France Culture Sur les Docks coordination Jean Lebrun Série de quatre documentaires proposée par Stéphane Bonnefoi. Réalisation : Christine Diger Durant les mois de novembre et décembre 2009, je suis allé m’installer chez des habitants du quartier de La Paillade à Montpellier, une Zone Urbaine Sensible née à la fin des années 1960 et peuplée de 22 000 habitants. Au fil des vagues d’immigrations et des crises économiques successives, l’ancienne cité-dortoir s’est peu à peu imposée en un lieu de vie d’une extrême densité et riche en strates. C’est ainsi qu’à la marge de la cité de Montpellier comme de la société, La Paillade s’est forgée une culture et des traditions propres, un mode de vie singulier. Au cœur de ce projet, le désir de recueillir la parole brute et intime d’habitants d’un grand quartier populaire, dont l’humanité est bien souvent ignorée, voire court-circuitée à des fins médiatiques ou politiques. Aussi méfiants que pudiques, peu enclins à se raconter, les Pailladins se montrent volubiles une fois la confiance gagnée. Aussi, succomber à la faconde toute méditerranéenne de ses acteurs privés de scène est un grand bonheur, pour ne pas dire une ivresse, mais à vivre la tête froide… « à la paillade » – où logent les domestiques – nous apprend le dictionnaire, dresse en quatre volets et par la voix même de ses habitants, un portrait vivant, forcément subjectif, d’un quartier ô combien sonore où cohabitent à l’extrême le rire avec le grave.
lundi 15 févrierA la Paillade : trouver la lumière
En 2000, La Paillade a été rebaptisée La Mosson, du nom de la rivière qui marque l’extrême limite de ce territoire au nord-ouest de la ville de Montpellier. Une bonne partie de l’immigration du département se retrouve ici. Kader, un Français d’origine kabyle, vit depuis deux ans dans le foyer Adoma (ex-Sonacotra). En quête de soleil, Kader a fui le Nord et son passé en espérant commencer une nouvelle vie. Mais à La Paillade, il doit faire face à d’autres difficultés : le chômage, l’impossibilité d’obtenir un vrai logement, et la cohabitation difficile avec les vieux Algériens esseulés qui peuplent le foyer. Il se sent aujourd’hui prisonnier mais, vivant sous la mosquée du foyer, il a tout récemment trouvé la foi… C’est aussi le soleil et les jolies filles de la région qui ont attiré Serge à Montpellier. Pourquoi ce troubadour a t-il donc déposé sa guitare à La Paillade ? Tout simplement parce qu’il a découvert que le studio d’enregistrement de la Maison pour Tous Léo Lagrange se trouvait sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle… Un signe pour ce troubadour, qui a tout sacrifié pour enregistrer son premier album ici. Quant à Meriem, femme de caractère d’origine ivoiro-marocaine, elle cherche à refaire sa vie entre deux déménagements et la quête de papiers d’identité pour son fils.
Avec Meriem, Kader, Amar, habitants ; Serge de Carcassonne, chanteur
mardi 16 février A la Paillade : le bled
La tour Assas domine La Paillade du haut de ses 80 mètres. Elle s’impose comme l’emblème d’un quartier dominé par une population d’origine marocaine. Visite et état des lieux avec Lhacen, gardien de ce phare rebaptisé Ouarzazate, après avoir été anciennement surnommé l’ONU… Dans un contexte de paupérisation de sa population et de stigmatisation de l’islam, le quartier glisse vers une pratique religieuse ostentatoire qui tend à régir la vie sociale du quartier. En témoignent le développement du port du voile, la pratique de l’arabe à l’école ou l’éclipse des femmes, qui n’apparaissent que le matin autour du marché et à la sortie des écoles. Rachid, qui a vécu longtemps sans papiers avant de rencontrer sa femme Nora, souhaite quitter La Paillade afin que ses enfants ne reproduisent pas des traditions héritées du bled, qu’il juge archaïques. Nora, qui se refuse à porter le voile « pour l’instant », évoque ces groupes de femmes qui se réunissent pour parler religion. Elle témoigne également de l’existence de « cours privés » où l’on apprend l’islam aux enfants sous couvert d’apprentissage de la langue arabe. Le témoignage de Nora en dit long sur l’activisme religieux qui règne dans le quartier, sous la houlette de l’imam de la grande mosquée de Montpellier, précisément construite à La Paillade. Fatima, musulmane, évoque la lecture régressive qui est faite de l’islam dans le quartier, et parle d’instrumentalisation sous couvert de religion
Avec Lhacen, gardien de la tour Assas ; Mohammed Khattabi, imam de la mosquée de Montpellier ; Mireille, Gaswani et Mohammed, habitants du quartier.
