique du projet constitutionnel avait été négligé. L’UE ne peut s’affirmer contre la spéculation financière que si elle obtient les compétences politiques de guidage qui sont nécessaires pour garantir au moins dans le coeur de l’Europe, c’est-à-dire parmi les membres de la zone monétaire européenne, une convergence des développements économiques et sociaux.

Tous les participants savent que ce degré de « collaboration renforcée » n’est pas possible dans le cadre des traités existants. La conséquence d’un « gouvernement économique » commun, auquel se complaît aussi le gouvernement allemand, signifierait que l’exigence centrale de la capacité de compétition de tous les pays de la communauté économique européenne s’étendrait bien au-delà des politiques financières et économiques jusqu’aux budgets nationaux, et interviendrait jusqu’au ventricule du coeur, à savoir dans le droit budgétaire des Parlements nationaux.

Si le droit valide ne doit pas être enfreint de façon flagrante, cette réforme en souffrance n’est possible que par la voie d’un transfert d’autres compétences des Etats membres à l’Union. Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont conclu un compromis entre le libéralisme économique allemand et l’étatisme français qui a un tout autre contenu. Si je vois juste, ils cherchent à consolider le fédéralisme exécutif impliqué dans le traité de Lisbonne en une domination intergouvernementale du Conseil de l’Europe contraire au traité. Un tel régime permettrait de transférer les impératifs des marchés aux budgets nationaux sans aucune légitimation démocratique propre.

Pour ce faire, il faudrait que des accommodements conclus dans l’opacité, et dépourvus de forme juridique, soient imposés à l’aide de menaces de sanctions et de pressions sur les Parlements nationaux dépossédés de leur pouvoir. Les chefs de gouvernement transformeraient de la sorte le projet européen en son contraire : la première communauté supranationale démocratiquement légalisée deviendrait un arrangement effectif, parce que voilé, d’exercice d’une domination post-démocratique. L’alternative se trouve dans la continuation conséquente de la légalisation démocratique de l’UE. Une solidarité citoyenne s’étendant à l’Europe ne peut pas se former si, entre les Etats membres, c’est-à-dire aux possibles points de rupture, se consolident des inégalités sociales entre nations pauvres et riches.

L’Union doit garantir ce que la Loi fondamentale de la République fédérale allemande appelle (art. 106, alinéa 2) : « l’homogénéité des conditions de vie ». Cette « homogénéité » ne se rapporte qu’à une estimation des situations de vie sociale qui soit acceptable du point de vue de la justice de répartition, non pas à un nivellement des différences culturelles. Or, une intégration politique appuyée sur le bien-être social est nécessaire pour que la pluralité nationale et la richesse culturelle du biotope de la « vieille Europe » puissent être protégées du nivellement au sein d’une globalisation à progression tendue.

(Traduit de l’allemand par Denis Trierweiler.)

Le texte

Ce texte est extrait de la conférence que Jürgen Habermas donnera à l’université Paris-Descartes (12, rue de l’Ecole-de-Médecine, 75006 Paris) dans le cadre d’un colloque organisé, le 10 novembre, par l’équipe PHILéPOL (philosophie, épistémologie et politique) dirigée par le philosophe Yves Charles Zarka. L’intégralité du texte sera publiée dans le numéro de janvier 2012 de la revue Cités (PUF).

 

Essai

Après l’Etat-nation

Produit de la centralisation monarchique et des révolutions modernes, l’État-nation apparaît aujourd’hui bien mal adapté à l’intégration économique mondiale.  Les eurosceptiques, qui en revendiquent l’héritage et affirment sa pérennité, redoutent l’ouverture des frontières et appellent au refus de la mondialisation des échanges.  Les eurolibéraux, qui se satisfont d’une Europe du Grand marché, n’ont que faire des structures politiques et se moquent des malheurs de nos Etats nationaux.

Les fédéralistes, qui revendiquent à la fois l’ouverture des frontières et la formation d’un espace politique intégré à l’échelle européenne, fondent leur position sur la nécessité d’élever le pouvoir politique à la hauteur de la puissance nouvelle de l’économie afin de lui faire contrepoids. Jürgen Habermas est de ceux-là, refusant tout à la fois le passéisme des premiers et l’aveuglement des seconds. Mais il va plus loin. Proche de ceux qui militent en faveur d’une démocratie cosmopolitique, il réfléchit aussi dans ce livre aux conditions qu’il est nécessaire de mettre en oeuvre une régulation mondiale.

