Festival Montpellier. Cinemed temps court et temps long

Prima della rivoluzione de Bertolucci

Prima della rivoluzione de Bertolucci

L’édition 2018 du Festival Cinemed se tient actuellement à Montpellier. Retour sur l’histoire, les acteurs et les enjeux de cette 40ème édition.

Par sa taille et sa longévité, Cinemed figure aujourd’hui comme le plus grand festival de cinéma Méditerranéen du monde. Le festival a ouvert ses portes vendredi soir. Pendant neuf jours, Montpellier accueille au Corum des dizaines de réalisateurs et d’acteurs qui font le monde et l’actualité du cinéma méditerranéen. Plus de deux cents films courts et longs-métrages, documentaires, films d’animation, rétrospectives, hommages vont se succéder sur les écrans du Corum et de tous les cinémas de la ville qui sont associés à l’événement.

Les trois âges du Cinemed

Ce festival, qui vient de souffler ses quarante bougies, a vu le jour grâce à une équipe de passionnés de cinéma tout court et de films italiens en particulier, dont Henri Talvat, l’actuel président d’honneur. Créé en 1979, le Cinemed a connu trois grandes phases.

L’esprit cinéphile de la première heure impulsé par les membres du cinéclub Jean Vigo sous la houlette de Pierre Pitiot, un adepte de Braudel à qui Georges Frêche, le maire de l’époque, confia la mission d’en faire un festival. À la fin des années 1980 la construction du Corum fait décoller l’événement qui passe du statut de Rencontres du Cinéma de Méditerranée, à celui de Festival.

Au début des années 2000, le journaliste Jean-François Bourgeot prend la direction tout en conservant l’identité du festival, il consolide les liens du festival avec le monde du cinéma français. La programmation des avant-premières attire quelques stars et la programmation permet aux gens de voir davantage de films récents. Mais globalement, fidèle à la demande d’un public ouvert et exigeant, la sélection vise à se maintenir comme le rendez-vous des cinémas de toute la Méditerranée.

De part son rayonnement sur le bassin méditerranéen, comme de part l’attachement culturel qu’il suscite dans la population locale, un festival comme le Cinemed est un atout pour la ville de Montpellier. En renouvelant le soutien financier à cet événement, les différents maires élus à la tête de la cité l’ont bien compris. Au lendemain de son élection en 2014, le maire et président de la Métropole Philippe Saurel pousse vers la sortie Jean-François Bourgeot qu’il remplace par un tandem composé de l’ex-ministre de la culture Aurélie Filippetti et de Christophe Leparc, un pilier du festival, par ailleurs secrétaire général de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes.

Le festival ne souffre pas d’incertitude identitaire

Si la Ville et la Métropole, les deux principales tutelles du festival, se gardent bien de se mêler de la programmation, dans cette troisième vie du festival la marque Cinemed semble de plus en plus appelée à valoriser le territoire. Certes, l’emblème de la Méditerranée à Montpellier via le Cinemed gagnera cette année en audience nationale grâce à un nouveau partenariat avec France Inter. Il y a toutes les raisons de s’en satisfaire même si les fondements du Cinemed repose bien moins sur la mise en récit publicisée par des acteurs publics que sur les passerelles qu’il a tissé sans relâche entre les cultures de la méditerranée. Le taux de fréquentation du festival par la population locale souligne l’appropriation de l’offre public par les montpelliérains. « La ville nous a apporté et nous avons apporté à la ville » indique Henri Talvat, ajoutant, « c’est une vraie réussite ».

À quarante ans, l’ambition du Cinemed doit-elle être plus large ? La programmation 2018 pourrait être un élément de réponse. Explicitement, par la circulation du récit méditerranéen, ce pilier de la culture montpelliéraine contribue toujours d’inscrire la ville et sa métropole dans une nouvelle phase de son histoire. Il participe aussi d’une dynamique économique relevant d’une industrie touristique culturelle pérenne. Cinemed ne s’est pour autant jamais rêvé en Festival de Cannes. Pour trouver des stars, il faut se tourner vers les avant-premières, et encore, dans les couloirs du festival, on verra davantage de personnes comme Pierre Salvadori ou José Luis Guérin… Bref, des gens qui comptent pou le cinéma par ce qu’ils réalisent. De même, les hommages rendus à Montpellier consacrent les œuvres et les engagements, à l’instar de l’actrice Clotilde Courau qui confiait en ouverture de cette quarantième édition « Je suis touchée, c’est le premier hommage que l’on me consacre ». l’ex-ministre de la culture Aurélie Fillipetti précisait d’ailleurs à propos de la comédienne : « Cinemed correspond à ce qu’elle aime défendre dans la culture : la transmission ». Cette année, Robert Guédiguian préside le jury de la compétition Antigone d’or. Il est à Montpellier avec une partie de sa grande famille que l’on retrouvera aussi sur grand écran.

