Montpellier Retro 2011: La culture au cœur du politique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Par Jean-Marie Dinh

Ecouter, regarder, découvrir, ce qui restent de l’année 2011. Retour sur les moments forts de la vie artistique montpelliéraine ouverte, riche, diversifiée, et impertinente, preuve que si la culture peut distraire, elle demeure surtout au cœur du politique. Quelques coups d’œil dans le rétro …

Janvier

Théâtre. Un choix judicieux pour débuter l’année opéré  par Toni Cafiero, en résidence à Lattes, il monte En attendant le Révisor au Théâtre Jacques Cœur. La pièce s’inspire d’une comédie de Gogol. L’action prend cœur dans une petite ville de province russe. Elle dépeint sur le ton comique les viles pratiques et les arrangements  « entre amis » des notables locaux.

Février

Théâtre. Le Carré Rondelet relève le défi lancé à la représentation par Sarah Kane qui a toujours fui la théâtralité. Sébastien Malmendier adapte, 4.48  Psychose. La jeune comédienne Poline Marion, incarne une belle impossibilité de vivre.

Mars

Poésie. L’association dirigée par Annie Estèves – la Maison de la poésie – trouve une juste reconnaissance auprès de la Ville de Montpellier. Elle dispose désormais d’un local et d’un soutien au fonctionnement. A l’occasion du 13e Printemps des poètes, elle programme plus d’une vingtaine de rencontres gratuites dans toute la ville.

Bonne nouvelle

Danse. Matthieu Hocquemiller présente Bonne nouvelle au CCN. Une création qui porte l’idée que la recherche identitaire fait diversion pour échapper à la question sociale.

Jazz. Le Jam sacre son 10e  printemps du 12 mars au 1er  avril. Jazz, soul et musiques du monde se croisent dans un cocktail hyper explosif.

Avril

Poésie. Invité par La Médiathèque Emile Zola, Yves Bonnefoy vient nous rappeler que la poésie conserve un devoir critique. Elle ne se situe pas du côté de ceux qui réussissent. Il faut savoir prendre le contre-sens de la médiation par l’image pour percevoir l’œuvre de Rimbaud et la replacer intuitivement dans notre paysage contemporain, nous dit ce grand poète français.

Théâtre. Aux 13 Vents, la mise en scène de Nicomède par Brigitte Jacques-Wajeman nous conduit au cœur de l’intrigue. En cornélienne avertie, l’artiste restitue le cadre du rapport politique colonial à la lumière de notre époque.

Mai

Festival Arabesques. On y parle du vent de démocratie qui souffle sur l’autre rive et on accueille les artistes engagés qui le transmette du raï au rap en passant par le hip hop et les folksong. Les chansons contestatrices sont plus que jamais en prise avec le réel. L’édition 2011 met à l’honneur l’esprit andalou connu pour sa tolérance.

BD. Invité par la librairie Sauramps, Bilal présente Julia & Roem. Son dernier opus s’inscrit dans l’univers post-apocalyptique de Animal’Z, sorti  en 2009 et actuellement en cours d’adaptation cinématographique.

Jeune public Saperlipopette.

Isabelle Grison qui conduit le projet, évoque l’intérêt de s’éloigner de la télévision et peu de monde la contredit. La manifestation décentralisée rassemble 30 000 personnes.

Littérature Comédie du livre. Du 27 au 29 mai, Montpellier célèbre le cinquantenaire du jumelage avec Heidelberg en mettant à l’honneur les écrivains de langue allemande. Cette 27e édition marque un tournant avec un changement d’équipe et d’organisation. La direction relève désormais de l’association Cœur de Livres pilotée par la ville. Les rencontres sont resserrées. Un bémol pour les éditions jeunesse mal représentées mais des invités qui comptent  Paul Nizon, Christophe Hein, Judith Herman…

Juin

Printemps des Comédiens. Le nouveau directeur, Jean Varela, ouvre de nouvelles perspectives avec une exigence artistique  plurielle et populaire. Le festival propose un large éventail du théâtre d’aujourd’hui. Il est dédié à Gabriel Monnet. Dag  Jeanneret y signe la mise en scène  de Radio Clandestine d’Ascanio Celestini. Une tragédie qui emprunte sa forme à l’engagement civique et politique de Pasolini.