mercredi 17 février A la Paillade : il était une foi gitane
Montpellier est traditionnellement une terre d’accueil pour les Gitans, et particulièrement le quartier de La Paillade. La communauté gitane y vit en autarcie, et offre à une église catholique isolée un contingent bienvenu de fidèles à la pratique certes singulière, mais non négligeable… Face à la montée en puissance des pentecôtistes, la foi des Gitans catholiques redouble de ferveur. Les enfants pratiquent le catéchisme dans l’appartement d’Aline, au cœur des blocs HLM du quartier gitan. En bas, les hommes tiennent les murs, trafiquent, et les jours de soleil, sortent les cages de leurs chardonnerets. Figure tutélaire de la « gitanie » pailladine, Paulette travaille à l’évangélisation de la communauté, avec une gouaille qui redonne quelque couleur à une paroisse en perte de vitesse. Son mari, Antonio, qui casse des voitures à la hache le jour, rehausse lui aussi la pratique du culte pailladin à l’aide de sa guitare flamenca. Le prêtre est aux anges
Avec Michel Peyre, prêtre de l’église Saint-Paul ; et Paulette, Gitans de la Paillade
jeudi 18 février A la Paillade : en toute conscience
Avec un taux de chômage de plus de 40% et un grand nombre de clandestins, le quartier semble se refermer sur lui-même, malgré le passage du tram et le travail quotidien effectué par les très nombreuses associations locales (plus de 200). Ils sont acteurs associatifs, militants de quartier, grands frères, jeunes pailladins ou simples habitants, et s’activent avec des moyens différents. Tous ont une voix, plus ou moins forte, qui porte dans le quartier. Ils racontent la vie sociale de La Paillade, dont les repères ont profondément évolué depuis les années 80, l’âge d’or de la mixité et des valeurs de l’éducation populaire, aujourd’hui dépassées par les pratiques des associations communautaires.
Avec Evelyne Menou directrice de l’association « Peuple et culture » ; Rabi, habitant
Tony Gatlif : « Pourquoi n’ont-ils rien dit ? » Photo David Maugendre
Cinéma. Tony Gatlif évoque son dernier film Liberté. Un retour sur le sort des Tsiganes sous l’occupation.
Liberté, le dernier film de Tony Gatlif sortira dans les salles le 24 février. L’avant-première a eu lieu à Montpellier au cinéma Diagonal, jeudi dernier en présence du réalisateur. Le film aborde le sort des Tsiganes en France pendant l’occupation. « Il fallait faire ce film, explique le réalisateur, il est utile, pas seulement pour les Gitans. Il résonne avec l’époque que nous traversons. Il y a des mots qui sont lâchés actuellement que l’on n’aurait pas osé prononcer dans les années 50. En mêmetemps c’était un film dangereux pour un auteur comme moi qui adore partir en vrille. La dimension historique m’a contraint à tenir le cap. » L’extermination des Tziganes est un fait souvent oublié. Le nom des victimes tsiganes ne fut même pas mentionné durant le Procès de Nuremberg. On trouve d’ailleurs très peu de films documentaires ou livres sur le sujet. « J’ai toujours eu envie de faire ce film mais cela me faisait peur, confie Tony Gatlif, les Roms que je rencontrais me disaient souvent : Fais-nous un film sur la déportation des Roms ».
A l’arrivée, Tony Gatlif livre une œuvre de fiction profonde sur la culture tsigane tout en dévoilant un contexte historique méconnu. L’action se situe dans la zone occupée en 1943. Dix ans après l’arrivée au pouvoir d’Hitler, la folie génocidaire fait rage. On entreprend la traque du tzigane dans toute l’Europe occupée.
