Auteur de plus de 100 polars, père du Poulpe, amateur de musique punk et de jeux de mots, Jean-Bernard Pouy est l’une des figures qui relancèrent la Série noire. A l’heure où la collection fête ses 70 ans, il caresse le genre dans le sens du poil. Ou pas.
Robert Soulat, le patron d’alors, cherchait du sang neuf pour dynamiser la collection. Moi, je suis lecteur de la Série noire et j’aime la veine critique sociale présente dans ces bouquins. Surtout chez les Américains, mais également chez Manchette, qui a filé un coup de fouet au genre en y apportant un style et une langue. Le premier roman à faire du bruit, c’est Meurtres pour mémoire, de Daeninckx, en 1984. Le bouquin n’est pas très bon mais il traite d’un sujet peu lu en France : la guerre d’Algérie. La presse se jette dessus.
L’école du néopolar français est née. Elle compte une quinzaine d’auteurs, tous différents : un militant, un historien, un raconteur, un déconneur… Je suis le déconneur. Il y a, chez nous, la volonté de faire simple, lisible, et de ne pas copier les Américains. Ce mouvement est porté par de nombreux festivals, la plupart situés dans des régions viticoles. Beaucoup d’auteurs se sont perdus dans le raisin. Le succès du polar français est aussi dû au fait qu’il n’est pas du tout parisien.
La Série noire publie en un volume cinq de vos romans. Que ressentez-vous ?
Pas grand-chose. Je ne pense ni à la reconnaissance ni à la notoriété.
Vous avez toujours défendu la littérature populaire. Quelle définition en donnez-vous ?
Une littérature qui peut être lue par le plus grand nombre parce qu’elle ne met pas en avant des présupposés culturels. Cette littérature a été tuée par le nouveau roman, qui décréta la vacuité des intrigues. Et puis il y a eu l’autofiction, la psychanalyse, le roman germanopratin. Le polar, lui, est obligé de fournir une lecture immédiate. Il y a évidemment des contre-exemples, comme James Ellroy, mais le genre réunit le notable, le serveur de bistrot, l’ado et le retraité.
Aujourd’hui, les frontières entre littératures « noire » et « blanche » semblent davantage poreuses…
Oui et non. D’abord, dans les années 1990, des « blancs » se sont essayés au noir : Edgar Faure, Pascal Lainé… Une franche rigolade. Aujourd’hui, Franz-Olivier Giesbert et Jean-Louis Debré s’y mettent avec plus ou moins de bonheur. Mais ces écrivains ne se risquent jamais à la critique sociale. Cela reste du roman policier, du thriller ou du roman à énigme.
Le roman noir, lui, parce qu’il est militant, résiste à cette porosité. C’est la différence entre un auteur et un écrivain. Entre un type qui joue dans l’équipe de Mantes-la-Jolie et celui qui veut signer au PSG. Un écrivain se prend pour un écrivain, un auteur publie des romans. Je suis auteur. Un écrivain a un chat et écoute Mozart. Moi, du punk. Je suis un papier gras collé à la chaussure de James Joyce. Les écrivains peuvent se comparer à lui, je peux juste envisager d’écrire un roman aussi bon qu’un polar de Chandler. Cela ne m’est pas encore arrivé mais c’est possible.
N’avez-vous pas d’autre ambition?
J’ai celle de raconter des histoires. J’ai écrit plus de 110 bouquins et 350 nouvelles. Tout n’est pas bon mais c’est mon boulot. Je devais écrire quatre romans par an pour pouvoir vivre et gagner environ 2000 euros par mois.
Comment expliquer le succès actuel du genre?
La mode est revenue avec le thriller américain et le roman policier nordique. Ce genre-là est rassurant. Il est amusant de noter que le roman noir nordique de critique sociale, incarné par Sjöwall et Wahlöö dans les années 1970, n’avait pas le même succès. Loin de là. Aujourd’hui, le policier est intello, lit de la poésie transcendantale chinoise, écoute de la musique contemporaine. On est loin du réalisme mais ça rassure le lecteur.
Vous avez poussé beaucoup de gens à écrire : Daniel Pennac, Tonino Benacquista… Puis ceux que vous avez publiés dans la collection le Poulpe. Tout le monde peut donc écrire?
A priori, oui, même si j’avais repéré des types capables de le faire. Le Poulpe, dont on fête les 20 ans, est une aventure particulière. Nous sommes en 1995, l’année des grandes grèves, de la dissolution, de Juppé droit dans ses bottes. Je me rends compte qu’il n’y a aucun personnage populaire pour relayer l’état d’esprit de ces mouvements. Un soir, Patrick Raynal, Serge Quadruppani et moi imaginons le Poulpe. Nous buvons beaucoup, mais la poésie vient aux alcooliques : le truc marche. Les premiers titres se vendent à 80000 exemplaires ! Un soir, j’annonce au Grand Journal de Canal+ que je publierai tous les manuscrits reçus. Erreur funeste. J’ai tenu parole : on en a édité huit par mois, et pas que du bon.
