En charge de la préparation de la Comédie du livre, Régis Penalva, passionné de littérature évoque les choix ayant présidé à cette 30e édition consacrée aux œuvres de la péninsule ibérique.
Chargé de mission responsable de la Comédie du livre à la Ville de Montpellier, l’ex-libraire Régis Pénalva tient le pari de l’intelligence. Vendredi 29 mai débute la trentième édition de cette grande fête du livre et de la lecture qui se poursuivra tout le week-end. Le maître d’oeuvre discret de cet événement évoque l’alchimie concourant à la réalisation de cette grande cuisine littéraire qui rassemble près de 100?000 visiteurs.
Quels sont les grands axes et les nouveautés de cette trentième édition ?
Il y a d’abord les littératures invitées. Cette année, en s’intéressant à la péninsule ibérique nous proposons d’aller à la rencontre de deux grandes littératures mondiales. Les littératures espagnole et portugaise seront abordées à travers une approche qui concerne cinq langues le castillan, le portugais, le galicien, le basque et le catalan.
Côté éditeur, après les 35 ans des éditions Métailié l’an passé nous fêterons cette année les 25 ans des éditions Viviane Hamy. L’ouverture au très jeune public compte parmi les nouveautés avec la création d’un espace dédié à la petite enfance encadré par des professionnels qui proposent différents ateliers pour les moins de 4 ans avec leurs parents. L’autre nouveauté, c’est la métropolisation de la manifestation rendue effective en amont et pendant la manifestation avec une sensibilisation des publics aux littératures invitées et des rencontres avec des auteurs dans le réseau très actif des médiathèques. La carte blanche offerte à Lydie Salvayre constitue également un temps fort de la manifestation.
Avec une sélection d’auteurs plutôt alléchante…
Lydie invite effectivement des écrivains appartenant à la grande tradition littéraire dont la venue tient sur le facteur confiance comme Jêrôme Ferrari, le rejeton des éditions de Minuit Eric Chevillard ou encore Antoine Volodine et ses hétéronymes qui ne se déplacent nulle part.
La qualité de la proposition littéraire est un facteur de succès important, comment travaillez-vous pour équilibrer les enjeux politique, économique tout en maintenant l’attractivité ?
Tout commence par le choix du pays. A partir de là nous avons entre 30 et 40 écrivains à inviter avec l’appui des éditeurs qui nous font connaître les auteurs de qualité et l’expertise des libraires qui s’opère sur deux critères, à la fois le choix littéraire et les ventes. Nous prenons également en compte la dimension collective, celle de porter au mieux le livre et ses acteurs dans l’espace public.
On aboutit ainsi à une liste diversifiée où se retrouvent des écrivains qui concernent un large lectorat des auteurs reconnus, et des auteurs au potentiel prometteur à découvrir. La Comédie du livre a aussi une vocation de défrichage. Le goût du public s’affirme en rapport avec les propositions qui sont faites.
L’année dernière sur la thématique des littératures nordiques, Katja Kettu, quasiment inconnue, a réalisé de très belles ventes. Pour aller dans ce sens, les participants aux rencontres pourront aussi acheter les ouvrages sur les lieux même des débats et dans les médiathèques.
L’Espagne et le Portugal partagent une histoire marquée par des régimes totalitaires. Ces deux pays doivent aujourd’hui faire face à une crise économique et sociale aiguë. Cela transparait-il dans la littérature ?
Nous ne voulions pas d’un programme convenu pour éviter de retrouver les écrivains que l’on voit partout et ne pas répéter l’édition hispanique de 2009. Les 35 auteurs invités permettront cette année de découvrir les nouvelles générations. Leurs aînés étaient en contact direct avec les événements tragiques tout au long du XXème siècle. Ils avaient pour habitude d’affronter le sujet frontalement comme l’a fait à sa manière Manuel Rivas. Avec les générations suivantes et particulièrement les plus jeunes, si l’on retrouve bien des traces vivaces des dictatures et de la répression politique, les stratégie littéraires et narratives ne sont plus les mêmes.
Dans Plus jamais ça Andrés Trapiello fait appel à la résurgence de la mémoire. Il est question de la souffrance des descendants. Avec Encore un fichu roman sur la guerre d’Espagne Issac Rosa, interroge la façon dont un écrivain se saisit de l’Histoire… Dans Quatre par quatre Sara Mesa questionne à la fois le passé le présent et l’avenir de son pays et de l’Europe en utilisant la stratégie de la fable. Des thèmes transversaux se dégagent, l’enferment comme dans le conte d’Ivan Repila Le puits, mais aussi le voyage comme dans La mort du père, de José Luis Peixoto qui signe un grand roman de l’immigration portugaise en France. Voyage encore, avec l’ouverture sur des fictions exotiques comme celles de Pedro Rosa dans Pension des mondes perdus.