Festival Montpellier Danse

Le festival met Tel-Aviv à l’honneur, grâce à la présence de nombreux artistes venus de cette ville d’Israël mais travaillant dans le monde entier.

Juillet

Festival de Radio France du 11 au 28 juillet, la 26e édition offre un large panorama de manifestations. 173, le plus grand nombre de concerts proposés depuis sa création. 17 créations signalent et réaffirment l’appartenance du festival aux grands rendez-vous.

Août

Gérard Garouste au Carre st Anne

Peinture. Les œuvres de Gérard Garouste sont exposées au Carré Sainte-Anne. Les toiles de l’artiste nous introduisent dans un monde baroque fait de l’étoffe des mythes où se mêle une acuité toute contemporaine.

Septembre

Théâtre. Le CDN ouvre sa saison avec La Conférence d’après  le texte de Christophe Pellet qui a reçu le grand prix de littérature dramatique en 2009. La pièce met en scène un auteur français à bout (Stanislas Nordey) qui se lâche sur la médiocrité de l’institution théâtrale française.

Concerts. Internationales de la guitare. Classique, rock, jazz, flamenco, blues, musique tzigane, world… se côtoient du 24 sept au 15 oct. 24 grands concerts : Paco Ibanez, John Scolfield, Saul Williams, Al di Meola… et une myriade de manifestations associées.

Octobre

Cinéma au Cinemed 234 films, beaucoup vus nulle part ailleurs, le parcours étonnant d’Andréa Ferréol, les films du Catalan Ventura Pons, les facéties d’un Benoît Poelvoorde, une rétrospective Pietro Germi font les riches heures de l’édition 2011. Le Palestinien Sameh Zoabi remporte l’Antigone d’Or pour L’homme sans portable.

Rockstore 25 ans. On célèbre ses 25 piges du Rockstore durant tout un mois. L’événement est soutenu par la mairie devenue propriétaire en 2009 sans ôter de liberté au lieu mythique.

Novembre

Hip Hop L’événement culturel Battle of the year distingue à l’Aréna les meilleurs crews (équipes) de breakdance de la planète. C’est la France qui s’impose devant les Etats-Unis.

Décembre

Danse Avec  Salves Maguy Marin affirme une prédilection pour le nocturne. Un langage s’invente. Il traduit l’ébranlement de la cohésion sociale fondée sur des siècles d’Histoire et de valeurs.

Théâtre Alain Béhar signe son retour à la Vignette avec Até, un nouvel ovni. Que devient la figure mythologique Até à l’heure du tout numérique ? La déesse de la discorde renaît sous les traits d’un avatar.

opéra-bouffe
René Koering conclut par une Belle Hélène avec la complicité d’Hervé Niquet à la direction musicale et une mise en scène chocolatée de Shirley et Dino. Les 28 dec,  et 3 et  5  janvier 2012.

Politique culturelle : la carte de l’attractivité

Concert Place de l’Europe

Les collectivités tiennent les budgets. De nouveaux acteurs arrivent.

Suite au remaniement de l’équipe municipale en juin, Philippe Saurel devient délégué à la Culture. Il assure à ce poste la rentrée de septembre. Candidat socialiste déclaré à la mairie en 2014, il était en charge de l’Urbanisme qui revient à Michael Delafosse, son prédécesseur à la culture. La différence de sensibilité et de vision entre les deux hommes laisse certains acteurs culturels dubitatifs. Le projet des ZAT, forme artistique de l’exploration urbaine, recueille en avril, le soutien entier d’Hélène Mandroux. Six mois plus tard, il pourrait être remodelé après les critiques portées par le nouvel adjoint sur la troisième ZAT devant la nouvel mairie.

Au Domaine d’O, Jean Varela est nommé à la tête du Printemps des comédiens six mois avant la 25e édition en juin. Il est aussi directeur de sortieOuest créée à Béziers pour rééquilibrer l’offre culturelle  en faveur de l’Ouest du département. A 44 ans, il devient un bras séculier de l’action culturelle du Conseil général. A ses côtés, le directeur du Domaine d’O, Christopher Crimes, poursuit sa  quête de nouveaux publics  en découvrant la richesse des créateurs héraultais.

