L’Appel des appels : Résistance au processus de normalisation sociale

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La sortie du livre L’Appel des appels (Mille et une nuits) s’inscrit dans la suite de l’engagement citoyen suscité par le collectif national qui s’est regroupé en janvier 2009 pour résister à la destruction systématique de tout lien social au sein de leurs professions. Le psychanalyste Roland Gori, qui en est l’initiateur principal, a dirigé cet essai qui regroupe de nombreuses contributions. Ses travaux pour contester les dérives des « dispositifs de servitude » dominés par « le nouvel ordre économique » étaient connus dans le champs de la psychanalyse et plus largement des sciences sociales. « Il a ouvert un questionnement à partir d’une articulation entre la crise politique, de civilisation et la réalité psychique contemporaine », synthétise Rajaa Stitou, maître de conférences en psychopathologie clinique à l’Université de Montpellier  III, qui animera la rencontre débat* salle Pétrarque.

Au-delà du monde universitaire, le texte fédérateur de L’Appel des appels s’adresse à l’ensemble des citoyens aux prises avec l’idéologie de la norme et de la performance. Il a rencontré un écho inédit avec près de 80 000 signatures recueillies en 2009. La Charte à pour vocation de mettre en commun des expériences professionnelles multiples non corporatistes pour résister à l’utilitarisme économique qui dépossède les hommes et les femmes de leur savoir tout en compromettant leur métier et leurs missions.

Un diagnostic commun

La sortie du livre est complémentaire à la mobilisation de terrain qui s’est organisée en région. Les contributeurs de l’essai – psychanalystes, enseignants, médecins, juristes, chercheurs, journalistes, artistes – dressent un état des lieux et une analyse dans chacun de leur domaine. Ils se retrouvent autour d’un diagnostic commun sur le paysage social ravagé. En cela, la lutte des consciences dépasse les chapelles professionnelles dont elles peuvent être issues. Elles pointent les profondes transformations sociales que le gouvernement met en œuvre. Et ne manquent pas d’en souligner les conséquences : l’installation de la précarité dans le régime de travail comme une condition normale, la religion du chiffre et le mépris des individus, la soumission de la jeunesse que l’on place pendant des années en situation de dépendance et de dressage à la flexibilisation.

Bien plus qu’un simple questionnement sur notre civilisation formatée par les valeurs du capitalisme financier, le mouvement de l’Appel des appels veut se donner le temps d’une réflexion politique. Objectif ambitieux dans l’espace tragique de la crise actuelle, mais nécessaire pour retrouver la possibilité de penser dans l’indépendance.

Jean-Marie Dinh

* Roland Gori est l’invité de la librairie Sauramps lundi 8 février 19h30 à la salle Pétrarque pour une conférence-débat autour du livre « L’Appel des appels. Pour une insurrection des consciences » Ed Mille et une nuits (sous la direction de Roland Gori, Barbara Cassin et Christian Laval).

Voir aussi : Rubrique société Rencontre avec Rolan Gori, lien externe signez l’Appel des appels, le site de  l’Appel des appels, rubrique débat, Psychanalyse un douteux discrédit, Livre essai, l’université et la recherche en colère,

Le travail mis en examen

Un point sur le travail, analysé par le syndicaliste Jean-François Naton qui accuse le trop aisé  » Travailler plus pour gagner plus « . L’auteur offre une vision aux antipodes de celle de Pierre Carl pour qui le système abolit massivement le travail. Pour le responsable du secteur Travail/santé de la CGT, membre de la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie des travailleurs salariés, le travail reste un des champs majeurs du développement humain.

Le péril qui nous menace serait précisément de  » laisser sans espoir le peuple des levés tôt « . Abandonner le terrain au président renard qui disserte sur la fierté et l’effort. Mais organise, en sous main, la chasse au temps mort, la précarisation généralisée, le retour à la délation et le perfide deal des projets individuels qui favorisent partout, y compris chez les ouvriers, l’extension des inégalités.

Ce basculement des classes populaires dans la servitude plus ou moins volontaire n’a été possible que grâce à la démission de la gauche et à son incapacité notoire à défendre le droit et le pouvoir d’achat des salariés sous le prétexte de l’efficacité économique.

Bien documenté, le livre propose un tour d’horizon de la détresse des salariés du XXIe siècle. Les termes abstraits comme contrôle de la production, réduction des coûts de main d’œuvre, flexibilité, recours à la sous-traitance… se conjuguent avec des effets bien réels  tels que : temps partiel subi, travailleurs pauvres à perpétuité, séquelles fonctionnelles, stress généralisé, suicides, écart croissant et hautement symbolique de l’espérance de vie entre les catégories socioprofessionnelles.

Militant du bien travailler, l’auteur dénonce la banalisation des abus et la mise en invisibilité des conséquences du travail sur la santé des salariés. A la lumière de différents rapports, il met en évidence  »  le sacrifice des innocents du travail sur l’autel de la grandeur économique française. « 

Le syndicaliste ne manque pas de faire son propre examen de conscience.  «  Le syndicalisme est interpellé dans son intime utilité. Ne s’est-il pas lui aussi plié, soumis à l’emballement marchand ? « 

Le dernier chapitre du livre prône l’introduction des droits de l’Homme dans l’entreprise. L’avènement brutal du néo- libéralisme en France, avec comme étendard, la rupture sur la valeur travail, appelle une mobilisation urgente de cohérence revendicative et de transformation sociale.

Jean-Marie Dinh

A la reconquête du travail, 11,5 euros, aux éditions Indigène.