Reprendre le pouvoir à la finance

Pour  l’idéologie ultra-libérale dominante, ce sont les dépenses publiques qui seraient responsables de la dette, passant sous silence la place prépondérante des marchés financiers. Décryptage…

Tout le monde s’accorde à reconnaître la place prépondérante qu’ont pris les « marchés financiers » dans nos économies.
Cependant, la place inconsidérée prise par les puissances d’argent n’est pas le fruit d’une volonté divine. Elle est la conséquence de décisions politiques prises dans les années 1970. C’est ainsi qu’en 1973, le statut de la Banque de France a été modifié. Ce changement consistait à interdire à la Banque de France de financer l’Etat à un taux d’intérêt nul, disposition qui existait jusque là. Dorénavant, les finances publiques devaient chercher des ressources auprès des banques privées

La France ruinée par les exigences de la Finance
Résultat : depuis 1974, la France a payé en intérêts 1200 milliards d’euros (à comparer avec les 1641 milliards de dette publique actuelle). C’est depuis cette date que les budgets connaissent des déséquilibres. Si l’on y ajoute l’incidence de la baisse des recettes publiques due aux baisses d’impôts – 100 milliards d’euros en 10 ans selon un rapport parlementaire – et les exonérations de cotisations sociales (30 milliards d’euros par an), on ne peut s’étonner de la montée de la dette. Pour mesurer la baisse des rentrées fiscales, il est nécessaire de comparer la part des recettes de l’Etat par rapport au PIB. Celles-ci ont culminé à 22,5% du PIB en 1982, elles n’étaient plus que 15,1% en 2009.

Dans un rapport de mai 2010, Jean-Philippe Cotis, directeur de l’INSEE et Paul Champsaur, président de l’Autorité de la statistique publique, estimaient que sans les multiples baisses de prélèvements consenties par les gouvernements successifs depuis le début des années 2000, le niveau de la dette publique serait inférieur de 20 points du PIB à ce qu’il est aujourd’hui soit la bagatelle de 400 milliards d’Euros !

Récemment, la Cour des Comptes a mis le doigt sur l’explosion des « niches fiscales ». A partir de 2004, ces dernières ont connu une progression incontrôlée pour atteindre 73 milliards d’euros en 2009. Parmi elles, la niche « Copé » qui exonère d’impôts les plus values provenant des cessations des filiales détenues au moins depuis deux ans par la maison mère. Son coût : 22 milliards d’euros entre 2007 et 2009.

La Cour des comptes a mis le doigt sur le régime de l’ « intégration fiscale » qui consiste pour la société mère de décider du périmètre fiscal en y intégrant les résultats de ses filiales. Ce dispositif aurait coûté à l’Etat près de 20 milliards en 2009. Autrement dit, le gouvernement prétend s’en prendre à quelques niches fiscales mais ne comptabilisent plus comme telles des cadeaux royaux fait aux patrons et qui coûtent plusieurs milliards d’euros aux finances publiques.

La prise de pouvoir des marchés a permis aux grandes entreprises d’imposer des taux de rendement des capitaux s’élevant à 15, voire 25%. Ces exigences de profitabilité inhibent fortement l’investissement, qui se tourne vers les placements juteux.

La dette privée transfigurée en dette publique
D’autre part, ces exigences ont entraîné une constante pression à la baisses sur les salaires avec une consommation en panne et une hausse du chômage, avec comme conséquences une croissance en berne. Cette demande insuffisante a été contrecarrée par le développement de l’endettement des ménages, créant ainsi une richesse fictive, permettant une croissance de la consommation sans augmentation de salaires. Ce qui a entraîné une bulle financière se terminant par des krachs (voir la crise des subprimes).

Volant alors au secours des banques, les gouvernements ont métamorphosé une dette privée en dette publique. C’est ainsi qu’en 2007, avant la crise, le déficit public moyen dans la zone euro était de 0,6% du PIB, mais la crise l’a fait passer à 7% en 2010. Quant à la dette publique elle est passée dans la même période de 66 à 84 % du PIB. Ainsi, la mainmise des marchés financiers s’est imposée en plusieurs actes.