Immense terrain de jeu

Le festival présente à la fois des œuvres récentes ou plus anciennes, permettant découvertes et rétrospectives du cinéma méditerranéen. Italien, égyptien, turc, ou encore espagnol tous les films témoignent d’une histoire très riche ! Les films les plus attendus cette année se logent pour certains dans la sélection des grands films du cinéma méditerranéen ayant marqué l’histoire du festival, pour d’autres dans les compétitions tout azimut qui offrent l’occasion de prendre le pouls de la création cinématographique contemporaine en Méditerranée. Ainsi, Cinemed assure la fonction d’un vrai festival et participe à l’émergence de nouveaux réalisateurs qui y signent souvent leur premier film. Une partie d’entre eux n’ont pas de distributeurs en France et ne passeront qu’à Montpellier.

Dans ce foisonnement culturel, c’est une vaste notion géographique qui fait l’identité et la singularité du Cinemed. De la mer noire au Portugal Cinemed concerne le cinéma de 25 pays. À l’heure où émerge une nouvelle industrie cinématographique libanaise, l’édition 2018 du Cinemed propose un focus sur le jeune cinéma libanais à travers une sélection de longs métrages, courts métrages et documentaires. Le festival entend notamment approfondir la réflexion autour de ce développement avec ses principaux acteurs et offre un espace de visibilité et de débat significatif dans sa programmation.

Comme chaque année, ces rapports à l’histoire et au présent se doublent d’un rapport à l’avenir avec Le festival de films lycéens qui présente une sélection d’une dizaine de courts métrages réalisés par les jeunes. Dans ce cadre, le Cinemed aide au développement de projets de courts-métrages. La présence d’un Jury étudiant qui a la charge de décerner le prix du meilleur premier film encourage également l’investissement des lycéens et des étudiants.

Pour sa troisième vie, le Cinemed continue d’innover et de découvrir mais il doit aussi trouver de nouveaux investissements privés dans un environnement professionnel en mutation. Contrairement à Cannes, boudé cette année par Netflix suite à la décision de Thierry Frémaux de fermer la compétition aux séries qui ne sont pas sortis en salles, en partenariat avec Arte, le Cinemed a pris la décision de programmer en ouverture du festival deux épisodes de la série italienne Il miracolo de Niccolo Ammanti, Francesco Munzi et Licio Pellegrini. Programmer un film qui n’est pas destiné au grand écran en ouverture d’un festival de cinéma pose question. Cela pourrait revenir à se tirer une balle dans le pied. Au-delà des polémiques et controverses, l’avenir seul dira si ce type de décision s’inscrit dans le temps court de l’attractivité qui dicte l’économie, ou s’enracine dans le temps long des récits cinématographiques pluriels.

Jean-Marie Dinh

Source : La Marseillaise en Commun oct 2018

Montpellier. Arabesques : l’esprit d’une citoyenneté ouverte

Arabesques 13eme – 2018 – Montpellier

Festival Arabesques 13eme – 2018 – Montpellier

Le Festival pluridisplinaire dédié à la richesse et à la diversité des arts arabes crée du lien social en utilisant l’excellence artistique comme vecteur.

Avec cette 13e édition le précieux travail du Festival Arabesques porté par l’association Uni’sons confirme plus que jamais son utilité de part et d’autre des frontières. Même si sept ans après le « printemps arabe », toutes les cartes semblent brouillées dans cette partie du monde comme en Europe où la situation politique et sociale reste alarmante.