Début 2007, alors que le cinéaste participe à un colloque international à Strasbourg, de jeunes élus roms de la communauté européenne demandent au réalisateur de se saisir du sujet. « Ce qui m’a convaincu, c’est le besoin de cette nouvelle génération qui souffre d’un manque de reconnaissance et de l’ignorance des autres vis-à-vis de leur propre histoire. La génération précédente a été profondément humiliée, mais elle s’est gardée d’assurer la transmission. Ce n’est pas nouveau, les Gitans ont toujoursété les martyrs d’une politique qui ne les concernait pas. On ne les a jamais traités en temps que citoyens. Les Gitans ont une identité très forte. Ce n’est pas leur problème d’être français ou pas. Ce qu’ils veulent c’est avoir les mêmes droits. Durant la guerre, ils ont été éliminés de façon froide et cynique. En Europe, le massacre se chiffre à 250 000 morts. »
La politique française de l’époque est assez manichéenne. La ségrégation existait déjà avant guerre : « La France n’a pas déporté beaucoup de Gitans vers l’Allemagne. Elle voulait surtout mettre fin au nomadisme. Dès 1912, l’administration impose le carnet anthropométrique. Un document de fichage systématique qui doit être tamponné dès que les Gitans arrivent dans une commune. Puis, on les a mis dans les camps construits pour les réfugiés espagnols. Sous le gouvernement de Vichy, l’administration planifie l’enfermement des Tsiganes sur tout le territoire sans que l’Allemagne ne l’aie demandé, précise Tony Gatlif. Les Gitans sont restés dans les camps jusqu’en 1946. Un an après la fin de la guerre, on les a fait sortir des camps comme du bétail, sans aucun dédommagement. Si la guerre s’étaitpoursuivie, ils y seraient morts. »
Cette réalité énoncée est perceptible dans le film, mais elle est traitée avec beaucoup de sobriété. « On ne fait pas un film comme celui-là pour demander des comptes. Qui sommes-nous pour juger ? Mais il faut faire connaître ce qui s’est passé. Et demander : pourquoi n’avez-vous rien dit ? » Gatlif porte un regard sans pathos ni violence, donnant à son film une vision optimiste des hommes. Liberté met en avant l’âme libre des gitans et la place des Justes. « L’histoire n’existe que parce qu’il y a des Justes. Ils risquaient leur vie. Ils ont fait preuve d’un courage énorme. Il doivent nous donner l’exemple aujourd’hui. »
« On se demande donc bien en quoi sont de gauche plutôt que de droite le clientélisme communautariste pratiqué de longue date par Georges Frêche, sa vision méprisante de ses propres électeurs qualifiés de «cons» malléables à merci, sa promotion incessante d’un passé antiquaire où le bilan positif de la colonisation a toujours été en bonne place, son alignement sur la vulgate anti-musulmane du choc des civilisations autour de la question proche-orientale avec sa position aveuglément pro-israélienne, sa fascination revendiquée sans aucune nuance pour l’actuel autocratisme dictatorial chinois – etc., etc. … tant la liste n’est pas exhaustive. »
La politique est un langage. Et les mots y sont bavards, au-delà de ce qu’ils nomment. Ils disent l’idée que l’on s’en fait, la façon dont on la pratique, les idéaux qui l’inspirent. En ce sens, le verbe musclé de Georges Frêche ne se résume pas à des dérapages. Il dit sa vérité, celle que l’on retrouve dans cette confidence, rapportée par L’Express: «Avec Sarkozy, on se ressemble comme deux gouttes d’eau.» Tirée du portrait qu’a consacré, cette semaine, l’hebdomadaire au président sortant de la région Languedoc-Roussillon, cette phrase a été très peu relevée, encore moins commentée. Politiquement, elle me semble pourtant plus essentielle que cet énième dérapage, dans le même article, sur la «tronche pas catholique» de Laurent Fabius qui a, enfin, sorti le Parti socialiste de sa complaisante torpeur à l’endroit de Georges Frêche.
