Sous le titre » La course du dragon et de l’éléphant « , Martine Bulard, rédactrice en chef adjointe du MondeDiplomatique en charge du secteur Asie, revient sur la percée de la Chine et de l’Inde sur la scène internationale en soulignant les enjeux d’une meilleure compréhension. Entretien.
Votre livre est une invitation à prendre une plus juste mesure des changements qui modifient les rapports internationaux. Vu d’ici, le regard porté sur ces deux géants d’Asie reste pourtant assez réducteur…
» En effet, on caricature beaucoup avec une Inde dite contemplative, et une Chine travailleuse, que l’on redoute. Dans les représentations, c’est un peu le retour du péril jaune. Ces pays méritent d’être connus pour leur histoire. D’autant que cela intéresse les gens qui sont plus attentifs et soucieux qu’on ne le croit de savoir ce qui se passe à l’étranger.
Ces deux pays participent aujourd’hui pleinement à la mondialisation avec des modèles de développement économiques différents ?
Le rôle de l’Etat demeure déterminant dans les deux pays. Sous la pression du marché, l’Inde a adopté un modèle économique plus extraverti. Avec un secteur industriel très faible, le pays est passé directement de l’économie rurale à celle des services. Après avoir observé ses voisins, la Chine a préféré attirer les capitaux étrangers plutôt que d’emprunter aux banques et aux institutions monétaires internationales. C’est un modèle plus autocentré tourné vers l’exportation. Mais non sans contrepartie, car les multinationales imposent leurs conditions, notamment l’exploitation de la main-d’œuvre qui ouvre la compétition au moins disant social.
La notion d’atelier du monde a-t-elle des perspectives avec le coût de la main-d’œuvre qui monte ?
Le terme d’atelier du monde est un peu méprisant. La main-d’œuvre chinoise est de plus en plus qualifiée et l’offre des produits monte en gamme. Par ailleurs, avec les effets attendus de la crise économique mondiale, les dirigeants chinois savent qu’il faut développer leur marché intérieur.
La croissance durable de la Chine lui a permis de devenir la seconde puissance financière mondiale et sa résistance au crac de 97 en fait un modèle pour ses voisins comme pour les pays du Sud…
A l’instar de Sarkozy en 2007, les pays occidentaux somment le Premier ministre Hu Jintao d’accélérer l’appréciation du huan mais tout le monde reste silencieux sur le déficit américain et les privilèges exorbitants du dollar. Pékin est devenu le troisième partenaire de l’Afrique. Ce n’est pas, comme le disent certains, une simple diplomatie pétrolière. La Chine n’est pas désintéressée, mais elle cherche aussi à gagner une audience politique et culturelle et à promouvoir son modèle baptisé développement partagé. Les Africains y sont sensibles parce qu’avec les Chinois, les rapports sont un peu moins inégaux qu’avec les autres qui se croient toujours en terrain conquis.
Comment évaluez-vous la stabilité politique du régime chinois ?
Le PCC est fort, omnipotent. Il peut se montrer très répressif, comme on l’a vu pour les J-O. Il est aussi extrêmement mobile. Il a su se moderniser, ses cadres se sont formés en Occident. Ils essayent de faire bouger les choses, leur idéal serait une évolution à la japonaise avec un parti unique qui irait de l’extrême gauche à la droite classique. Aujourd’hui, tout le monde peut s’exprimer, des libéraux aux anciens mao, à la condition de ne pas remettre en cause le régime.
Sur le terrain géopolitique, la politique américaine en Asie s’oppose au rapprochement sino-indien, qui semble pourtant connaître quelques éclaircies…
Les Etats-Unis veulent faire jouer à l’Inde un rôle de contrepoids face à la Chine. L’Inde était au départ assez fière de cette alliance mais pour des raisons diverses comme celle du Pakistan, ou du poids de politique intérieure liée à la coalition au pouvoir. Les choses sont en train de changer. On assiste à un certain rapprochement. La Chine et l’Inde ont évoqué récemment le conflit territorial qui les oppose au Nord-Est de l’Inde.
La clef d’un monde multilatéral passe-t-elle par l’Asie ?
Nous entrons dans le post américanisme. Mais on assiste aussi à un surarmement préoccupant dans cette partie du globe. Les récents changements à Taïwan avec l’arrivée du Kuomintang, favorable à un rapprochement avec Pékin, comme l’arrivée des travaillistes en Australie, ne jouent pas en faveur de la stratégie de l’affrontement. La question est de savoir si les futurs dirigeants américains vont prendre conscience que le monde a changé et remplacer la confrontation archaïque entre puissances pour aller vers une coopération, même conflictuelle, entre pôles de développement qui se respectent. »
Chine Inde : La course du dragon et de l’éléphant, éditions Fayard, 19 euros.
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