On ne naît pas impunément dans une famille de grammairiens. Mais que l’on se rassure, voir et entendre Pascal Quignard est une chose toute différente que de le lire. L’occasion nous en était donnée cette semaine à l’auditorium du Musée Fabre où le lettré était l’invité de la librairie Sauramps. Avant d’évoquer son dernier livre, Boutès, avec Nathalie Castagné, l’auteur en a lu le premier chapitre. Pris par l’expédition des Argonautes pour retrouver la toison d’or, le héros, Boutès, rencontre les sirènes. Mais à l’inverse d’Ulysse, qui reste attaché à son mât, Boutès plonge dans la mer. Ce geste, à première vue insensé, ne l’est certainement pas, suggère l’écrivain dont le cheminement vise à y trouver un sens. C’est autour de ce saut, « l’élan de Boutès vers l’animalité intérieure » que tourne son livre.
« Après La nuit sexuelle, je voulais m’accorder un peu de répit, indique Pascal Quignard, mais il y a eu cet épisode au Banquet de Lagrasse (1) qui m’a donné un sursaut pour défendre les lettres. » Retour donc vers ce mythe grec méconnu pour évoquer « la musique qui a le courage de se rendre au bout du monde. » Boutès répond à l’appel ancien de l’eau, un irréel qui n’est pas du passé, affirme l’écrivain.
JMDH
Pascal Quignard, Boutès, Éditions Galilée, 2008
En 2007lors du festival qui avait pour thème La nuit sexuelleen hommageà Pascal Quignard,12 000 livres ont été saccagés par un mélange de gas-oil et d’huile de vidange dans l’abbaye rachetéepour partie par le Conseil général (des moines traditionalistes vivent dans l’autre partie de l’abbaye). A ce jour l’enquête du SRPJ n’a toujours pas abouti.
La trahison des économistes. Un bilan critique de l’univers financier en faillite.
Un ouvrage qui tombe à pic au moment où l’Insee nous apprend que la France vient d’entrer en récession ! L’économiste Jean-Luc Gréau constate que le débat de fond en matière de politique économique a disparu, avant de s’interroger sur le fonctionnement insensé de la sphère financière.
L’essai dénonce la marginalisation des économistes qui ne font pas acte d’allégeance à la nouvelle doctrine dominante, en soulignant au passage que la prise de pouvoir par les néo-libéraux ne traduit pas un renouveau de la réflexion économique. En d’autres termes, les tenants de la pensée unique seraient incapables de dépasser les limites plus qu’avérées de leur théoricien Milton Friedman, qui a dénoncé l’interventionnisme économique de l’Etat comme une source de perturbation pour les décisions rationnelles des agents économiques. Décisions qui, comme chacun sait, n’ont de rationnel que l’augmentation des dividendes des actionnaires.
L’auteur suit le chemin de l’examen critique du libre-échange en s’interrogeant sur les concepts de concurrence ou de dérégulation: « La concurrence signifie que les vendeurs ne sont plus assurés du montant approximatif de leur vente, qu’ils peuvent aussi être évincés du marché, du fait de rivaux bien mieux armés (…) La dérégulation organisée de la production ne garantit pas le surgissement d’une concurrence effective : on peut même aboutir à un résultat contraire, comme le montre l’expérience américaine en matière de production d’électricité. » L’auteur file encore à contre-courant lorsqu’il soutient que, bien conçu, le protectionnisme représente l’arme maîtresse de toute politique d’attractivité d’un territoire qui s’avèrera d’autant plus forte et durable que les autorités publiques l’auront intelligemment protégé.
En somme, l’analyse théorique et pratique de Luc Gréau marque tous les poncifs du raisonnement néo-libéral du sceau de la perplexité. En ces temps de risque systémique et de purge méthodique c’est aussi à la rénovation des esprits qu’appelle Luc Gréau.