Comment se porte le marché du livre espagnol et portugais. En quoi se distingue-t-il du marché français ?
Le marché du livre portugais est aux mains de l’Espagne qui dispose de très grands groupes d’édition bien implantés en France. Planeta a d’ailleurs pris le contrôle du groupe français Editis (Plon, Presses de la Cité, la découverte, Robert Lafont, Bordas…). C’est le second groupe d’édition en France derrière Hachette et le 7e au niveau mondial. Si la diversité des publications reste assez grande, elle est différente du paysage français qui se distingue par le nombre de ses éditeurs et son réseau de librairies indépendantes. La puissance des gros éditeurs espagnols également bien implantés en Amérique Latine a pour incidence de privilégier l’exportation des livres espagnols en France où l’on trouve assez peu de traduction d’auteurs portugais qui passent souvent par le filtre de la langue castillane.
Quel avenir pour la Comédie du livre après 30 ans ?
La Comédie du livre n’est pas rentable mais reste absolument indispensable. Elle permet de rendre visible dans l’espace public, les livres, les librairies, les auteurs, les maisons d’édition. La crise que traverse le secteur est liée à la conjugaison de la baisse du pouvoir d’achat à celle des pratiques de lecture, à la baisse des achats de livre et à l’émergence de groupes comme Amazon. La Comédie du livre se maintient au plus près des acteurs de la chaîne du livre. Elle doit porter ses efforts sur l’accès à la lecture et l’éveil à la lecture dès le plus jeune âge.
Valery Levy Soussan, la directrice de collection des livres Audiolib du groupe Hachette, explique la croissance de l’audience du livre audio et évoque l’avenir du livre audio dont les ventes en France ont progressé de 50% cette année : Entretien.
Où se situe la France par rapport à ses voisins dans le secteur du livre audio ?
« L’offre française se caractérise par un certain retard que l’on retrouve en Espagne et en Italie. En France, les ventes représentent environ 1% du marché du livre. J’arrive du salon de Francfort. Là-bas on est à 5%, ce qui est loin d’être négligeable car les Allemands lisent plus que nous. Le marché explose, les jeunes mettent des œuvres sur leur Mp 3, les gens écoutent en se rendant sur le lieu de travail. Même phénomène dans les pays d’Europe du Nord où le livre audio est très développé. Aux Etats-Unis, il atteint 10% des ventes. Même si cela n’est pas vraiment comparable parce que les pratiques sont liées aux modes de vie. Les Américains en écoutent lors des longues distances en voiture. Les textes sont abrégés alors qu’en France on considèrerait cela comme un sous-produit.
Quel est l’impact des nouvelles technologies ?
L’expérience du livre audio a démarré en France avec les K7 qui n’étaient pas le support idéal. Aujourd’hui la percée du numérique modifie la donne et les habitudes d’écoute. Les livres audio ne s’adressent plus seulement aux personnes âgées ou aux personnes ayant des difficultés d’accès au livre comme les mal voyants. Aujourd’hui le public est beaucoup plus large. L’arrivée du Mp3 et des téléphones mobiles a aussi modifié les habitudes. Il est devenu courant d’écouter des sons en se déplaçant.
Quels sont les objectifs de votre collection ?
Retrouver le plaisir du texte partagé, l’émotion de la voix et permettre un accès plus facile aux livres audio. Nous avons créé Audiolib l’année dernière pour dynamiser le marché. Et enrichir l’offre française qui est assez limitée dans ce domaine.
Sur quoi reposent vos choix éditoriaux ?
Notre programme éditorial colle à l’actualité. Nous éditons des romans contemporains en littérature étrangère comme en littérature française. Quelques classiques aussi, les enseignants trouvent avec le livre audio de nouvelles perspectives pédagogiques. Nous avons une collection développement personnel qui propose des ouvrages en phase avec un support oral que l’on écoute à moments perdus. Et puis la collection suspens avec des thriller comme la série Millenium Stieg Larsson ou la saga Fascination de Stephenie Meyer qui vient de paraître.
Sur quels critères choisissez-vous les comédiens ?
Nous travaillons avec des studios d’enregistrement qui réalisent des castings sur les textes. Il faut que les comédiens pratiquent la lecture, qu’ils aient une sensibilité littéraire et qu’ils soient disponibles parce que cela prend du temps d’enregistrer un livre. Et puis il y a des textes de circonstance où le lecteur dispose d’une proximité particulière avec le texte. C’est le cas d’Arthur H avec L’écume des jours de Boris Vian.
Comment réagit le monde des lettres ?
Il n’est pas en résistance face à l’audio. Au siècle dernier on lisait beaucoup à haute voix et de nos jours les écrivains font souvent des lectures publiques. Au niveau des éditeurs nous travaillons avec tout le monde. Le livre audio est perçu comme complémentaire. On constate que pour l’écoute le choix des lecteurs est différent.