La tentative citoyenne de mettre un terme aux autocraties du monde arabe pour vivre dans un monde plus juste, a laissé croire un moment que les bouleversements allaient offrir de nouvelles perspectives à la jeunesse. Mais à l’instar du peuple syrien dont la vitalité de la société civile a porté les premières étincelles d’un changement non violent, le rêve s’est soldé par une des pires catastrophe de l’histoire, 500 000 morts, un pays dépecé par les grandes puissances et plus de 10 millions d’exilés. Un peu comme si les maîtres du monde avaient voulu donner un exemple…

Un instant ébranlés, les systèmes de pouvoir se sont reconstitués avec de nouvelles têtes pour reprendre le contrôle des sociétés d’une main de fer.

Le désordre le plus total s’est emparé du monde arabe avec des états laminés et d’autres un peu mieux lotis, où les bailleurs de fonds conditionnent leurs aides en fonction de leurs intérêts stratégique et politique. Partout, comme aux grandes heures de la guerre froide, les batailles se mènent par pays ou groupes rebelles interposés. Les rêves de citoyenneté se sont évanouis. Aujourd’hui, il est difficile de saisir une lueur d’espoir chez les jeunes, du Maghreb au Yémen. Mais les artistes de tous horizons que présente le festival contribuent à garder un œil vivant sur ce qui se joue dans cette partie du monde.

L’Europe et la Méditerranée

Pour rejoindre l’autre rive, des milliers de réfugiés traversent au péril de leur vie une mer qui pousse L’Europe au bord de l’abîme. La tectonique des plaques s’éveille. Le vieux continent dérive en se reconstituant selon des arrangements à courte vue au mépris de la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Dérogeant à ses principes fondateurs, l’Union Européenne se détache progressivement de ses valeurs culturelles socle.

La liberté des opinions, la libre circulation des personnes et des idées, la participation des peuples par l’intermédiaire de leurs représentants librement élus sont souvent réaffirmées de manière solennelle sans être défendues. La violation des droits aux quatre coins du monde ne mobilisent pas les chancelleries. Dans plusieurs pays, le vieux continent subit la pression organisée d’une extrême droite revigorée par la misère des classes laborieuses qui absorbent depuis 2008 la crise financière du système capitaliste néolibéral. Au prétexte de lutte contre le terrorisme la démocratie recule. Les citoyens de cette partie du monde cherchent à tromper le sombre destin qui limite chaque jour davantage leurs droits.

Les composantes malmenées de l’identité française

En France, sous la présidence d’Emmanuel Macron, l’explosion des inégalités fait des ravages au sein des couches sociales les plus défavorisées. Le gouvernement s’efforce avec quelques loupés d’incarner le mythe d’un « pays-entreprise » imprimé par le nombriliste sans limite d’un premier de cordée. La feuille de route peut être claire, elle n’est pas nouvelle. Comme l’ont expérimenté ses prédécesseurs néolibéraux — Thatcher, Reagan, Schröder — on déconstruit mécaniquement le système social et les services publiques dont beaucoup de pays souhaiteraient disposer. Malmené par la réaction des Français, plutôt que de rassembler toutes les composantes de l’identité française, le jeune chef d’État joue sur les divisions et la séparation, ce qui ne fait que démontrer son incapacité en terme d’innovation.

C’est à l’aune de ce paysage chaotique que l’on peut mesurer l’élan constructif du festival Arabesques et de l’association Uni’sons dont le siège social demeure depuis 18 ans dans le quartier le plus déshérité de Montpellier. Avec des moyens sans commune mesure avec les grands festivals de la ville, Arabesques œuvre positivement pour l’ouverture des esprits et des cœurs en s’impliquant avec ténacité dans un projet interculturel d’une grande cohérence.

La réussite qui fait du festival un des plus importants rendez-vous d’Europe dédié aux arts du monde arabe, Arabesques la doit certainement à la qualité et à la diversité de sa programmation pluri-disiplinaire s’inscrivant dans une volonté permanente de dialogue entre les cultures.

Une démarche proprement citoyenne qui se garde d’être assimilée à une quelconque écurie politique. En s’arrimant à sa vocation et aux missions de solidarité et d’équité menées sur le territoire tout au long de l’année, l’association Uni’sons s’est tenue à distance des frictions occasionnées par le transfert des compétences culturelles entre le Conseil Départemental de l’Hérault et la Métropole de Montpellier. Sollicité par ses partenaires à l’étranger et par l’IMA pour la qualité de son travail, l’association a toujours souhaité maintenir son ancrage ; Il est heureux que le festival ait trouvé un soutien institutionnel local.