Editions Fayard (2000), 14,5 euros

* A propos de l’auteur
Né en 1929, Jürgen Habermas est l’un des plus influents penseurs actuels, particulièrement dans les domaines des théories de la politique, de la société et du droit, ou encore de la connaissance, de la rationalité et de la communication. Son influence, réelle, s’appuie sur des interventions régulières dans les médias qui font de lui un intellectuel public. Il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages, dont l’essai Théorie de l’agir communicationnel, son ouvrage le plus célèbre, et le recueil Après l’Etat-nation. Une nouvelle constellation politique, dans lequel il pose la question de l’avenir de l’Etat-nation face aux défis de la mondialisation économique, en envisageant notamment sous cet angle le cas de l’Union européenne.

Voir aussi : Rubrique UE, Passe d’armes entre Sarkozy et Cameron, rubrique Allemagne, rubrique Débat, Pierre Rosanvallon,

L’expo Gallimard, Un siècle d’édition au Musée Fabre

Par Jean-Marie Dinh

L’expo Gallimard, Un siècle d’édition accueillie au Musée Fabre, retrace une affaire de famille. Ce que donne à voir la première salle d’exposition en localisant les lieux d’implantation successifs de la maison d’édition le confirme. Les images évoquent plutôt le cadre chaleureux d’un foyer, où le bureau du directeur jouxte la salle des auteurs, que les centres d’affaires impersonnels où se façonnent aujourd’hui les grands traits de l’hégémonie culturelle.

Lors de l’inauguration de l’exposition à Montpellier, Antoine Gallimard, un homme en phase avec son temps, a fait cette remarque à propos de l’histoire de son entreprise : « J’éprouve tout à la fois un sentiment de proximité et d’éloignement. » Comme si le Pdg de Gallimard s’interrogeait sur le destin de la maison, une des dernières réellement indépendantes à cette échelle. Il s’est ensuite attardé sur l’amitié que  tissent à Montpellier Gide et Paul Valery en 1890. Cette relation se poursuivra dans les méditations entretenues par les deux jeunes auteurs sur le rôle de la littérature. « A l’heure du numérique, on dit la littérature menacée, mais elle résistera sous différentes formes parce qu’elle nous permet de vivre », affirme Antoine Gallimard.

Le patron de la librairie Sauramps, Jean-Marie Sevestre, qui entretient une complicité de longue date avec l’éditeur confirme : « Montpellier est une ville de lecture, une ville culturelle, une ville intellectuelle, si nous sommes là aujourd’hui c’est grâce à cet entourage. » Mais si le terreau de matière grise montpelliérain était fertile, il a aussi fallu la volonté politique de l’Agglo, qui prend en charge le budget de l’exposition (200 000 euros) et, à la différence de Paris, permet le libre accès à un siècle d’histoire littéraire.

 

L'inauguration à Montpellier

L’esprit Maison

La création de Gallimard en 1911 fait suite à la volonté de La Nouvelle Revue Française de prolonger l’aventure  intellectuelle de la revue en éditant des auteurs auxquels elle croit. Le 31 mai 1911, André Gide et Jean Schlumberger qui président à la destiné de la NRF signent avec Gaston Gallimard l’acte de naissance des Editions Gallimard.

La première partie de l’exposition est consacrée au  processus de l’édition. On découvre l’esprit d’ouverture de la maison, du premier livre de la collection blanche L’otage de Claudel au lancement de la série noire en 1945 par Marcel Duhamel avec les traductions  de La môme vert-de-gris de Peter Cheyney ou du célèbre Pas d’orchidée pour Miss Blandish de James Hadely Chase. Dès 1919, Gaston Gallimard se lance dans l’édition pour enfant avec  Macao et Cosmage dont l’histoire merveilleusement illustrée délivre un message écologique avant l’heure. Chez Gallimard, on a le goût du livre pour le fond et la forme.

La seconde partie du parcours donne à comprendre la complexité du métier d’éditeur. La stratégie éditoriale à long terme implique une gestion faite d’interventions multiples, des relations délicates avec des auteurs comme Camus, Céline, Giono, Sartre, Breton, Michaux… aux adaptations techniques, politiques et commerciales.