Lors de la présentation de saison de l’Opéra, le président de région Christian Bourquin déclare que la valeur ajoutée d’une politique culturelle tient dans sa capacité de faire la différence. Fin novembre, la Région signe une convention avec l’Institut français, chargé de promouvoir  les actions d’échanges et la culture française à l’étranger.

Georges Frêche a toujours considéré  la culture comme un facteur prédominant du développement. Un sondage récent place la culture comme un élément d’attractivité déterminant de la ville comme de la région. En 2012, les collectivités territoriales devraient réaffirmer, la culture comme une priorité politique.

Photo : Lumière sur le Pavillon Populaire

Brassaï Greewich

Au top. Gilles Mora expose les pointures de la photo internationale.

Nommé à la direction artistique d’un navire d’images de 600 m2, Gilles Mora avait pour première mission la célébration du 55e anniversaire du jumelage de Montpellier avec Louisville. Il livre avec Les suds profonds de l’Amérique une exposition qui fait événement (20 000 visiteurs) et ouvre grand la porte de l’imaginaire américain. Les Montpelliérains découvrent notamment l’univers singulier de Ralph Eugene Meatyard.

Après l’Amérique, le printemps marque un retour en Europe avec l’exposition Aires de jeux champs de tensions dont le commissariat de l’exposition est confié à Monika Farber. La conservatrice en chef du Musée de l’Albertina à Vienne, propose des œuvres de trois grands artistes : Bogdan Dziworski, Michael Schmidt, Christ  Killip, tout en ouvrant l’espace à de nouveaux talents.

De Juin octobre l’expo Brassaï en Amérique confirme la nouvelle place de Montpellier dans le paysage de la photo d’art. Elle propose 50 images en couleur et 110 tirages d’époque en noir et blanc jamais publiés par l’artiste français d’origine hongroise. L’expo s’inscrit comme une découverte  qui devrait faire date dans l’histoire de la photo.

Jusqu’au 12 février on peut aller voir Apocalypses, la disparition des villes. De Dresde à Detroit (1944-2010) où l’on découvre quelques icônes de l’historiographie des villes du monde en ruine. C’est la 3ème  exposition présentée dans le cadre de la programmation 2011 centrée sur la photographie urbaine. Le commissariat est assuré par Alain Sayag, ex conservateur pour la photographie au Centre Georges Pompidou.

Ouverte sur les espaces et sur les hommes, la nouvelle dynamique impulsée par Gilles Mora a pour ambition d’affirmer Montpellier comme un lieu qui compte pour la photographie d’art à l’échelle nationale et internationale. Et il est sur la bonne voie !

Classique Lyrique :Une partition un peu dissonante

Départ de Koering arrivée de Scarpitta et de Le Pavec.

Durant les travaux de l’Opéra Comédie les représentations se poursuivent au Corum. Suivez le feuilleton des travaux sur France 3 LR.

Fondateur avec Georges Frêche du Festival de Radio France Montpellier Languedoc-Roussillon, René Koering tire sa révérence avec la 27e édition. Le 11 juillet, le concert d’ouverture illustre la dimension découverte  qui a fait l’identité du festival. La Magicienne de Halevy, donnée par l’Orchestre national de Montpellier dirigé par  Lawrence Foster. Le chef américain attitré de l’orchestre est lui aussi sur le départ avant la fin de son contrat.

Après avoir démissionné de la direction de l’Orchestre et de l’Opéra en décembre 2010, René Koering a quitté la direction du Festival le 28 juillet en laissant un bel héritage. Mais la transition ne s’est pas faite sereinement. Le surintendant de la musique dit avoir appris le nom de son successeur  à la tête du festival dans  la presse. Il s’agit de  Jean-Pierre Le Pavec nommé au début de l’année directeur de la Musique à Radio France. Jean-Paul Scarpitta préside désormais à la destinée artistique de l’Opéra et de l’Orchestre. De loin le plus important  financement culturelle de la région, le budget de la double structure avoisine les 25 M d’euros. Il est géré par l’association Euterp.