Le sarkozysme en effet – et nous n’avons cessé, à Mediapart, de le démontrer par les faits, jusqu’à notre livre récent – ne se résume pas à une classique politique de droite. Par sa façon de faire et par sa manière de dire, il témoigne d’une nécrose démocratique qui prolonge et approfondit, exacerbe et hystérise, les travers, faiblesses et insuffisances de notre culture politique nationale, ramenée au pouvoir d’un seul, à son caractère et à ses foucades, à ses humeurs et à ses obsessions, à son absolutisme et à son clientélisme.
Nous en révélant les dangers et les risques, les imprévoyances et les inconséquences, il nous oblige à relever le défi d’exigences démocratiques trop longtemps contenues sous les précédents pouvoirs, de gauche comme de droite. C’est pourquoi, et mieux vaut tard que jamais, le Parti socialiste comprend soudain que le cas Frêche n’est pas une originalité locale, mais un handicap national. On ne peut prétendre affronter demain Nicolas Sarkozy et tolérer aujourd’hui Georges Frêche. On ne peut affirmer incarner nationalement une alternative, c’est-à-dire une authentique différence sur le fond comme dans la forme, et accepter localement un pouvoir sans partage, aussi démagogue qu’autocrate. Bref, il faut prendre Georges Frêche au mot, et en tirer les conséquences : puisque frêchisme et sarkozysme se ressemblent « comme deux gouttes d’eau », la gauche doit clairement rompre avec le premier si elle veut vraiment battre le second.
Ses supporters objecteront que Georges Frêche a été de tous les combats de la gauche depuis ses premiers engagements politiques et que sa politique d’élu local est profondément sociale. S’agissant du premier argument, on répondra qu’il ne suffit pas d’avoir été pour être. Dans les temps de transition, d’incertitude et d’instabilité qui sont les nôtres, les contours de la gauche ne relèvent pas d’un héritage passé mais d’une actualité présente. Après tout, nous avons vu, en 2007, un homme (Eric Besson) et une femme (Fadela Amara) passer sans transition du parti socialiste à l’UMP de l’identité nationale et du paquet fiscal.
Au-delà d’une pratique gestionnaire du pouvoir totalement confiscatoire, non délibérative et très égocentrique, on se demande donc bien en quoi sont de gauche plutôt que de droite le clientélisme communautariste pratiqué de longue date par Georges Frêche, sa vision méprisante de ses propres électeurs qualifiés de «cons» malléables à merci, sa promotion incessante d’un passé antiquaire où le bilan positif de la colonisation a toujours été en bonne place, son alignement sur la vulgate anti-musulmane du choc des civilisations autour de la question proche-orientale avec sa position aveuglément pro-israélienne, sa fascination revendiquée sans aucune nuance pour l’actuel autocratisme dictatorial chinois – etc., etc. … tant la liste n’est pas exhaustive.
Chez Georges Frêche, le pouvoir est la seule constante: s’y maintenir, coûte que coûte. Et, de fait, cela dure depuis bientôt 37 ans, Frêche ayant été élu à Montpellier député pour la première fois en 1973, puis maire de la ville en 1977. Que son étiquette, ses alliances, ses relais soient apparemment de gauche ne définit aucunement son identité politique qui, en vérité, se résume à sa seule personne. S’il en fallait une seule preuve, elle est assénée au centuple par les ruptures, menaces et disgrâces de toutes celles et de tous ceux, dont l’actuelle maire de Montpellier, Hélène Mandroux, qui ont osé se dissocier, se démarquer ou s’éloigner alors même qu’ils appartiennent à la même famille politique.
En frêchisme, comme en sarkozysme, on est avec ou on est contre, sans entre deux. Pas de place à la nuance, à la diversité, à la contradiction. Avec moi ou contre moi, tel est le seul vrai programme politique. Quant à l’aspect social de sa politique, il n’est pas certain que la réalité lui en donne quitus, et c’est bien pourquoi la fuite en avant démagogique, par l’outrance et la provocation, la force du verbe et l’intimidation des adversaires, lui tient déjà lieu de refrain de campagne.