Acte I : Les pouvoirs décrètent la liberté totale de circulation des capitaux.

Acte II : des réglementations plus laxistes en matière d’impôts pour les sociétés et les couches aisées entraînent un assèchement des budgets des Etats et une liquidité importante entre les mains des possesseurs de capitaux.

Acte III : Une somme énorme de capitaux sont ainsi disponibles et peuvent ainsi financer les dettes avec des taux d’intérêts rémunérateurs.

Acte IV : devant les déficits publics qui grimpent, les Etats imposent à leurs peuples des sacrifices. Ces politique d’austérité doivent être inscrites, telles les tables de la lois dans la Constitution. Cette règle d’or dépossède les peuples de leur légitime souveraineté.
La morale de l’histoire est claire : nos maux ne parviennent pas d’une dépense publique dispendieuse. Par rapport au PIB (richesses créées), celles-ci ont baissé. Elles représentaient 55% en 1993 et 53% en 2008. La place prépondérante prise par les marchés financiers doit être remise en cause. il faut les désarmer. Pour cela il appartient aux peuples d’écrire le dernier acte.

Acte V et fin : les peuples reprennent le pouvoir sur les marchés financiers. Ils s’émancipent d’eux en retrouvant au niveau national et européen la maîtrise publique de la finance et du crédit, en taxant les banques et les profits financiers, en changeant le rôle et la mission de la Banque centrale européenne, en relevant les salaires, en développant les services publics,.
La France pourrait agir au sien de l’Europe pour remplacer le fonds européen de stabilité financière qui soutient les marchés par un fonds européen de soutien au développement social. Il s’agit de créer un pôle public bancaire avec un crédit sélectif favorable aux investissements porteurs d’emplois, de salaires, de formation et de recherche.

On le voit, il s’agit de mettre en oeuvre une autre politique. Celle qui consiste à reprendre le pouvoir à la Finance.

Henri Génard (La Marseillaise)

Voir aussi : Rubrique Politique, La « règle d’Or », ou les rois de l’esbroufe, rubrique Economie, Pifomètre, rubrique UE, Extension du domaine de la régression, La crise de la zone euro, mode d’emploi, Les dirigeants de gauche valets des conservateurs, rubrique Finance, Comment l’injustice fiscale a creusé la dette greque, Livre :  Susan Georges de l’évaporation à la régulation, Aux éditions la Découverte La monnaie et ses mécanismes, Les taux de change,

L’urgentiste Patrick Pelloux s’inquiète de la marchandisation des offres de soin

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Patrick Pelloux : de l’urgence médicale à l’urgence sociale.

Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes hospitaliers de France, a une première fois délaissé les brancards pour alerter les médias des conséquences de la canicule sur les services hospitaliers en 2003. Depuis, il continue d’alimenter une chronique sur ses anecdotes de travail dans les colonnes de Charlie Hebdo. En 2007, elles ont été réunies dans un ouvrage, Histoire d’urgences, dont le tome 2 vient de paraître (éditions les Echappés. A cette occasion, Jean-Claude Gayssot, président de l’association Edec (Economie, développement et citoyenneté) l’a invité à prendre la tribune lors d’une rencontre-débat* sur le thème  » La santé n’est pas une marchandise ».

« La santé est-elle une marchandise ?

Oui, elle est devenue une marchandise. Progressivement, on en a fait un objet économique, coté en bourse, avec des intérêts financiers au plus haut niveau, notamment dans l’industrie pharmaceutique comme on a pu le voir lors de la grippe A. Et ça va continuer, en particulier avec les migrations démographiques liées aux changements climatiques qui auront des conséquences sur la santé et donc des conséquences économiques importantes.

En France, la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) participe-t-elle à ce processus de marchandisation ?