Quelle tête aurait le Poulpe aujourd’hui?
Je ne sais pas. Le polar français actuel est sérieux. Aux animaux la guerre, de Nicolas Mathieu, est un très beau livre, mais ça ne rigole pas beaucoup. Il y est question d’une fermeture d’usine. Les romans de Caryl Férey, Zulu ou Mapuche, sont des trucs costauds mais pas drôles. L’époque veut ça : pas facile de faire marrer avec des licenciements. Il faudrait peut-être écrire des pastiches de la littérature populaire comme les bouquins de Katherine Pancol ou Cinquante nuances de grey. J’appellerais ça Pastiche 51.
Vous êtes spécialiste des premières phrases plus ou moins énigmatiques. Celle de Suzanne et les ringards, par exemple.
Se moquant de Balzac, Paul Valéry a déclaré qu’on ne pouvait plus écrire une phrase comme « La Marquise sortit à 5 heures. » La littérature méritait mieux. J’ai donc fait mieux : « Je sortis de la Marquise à 5 heures. » Certains lecteurs ne sont pas rendus pas compte que la Marquise est une dame. Le Cinéma de papa commence ainsi : « Ma mère est morte et la langouste est excellente. » Allusion à L’Etranger, de Camus, un grand roman noir.
Quand le lecteur se marre dès la première phrase, c’est gagné. Si écrire est une version édulcorée du suicide, pourquoi écrire? L’écrivain aime dire qu’il souffre parce que les mecs à la mine ou à l’usine ne peuvent pas croire un type qui bosse chez lui en écoutant de la musique. C’est l’image du gars qui écrit trois lignes, arrache la page et la jette dans la poubelle. Cela ne m’arrive jamais. C’est aussi pour cette raison que je ne suis pas un écrivain.
Houellebecq, c’est Flaubert. J’aime la démarche de ces écrivains, pas leurs romans. Ils écrivent sur le rien, la bassesse, la faillite humaine. Mais sans aucun jugement, ce qui est remarquable. Madame Bovary, c’est l’histoire d’une pauvre femme de province qui se fait avoir par tout le monde, qui lit des romans à la con et se suicide parce qu’elle ne sait pas aimer. Le roman est sauvé par le style. L’Odyssée, d’Homère : même chose. C’est l’histoire d’un crétin qui part à la guerre avec ses potes, couche avec des filles, revient et tue tout le monde. Mais le style élégiaque est extraordinaire. Houellebecq est un styliste, ce qui le place haut.
Vous avez écrit Le Merle, qui éclaire les milieux littéraires…
Tout commence lors d’un débat. Un spectateur se lève et gueule : « Il n’y a que la littérature allemande qui vaille le coup. » Ça me fait marrer et je me promets d’être un jour rangé sur les rayons de littérature allemande. Mais il faut du temps. Je crée donc Arthur Keelt, je lui invente une biographie et je le cite dans plusieurs de mes livres. C’est l’auteur d’un seul roman, Le Merle, écrit en 1954, traduit en France en 1968 aux éditions Dubois ; jeu de mots que personne ne remarque. Un jour, sur France Culture, Serge Koster déclare avoir lu Le Merle. Très beau livre épuisé, ajoute-t-il. L’éditeur m’appelle et me raconte ça : il a donc fallu que je me mette à écrire Le Merle. Signé Arthur Keelt et traduit par Jean- Bernard Pouy. Voilà comment je me suis retrouvé sur les rayons de littérature allemande. Ce genre de truc m’amuse et me sauve. L’écriture devient un jeu.
Tout doit disparaître. Recueil de 5 romans: Nous avons brûlé une sainte, La Pêche aux anges, L’Homme à l’oreille croquée, Le Cinéma de papa, RN 86. Gallimard/Série noire.
« Les combattants islamiques meurent en martyrs pour tuer les infidèles. Le chrétien évangéliste qui gouverne le monde occidental dit tenir ses ordres de Dieu, et il est en croisade. On pourrait tout aussi bien être au XIIe siècle. » écrivait le prof de fac Nathaniel MacLeod au commencement de cette histoire. Pas de chance, une balle entrée par sa tempe droite lui a traversé le crâne. Pour une fois, la police a rapidement fait son travail. Le coupable est d’origine iranienne. Il a 20 ans. Chevilles et poignets menottés, il n’est franchement pas beau à regarder dans sa tenue orange. En tous cas, il a déjà tout avoué… Quand son avocat, plutôt porté sur le droit des affaires, décide de prendre en main sa défense, il fait appel à Carl, son détective préféré pour lui trouver du biscuit.