Jean-Paul Scarpitta a dévoilé en juin le contenu de la saison 2011-12. On attend en mars, une Electra de R. Srauss dans une mise en scène de Jean-Yves Courrègelongue. Le même mois suivra la première mondiale de l’opéra de Philip Glass Einstein on the Beach en présence des deux autres créateurs Robert Wilson et Lucinda. Une nouvelle production  des Noces de Figaro mise en scène par le directeur, avec des costumes de Jean-Paul Gaultier aura lieu en juin. Et la Messa da Requiem de Giuseppe Verdi sera donnée sous la baguette de Riccardo Muti les 14 et 15 janvier pour le concert du nouvel an.

Les expos de l’année

L’agglo hisse ses toiles

L’agglomération de Montpellier s’implique fortement au Musée Fabre. En 2011, la qualité des expositions programmées en témoigne.  De juillet à Octobre, on redécouvre Odilon Redon avec l’expo Le prince du rêve repenser dans un parcours muséographique inédit après l’expo du Grand Palais. L’art de Redon  explore les méandres de la pensée, l’aspect sombre et ésotérique de l’âme humaine, empreint des mécanismes du rêve.

En octobre le patron Antoine Gallimard est à Montpellier à l’occasion du vernissage de  Gallimard un siècle d’édition. L’exposition fait sortir de la confidentialité des documents exceptionnels. A travers les extraits de correspondances, le visiteur y trouve des éléments clés pour approfondir les œuvres des plus grands auteurs du XXe.

Depuis le 3 décembre, on peut apprécié Sujets de l’abstraction une grande expo sur la peinture non figurative de la seconde école de Paris. C’est le premier déplacement des chef-d’œuvres issus de la Fondation Gandur pour l’art après le Musée Rath, Genève. Le parcours permet de reconstituer l’histoire de la peinture non-figurative expressionniste entre 1940 et 1960 à travers les œuvres de Lucio Fontana, Jean Dubuffet, Georges Mathieu, Serge Poliakoff…

En novembre, la Drawing Room présentées au Carré St Anne a permis de se faire une autre idée. Celle de la vivacité de la création plastique d’aujourd’hui grâce à l’initiative de six galeries montpelliéraines (AL/MA, Aperto, BoiteNoire, Iconoscope, Trintignan et Vasistas) ayant choisi le dessin comme une approche pertinente de l’art contemporain.

Voir aussi :

Rubrique Livre, BD,

Rubrique Théâtre

Rubrique Danse, Salves Maguy Marin

Rubrique Poésie, Quelques prévisions de veillées poétiques, Voix de la Méditerranée le contenu d’une union , L’espace des mots de Pierre Torreilles,

Rubrique Musique Saison Musique lyrique 2011/12,

Rubrique Expositions, Les chambres noires du Sud, Les sujets de l’abstraction, Cy Twombly tire un trait,

Rubrique Cinéma

Rubrique Photo,

Rubrique Politique culturelle, Le Conseil général de l’Hérault maintien les grands axes, Philippe Saurel,

Festival, Arabesque, Saperlipopette, Printemps des Comédiens , Internationales de la guitare, Montpellier Danse, Festival de Radio France, Festival des Arts Numériques,

Rubrique Rencontre Jean Joubert, René Koering,

« Salves » de Maguy Marin

L’espace noir élargit l’imaginaire. Photo D Grappe

Dans la lumière blanche, un périmètre invisible se dessine avec du fil de pêche. On suit ce fil tendu par Maguy Marin. Il est comme un lien transparent qui appelle à la mobilisation. Les danseurs s’en saisissent. De la salle, ils montent sur la scène.

Noir. On est entré en plongée dans l’esthétique de Salves. L’histoire se joue dans un entre-temps où le noir n’est pas tout à fait noir, où les bobines des vieux magnétos à bandes se mettent à tourner, à s’arrêter pour reprendre dans un autre sens. Le langage chorégraphique aspire comme les grandes vagues de l’océan. Maguy Marin nous retourne, flirtant par moment avec l’expression cinématographique entre White Material de Claire Denis et The Very black Show de Spike Lee.