On le voit surtout avec la bascule des soins dans le secteur privé lucratif. Aujourd’hui, 80% de la chirurgie ophtalmologique se fait dans les cliniques privées. Celles-ci ne sont d’ailleurs quasiment plus détenues par untel ou untel mais rachetées par de grands consortiums financiers, souvent des multinationales. Ca veut dire qu’il est possible de faire de l’argent sur la santé, ce qui est totalement contradictoire avec les premiers textes sur la sécurité sociale.

Depuis votre première sortie médiatique lors de la canicule en 2003, la situation a-t-elle empiré ?

Les choses se sont accélérées. D’ailleurs, d’après les échos que j’ai eus de la commission santé du parti socialiste, je ne suis pas sûr qu’il revienne un jour en profondeur sur la loi HPST. Une pensée économique et sociale de la santé est née et il est très difficile d’aller contre la pensée unique. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe en Ile-de-France où le nouveau président de l’ARS (Agence régionale de santé, ndlr), ancien ministre PS, applique doctement la loi HPST. On entend partout que l’hôpital est mal organisé, mais on n’a pas arrêté d’y fermer des lits, comme une application à l’avance de la loi HPST. Ca n’a pas réglé les problèmes de déficit. C’est bien la preuve qu’il y a quelque chose qui ne marche pas dans cette politique, mais aujourd’hui, même le domaine de la santé est devenu un objet de concurrence.

Se soigner est-il devenu un luxe ?

Ca devient de plus en plus cher. Nous sommes un des pays où nous cotisons le plus et où nous sommes le moins remboursés. C’est devenu très difficile entre les dépassements d’honoraire, les déremboursements…

La France a donc perdu son statut de pays où l’on peut se soigner ?

En tout cas nous ne sommes plus le modèle. Dans le classement européen, nous sommes passés de la 10ème à la 18ème place. Le gouvernement s’est empressé de dire que les critères d’évaluation avaient été changés. Mais c’est totalement faux, cette étude est menée par un organisme indépendant.

Est-on arrivé à un point de non retour ?

Les choses ne sont jamais totalement perdues. On voit comment depuis 2002, la politique néo-libérale a cassé tous les services publics. Mais nous vivons dans un pays qui a été capable de se reconstruire après des chaos insensés. On a toujours su rebondir. On est dans une période abjecte, mais il ne faut pas perdre espoir.

Que faut-il faire pour améliorer la situation ?

En ce qui concerne le problème économique, c’est à la classe politique de définir ses attentes et de continuer à abreuver ses pensées. Quant au problème médical, je crois que la médecine est malade de son élite. Il faut un bouleversement du statut hôpitalo-universitaire. Le pouvoir a voulu moderniser sur le modèle des entreprises, notamment avec les fameux  » pôles hospitaliers « . Mais c’est une chose qui n’est pas valable pour l’hôpital. On a voulu faire des grands systèmes, alors que tous les grands systèmes (EADS, France Telecom, …) reviennent à de petites structures.

La formation des médecins est également trop longue, les jeunes ne sont pas insérés dans le travail assez tôt, ni rémunérés assez tôt. Il faudrait une base de formation médicale continue qui ne pourrait se faire que dans le cadre universitaire et pas dans l’industrie pharmaceutique. L’émergement de la solution, il est là.

Quant à l’élite de la médecine, elle doit cesser immédiatement d’être aussi narcissique et hégémonique dans la façon de penser. Un même médecin ne devrait plus pouvoir porter toutes les casquettes et passer sa vie dans un avion pour aller de conférence en conférence. On est à l’époque du partage. On n’est plus à celle du cumul des mandats. Enfin, il faut renforcer le droit des femmes dans la médecine. Il n’y a qu’une seule femme à l’Académie, ce qui montre bien le retard de féminisation de notre métier. Je connais encore des gens qui refusent de recruter des femmes à l’hôpital ou ne le font qu’à condition qu’elles acceptent de ne pas tomber enceinte. C’est inadmissible. « 

Recueilli par Marine Desseigne (L’Hérault du jour)

*La rencontre avec Patrick Pelloux a été annulé en raison des perturbations occasionnées par les mouvements sociaux.

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