L’exposition fait sortir de la confidentialité des documents exceptionnels. A travers les extraits de correspondances, le visiteur trouvera des éléments clés pour approfondir les œuvres des plus grands auteurs du XXe et saisir le contexte de leur époque. A découvrir crayon ou iPhone en main.


Musée Fabre : Gallimard Un siècle d’édition jusqu’au 3 novembre

 

La bibliothèque de la Pléiade ici et maintenant

Musée Fabre. Gros plan sur les petites lettres d’une prestigieuse collection dans le cadre de l’expo Gallimard.

La bibliothèque de la Pléiade est une collection de référence qui rassemble les plus grandes œuvres du patrimoine littéraire. Abritée par les éditions Gallimard depuis 1933, le premier exemplaire est édité par Jacques Schiffrin qui publie le premier tome de l’œuvre de Baudelaire en septembre  1931. L’idée d’offrir au public des œuvres complètes d’auteurs classiques en format poche compact intéresse André Gide qui intercède en faveur de son ami Schiffrin auprès de Gaston Gallimard pour que celui-ci reprenne sa bibliothèque.

Dans la dernière salle de l’exposition Gallimard Un siècle d’édition, on peut appréhender l’impact de cette collection prestigieuse sur les auteurs à travers différentes correspondances. Deux ans après la disparition de Camus (1), René Char renonce à écrire la préface des œuvres de son ami (2) à paraître dans La Pléiade : « Je dois ajouter que l’affection fraternelle que j’éprouvais pour Camus fait encore écran à mes possibilités de jugement touchant son œuvre grande ouverte. »

Soucieux de la postérité de son œuvre, Céline manifeste dès avril 1951 le désir d’entrer de son vivant dans La Pléiade. C’est assez rare. Gide, Montherlant, Malraux y sont parvenus. Sa demande tourne à l’obsession. Un contrat est signé en 1959, mais le premier volume de ses œuvres ne paraît qu’en 1962. Quelques mois après sa mort.

A l’inverse, Henri Michaux prie son éditeur de ne pas le faire entrer dans La Pléiade. Le poète assimile cette reconnaissance imprimée sur papier bible à un enfermement, au fait de devenir définitivement un professionnel alors qu’il revendique son statut d’amateur. « Nous ne sommes pas un répertoire des monuments historiques de la littérature française ou internationale. Nous proposons des œuvres susceptibles d’être lues, ici et maintenant même si elles ont été écrites ailleurs, il y a trois, cinq ou vingt siècles », affirme aujourd’hui Hugues Pradier qui conduit cette Rolls-Royce de l’édition.

(1) Camus dispose à partir de 1946 d’une collection chez Gallimard qu’il baptise « Espoir »
(2) Concernant la relation Char Camus voir correspondance 1946-1957, Gallimard 2007.

Voir aussi : Rubrique Exposition, rubrique Edition, rubrique Livre,

Tous au Larzac : Incroyable histoire d’humains qui résistent

Le documentaire de Christian Rouaud présenté hier au cinéma Diagonal met du baume au cœur. Il conte l’histoire tumultueuse et humaine des 103 paysans du Larzac en lutte contre la grande muette pour préserver leur territoire et leur mode de vie. Comme dans son dernier film Lip, l’imagination au pouvoir, Christian Rouaud appuie son propos sur un triptyque historique politique et social. Le film repose sur le témoignage des principaux protagonistes qui relatent avec distance et honnêteté un combat qui a bouleversé leur vie en profondeur. « Avant j’étais normal, je votais à droite et j’allais à la messe. Ca a changer depuis », confie avec un rien  d’ironie Léon Maille, un paysan installé depuis trois générations sur le site.

 

Marizette Targuier

On suit par le menu le combat non violent qui commence le 11 octobre 1970 avec le projet d’extension du camp militaire du Larzac pour se finir avec l’élection de Mitterrand en 1981. Le parcours interpelle par sa nature. Il part de paysans isolés dans leur ferme qui se regardaient en chiens de faïence pour aboutir à une lutte collective qui intègre dans le temps des militants de tous les horizons, syndicats agricoles, gauche ouvrière et paysanne, maoïstes, communauté de l’Arche, anars, militants occitans, prêtres de campagne… Cette union improbable doit beaucoup à la personnalité de l’agriculteur Guy Tarlier dont la veuve Marizette, qui ne ménageait pas la teneur de son engagement, apporte un témoignage lumineux.