Avec 12,8% de chômeurs, le Languedoc tient socialement la lanterne rouge de l’Hexagone, bon dernier dans la plupart des indicateurs sociaux et gratifié du PIB par habitant le plus faible de France. Mais, surtout, on ne saurait trop inviter les socialistes locaux et leurs soutiens nationaux à relire leurs classiques, voire, dans le cas de Vincent Peillon, philosophe de métier, leurs propres ouvrages (sur Jean Jaurès ou sur Ferdinand Buisson), pour se rappeler qu’on ne peut dissocier la question sociale de la question démocratique.
C’est ici qu’il faut en revenir au langage. Longtemps monopole médiatique de Jean-Marie Le Pen, le registre transgressif de Georges Frêche, où le dérapage verbal est immédiatement suivi d’une posture de victimisation dénonçant les élites (forcément parisiennes) et le politiquement correct (évidemment bourgeois), est l’habituelle ruse de tous les manipulateurs d’opinion et de foule les moins soucieux de l’émancipation des masses. En l’espèce, la vulgarité et la grossièreté n’ont rien d’authentiquement populaire, mais traduisent au contraire le mépris et le dédain du peuple d’un intellectuel, agrégé et universitaire, professeur de droit romain, qui a choisi ce registre pour s’imposer et dominer.
A gauche, ce rôle de composition n’est pas nouveau : il fut souvent celui choisi par ceux, lettrés ou bureaucrates, qui détournèrent à leur profit les causes ouvrière et paysanne. Nul hasard, par exemple, si ceux qui s’opposèrent au stalinisme, à son imposture communiste et à ses crimes totalitaires, firent de la correction de la langue comme du comportement une question politique centrale. On trouve ainsi chez Léon Trotsky, dans Questions du mode de vie, ouvrage de publié en 1923, donc aux premières années de la révolution soviétique, un réquisitoire contre la bureaucratie placé sur le terrain de la politesse et du langage. «Les égards et la politesse comme conditions nécessaires à des relations harmonieuses» est le titre d’un chapitre, suivi d’un autre, ainsi intitulé: «Il faut lutter pour un langage châtié.» L’homme qui devait ordonner son assassinat en 1940 n’avait pas encore imposé sa dictature, mais la caste qui allait le promouvoir prenait ses marques, avec une grossièreté brutale comme signe distinctif.
«La grossièreté du langage est un héritage de l’esclavage, de l’humiliation, du mépris de la dignité humaine, celle d’autrui, et la sienne propre», écrit Trotsky qui ajoute que, «dans la bouche d’un maître», c’est «l’expression d’une supériorité de classe, d’un bon droit esclavagiste, inébranlable». Et de conclure: «La lutte contre la grossièreté fait partie de la lutte pour la pureté, la clarté, la beauté du langage.» Et si la référence au fondateur de l’armée rouge trouble certains lecteurs oublieux de ce que fut l’opposition au stalinisme, j’y ajoute volontiers cet autre opposant déterminé, mais sur le versant socialiste libertaire, George Orwell, dont la common decency, cette décence commune propre aux opprimés, se voulait l’exact contraire de la grossièreté politique imposée au mouvement ouvrier par le communisme stalinien. Pour reprendre la définition qu’en a donné Jean-Claude Michéa, spécialiste d’Orwell habitant justement Montpellier, le frêchisme est à l’opposé de ce « sentiment intuitif des choses qui ne doivent pas se faire, non seulement si l’on veut rester digne de sa propre humanité, mais surtout si l’on cherche à maintenir les conditions d’un existence quotidienne véritablement commune».
A cette aune, les provocations de Georges Frêche sont bavardes tant, loin de cet idéal partagé, elles opposent et divisent, compartimentent et segmentent. Des noirs aux harkis, en passant par les femmes musulmanes voilées ou l’implicite antisémite de ce Fabius à la «tronche pas catholique», ses cibles ne sont jamais anodines, convoquant toutes un imaginaire de l’étrange étranger, de l’immigré envahissant. Bref de l’autre pas comme nous, jamais comme nous, dont la différence est, au bout du compte, de trop.