Le dosage subtil de la programmation

Une nouvelle fois, la programmation de l’édition 2018 équilibre un dosage subtil entre les cultures représentées, les mythes, comme l’incontournable Orchestre de l’Opéra du Caire invité à l’Opéra Comédie de Montpellier, les personnalités confirmées telles le chanteur oudiste tunisien Dhafer Youssef, la chanteuse algérienne kabyle Souad Massi. Arabesques contribue également à l’émergence de nouveau talents, assurant le succès public de groupes musicaux issue de la surprenante scène arabe qui propulse son énergie partout dans le monde. À l’instar d’un groupe comme N3rdistan, debout avant le printemps arabe, qui mêle samples électro, instruments traditionnels et poésie et s’invente son propre espace d’expression. Sans oublier la scène montante, la soirée Arabesques Sound System, à Saint-Jean-de-Védas a permis d’apprécier la diversité des musiques électroniques du monde arabe.

Sur l’affiche de cette 13e édition d’Arabesques, un ancien se tient debout les yeux perdu entre le passé et le futur, sur ses épaules, un enfant plein d’énergie et de curiosité semble défier l’avenir. Cette image rappelle s’il le fallait, que l’action sociale culturelle et artistique passe par la transmission culturelle et la reconnaissance du droit à la fraternité sur des territoires où cette liberté n’est pas toujours permise. Une affiche à l’image du festival en somme, non violent mais debout. L’action de l’association Uni’sons a toujours fait le lien entre les anciennes et les nouvelles générations pour lesquelles le combat reste le même. La réussite d’Arabesques ne se mesure pas qu’au nombre d’entrées. Elle repose aussi sur la confiance des publics fidèles au rendez-vous d’une année sur l’autre, à l’énergie de l’équipe et de ses bénévoles dont la nature de l’implication touche à certains endroits à la fierté d’affirmer la richesse culturelle des origines et le goût du partage. Dans un contexte hexagonale difficile pour la jeunesse issue de l’immigration, on ne doit pas manquer de souligner l’importance d’une valorisation extérieure au milieu familial.

Diasporas

Cette jeunesse se retrouve chaleureusement au festival pour faire la fête mais aussi pour échanger, découvrir la richesse et la diversité des arts du monde arabe, apprendre et comprendre le vécu des aînés, côtoyer des légendes vivantes, témoigner d’un vécu… La démarche et la qualité de la programmation sont unanimement reconnues sur la scène comme dans les quartiers. Les débats, l’action scolaire, les expositions, les contes, le cinéma, sont autant de vecteurs qui ont nourri le processus transmissionnel d’Arabesques. Dans ce domaine, Les artistes ont un rôle important à tenir ; en France, au Maghreb et au Moyen-Orient, ils ouvrent des voies. Cette année, la Caravane Syrienne déploiera une palette insoupçonnée autour de la création artistique contemporaine syrienne.

D’une année sur l’autre, le festival Arabesques permet de constater que la scène culturelle française s’est transformée de l’intérieur, en s’appropriant de nombreux éléments venus d’ailleurs. Le thème « Diasporas » choisi cette année rappelle que la culture française a su accueillir, vivre et se développer dans l’interculturalité. Arrivé en France à l’âge de six ans avec sa famille qui fuyait la guerre du Liban, le pianiste Bachar Mar Khalife qui a travaillé avec Lorin Maazel, l’ONF, et l’Ensemble Intercontemporain en est un des savoureux exemple. Que deviendrait la culture française sans cette ambition de partage d’expressions ? Cette question de la déperdition ne devrait pas se poser dans notre merveilleux monde de la culture mondialisée. Pourtant, en ce moment critique, il y a bien lieu de s’interroger sur une perte collective de la différence.

Toutes les raisons sont donc bonnes pour céder à l’ouverture et répondre à bien des endroits aux invitations imminentes que nous offre Arabesques !