Avec ses images, le réalisateur fait également parler la nature qui donne à comprendre, pour ceux qui y sont nés comme pour ceux qui l’on rejointe, à quel point cette terre du Larzac est au centre de l’expérience humaine. Et par extension, à quel point, elle a pu agréger et canaliser le puissant attachement des Français à un certain type de continuité sociale et culturelle.

« Ce qui a caractérisé les luttes de cette période, n’est pas comme on l’a dit parfois, le dogmatisme gauchiste, mais une liberté d’invention et de ton, une fierté, une insolence, une imagination sans borne,» affirme le réalisateur. Christian Rouaud ne veut pas nous proposer un modèle, il nous invite à porter un regard neuf sur les luttes à entreprendre.

Jean-Marie Dinh

Tous au Larzac, sortie le 23 novembre.

Voir aussi : Rubrique Cinéma, Grandpuits et petites victoires, We want sex equality, rubrique Société, Mouvements sociaux,

En finir (vraiment) avec l’ère Pinochet

Chili été 2011

Par Victor de La Fuente

Des centaines de milliers de personnes dans les rues des grandes villes du pays (1), et ce depuis plusieurs mois ; le maire de Santiago qui suggère de faire appel à l’armée pour éviter que la commémoration du 11 septembre 1973 (date du coup d’Etat contre le président Salvador Allende) ne fasse l’objet de débordements : le Chili vit une période inédite.

Jamais, depuis la fin de la dictature en 1990, le pays n’avait connu d’aussi importantes mobilisations. Jamais, depuis 1956, un gouvernement démocratique n’avait fait face à une telle contestation populaire. A l’origine de ce mouvement, les étudiants ont placé le gouvernement de M. Sebastián Piñera (droite) dans une position délicate : sa cote de popularité – 26 % – fait d’ores et déjà de lui le président le moins populaire depuis le retour à la démocratie.

Cette longue bande de terre qui longe l’océan Pacifique était pourtant le dernier pays de la région où l’on attendait une telle effervescence. Le « jaguar » latino-américain, « modèle typiquement libéral » (2), ne faisait-il pas l’admiration des éditorialistes en vue ? La stabilité politique y était assurée, expliquaient-ils, puisque « la réalité y avait fini par éroder les mythes et les utopies de la gauche, la plaçant (…) sur le terrain de la réalité, douchant ses fureurs passées et la rendant raisonnable et végétarienne [sic] (3) ». Le 28 avril 2011, pourtant, les étudiants chiliens montraient les dents. Et pas les molaires.

Ce jour-là, les étudiants des établissements publics et privés dénoncent le niveau d’endettement qu’implique l’accès à l’éducation supérieure. Dans un pays où le salaire minimum s’établit à 182 000 pesos (moins de 300 euros) et le salaire moyen à 512 000 pesos (moins de 800 euros), les jeunes déboursent entre 170 000 et 400 000 pesos (entre 250 et 600 euros) par mois pour suivre un cursus universitaire. En conséquence, 70 % des étudiants s’endettent, et 65 % des plus pauvres interrompent leurs études pour des raisons financières (4).

Réunissant huit mille personnes, cette première manifestation ne semble pas, a priori, promise à un quelconque avenir. Elle vient néanmoins gonfler un peu plus le fleuve de la protestation sociale, déjà nourri par diverses mobilisations à travers le pays : en faveur d’une meilleure redistribution des profits liés à l’extraction du cuivre à Calama, du maintien du prix du gaz à Magallanes, de l’indemnisation des victimes du tremblement de terre de janvier 2010 sur la côte, du respect des Indiens Mapuches dans le sud (5), ou encore de la diversité sexuelle à Santiago. Au mois de mai, le projet HidroAysén avait lui aussi participé à unir un peu plus les Chiliens – contre lui.

Piloté par la multinationale italienne Endesa-Enel, associée au groupe chilien Colbún, et soutenu par le gouvernement, les partis de droite et certains dirigeants de la Concertación (6) (centre-gauche), ce projet de construction de cinq immenses barrages en Patagonie avait été approuvé sans la moindre consultation citoyenne. Devant l’ampleur de la mobilisation (plus de trente mille personnes à travers le pays), le gouvernement se trouve dans une situation compliquée.