Il y a certes bien longtemps que le Parti socialiste aurait dû s’en émouvoir. Et ses alliés nationaux, opposés localement à Georges Frêche, sont légitimes à le lui rappeler. Mais on ne saurait aujourd’hui faire reproche de ce coûteux retard maintenant qu’il devient une évidente ponctualité politique. «Le socialisme est une morale», écrivait en 1894 un jeune député dont les viticulteurs du Languedoc honorent la mémoire. Il se nommait Jean Jaurès, et il serait peut-être temps que les socialistes s’efforcent enfin de lui donner raison.
La sortie du livre L’Appel des appels (Mille et une nuits) s’inscrit dans la suite de l’engagement citoyen suscité par le collectif national qui s’est regroupé en janvier 2009 pour résister à la destruction systématique de tout lien social au sein de leurs professions. Le psychanalyste Roland Gori, qui en est l’initiateur principal, a dirigé cet essai qui regroupe de nombreuses contributions. Ses travaux pour contester les dérives des « dispositifs de servitude » dominés par « le nouvel ordre économique » étaient connus dans le champs de la psychanalyse et plus largement des sciences sociales. « Il a ouvert un questionnement à partir d’une articulation entre la crise politique, de civilisation et la réalité psychique contemporaine », synthétise Rajaa Stitou, maître de conférences en psychopathologie clinique à l’Université de Montpellier III, qui animera la rencontre débat* salle Pétrarque.
Au-delà du monde universitaire, le texte fédérateur de L’Appel des appels s’adresse à l’ensemble des citoyens aux prises avec l’idéologie de la norme et de la performance. Il a rencontré un écho inédit avec près de 80 000 signatures recueillies en 2009. La Charte à pour vocation de mettre en commun des expériences professionnelles multiples non corporatistes pour résister à l’utilitarisme économique qui dépossède les hommes et les femmes de leur savoir tout en compromettant leur métier et leurs missions.
Un diagnostic commun
La sortie du livre est complémentaire à la mobilisation de terrain qui s’est organisée en région. Les contributeurs de l’essai – psychanalystes, enseignants, médecins, juristes, chercheurs, journalistes, artistes – dressent un état des lieux et une analyse dans chacun de leur domaine. Ils se retrouvent autour d’un diagnostic commun sur le paysage social ravagé. En cela, la lutte des consciences dépasse les chapelles professionnelles dont elles peuvent être issues. Elles pointent les profondes transformations sociales que le gouvernement met en œuvre. Et ne manquent pas d’en souligner les conséquences : l’installation de la précarité dans le régime de travail comme une condition normale, la religion du chiffre et le mépris des individus, la soumission de la jeunesse que l’on place pendant des années en situation de dépendance et de dressage à la flexibilisation.
Bien plus qu’un simple questionnement sur notre civilisation formatée par les valeurs du capitalisme financier, le mouvement de l’Appel des appels veut se donner le temps d’une réflexion politique. Objectif ambitieux dans l’espace tragique de la crise actuelle, mais nécessaire pour retrouver la possibilité de penser dans l’indépendance.
Jean-Marie Dinh
* Roland Gori est l’invité de la librairie Sauramps lundi 8 février 19h30 à la salle Pétrarque pour une conférence-débat autour du livre « L’Appel des appels. Pour une insurrection des consciences » Ed Mille et une nuits (sous la direction de Roland Gori, Barbara Cassin et Christian Laval).
On imagine Ellroy à Roissy Charles de Gaulle soutenant froidement le regard des douaniers, après avoir fait sonner le détecteur de métaux. On pourrait aussi le croiser au fin fond des terres désertiques du conté de Los-Angeles faisant causette avec une bigote WASP*, ou scrutant le plafond dans le noir d’une chambre d’hôtel. Autant dire que le passage de l’écrivain américain à Montpellier mercredi n’est pas passé inaperçu. Trente minutes avec la presse, une heure trente chez Sauramps où il a dédicacé une rafale de 200 livres, pour conclure sur une heure de rencontre avec ses lecteurs salle Pétrarque. Carton plein. Sold out à tous les étages.
