L’expo Gallimard, Un siècle d’édition au Musée Fabre

Par Jean-Marie Dinh

L’expo Gallimard, Un siècle d’édition accueillie au Musée Fabre, retrace une affaire de famille. Ce que donne à voir la première salle d’exposition en localisant les lieux d’implantation successifs de la maison d’édition le confirme. Les images évoquent plutôt le cadre chaleureux d’un foyer, où le bureau du directeur jouxte la salle des auteurs, que les centres d’affaires impersonnels où se façonnent aujourd’hui les grands traits de l’hégémonie culturelle.

Lors de l’inauguration de l’exposition à Montpellier, Antoine Gallimard, un homme en phase avec son temps, a fait cette remarque à propos de l’histoire de son entreprise : « J’éprouve tout à la fois un sentiment de proximité et d’éloignement. » Comme si le Pdg de Gallimard s’interrogeait sur le destin de la maison, une des dernières réellement indépendantes à cette échelle. Il s’est ensuite attardé sur l’amitié que  tissent à Montpellier Gide et Paul Valery en 1890. Cette relation se poursuivra dans les méditations entretenues par les deux jeunes auteurs sur le rôle de la littérature. « A l’heure du numérique, on dit la littérature menacée, mais elle résistera sous différentes formes parce qu’elle nous permet de vivre », affirme Antoine Gallimard.

Le patron de la librairie Sauramps, Jean-Marie Sevestre, qui entretient une complicité de longue date avec l’éditeur confirme : « Montpellier est une ville de lecture, une ville culturelle, une ville intellectuelle, si nous sommes là aujourd’hui c’est grâce à cet entourage. » Mais si le terreau de matière grise montpelliérain était fertile, il a aussi fallu la volonté politique de l’Agglo, qui prend en charge le budget de l’exposition (200 000 euros) et, à la différence de Paris, permet le libre accès à un siècle d’histoire littéraire.

 

L'inauguration à Montpellier

L’esprit Maison

La création de Gallimard en 1911 fait suite à la volonté de La Nouvelle Revue Française de prolonger l’aventure  intellectuelle de la revue en éditant des auteurs auxquels elle croit. Le 31 mai 1911, André Gide et Jean Schlumberger qui président à la destiné de la NRF signent avec Gaston Gallimard l’acte de naissance des Editions Gallimard.

La première partie de l’exposition est consacrée au  processus de l’édition. On découvre l’esprit d’ouverture de la maison, du premier livre de la collection blanche L’otage de Claudel au lancement de la série noire en 1945 par Marcel Duhamel avec les traductions  de La môme vert-de-gris de Peter Cheyney ou du célèbre Pas d’orchidée pour Miss Blandish de James Hadely Chase. Dès 1919, Gaston Gallimard se lance dans l’édition pour enfant avec  Macao et Cosmage dont l’histoire merveilleusement illustrée délivre un message écologique avant l’heure. Chez Gallimard, on a le goût du livre pour le fond et la forme.

La seconde partie du parcours donne à comprendre la complexité du métier d’éditeur. La stratégie éditoriale à long terme implique une gestion faite d’interventions multiples, des relations délicates avec des auteurs comme Camus, Céline, Giono, Sartre, Breton, Michaux… aux adaptations techniques, politiques et commerciales.

L’exposition fait sortir de la confidentialité des documents exceptionnels. A travers les extraits de correspondances, le visiteur trouvera des éléments clés pour approfondir les œuvres des plus grands auteurs du XXe et saisir le contexte de leur époque. A découvrir crayon ou iPhone en main.


Musée Fabre : Gallimard Un siècle d’édition jusqu’au 3 novembre

 

La bibliothèque de la Pléiade ici et maintenant

Musée Fabre. Gros plan sur les petites lettres d’une prestigieuse collection dans le cadre de l’expo Gallimard.

La bibliothèque de la Pléiade est une collection de référence qui rassemble les plus grandes œuvres du patrimoine littéraire. Abritée par les éditions Gallimard depuis 1933, le premier exemplaire est édité par Jacques Schiffrin qui publie le premier tome de l’œuvre de Baudelaire en septembre  1931. L’idée d’offrir au public des œuvres complètes d’auteurs classiques en format poche compact intéresse André Gide qui intercède en faveur de son ami Schiffrin auprès de Gaston Gallimard pour que celui-ci reprenne sa bibliothèque.

Dans la dernière salle de l’exposition Gallimard Un siècle d’édition, on peut appréhender l’impact de cette collection prestigieuse sur les auteurs à travers différentes correspondances. Deux ans après la disparition de Camus (1), René Char renonce à écrire la préface des œuvres de son ami (2) à paraître dans La Pléiade : « Je dois ajouter que l’affection fraternelle que j’éprouvais pour Camus fait encore écran à mes possibilités de jugement touchant son œuvre grande ouverte. »

Soucieux de la postérité de son œuvre, Céline manifeste dès avril 1951 le désir d’entrer de son vivant dans La Pléiade. C’est assez rare. Gide, Montherlant, Malraux y sont parvenus. Sa demande tourne à l’obsession. Un contrat est signé en 1959, mais le premier volume de ses œuvres ne paraît qu’en 1962. Quelques mois après sa mort.

