Amphitryon de Plaute: Les forces de la manipulation à l’œuvre

photo Jean-louis-fernandez

Au Théâtre Jean Vilar, La Compagnie  CCCP livre une adaptation contemporaine réussie de l’Amphitryon de Plaute mise en scène par Hervé Dariguelongue.

Les mythes imprègnent l’humanité en dehors de la représentation commune du temps. Un temps que les dieux ne partagent pas avec les hommes, sauf bien sûr si le désir leur en prend, s’ensuit alors un certain brouillage des réalités.

Pendant qu’Amphitryon, général des Thébains, est allé combattre les ennemis, Jupiter épris d’Alcmène, épouse d’Amphitryon, prend la forme de celui-ci et trompe Alcmène à la faveur de cette métamorphose. Il s’est fait accompagner dans cette expédition de son fidèle fils Mercure, qui lui-même a pris les traits de Sosie, valet d’Amphitryon. De là débutent les méprises les plus réjouissantes.

On connaît surtout le mythe d’Amphitryon à travers la pièce de Molière. Hervé Dariguelongue a préféré partir du texte source (retraduit pour cette création): «  J’envisage le texte de Plaute comme un vestige, une ruine qui désignerait son imcomplétude et laisserait la place à ce qu’elle fut.  » Un défi qui ne cède en rien à la facilité pour répondre au rapport complexe entre théâtre et réalité.

Jeux de mystification

Le savoir-faire de Plaute (254-184 av. J.-C) en matière d’intrigue n’est plus à démontrer. L’auteur romain s’inspire des Grecs mais il y ajoute sa perception de la société romaine. Le travail du metteur en scène poursuit cette démarche avec finesse. Il attribue un rôle au public, insère des fragments de réalité dans le récit, renoue, l’air de rien, avec les vertus d’un théâtre social et politique. On peut du reste trouver quelques correspondances entre ce qu’il se passe aujourd’hui et les limites qu’imposait le système politique romain à la critique au profit du divertissement.

La question fondamentalement identitaire du qui suis-je? que pose la pièce paraît tout à fait à propos dans une société qui renie tous ses repères pour suivre aveuglément la voie du divin marché. Pour éveiller la conscience des forces d’une mystification maîtrisée et active, Hervé Dariguelongue renouvelle le prologue en évitant le statique. « Vous m’avez confié la gestion de vos affaires s’exclame Mercure en s’adressant à la salle, C’est moi qui fixe désormais les règles et vous allez voir quel usage je vais en faire… »

A la dénonciation du pouvoir absolu s’adjoint une autre thématique, elle aussi très contemporaine. La remise en cause de notre statut – celui du maître ou du serviteur zélé – se pose ici avec la même radicalité même si le valet Sosie semble disposer de bien meilleures ressources que son maître face au vide.

En tirant aussi bien partie du ressort comique de la pièce que de sa dimension dramatique, cette adaptation ouvre sur un questionnement. Le réconfort que nous trouvons en déléguant nos responsabilités aux puissants de ce monde n’est-il pas le facteur majeur de notre aliénation ?

Jean-Marie Dinh

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Où c’est qu’on freine…

Une au fiction gaie et féroce. Photo  Christian Berthelot.

Actuellement aux Treize Vents se donne un spectacle entre la pièce contemporaine, le concert barré et le manifeste pour un dépassement dans la jouissance de l’instant. Le propos, quasi générationnel, s’ancre dès le début dans un univers exclusivement masculin. Il s’articule sous la forme d’un autoportrait au vitriol.

Un gardien de musée tue l’ennui et fuit son propre vide. Sa mission professionnelle, celle d’être là sans rien faire, renvoie à l’espace plus large d’une société qui n’a pas besoin de lui. Sur scène, Philippe dispose d’un alter ego, sorte de jumeau qui souligne sa vulnérabilité. Le texte cru, parfois vulgaire, tombe à certains moments dans l’égocentrisme, avant de redécoller dans une cruauté plus distinguée. « Je voudrais fuir mais je suis menotté sur ce gouffre de chaise avec ces deux connasses névrosées puant la solitude des vieilles qui terminent seules. » Cette Chaise mise en scène par Mélanie Leray d’après un texte de Forian Parra donne un peu dans le mélange des genres. Mais c’est pour mieux redéfinir les contenus. Le fil narratif surprenant joue sur la densité émotionnelle et les variations de tension. On s’accroche à sa chaise comme à beaucoup de choses qu’il faut savoir lâcher pour saisir la réalité complexe qui s’offre ici sans pudeur. Entre provocation et confessions intimes, les fêlures surgissent : du sexe, de la souffrance, du sexe, en tournant le dos à la vérité quand celle-ci daigne pointer son nez. Il n’y a pas de divan, mais prenez donc une chaise !