En juin, la mobilisation étudiante atteint sa vitesse de croisière : le 16 se produit la première manifestation de deux cent mille personnes – la plus grande depuis la période de la dictature. Organisant des grèves massives et bloquant des lycées, les manifestants dénoncent la « marchandisation de l’éducation » et exigent « un enseignement gratuit et de qualité » : une revendication qui remet en cause les fondations mêmes du « modèle chilien », hérité de la dictature (lire dans cette page « Un héritage encombrant »). Dans les rues, les étudiants ne s’y trompent pas, qui scandent « Elle va tomber, elle va tomber, l’éducation de Pinochet ! », en référence aux slogans entendus lors des manifestations contre la dictature, il y a plus de vingt ans (« Elle va tomber, elle va tomber la dictature de Pinochet ! »).

Car si le Chili de Pinochet a constitué un « laboratoire » pour les politiques néolibérales, c’est aussi dans le domaine de l’éducation. Le rêve que l’économiste monétariste Milton Friedman formulait en 1984, les généraux y avaient travaillé dès leur prise du pouvoir.

Rares en 1973, les écoles privées accueillent désormais 60 % des élèves dans le primaire et le secondaire. Moins de 25 % du système éducatif est financé par l’Etat, les budgets des établissements dépendent, en moyenne, à 75 % des frais d’inscriptions. D’ailleurs, l’Etat chilien ne consacre que 4,4 % du produit intérieur brut (PIB) à l’enseignement, bien moins que les 7 % recommandés par l’Unesco. Dans le domaine de l’université – cas unique en Amérique latine –, il n’existe dans le pays aucun établissement public gratuit. Selon le sociologue Mario Garcés, les réformes Pinochet – maintenues et approfondies par les différents gouvernements depuis la chute de la dictature – ont perverti la mission du système éducatif : il visait à l’origine à favoriser la mobilité sociale ; il assure désormais la reproduction des inégalités (7).

Mais – interrogent les étudiants, auxquels n’ont pas échappé les discours satisfaits sur le « développement » de l’économie chilienne (qui lui a ouvert les portes de l’OCDE en décembre 2009) – si l’éducation était gratuite il y a quarante ans, alors que le pays était pauvre, pourquoi devrait-elle être payante aujourd’hui, alors qu’il est devenu (plus) riche ? Une question qui suffit à faire basculer tout une logique cul par-dessus tête, et dont la portée dépasse évidemment le domaine de l’éducation. Comme les revendications étudiantes : tenue d’une Assemblée constituante pour promouvoir une véritable démocratie, la renationalisation du cuivre (8) ou encore la réforme fiscale ; il s’agit, au bout du compte, « d’en finir avec l’ère Pinochet ». Suspicieux face à des dirigeants politiques qui ne leur inspirent plus confiance, les manifestants exigent que l’avenir du système éducatif soit soumis à un référendum (pourtant interdit par la Constitution).

Dénoncer les partis politiques ne signifie pas nécessairement promouvoir une forme d’apolitisme béat. Les étudiants ont occupé les sièges de la chaîne de télévision (Chilevisión), de l’Union démocrate indépendante (UDI – le parti issu du pinochétisme) ainsi que celui du Parti socialiste, identifiés comme trois symboles du pouvoir. Les discours apologétiques d’une gauche institutionnelle qui se dit volontiers coupable d’avoir « trop demandé » – déclenchant ainsi la colère, inévitable, des possédants en 1973 – ou ceux visant à promouvoir le retrait de l’Etat, ne semblent pas avoir prise sur une génération qui n’a pas connu le putsch. Les manifestants n’hésitent pas, d’ailleurs, à réhabiliter la figure de l’ancien président, Salvador Allende : ses discours sur l’éducation, prononcés il y a plus de quarante ans, ont récemment battu des records de consultation sur Internet ; son effigie apparaît de nouveau dans les manifestations, où des pancartes proclament que « les rêves d’Allende sont à portée de main ».