Jean-Marie Dinh
La trahison des économistes, éd itions Gallimard, 15,5 euros
« Miguel Hernandez avait clairement à l’esprit qu’il ne travaillerait jamais dans un bureau, qu’il ne porterait jamais d’attaché-case ni de cravate. Il savait tout aussi clairement qu’il n’accepterait pas de poste à responsabilités dans une grande entreprise et qu’il ne ferait pas de voyage à l’étranger. »
A 18 ans, l’anti-héros du roman de Xavier Gual pense savoir à quoi s’en tenir. Et il mesure l’ampleur de son ignorance. Miki, pour les intimes, a deux buts dans sa vie : être le roi du quartier et se payer une voiture mortelle. Pour cela, il est prêt à tout. Avec son pote Sapo qui fréquente une bande de skins toujours à la recherche de nouveaux terrains de chasse, il sillonne les quartiers de leur cité barcelonaise pour dealer des cachetons à la petite semaine. « Je voulais aborder l’expérience de jeunes plein de vitalité qui vivent dans les cités de Barcelone. Celles que personne ne connaît. Ni les touristes qui viennent dans la mégapole comme à Disneyland, ni les politiques qui ne connaissent rien de la cité. »
Le choix d’un milieu social défavorisé résonne pour toute une génération qui ignore le concept historique d’ascenseur social. Le quotidien de la jeunesse abandonnée que décrit l’auteur ne fait pas bon ménage avec l’idéologie, hormis « le masque » du fascisme. Pas bon ménage tout court, pourrait-on dire, chez les personnages de Xavier Gual qui ne savent pas aimer.
La structure est constituée d’une succession de monologues, criants de vérité. « J’ai travaillé les dialogues comme si c’était une caméra qui enregistrait les scènes. » Le passage du prof qui craque en déballant à ses élèves ce qu’il a sur le cœur, ou celui de la star du porno qui affranchit froidement les deux jeunes volontaires frise le tragi-comique. On est saisis par le rythme et la puissance de la langue dont la traduction française tire le meilleur parti. « On connaît bien la langue catalane pour ses récits historiques. Avec ce livre, je souhaitais employer le registre de la rue qui n’apparaît pas dans les écrits catalans. » L’expérience vaut le détour. Passées les premières pages, impossible de décrocher.
Ketchup, 17 euros, éd Au diable Vauvert.
Xavier Gual était l’invité de la librairie Sauramps.
Un livre d’actualité pour s’y retrouver, un peu, dans la grande course à l’échalotte qui anime le parti politique qui naguère structurait le débat politique français. Avec Le petit socialiste illustré, Jean-Michel Normand spécialiste du PS au Monde, dépeint le paysage baroque où les grandes joutes idéologiques ont laissé place à la médiacratie, et les programmes de société aux petites phrases assassines et glamour. Malgré ses ressources inestimables, pourrait-on croire, le PS n’a pas remporté une seule élection présidentielle depuis vingt ans. Ce livre illustré par l’exemple aide à comprendre pourquoi. Il propose de découvrir le PS sous un angle inédit : celui de son folklore, de ses manies qui font tristement sens. Du patois militant, aux tics de langage des leaders, sans oublier les tartes à la crème qui émaillent leurs discours, le livre de Normand dévoile, non sans humour, les travers d’une galaxie surréaliste souvent située aux antipodes de l’intérêt général. On tourne les pages en s’efforçant de rire, mais l’exercice est difficile. Dans la langue du crue, les pathétiques imbroglios de la tektonik du PS local ou le mariage de la carpe et du lapin pourraient se traduire ainsi. Pour se remettre en selle sous la pression du Big Boss (Frêche) qui en pince pour Stausski (DSK), la belle Hélène (Mandroux) qui avait hier rallié la motion de Bébert roi du monde (Delanoë), soutient aujourd’hui celle de La dame aux caméras (Royal). Le congrès PS en question doit être celui de sa « rénovation ». L’affaire est devenue sacrément urgente. Le pire résidant sans doute dans la propention hégémonique que le parti socialiste s’efforce sans cesse de déployer sur l’ensemble de la gauche.
Le petit socialiste illustre, ed Jean-Claude Gawesewitch, 13,9 euros
Sous le titre » La course du dragon et de l’éléphant « , Martine Bulard, rédactrice en chef adjointe du MondeDiplomatique en charge du secteur Asie, revient sur la percée de la Chine et de l’Inde sur la scène internationale en soulignant les enjeux d’une meilleure compréhension. Entretien.