JM DINH

Source La Marseillaise en commun Septembre 2008

Frédéric Jacques Temple : « Voyager c’est découvrir et surtout se découvrir autre part »

« Divagabondages » c’est un choix avec des bornes qui marquent le chemin et le temps ed Actes Sud. Photo dr

« Divagabondages » c’est un choix avec des bornes qui marquent le chemin et le temps ed Actes Sud. Photo dr

A l’occasion de la publication de « Divagabondages » une invitation au voyage et aux rencontres artistiques orchestrées par le poète Frédéric Jacques Temple, entre 1945 et 2017, l’homme du Midi nous ouvre sa porte pour partager la mystérieuse clarté de sa mémoire.

Revenons sur votre rencontre avec Edmond Charlot qui a été votre premier éditeur. Vous êtes resté en contact après lui après la guerre ?

Charlot a eu une carrière de délégué culturel en Méditerranée après avoir essayé de devenir éditeur parisien. A Paris, il a été complètement boycotté par les éditeurs qui avaient survécu à l’occupation. En 1980, quand Charlot a pris sa retraite, il est venu s’établir à Pézenas. A cette époque, je l’avais complètement perdu de vue. Un jour que j’étais invité à dire des poèmes à Pézenas, il était là. Cela a été merveilleux pour moi de le retrouver. J’avais énormément de souvenirs avec lui à Alger, et en quelque sorte cela me rajeunissait. On est devenu très ami après, et ce jusqu’à sa mort.

A Pézénas, Les éditions Domens se font passeurs de cet héritage autour de Charlot et de l’école d’Alger. Comment percevez-vous les auteurs de ce mouvement qui éclos dans le contexte tendu du système colonial ?

A Alger, il y avait les écrivains algériens de langue française comme Robert Randau, Jean Pomier qui s’appelaient les Algérianistes. C’étaient des gens ancrés dans l’Algérie comme les Pieds noirs l’avaient été mais avec un fond colonialiste qui était important. Et puis, il y a eu une petite révolution littéraire avec Gabriel Odisio, et des gens comme Robles et d’autres qui ont dit non, nous ne sommes pas Algérianistes, nous sommes écrivains méditerranéens. Déjà cela marquait une grande différence, ensuite est arrivé Charlot qui est devenu non seulement un éditeur algérois mais un éditeur du monde entier. Il a réédité des gens comme Huxley, Lawrence, Moravia, et des écrivains français Vercors, Bernanos, Giono… Ce mouvement se différenciait en disant nous sommes bien sûr Algériens de naissance, mais nous sommes des écrivains du monde et surtout méditerranéens.


Fréderic-Jacques Temple : « Pour moi, le monde continue à être merveilleux et terrible »


Ecrivain méditerranéen, cela fait sens pour vous ?

Oui, oui… comme je le dis toujours, je suis un écrivain occitan de langue française. Pour moi, ça veut dire que c’est une ouverture de parler une langue, ce n’est pas quelque chose qui vous rétrécit dans un pays, tout au contraire cela vous donne la possibilité de s’ouvrir au grand monde.

Qu’est-ce que voyager ?

Cela n’a rien à voir avec le tourisme. Voyager, c’est d’abord découvrir quelque chose, et surtout se découvrir autre part. J’ai écrit un petit poème là-dessus. Il s’appelle je suis un arbre voyageur. « Mes racines sont des amarres… Je m’en vais pour découvrir le monde mais je reviens toujours à mon point d’attache. »

Dans votre roman « Un cimetière indien », le retour du voyageur chez lui ne se passe pas très bien… Votre dernier livre, « Divagabondages » pourrait être considéré comme une invitation au voyage…

Ce sont des articles parus dans différentes revues, journaux, que j’ai eu l’idée de réunir. Ce n’est pas exhaustif, j’ai fait un choix avec ce que je peux appeler des bornes pour marquer le chemin et le temps. Parmi ces bornes il y a des gens célèbres et d’autres qui ne le sont pas et qui devraient l’être. Il y aussi des amis très proches, d’autres plus lointains.

Si l’on ne s’éloigne pas trop des racines on pense à Max Rouquette avec qui vous partagez l’amour du midi. Comment situez-vous votre engagement en faveur de l’occitanisme ?

