The monsters’ dinner au Cinemed : Cette norme qui nous dévore

The monsters’ dinner

Inattendu et brillant, le premier long métrage du jeune réalisateur turc Ramin Martin donne froid dans le dos. Un homme rentre chez lui après sa journée de travail. Il retrouve sa femme, la regarde, et lui propose, sans y mettre les formes, de faire l’amour. Elle refuse lui rappelant qu’ils reçoivent un couple d’amis. Dès les premières images, on glisse dans le climat étrange de ce huis clos glacial.
Le couple d’invités arrive en compagnie d’un enfant cadeau. « Il ne fallait pas », dit la bien élevée maîtresse de maison avant de menotter l’enfant d’une douzaine d’années dans la cuisine et de rejoindre ses invités dans le salon. Ramin Martin joue avec l’invisible pour porter le film à un niveau exceptionnel de tension. Débute une discussion ankylosée par les conventions, entrecoupée de réflexions acides et cruelles totalement décomplexées qui dressent le portrait d’une société néo fasciste mondialisée. On comprend que la société sécuritaire dont jouissent sans limite les deux couples leur interdit l’alcool et les pratiques artistiques mais dans cet entre-soi intime, ils osent outrepasser un peu les règles. Pour tenir, ils se détendent en regardant les voisins se prendre une balle dans la tête par les gardiens de la paix. Quelle idée de se faire piquer avec des liquides illicites dans son appartement. Et puis il y a la cérémonie des gifles qui serait bien plus drôle si ces gamins étaient de meilleure qualité. On pressent pourtant une brèche dans l’identité affective d’un des personnages masculins qui évoque la mort, entre deux escapades dans la pièce d’à côté où il va se masturber. Les autres s’empiffrent et ne sortent de table que pour aller vomir.

Le côté radical et le cadre politique auxquels renvoie The monsters’ dinner, fait songer à La Grande Bouffe du XXIe siècle. Le cynisme sans espoir du scénario est magnifié par la brillante désillusion des d’acteurs. Ce film met mal à l’aise, et pour cause, tout le talent du réalisateur consiste à banaliser une situation abjecte en rendant la monstruosité normale. On y décèle une pointe de réalisme. Et l’on se prend à imaginer ce qui se passe vraiment quand une voiture de police déboule sirène hurlante dans la rue d’en face. Ramin Martin* nous rassure au moins sur un point, la nouvelle génération des réalisateurs turcs se porte bien.

Jean-Marie Dinh

Son deuxième long métrage The Impeccable à été sélectionné pour la bourse d’Aide de Montpellier 2010.

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