Cette clarté politique n’a pas affaibli le mouvement étudiant – bien au contraire. Ils ont reçu le soutien des universitaires, des enseignants du secondaire, des associations de parents d’élèves, de différentes organisations non gouvernementales (ONG), réunies autour de l’Association chilienne des ONG, Accion (9), et de syndicats importants (professeurs, fonctionnaires, personnels de santé, etc). Bien souvent, la solidarité s’organise pour soutenir les manifestants occupant un établissement, sous la forme de paniers de nourriture que l’on apporte aux « bloqueurs », par exemple. Selon les sondages, pourtant commandités par des médias tous proches du pouvoir, les étudiants jouissent du soutien de 70 % à 80 % de la population.

Alors, pourquoi maintenant ? Certes, le Chili a déjà connu des mobilisations étudiantes, notamment la « révolution des pingouins » (10), en 2006, sous la présidence de Mme Michelle Bachelet (centre-gauche). Toutefois, jamais les manifestations n’attirèrent autant de monde : pendant deux décennies, les gouvernements de centre-gauche de la Concertación parvinrent à administrer l’héritage de la dictature tout en réduisant la pauvreté. Mais en accentuant les inégalités : à l’heure actuelle, le Chili figure au nombre des quinze pays les plus inégaux de la planète (11). Peu à peu, les espoirs de transformation liés à la chute de la dictature ont été douchés, cependant que s’accumulaient les dettes des étudiants.

L’injustice du système est peut-être apparue sous un jour plus cru avec l’arrivée au pouvoir de M. Piñera, lequel s’est vite donné pour mission de renforcer – encore – les logiques de marché au sein du système éducatif. Les conflits d’intérêts au sein du cabinet ont par ailleurs mis en évidence certaines dérives : le ministre de l’éducation de M. Piñera, M. Joaquín Lavín, était également fondateur et actionnaire de l’Université du développement, un établissement privé (12).

La réponse du gouvernement, pour l’heure, consiste à tenter de criminaliser les manifestants. La presse ne manque pas de souligner les exactions de fractions violentes, parfois infiltrées par des policiers en civil (comme l’ont démontré de nombreuses vidéos et photographies (13)). Le 4 août, estimant qu’il y a « une limite à tout », M. Piñera faisait interdire une manifestation sur l’avenue Alameda (choisie par les étudiants parce qu’évoquée par Allende dans son ultime discours) : la répression y fut systématique, avec plus de 870 interpellations. Mais la violence policière n’a fait qu’accroître le soutien populaire aux manifestants. Le soir même, les cacerolazos (manifestations au cours desquelles chacun maltraite une casserole) retentissaient à travers le pays : l’intransigeance gouvernementale avait transformé le défilé en « protestation nationale », terme utilisé pour décrire… les rassemblements en faveur de la démocratie à l’époque de la dictature.

Les étudiants demeurent mobilisés. Avec l’ensemble de leurs soutiens – qui ne ne se cantonnent plus aux classes moyennes, la brèche est ouverte.

Le Monde Diplomatique septembre 2011

 

(1) Plus de deux cents mille personnes les 16 et 30 juin, le 14 juillet puis, à nouveau les 9 et 18 août).

(2) El regreso del idiota, Alvaro Vargas Llosa, Plinio Apuleyo Mendoza, Carlos Albero Montaner, préface de Mario Vargas Llosa, Random House S.A., Mexico, 2007.

(3) Ibid. Lire également Franck Gaudichaud, « Au Chili, les vieilles lunes de la nouvelle droite », Le Monde diplomatique, mai 2011.

(4) « Estudio sobre las causas de la deserción universitaria », Centro de Microdatos, Département d’Economie, Université du Chili.

(5) Lire Alain Devalpo, « Mapuches, les Chiliens dont on ne parle pas », La valise diplomatique, 15 septembre 2010.

(6) La Concertation pour la démocratie est une alliance de centre gauche, aujourd’hui composée de quatre partis (Parti socialiste [PS], Parti pour la démocratie [PPD], Parti démocrate-chrétien [PDC] et Parti radical social-démocrate [PRSD]) qui a gouverné pendant vingt ans, à la chute de la dictature.

(7) Mario Garcés Durán, directeur de l’organisation non gouvernementale (ONG) Education et communication (ECO). Entretien avec la BBC Monde.