C’est assez compliqué. Je pense que nous avons été colonisés. Cela, je peux le reprocher aux hommes politiques de l’époque ancienne qui ont vendu le territoire à la Couronne de France. En réalité, j’étais un grand supporter des Plantagenêt. Ils étaient rois d’Angleterre et ils parlaient occitan. Et si Richard Cœur de Lion qui était troubadour, avait remporté la victoire sur Philippe Auguste, la moitié de la France parlerait l’occitan et le français. Et les Anglais parleraient le français… Peut-être n’aurions nous pas ces problèmes que nous rencontrons maintenant avec les Bretons, les Occitans, les Catalans… On est minoritaire, comme disait Montesquieu, « je suis homme nécessairement et je ne suis Français que par hasard. »

L’ exil du leader catalan Puigdemont pourrait faire échos à la Retirada…

La Catalogne finalement aurait pu être Française et le Roussillon catalan aurait pu être Espagnol. Ce qu’il y a de drôle c’est que les écrivains catalans français, publient en catalogne espagnole et pas en France, ou très peu. Les choses auraient pu se passer plus simplement. Au Pays basque ça a été très dur. Il semble qu’une solution ait été apportée. Je ne sais pas si les Catalans sont énervés davantage mais en tous cas ils ont raison de défendre leur langue. Cela correspond à une culture et à une civilisation. Détruire une langue, c’est détruire une civilisation. Le grand défaut de la France est d’être jacobine.

Comment définissez vous l’amitié ?

Comment définissons-nous l’amour ? Je ne sais pas. L’intérêt que l’on éprouve pour une œuvre, peut se transformer en amitié si l’on connaît l’auteur. L’amitié que j’ai éprouvé pour Cendrars est différente de celle que j’ai éprouvée pour Miller ou pour Durrell. Miller était très fraternel . Je ne dirais pas que c’était un ami très proche. Durrell était très amusant, très intelligent, très séduisant, je ne dirais pas que c’était un ami très proche. Cendrars, Jean Carrière, Jean Joubert ont été des amis très proches.

Cendrars ce fut une rencontre majeure…

J’ai commencé à lire Cendrars tout de suite après la guerre, je ne le connaissais pas alors. En 1948, alors que je participais au lancement d’une petite revue après l’expérience de la Licorne, j’avais écrit à quelques écrivains que j’admirais parmi lesquels Camus, Cendrars, Giono et d’autres. La première réponse est venue de Cendrars dans les 48 heures et il m’a envoyé la version tapée à la machine des « Ravissements de l’amour », un chapitre des « Lotissements du ciel », le livre qui allait sortir.

Je l’ai publié dans la revue avec quelques contes de Giono. Camus m’a répondu qu’il n’avait rien à ce moment-là. A la suite de cet échange, le 3 juillet 1949, je me suis rendu dans les sommets de Villefranche pour voir Cendrars. Il faisait une chaleur épouvantable. Je suis arrivée la chemise trempée, j’ai sonné. Cendrars est apparu à la fenêtre. Il est descendu pour venir à ma rencontre m’a fait entrer et m’a dit : vous ne pouvez pas rester comme ça, vous allez attraper froid, je vais vous donner une de mes chemises. Il est revenu avec une chemise blanche. J’ai enlevé la mienne. J’ai mis la sienne. Et à ce moment, il m’a regardé d’une drôle de façon, et je me suis rendu compte que dans le bras droit de cette chemise il y avait mon bras. Ce bras qui lui manquait, qu’il avait perdu à la Première guerre. Peut-être que la guerre a été un lien entre nous… Peut-être aussi parce qu’il avait perdu son fils Rémi pendant la seconde guerre.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 28/04/2018

Voir aussi : Rubrique  Rencontre, Fréderic-Jacques Temple : «Pour moi, le monde continue à être merveilleux et terrible»,

Les relevés de la photographie consignés dans l’Histoire

Heinrich Hoffmann une propagande par l’image particulièrement élaborée.

Heinrich Hoffmann une propagande par l’image particulièrement élaborée.

Expositions
Après la saison 2017 consacrée à la photographie américaine, sous la direction artistique de Gilles Mora, le Pavillon populaire consacrera sa prochaine saison au rapport entre Histoire et photographie.