Sur cette scène à quatre entrées, une mutation sociale inédite accélère le cours des choses. Dans une métrie du temps et de la lumière, l’histoire défile en diagonale. Les tableaux apparaissent et  s’éteignent. Ce noir qui occupe la majeure partie de l’espace, élargit l’imaginaire. L’édifice scénique se construit et se déconstruit à mains d’hommes et de femmes. La cadence est rapide, on ressent la tension de la mécanique en ne percevant que des segments. Les corps se soulèvent de la nuit.

Le danger est palpable. Il est même permanent comme un trou d’air gigantesque. Une culture  hors sol où tout le monde est devenu clandestin. On s’efforce de recoller les morceaux précieux de l’identité collective. Mais il y a des pertes. Des assiettes se cassent, des corps s’effondrent, s’enfouissent, disparaissent. Les danseurs résistent collectivement pour ne pas être balayés.

Résistance

Maguy Marin sait jouir de sa liberté et elle est généreuse. Ce qui lui donne une force sans beaucoup d’équivalent sur la scène de la danse contemporaine française. Depuis vingt ans, elle répond à une exigence artistique débridée. L’artiste n’a jamais tourné le dos à l’absurde, mais sa critique moqueuse a toujours du sens. Salves affirme une prédilection pour le monde nocturne. Les humains agissent dans le noir. Un langage s’invente, fait de rythmes et de mouvements. Il traduit l’ébranlement de la cohésion sociale fondée sur des siècles d’Histoire et de valeurs.

C’est du moins la piste de travail initiale. L’œuvre qui en sort au final la dépasse. L’excellent travail sur la lumière, privilégiant le cadrage serré fait songer aux peintures de La Tour. Les préparatifs somptueux du banquet dénotent un dérèglement comme si la consommation des symboles n’avait plus le même goût. Salves, n’est pas une pièce noire, c’est une pièce qui transporte l’aura de Walter Benjamin, pour qui le déclin n’est pas disparition. Une fois de plus Maguy Marin s’attaque au temps et prend la tendance générale à contre pied . Pour elle le corps est une arme qui pense un dernier espace de liberté…

Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Danse,

Breakdance et création contemporaine

Les Pockemon se confrontent "au principe féminin".

Danse. Jeudi la Cie Urumaki et la Cie Pockemon ont offert deux regards sur la création au Théâtre des 13 Vents.

L’événement culturel Battle of the year qui distinguera aujourd’hui à l’Arena les meilleurs Crew (équipes) de breakdance de la planète a rayonné toute la semaine sur la cité. Jeudi le Théâtre des Treize Vents accueillait le spectacle de deux compagnies s’étant naguère distinguées dans  la compétition mondiale pour une soirée dédiée à la création.

S’il peut paraître surprenant de voir les Bboy lustrer le plancher du hall de Grammont en tournant sur leur tête, c’est tout naturellement que la manifestation intègre la programmation de Montpellier Danse centrée sur les chorégraphes contemporains. Rien d’étonnant à cela, puisque l’univers du hip hop est désormais communément admis dans le réseau national de création et de diffusion chorégraphique. Kader Attou, le directeur artistique et chorégraphe de la compagnie Accrorap a succédé à Régine Chopinot à la tête du Centre chorégraphique national de La Rochelle en 2008. Le CCN de Créteil a été confié au danseur chorégraphe issue du hip hop, Mourad Merzouki, en 2009. Et le pôle Pik, centre chorégraphique entièrement dédié à la création et à la diffusion du hip hop a été inauguré l’année dernière dans la banlieue lyonnaise. L’arrivée en force du hip hop dans le champ chorégraphique, dit en crise de la représentation, ne manque donc pas d’intérêt.

Hip hop et représentations
Cette soirée consacrée à la création a donné l’occasion  d’observer la nature de cette confrontation, car on le sait, la reconnaissance institutionnelle correspond rarement à un mariage d’amour.