(8) L’entreprise d’Etat d’extraction du cuivre Codelco n’a jamais été privatisée, mais la dictature a ouvert de nouvelles concessions au profit de multinationales. La Concertación a suivi la même politique. A l’heure actuelle, 70 % du cuivre chilien est exploité par des entreprises étrangères. Voir le site du Comité de défense et de réappropriation du cuivre.

(10) Image due à la couleur des uniformes blancs et noirs des élèves des collèges publics.

(11) Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) ; « Rapport régional sur le développement humain pour l’Amérique latine et les Caraïbes » (pdf).

(12) Le ministre de l’éducation Joaquín Lavín a été remercié en plein conflit, le 18 juillet. M. Piñera l’a maintenu au sein de son cabinet. Le nouveau ministre de l’éducation se nome Felipe Bulnes.

(13) Voir par exemple « Carabineros infiltrados en protestas » sur le site de la chaîne Chilevision.

 

Un héritage encombrant

Constitution
La Constitution en vigueur date de 1980 : elle fut approuvée (grâce à la fraude) sous la dictature. Antidémocratique, elle assure presque mécaniquement la moitié des sièges du Sénat et de la Chambre des députés à la droite chilienne, pourtant minoritaire.

Education
En 1981, Augusto Pinochet réforme le système universitaire et élimine l’éducation supérieure gratuite. Le 10 mars 1990, la veille de son départ, il promulgue la Loi organique constitutionnelle de l’enseignement (LOCE), qui réduit encore le rôle de l’Etat dans l’éducation et délègue de nouvelles prérogatives au secteur privé.

Protection sociale
En 1980, la dictature privatise le système de retraites (Décrets 3.500 et 3.501 proposés par le frère de M. Piñera, José). En 1981 sont créés les Isapres, systèmes de santé privés. Ils ne seront pas renationalisés lors du retour à la démocratie.

Médias
Le jour du coup d’Etat, la junte publie le bando 15 (arrêt n° 15) qui interdit tous les journaux sauf El Mercurio et La Tercera, à l’origine des deux groupes de presse qui contrôlent le secteur des médias chiliens aujourd’hui.

Voir aussi : Rubrique Amérique Latine , Chili, On Line, Du retour des Chicago boys,

Reprendre le pouvoir à la finance

Pour  l’idéologie ultra-libérale dominante, ce sont les dépenses publiques qui seraient responsables de la dette, passant sous silence la place prépondérante des marchés financiers. Décryptage…

Tout le monde s’accorde à reconnaître la place prépondérante qu’ont pris les « marchés financiers » dans nos économies.
Cependant, la place inconsidérée prise par les puissances d’argent n’est pas le fruit d’une volonté divine. Elle est la conséquence de décisions politiques prises dans les années 1970. C’est ainsi qu’en 1973, le statut de la Banque de France a été modifié. Ce changement consistait à interdire à la Banque de France de financer l’Etat à un taux d’intérêt nul, disposition qui existait jusque là. Dorénavant, les finances publiques devaient chercher des ressources auprès des banques privées

La France ruinée par les exigences de la Finance
Résultat : depuis 1974, la France a payé en intérêts 1200 milliards d’euros (à comparer avec les 1641 milliards de dette publique actuelle). C’est depuis cette date que les budgets connaissent des déséquilibres. Si l’on y ajoute l’incidence de la baisse des recettes publiques due aux baisses d’impôts – 100 milliards d’euros en 10 ans selon un rapport parlementaire – et les exonérations de cotisations sociales (30 milliards d’euros par an), on ne peut s’étonner de la montée de la dette. Pour mesurer la baisse des rentrées fiscales, il est nécessaire de comparer la part des recettes de l’Etat par rapport au PIB. Celles-ci ont culminé à 22,5% du PIB en 1982, elles n’étaient plus que 15,1% en 2009.

Dans un rapport de mai 2010, Jean-Philippe Cotis, directeur de l’INSEE et Paul Champsaur, président de l’Autorité de la statistique publique, estimaient que sans les multiples baisses de prélèvements consenties par les gouvernements successifs depuis le début des années 2000, le niveau de la dette publique serait inférieur de 20 points du PIB à ce qu’il est aujourd’hui soit la bagatelle de 400 milliards d’Euros !

Récemment, la Cour des Comptes a mis le doigt sur l’explosion des « niches fiscales ». A partir de 2004, ces dernières ont connu une progression incontrôlée pour atteindre 73 milliards d’euros en 2009. Parmi elles, la niche « Copé » qui exonère d’impôts les plus values provenant des cessations des filiales détenues au moins depuis deux ans par la maison mère. Son coût : 22 milliards d’euros entre 2007 et 2009.