En tournée pour la sortie de Underworld USA (Rivages)**, l’homme avance sur du papier millimétré. Ses écarts laissent souvent des tâches rouge sombre. Le style, jamais innocent, d’Ellroy a quelque chose d’un Céline américain, qui ne saurait pourtant se résumer au populisme basique de droite. Il y a un phénomène Ellroy. » Depuis l’assassinat non élucidé de ma mère en 1958, j’ai deux versions de l’histoire. La version officielle et l’autre. » On pourrait souffler à l’auteur le conseil qu’il met dans la bouche d’un de ses personnages : » Prends bien garde au but que tu poursuis car il te poursuit aussi. » Sorti le 6 janvier, le volume 3 de Underworld USA vient clore la trilogie sur l’Amérique obscure des années 1958-1972, de la montée des mouvements noirs comme les Black Panthers, à la réélection de Richard Nixon en 1972 en passant par les assassinats de John F. Kennedy et Martin Luther King.
Le livre cartonne en tête, toutes ventes confondues. On a déjà dépassé les 120 000 exemplaires confirmait il y a peu son éditeur François Guérif. Pourtant, l’écrivain ne fait aucune concession à ses lecteurs. Il amoncelle les faits autour de destinées multiples. Les 840 pages de Underworld USA ne constituent pas un livre facile. » C’est un succès inexplicable, confirme le directeur du FIRN, Michel Gueorguieff, le livre est excellent, le style est vif, la violence extrême, et la construction complexe mais habituellement cela ne suffit pas. L’homme est abrupt, il peut être odieux même s’il faut tenir compte du clivage d’expression qui existe entre la France et les Etats-Unis. La fresque politico-criminelle de l’histoire américaine que nous livre l’écrivain ne l’empêche pas de défendre une vision religieuse du monde. En prenant soin de donner une âme à ses criminels endurcis. C’est typiquement du Ellroy. Ca sent le souffre.
Jean-Marie Dinh
*Underworld USA, Editions Rivages 24,5 euros
Rencontre avec James Ellroy à Montpellier :
» Je suis de droite et je crois au pouvoir des idées »
Vous laissez le lecteur démêler les fils entre réalité et fiction, entre l’histoire d’un pays et celle des hommes qui y vivent. Où trouvez-vous l’enseignement le plus fécond, dans l’observation politique ou dans l’approche humaine ?
Mon objectif était de mêler, sans que cela soit perceptible, des personnages de fiction avec des personnages réels et des faits imaginés avec d’autres faits qui font vraiment partie de l’histoire des Etats-Unis. En fait, j’ai tenté de réécrire l’histoire. Si je parviens à un degré de réalisme où le lecteur peine à faire la distinction, on peut penser que j’ai réussi.
Votre trilogie se termine à la fin de la première guerre froide, un moment où le business prend les commandes. Vous décrivez la lutte pour le pouvoir, qui voit la confluence entre les racistes et les anticommunistes. Etait-ce un rapprochement d’intérêts ou idéologique ?
Le racisme est mauvais et le communisme aussi. Pour moi, la guerre froide ne se termine pas dans les années 70 mais en 1989, quand Ronald Reagan met définitivement fin à cette guerre avec la chute du mur de Berlin. Cela dit, je pense qu’on ne peut pas faire un lien direct entre l’horreur du racisme et l’anticommunisme. Les idées ne sont pas liées.
Vous êtes perçu en France comme un auteur de droite bien que beaucoup de lecteurs de gauche vous apprécient. Croyez-vous au pouvoir des idées ?
Je suis de droite et je crois aux pouvoir des idées.
La véritable histoire des Etats-Unis que vous dévoilez est celle du crime. Pensez-vous que cela changera un jour ?
Je crois que l’histoire du monde va s’améliorer. Parce que c’est la volonté de Dieu. Si nous nous considérons comme ses créatures c’est aussi la nôtre d’œuvrer vers le bien. Donc on devrait pouvoir améliorer cette merde.
La libre relation entre Karen et Dwight est magnifique. Les histoires d’amour sont-elles plus belles quand elles sont vécues par des assassins ?
Je n’ai rien vécu de mieux dans toute ma carrière que de décrire les histoires d’amour de ce roman. J’ai voulu rendre un hommage aux femmes qui ont vécu leur existence auprès d’eux… «