En 2018, Le Pavillon populaire délaisse un temps la dimension esthétique du médium photographique pour se consacrer au rapport entre la photographie et l’Histoire. Pour ce faire, le maître des lieux Gilles Mora a dessiné les contours d’une programmation originale établie à partir de trois approches historiographiques et critiques relatives à la tradition documentaire. Les commissaires d’exposition de chacune des propositions font référence dans leur domaine. Ce qui permet au Pavillon populaire géré par la ville de Montpellier (34) de maintenir son offre qualitative et exclusive qui fonde désormais sa réputation.

Un dictateur en images
« Aborder le rapport entre la  photographie et l’histoire dans le cadre d’une saison entière, c’est aussi se préparer à des rapports délicats qui peuvent susciter des explosions idéologiques. On ne peut pas faire preuve d’amateurisme en la matière », indique Gilles Mora en soulignant le courage politique du maire Philippe Saurel qui l’a suivi dans ce projet, notamment sur l’exposition Un dictateur en images consacrée au photographe d’Adolf Hitler Heinrich Hoffmann. « Le Mémorial de la Shoah a donné son accord. » Il présentera parallèlement l’exposition Regards sur des ghettos d’Europe orientale (oct 1939- août 1944). Une série d’images qui exprime la négation du destin des hommes qui en sont eux-mêmes conscients.

Toutes les images du Troisième Reich, et singulièrement dans les manuels d’histoire, proviennent de Heinrich Hoffmann. « Elles ne sont pas signées et on les considère comme des images authentiques, souligne le commissaire de l’exposition Alain Sayag. Il est indispensable de les recontextualiser dans un système de propagande où l’image jouait un rôle majeur dans la manipulation des masses. » L’exposition se propose de participer à une mise au point de cette imagerie qui exerce un matraquage en réitérant les mêmes scènes à l’infini. Une louable entreprise, d’autant plus utile que ces images sont régulièrement exploitées dans la presse.

Mise en page 1

Germaine Tillion, une « Azaria » (femme libre) avec un groupe d’hommes, marché annuel de Tiskifine , août 1935.

Aurès 1935
A la croisée de la photographie documentaire, de l’ethnologie et du colonialisme Aurès 1935 témoigne d’un moment précis de la recherche ethnographique. Fin 1934, deux jeunes chercheuses, Thérèse Rivière (1901-1970) et Germaine Tillion  (1907-2008), se voient confier par le Musée d’ethnographie du Trocadéro une mission d’étude qui les conduit pour plusieurs années en Algérie à la lisière du Sahara. Placée sous le patronage de Christian Phéline l’exposition permet une approche des Chaouis qui conservent leur économie agropastorale. La population berbère se livre au regard des ethnographes dans une société encore préservée des grandes expropriations foncières programmées par la présence coloniale. Les photographies exposées sont tirées d’un fond découvert au début des années 2000 dans une boîte de chaussures en Allemagne.

 Manifestant en deuil au King Memorial Service,  Memphis,  1968, Bon Adelman

Manifestant en deuil au King Memorial Service, Memphis, 1968, Bon Adelman

I am a Man
L’exposition tient son nom d’un cliché représentant un manifestant noir, en deuil – il tient une pancarte affichant « I am a man » – en 1968. Elle se consacre à la photo documentation faite par les journalistes du Sud des Etats-Unis. Un travail anonyme qui retrace le contexte de lutte pour les droits civiques juste avant la loi de 1969 qui met officiellement fin à la ségrégation. Il en va, chacun le sait, tout autrement dans la pratique comme le démontre la résurrection actuelle du suprématisme blanc outre-Atlantique. Cette programmation engagée se réfère à l’Histoire sans jamais se couper des allers-retours entre le passé et le présent.

Calendrier
Aurès, 1935. Photographies de Thérèse Rivière et Germaine Tillion. Des portraits en noir et blanc s’inscrivant dans une histoire esthétique et sociale de la photographie. Du 7 février au 15 avril 2018.

Un dictateur en images. Photographies de Heinrich Hoffmann, et Regards sur les ghettos (Un accrochage double.) Première exposition vraiment consacrée à Heinrich Hoffmann, et au travail de ce photographe autour d’Adolf Hitler. L’homme a été, pendant 23 ans, le photographe personnel du Führer. Du 27 juin au 16 septembre 2018.