La Cour des comptes a mis le doigt sur le régime de l’ « intégration fiscale » qui consiste pour la société mère de décider du périmètre fiscal en y intégrant les résultats de ses filiales. Ce dispositif aurait coûté à l’Etat près de 20 milliards en 2009. Autrement dit, le gouvernement prétend s’en prendre à quelques niches fiscales mais ne comptabilisent plus comme telles des cadeaux royaux fait aux patrons et qui coûtent plusieurs milliards d’euros aux finances publiques.

La prise de pouvoir des marchés a permis aux grandes entreprises d’imposer des taux de rendement des capitaux s’élevant à 15, voire 25%. Ces exigences de profitabilité inhibent fortement l’investissement, qui se tourne vers les placements juteux.

La dette privée transfigurée en dette publique
D’autre part, ces exigences ont entraîné une constante pression à la baisses sur les salaires avec une consommation en panne et une hausse du chômage, avec comme conséquences une croissance en berne. Cette demande insuffisante a été contrecarrée par le développement de l’endettement des ménages, créant ainsi une richesse fictive, permettant une croissance de la consommation sans augmentation de salaires. Ce qui a entraîné une bulle financière se terminant par des krachs (voir la crise des subprimes).

Volant alors au secours des banques, les gouvernements ont métamorphosé une dette privée en dette publique. C’est ainsi qu’en 2007, avant la crise, le déficit public moyen dans la zone euro était de 0,6% du PIB, mais la crise l’a fait passer à 7% en 2010. Quant à la dette publique elle est passée dans la même période de 66 à 84 % du PIB. Ainsi, la mainmise des marchés financiers s’est imposée en plusieurs actes.

Acte I : Les pouvoirs décrètent la liberté totale de circulation des capitaux.

Acte II : des réglementations plus laxistes en matière d’impôts pour les sociétés et les couches aisées entraînent un assèchement des budgets des Etats et une liquidité importante entre les mains des possesseurs de capitaux.

Acte III : Une somme énorme de capitaux sont ainsi disponibles et peuvent ainsi financer les dettes avec des taux d’intérêts rémunérateurs.

Acte IV : devant les déficits publics qui grimpent, les Etats imposent à leurs peuples des sacrifices. Ces politique d’austérité doivent être inscrites, telles les tables de la lois dans la Constitution. Cette règle d’or dépossède les peuples de leur légitime souveraineté.
La morale de l’histoire est claire : nos maux ne parviennent pas d’une dépense publique dispendieuse. Par rapport au PIB (richesses créées), celles-ci ont baissé. Elles représentaient 55% en 1993 et 53% en 2008. La place prépondérante prise par les marchés financiers doit être remise en cause. il faut les désarmer. Pour cela il appartient aux peuples d’écrire le dernier acte.

Acte V et fin : les peuples reprennent le pouvoir sur les marchés financiers. Ils s’émancipent d’eux en retrouvant au niveau national et européen la maîtrise publique de la finance et du crédit, en taxant les banques et les profits financiers, en changeant le rôle et la mission de la Banque centrale européenne, en relevant les salaires, en développant les services publics,.
La France pourrait agir au sien de l’Europe pour remplacer le fonds européen de stabilité financière qui soutient les marchés par un fonds européen de soutien au développement social. Il s’agit de créer un pôle public bancaire avec un crédit sélectif favorable aux investissements porteurs d’emplois, de salaires, de formation et de recherche.

On le voit, il s’agit de mettre en oeuvre une autre politique. Celle qui consiste à reprendre le pouvoir à la Finance.

Henri Génard (La Marseillaise)

Voir aussi : Rubrique Politique, La « règle d’Or », ou les rois de l’esbroufe, rubrique Economie, Pifomètre, rubrique UE, Extension du domaine de la régression, La crise de la zone euro, mode d’emploi, Les dirigeants de gauche valets des conservateurs, rubrique Finance, Comment l’injustice fiscale a creusé la dette greque, Livre :  Susan Georges de l’évaporation à la régulation, Aux éditions la Découverte La monnaie et ses mécanismes, Les taux de change,