A l’inverse, Henri Michaux prie son éditeur de ne pas le faire entrer dans La Pléiade. Le poète assimile cette reconnaissance imprimée sur papier bible à un enfermement, au fait de devenir définitivement un professionnel alors qu’il revendique son statut d’amateur. « Nous ne sommes pas un répertoire des monuments historiques de la littérature française ou internationale. Nous proposons des œuvres susceptibles d’être lues, ici et maintenant même si elles ont été écrites ailleurs, il y a trois, cinq ou vingt siècles », affirme aujourd’hui Hugues Pradier qui conduit cette Rolls-Royce de l’édition.

(1) Camus dispose à partir de 1946 d’une collection chez Gallimard qu’il baptise « Espoir »
(2) Concernant la relation Char Camus voir correspondance 1946-1957, Gallimard 2007.

Voir aussi : Rubrique Exposition, rubrique Edition, rubrique Livre,

L’espace des mots de Pierre Torreilles

pierre-toreilles1D’origine camarguaise, Pierre Torreilles (1921-2005) est un résistant dans tous les sens du terme. Durant la guerre, il participe au maquis du Vercors. A la Libération, il s’installe à Montpellier où il crée la librairie Sauramps, du nom de son beau-père Henri Sauramps. Il se fonde une réputation internationale en tant que défenseur du livre. Ce poète du Sud poursuit le combat dans son œuvre avec la même exigence. Il attribue à la poésie une responsabilité ontologique que défendent aussi des poètes comme Reverdy, Salah Stétié, ou Yves Bonnefoy avec qui il entretient d’étroites relations tout comme avec les peintres Olivier Debré, Tal Coat, Louis Cordesse… Dans son travail, l’artiste traque la lumière et partage les recherches sur l’espace comme ses amis peintres. D’où cette écriture où l’espacement entre les mots, le silence des blancs fournissent les respirations du poème. Pour cette périlleuse recherche de vérité, l’œuvre de Torreilles sera comme celle de son ami René Char qualifié d’hermétique. « J’ai choisi le plus difficile. J’ai choisi de n’être pas compris. J’ai choisi d’être entendu seulement. »

« Heurtant l’être de l’apparence
Quelle innocence nous convie ?
Quand n’est plus ce que nous savions ?
Temps ouvert à l’éternité
Pur éveil sans mémoire (…)
Que veille cette enfance ? »

Paule Plouvier souligne la radicalité avec laquelle l’homme et le poète s’attache aux voies qu’il explore : « La poésie comme poésie de la poésie, critique du langage conceptuel, méfiance vis-à-vis de l’image, adhésion à une philosophie de l’origine. » En adepte de l’expérience extrême, Torreilles tente de s’approcher au plus près d’une vision absolue.  Vision que Paule Plouvier situe chez lui « au confluent de deux courants de pensée dont la constance traverse l’œuvre, le courant hellénique et le courant judaïque. »

Jean-Marie Dinh

Pierre Toreilles Poète, édition L’Harmattan 17,5 euros

Voir aussi : Rubrique Poésie Jean Joubert Libre enfance, J-Luc Caizergues ouvrier et poète contemporain, Rencontre Amin Maalouf, Bernard Noël ,

La main amie de Gabriel Monnet

g-monetGabriel Monnet, figure emblématique de la décentralisation théâtrale, partage avec Char la puissance sauvage des militants de l’art, de l’esprit entier. Sans concession. Monnet a répondu présent à l’invitation de La Maison de la Poésie de Montpellier .  « J’ai découvert Char au lendemain de la guerre avec « Le soleil des eaux » un texte fascinant avec 40 personnages. Le texte est bâti avec un mode d’écriture en escalier. Il faut du temps pour le monter, un temps que je n’ai jamais rencontré. Mais le texte m’a ouvert sur l’œuvre. Je me souviens du livre de Georges Monin « Avez-vous lu Char ? » qui s’interrogeait sur son prétendu hermétisme ! ».

La rencontre entre Monnet et Char dure le temps d’une journée. 

« A mon insu, ma femme lui a écrit pour nous ménager une rencontre. J’ai passé ainsi une journée dans son grenier. Nous avons beaucoup ri échangeant et  buvant du vin du Ventoux. Je ne l’ai jamais revu. Il tenait farouchement à sa solitude. Et il était tellement imprévisible. Cela m’impressionnait beaucoup ». 

Toute l’œuvre théâtrale de Char est regroupée dans Trois coups sous les arbres. La langue de Char se prête-t-elle au théâtre ?

« C’est un théâtre très rare. Un théâtre intermédiaire entre la lecture, le jeu et la all slots représentation d’une très grande pureté et simplicité. Planchon a créé Claire en 1951. « Soleil des Eaux » a été donné à la radio avec le concours de Jacques Dupin. Char fait parler les personnages de tous les jours autour de la rivière menacée par une usine. Les pêcheurs de la Sorgue s’expriment dans un univers écologique. Mais l’auteur déborde le caractère écologique pour en faire une fable tellurique ».

La place de la poésie ici et maintenant ?

« A l’école bien sûr, mais pas seulement ; la place de la poésie doit être première dans la république. La poésie doit trôner au ministère de la culture qui devrait être autre chose que la cinquième roue du carrosse. Elle doit se trouver en lieu et place de la religion, construire des cathédrales. Il faut comme le souhaitait Char arracher au divin les mots qui se sont englués, pour faire autre chose ».

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Poésie