I am a Man. Photographies et luttes pour les droits civiques dans le Sud des Etats-Unis, 1960-1970. à découvrir du 17 octobre 2018 au 6 janvier 2019.

JMDH

Source : La Marseillaise 23/12/2017

Voir aussi : Rubrique Histoire, rubrique Photo, rubrique Montpellier,

Jérusalem. Mot d’ordre commun contre la provocation

L’erreur de Trump a produit un mouvement de solidarité. Photo JMDI

La déclaration du président des Etats-Unis sur Jérusalem a soulevé une vague d’indignation à travers le monde. Mobilisé dimanche sur la Place de La Comédie à Montpellier, le Collectif 34 Palestine s’est joint au concert d’indignation.

« ?L’absence de rationalité que l’on prête au président américain n’empêche pas que sa démarche s’inscrive dans une certaine logique? », faisait valoir hier à Montpellier un ancien militant de la cause palestinienne ayant répondu à l’appel du Collectif 34 Palestine. Un propos qu’il est aisé de constater dans les faits. En trois semaines, le gouvernement des Etats-Unis a attaqué le peuple palestinien sur trois fronts. Le 18 novembre, l’administration du président des Etats-Unis a annoncé sa décision de fermer le bureau diplomatique de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Washington. Le 5 décembre, le Congrès des Etats-Unis a voté à l’unanimité l’adoption de la loi Taylor Force, qui vise à bloquer, de 2018 à 2024, l’aide apportée à l’Autorité palestinienne, à moins que cette dernière ne cesse de verser des prestations aux familles de militants palestiniens morts au combat ou inculpés. Mais c’est le troisième affront, le 6 décembre, qui risque de s’avérer le plus dévastateur pour les initiatives de paix. Donald Trump a annoncé que les Etats-Unis reconnaissaient officiellement Jérusalem comme capitale d’Israël en provoquant une onde de choc dont la structure ondulatoire devient très apériodique.

«?Jérusalem est et restera éternellement la capitale de l’Etat de Palestine?», a affirmé le président palestinien Mahmoud Abbas suivi par les leaders musulmans qui appellent, le président Turc Erdogan en tête, le monde à reconnaître Jérusalem-Est comme capitale de la Palestine. Pour les 350 millions d’Arabes et les 1,5 milliard de musulmans dans le monde, la ville sainte constitue une question primordiale.

Trump avec les purs et durs

Même si elle n’a pas déclenché la spirale de violence redoutée, les violences suscitées par la décision américaine, ont causé la mort de huit palestiniens depuis le 6 décembre. Dont quatre décès et des centaines de blessés ce vendredi dans la bande de Gaza où l’armée israélienne a tiré à balles réelles sur les manifestants. Pour l’ancien militant montpelliérain qui précise que son accent américain n’a aucune importance?: «?Trump a pactisé avec les tenants du sionisme pur et dur, ceux qui iront jusqu’au bout...?» Une version corroborée par le New York Times qui avance que le président américain aurait décidé de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël après un dîner à la Maison-Blanche avec le milliardaire Sheldon Adelson, magnat des casinos de Las Vegas et principal financier du Parti républicain.

Solution attendue de l’extérieur

«?Après l’annonce du 6 décembre, le message est clair, explique le militant montpelliérain, on impose aux palestiniens la version israélienne de Netanyahou et de ses alliés d’extrême droite.?» Pour ce militant avisé du conflit israélo-palestinien la mobilisation significative du peuple israélien qui a réuni des centaines de milliers de manifestants à Tel Aviv pour demander la démission du chef de gouvernement n’est pas en mesure de faire basculer la balance. «?A travers le monde, tous les observateurs s’accordent à reconnaître que la solution viendra de l’extérieur.?»

Loin de servir les intérêts de son pays, la conversion du président américain à la vision israélienne exclut les Etats-Unis de l’histoire du Moyen-Orient et ouvre le champ à l’UE. «?L’erreur de Trump produit un grand mouvement de solidarité à travers le monde, souligne Isabelle Boissora la présidente du Collectif 34 Palestine, La France a manifestement une carte à jouer. Face à Netanyahou, Mr Macron et ses formules diplomatiques est apparu un peu tiède?».

JMDH

Source La Marseillaise 18/12/2017

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