Votre livre est une invitation à prendre une plus juste mesure des changements qui modifient les rapports internationaux. Vu d’ici, le regard porté sur ces deux géants d’Asie reste pourtant assez réducteur…
» En effet, on caricature beaucoup avec une Inde dite contemplative, et une Chine travailleuse, que l’on redoute. Dans les représentations, c’est un peu le retour du péril jaune. Ces pays méritent d’être connus pour leur histoire. D’autant que cela intéresse les gens qui sont plus attentifs et soucieux qu’on ne le croit de savoir ce qui se passe à l’étranger.
Ces deux pays participent aujourd’hui pleinement à la mondialisation avec des modèles de développement économiques différents ?
Le rôle de l’Etat demeure déterminant dans les deux pays. Sous la pression du marché, l’Inde a adopté un modèle économique plus extraverti. Avec un secteur industriel très faible, le pays est passé directement de l’économie rurale à celle des services. Après avoir observé ses voisins, la Chine a préféré attirer les capitaux étrangers plutôt que d’emprunter aux banques et aux institutions monétaires internationales. C’est un modèle plus autocentré tourné vers l’exportation. Mais non sans contrepartie, car les multinationales imposent leurs conditions, notamment l’exploitation de la main-d’œuvre qui ouvre la compétition au moins disant social.
La notion d’atelier du monde a-t-elle des perspectives avec le coût de la main-d’œuvre qui monte ?
Le terme d’atelier du monde est un peu méprisant. La main-d’œuvre chinoise est de plus en plus qualifiée et l’offre des produits monte en gamme. Par ailleurs, avec les effets attendus de la crise économique mondiale, les dirigeants chinois savent qu’il faut développer leur marché intérieur.
La croissance durable de la Chine lui a permis de devenir la seconde puissance financière mondiale et sa résistance au crac de 97 en fait un modèle pour ses voisins comme pour les pays du Sud…
A l’instar de Sarkozy en 2007, les pays occidentaux somment le Premier ministre Hu Jintao d’accélérer l’appréciation du huan mais tout le monde reste silencieux sur le déficit américain et les privilèges exorbitants du dollar. Pékin est devenu le troisième partenaire de l’Afrique. Ce n’est pas, comme le disent certains, une simple diplomatie pétrolière. La Chine n’est pas désintéressée, mais elle cherche aussi à gagner une audience politique et culturelle et à promouvoir son modèle baptisé développement partagé. Les Africains y sont sensibles parce qu’avec les Chinois, les rapports sont un peu moins inégaux qu’avec les autres qui se croient toujours en terrain conquis.
Comment évaluez-vous la stabilité politique du régime chinois ?
Le PCC est fort, omnipotent. Il peut se montrer très répressif, comme on l’a vu pour les J-O. Il est aussi extrêmement mobile. Il a su se moderniser, ses cadres se sont formés en Occident. Ils essayent de faire bouger les choses, leur idéal serait une évolution à la japonaise avec un parti unique qui irait de l’extrême gauche à la droite classique. Aujourd’hui, tout le monde peut s’exprimer, des libéraux aux anciens mao, à la condition de ne pas remettre en cause le régime.
Sur le terrain géopolitique, la politique américaine en Asie s’oppose au rapprochement sino-indien, qui semble pourtant connaître quelques éclaircies…
Les Etats-Unis veulent faire jouer à l’Inde un rôle de contrepoids face à la Chine. L’Inde était au départ assez fière de cette alliance mais pour des raisons diverses comme celle du Pakistan, ou du poids de politique intérieure liée à la coalition au pouvoir. Les choses sont en train de changer. On assiste à un certain rapprochement. La Chine et l’Inde ont évoqué récemment le conflit territorial qui les oppose au Nord-Est de l’Inde.
La clef d’un monde multilatéral passe-t-elle par l’Asie ?
Nous entrons dans le post américanisme. Mais on assiste aussi à un surarmement préoccupant dans cette partie du globe. Les récents changements à Taïwan avec l’arrivée du Kuomintang, favorable à un rapprochement avec Pékin, comme l’arrivée des travaillistes en Australie, ne jouent pas en faveur de la stratégie de l’affrontement. La question est de savoir si les futurs dirigeants américains vont prendre conscience que le monde a changé et remplacer la confrontation archaïque entre puissances pour aller vers une coopération, même conflictuelle, entre pôles de développement qui se respectent. »
Chine Inde : La course du dragon et de l’éléphant, éditions Fayard, 19 euros.