Un privé hors normes, ex-flic à la dérive, repenti en chrétien radical, avec un emploi du temps bien ordonné « Mes dimanches sont à Dieu, mes samedis à ma femme, et cinq jours par semaine, je trime pour le billet vert ». L’engagement de Carl dans la communauté chrétienne de la Cathédrale du troisième millénaire va s’en trouver quelque peu chamboulé. La paroisse qui revendique 38 000 fidèles, emploie 1 200 personnes et récolte 110 millions de dollars par an réinterprète aussi la Bible pour la mettre au goût du jour. Il faut sauver les fœtus mais tuer n’est pas toujours mal, prêche l’organisation particulièrement dévouée à soutenir les forces de l’ordre dans leur difficile travail… Au fil de son enquête, le rapport de Carl avec cette entreprise pleine de promesses évolue…
Après Le bibliothécaire qui pointait les zones d’ombre de l’élection présidentielle américaine de 2004, Larry Beinhart nous entraîne dans les méandres économico-religieuses de l’Amérique post-11 septembre. Le pape a beau dénoncer les paradis fiscaux, les voies du seigneur restent impénétrables. Parfois même, celles de ses disciples zélés qui trouvent un terreau fertile au pays de l’argent roi.
" Il m'a demandé de lui fournir un manuscrit pour éponger ma dette." Photo DR
Que nous réserve la lecture performance que vous préparez au Rockstore ?
« Je sais pas… Deux choses. Une expo de planches BD sur le Firn où je tente une explication oulipienne du festival et une lecture de mon texte J’ai fait l’aérotrain. Vous savez, les organisateurs me font faire des trucs pas possibles. Moi, je ne suis pas acteur ni dessinateur de BD. J’accepte parce que c’est dur de se faire inviter.
D’où vous vient cet amour du rail ?
Je suis fils de chef de gare. C’est de l’atavisme. Je n’ai pas le permis. Je ne voyage qu’en train ou à pieds. Un soir à Orléans, je me suis promené le long de la nationale sur le rail de béton de 18 km construit par l’ingénieur Bertin pour tester l’aérotrain. Dans J’ai fait l’aérotrain, je raconte cette histoire. C’est un vrai roman noir auquel j’ai ajouté quelques considérations psycho-géographiques et politiques.
Vous avez commis dernièrement « Une brève histoire du noir ». Quelle était votre approche ?
Pas du tout théorique. Je ne suis pas un théoricien. Dans le livre, je mets en opposition le roman noir et le roman policier. Je n’aime pas les policiers. Moins on les voit, mieux on se porte. Le roman noir est né dans les années 30 aux Etats-Unis. C’est un roman de critique sociale. Ce qui me plait.
Vous êtes un auteur prolixe, comment avez-vous débuté ?
J’ai jamais voulu écrire. On m’a forcé. En 81, je devais de l’argent à un type qui dirigeait une petite maison d’édition. Il m’a demandé de lui fournir un manuscrit pour éponger ma dette. Il se trouve que Sanguine est devenu l’éditeur le plus important de ce qu’on appelle l’école française du roman noir. Moi ça m’a amusé d’écrire, j’ai continué en signant chez Série noire. »
Une brève histoire du roman noir, L’œil neuf éditions 14,9 euros.
Le dernier Larry Beinhart est un thriller politique qui se déroule en pleine campagne présidentielle. L’auteur explore les coulisses du parti républicain téléguidé par une poignée d’intérêts privés. Le candidat ressemble furieusement à Georges W Bush. En devenant par hasard le bibliothécaire privé d’un industriel multimillionnaire, David Goldberg va découvrir à son insu que rien n’arrête l’influence exagérée des intérêts privés surtout quand les bailleurs de fonds s’apprêtent à désigner leur candidat. L’ouvrage s’inscrit dans la lignée d’une œuvre qui décortique les ramifications complexes et les alliances de circonstance de la démocratie américaine. Selon la logique des joueurs de poker, le président paie sa dette à ceux qui l’on fait roi. Sous la plume de Larry Beinhart, l’ambiguïté et les étranges coalitions de la vie politique américaine se prêtent à merveille à l’univers du roman noir. « J’aime la politique, confie l’auteur, les hommes politiques sont des gens intéressants. Ils ont le pouvoir de tuer les gens. N’importe quel chef de gouvernement peut tuer beaucoup plus que les serial killers. » Le Bibliothécaire a été écrit juste avant la réélection de G W Bush en 2004. « Je me suis amusé à prédire le résultat. Finalement les républicains ont volé l’élection et cela a été très peu contesté dans les médias. Depuis cette élection Bush a tué beaucoup de monde. Je ne suis pas inquiété à cause de mon engagement. Je ne fais que mentionner ce qui se passe. » En attendant les élections de mi-mandat qui auront lieu en novembre aux Etats-Unis, Larry Beinhart a commencé son prochain livre. Il y sera question d’une affaire d’espionnage en Iran.