Avec la pièce Sadako, Valentine, chorégraphe d’origine japonaise de la Cie Uzumaki, replonge au plus profond de sa culture. Elle organise la dramaturgie de ses solos en convoquant l’esthétique du butô et les esprits qui hantent les vieilles légendes nippones. Nappé de mélodies enfantines, la bande musicale allie le souffle inquiétant des machines, au son entêtant des instruments traditionnels. Les mouvements maîtrisés de breakdance se figent dans de curieuses postures évoquant d’étranges créatures. L’usage de pliage d’origami comme seul élément du décor, confère une solennité à l’espace dépouillé et tient lieu de volumes modulables qui orientent les mouvements de la danseuse. La pièce qui synthétise d’improbables composants culturels ouvre un autre espace temps.

Avec Second souffle les huit Bboy  de la compagnie Pockemon, champion du monde du Boty 2003, « se confrontent au principe féminin ». La pièce s’articule autour de tableaux successifs entre le groupe d’hommes et la danseuse contemporaine Sandra de  Jesus. Le spectacle qui fait appel à l’humour est plaisant. Prisonniers de leur mâle attitude, les danseurs en deviennent attendrissant. Ici, il ne s’agit pas de s’affranchir de l’étiquette banlieue mais d’en pousser les traits pour le théâtraliser à l’américaine. On passe du meilleur, genre : Usual suspects, au pire exemple de la mauvaise comédie musicale, type fleur bleue.

Présenté comme transversal, le travail de création autour de la breakdance*, pose question quand il quitte un lieu commun pour en rejoindre un autre. Mais l’énergie du hip-hop, peut aussi  agir comme un puissant levier. La part de révolte contenue dans la breakdance est un outil pour aller à la rencontre de l’autre et notamment de nouveaux publics.

Jean-Marie Dinh

* La breakdance n’est évidemment pas la seule concernée.

Voir aussi : Rubrique Danse, Battle Of The Year 2011,

Battle of the Year : Esprit créatif hors normes

Battle of the Year 2011. Montpellier au cœur de la culture hip hop mondiale du 11 au 19 novembre.

Sur la planète hip hop, Montpellier s’identifie désormais comme une ville incontournable de la breakdance et pour cause puisqu’elle accueille pour la seconde année le Boty international du 11 au 19 novembre prochains.

La montée en puissance de cette culture est liée aux artistes passionnés qui émergent localement et au travail de l’association Attitude et du réseau hip hop qui leur permet en région d’accéder à la scène à travers des Buzz boosters, un dispositif national de repérage et d’accompagnement des artistes. Depuis  1989, Attitude œuvre aussi pour la structuration et la reconnaissance des différentes disciplines de la culture hip hop.

Cette reconnaissance passe aujourd’hui en partie par un financement institutionnel. Hier lors de la présentation du Boty, Josiane Collerais, vice-présidente en charge de la culture à la région, rappelle la prise en compte de la culture urbaine par Georges Frêche avec un budget en constante évolution : « On est passé de 27 000 euros en 2007 à 307 000 euros cette année dont 138 000 pour Battle of the Year. » De son côté, l’adjoint au maire Philippe Saurel évoque la refonte globale de l’espace Grammont, sur lequel il verrait bien : « l’occasion de reconfigurer le skatepark. » En l’absence de Jean-Paul Montanari, Gisèle Depuccio, la directrice adjointe de Montpellier Danse fait savoir que les portes de La Cité de la danse demeurent grandes ouvertes à la culture hip hop qui l’a pleinement intégrée dans la programmation de sa saison.

Passion et synergie

Le Boty international met en compétition les meilleurs groupes de breakdance venus  des quatre coins du monde. Il présente un rapide spectacle (choré) mettant en avant leurs qualités scéniques. La durée maximum du show est de 6 minutes. Un jury de 5 personnes, constitué strictement de danseurs confirmés, choisit les 4 meilleurs groupes qui s’affronteront en défis. La finale aura lieu  le 19 novembre à l’Arena. Un prix est également décerné pour la meilleure performance scénique (best show). Du 14 au 17 novembre, la cité de la danse accueillera 45 danseurs amateurs qui participeront à une formation avec des professionnels du secteur. A ne pas manquer la soirée Hip Hop en création programmée par Montpellier Danse  au Théâtre des 13 vents le 17 novembre.

le Boty international s’ouvre cette année pour la première fois au continent africain. En accueillant des danseurs algériens, tunisiens, marocains et en ouvrant la compétition à l’Afrique du Sud, le Zimbabwe et le Nigeria, « nous espérons contribuer en 2012 à une sélection sur le continent africain qui n’a pas été possible cette année », indique Thomas Raymond de l’association Attitude.

L’événement donnera lieu au tournage d’un long métrage qui se déroulera au cœur de la compétition 2011. Les b.boys et les b.girls de la région s’entraînent déjà pour transmettre à la ville les valeurs participatives propres à la culture hip hop.

Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Danse, rubrique Montpellier, rubrique Politique culturelle,

Les œillets d’espoir de Pina Bausch

L’âme de Pina restituée intacte et sauvage. Photo Ulli Weiss

Danse. Le Théâtre de Nîmes accueille jusqu’à dimanche, les dix-neuf danseurs du Tanztheater dont l’épouse de l’imaginaire, Pina, fut la figure maîtresse.

Unique représentation donnée en France, Nelken (œillets), un des grands succès internationaux de la compagnie de Pina Bausch, occupe le plateau du Théâtre de Nîmes jusqu’à dimanche.* Dans le vaste répertoire de l’artiste, dont les danseurs poursuivent avec une sincérité indomesticable la transmission, cette pièce parle la langue de Pina Baush. Celle d’une danse-théâtre qui sort des rôles de composition pour approcher le réel.

Il y a la dimension symbolique avec cet immense parterre de fleurs qui évoque le jardin rêvé de l’enfance et le danseur « bowiesque », Lutz Forster, qui ouvre la pièce dans la langue des signes sur The man I love de Cole Porter. Il y a la dimension humaine qui traverse la mise en scène fragmentée avec ses émotions, ses failles et ses pulsions. La scène est un théâtre d’exploration intime où les danseurs se parlent, s’interpellent, s’aiment, se battent… L’émotion y circule de la colère au rire, de l’introversion à l’exubérance, de la souffrance au réconfort, parallèle aux contradictions de la mondialité, elle bascule soudainement de l’individuel au collectif et réciproquement.

Une éducation à l’altérité

Dans le bel hommage rendu au génie de Pina par Wim Wenders, les danseurs évoquent la capacité qu’elle avait à les voir de l’intérieur, à creuser en eux pour les faire danser. Exigeante, Pina Baush allait chercher la singularité des corps bien au-delà des apparences. Elle exprimait la violence de la société et dénonçait la séduction ; ce qui explique sans doute qu’elle ait toujours boudé le festival Montpellier Danse contrairement à Raimund Hoghe qui signe la dramaturgie de Nelken.

Le sens inouï de l’humanité de Pina a donné une éducation à l’altérité à ses danseurs qui franchissent naturellement la frontière entre l’espace scénique et public pour partager leur savoir être avec la salle. La notion même de spectateur semble se dissoudre devant cette communauté fragile dont la force des liens évoque une grande famille qui affronte le monde et célèbre les saisons. L’empathie que l’on éprouve peut aller jusqu’au sentiment d’appartenance à cette improbable fratrie. Tentation renforcée par la démarche des danseurs qui nous parlent et nous invitent au sens physique et psychique.

On ne saurait énumérer tous les ingrédients qui nourrissent l’esthétisme de Pina Bausch. Son œuvre contient un véritable concentré de la culture européenne, de la tragédie grecque, aux contes de Perrault, et à l’expressionnisme en passant par Boccace, Stravinsky, Pasolini et les Monty Python.

Créée en 1982 Nelken n’a pas pris une ride. A la fin, les danseurs  nous expliquent un à un les raisons les ayant conduits à devenir danseur. La boucle  est bouclée, l’âme de leur égérie nous est restituée, intacte et sauvage. Nelken est un spectacle qui  nous donne la force et l’ambition d’être ce que nous sommes vraiment, c’est exceptionnel !

Jean-Marie Dinh

La troupe donnera Ein stück von Pina Baush au  Théâtre de la ville à Paris en mai 2012.

Voir aussi : Rubrique Danse, rubrique Allemagne,