Jean-Marie Dinh

La Chaise, jusqu’au 6 novembre  au Théâtre de Grammont 04 67 99 25 00

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Cinemed 2010 : Agusti Vila, Antigone d’or pour La Mosquitera

poticheCinemed s’est conclu cette année samedi, avec un jour de moins que les éditions précédentes. Au programme de la soirée de clôture, les spectateurs ont pu assister en avant-première à la projection du dernier film de François Ozon, Potiche*. Une comédie franchouillarde bien écrite qui inscrit son intrigue autour des enjeux de domination sociale des notables de province dans les années 70. Porté par le trio Deneuve, Luchini, Depardieu le film est tiré d’une pièce de Barillet et Grédy, deux auteurs qui firent naguère le bonheur du théâtre de boulevard. A grand renfort de clichés, Potiche aborde la question de la liberté de la femme bourgeoise. En arrière plan de cette auto-émancipation s’inscrit la transformation de la société française à travers la mue du clivage gauche-droite vers la social-démocratie bon teint. Ozon signe un film plaisant a regarder, mais qui laisse un peu sur notre faim. La réactualisation recherchée par le réalisateur pèche par son manque d’idée neuve.

la-mosquiteraUn peu plus tôt dans la soirée, le mystère s’était levé dans une salle un peu clairsemée mais enthousiaste lors de la cérémonie du Palmarès. Le jury du 32e Cinemed a attribué cette année l’Antigone d’Or au film La Mosquitera, second long métrage du réalisateur catalan Agusti Vila. Un film dramatique portant sur les relations troublées au sein d’une famille aisée, à travers plusieurs générations, avec Géraldine Chaplin. « C’est une comédie noire, cruelle, d’une grande intelligence qui nous dérange beaucoup… et nous avons beaucoup aimé être dérangés ! », a fait savoir le jury sur les motivations de son choix, en attribuant également une mention spéciale au film marocain La Mosquée de Douad Aoual-Syad.

Un festival équilibré

cinemed2010_afficheUne nouvelle fois, le Cinemed 2010 s’est révélé fécond en découvertes. Comme l’ont souligné beaucoup de réalisateurs présents cette année, c’est un festival unique en son genre qui est devenu incontournable de part sa capacité à faire écho aux expressions cinématographiques du bassin méditerranéen. On a pu observer un rétrécissement de la diversité des nations et des invités représentés, au profit des film français, italiens et espagnols et de leurs protagonistes, mais le nombre total de films projetés est resté sensiblement le même. Dans l’ensemble la qualité des films était au rendez-vous. L’esprit du festival auquel sont très attachés les Montpelliérains, suppose que la qualité demeure un critère central de la programmation sans se substituer pour autant à la diversité culturelle et à la mise en perspective des chefs-d’œuvre du cinéma.

En même temps, comme le défend le président Henri Talvat, « il ne faut pas s’enfermer dans une impasse en reprogrammant toujours les mêmes films. C’est très important de s’ouvrir à de nouvelles propositions. » D’où l’importance de la compétition et du panorama en sélection officielle. Par ailleurs, on note depuis quelques années, une présence accrue des professionnels du cinéma à Montpellier ce qui facilite la qualité de la programmation comme des rencontres proposées et favorise, pour les réalisateurs, les possibilités de se faire distribuer. La collaboration étroite et la confiance mutuelle entre le Président Talvat et le Directeur Jean-François Bourgeot assurent ce bon équilibre. Une stabilité nécessaire pour l’avenir du festival jusqu’ici soutenu par le défunt président de l’Agglo.

Jean-Marie Dinh

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Le modernisme de Marco le subversif…

 

Marco Ferreri : Dillinger est mort

Rencontre Cinemed : Pour évoquer Marco Ferreri, Noël Simsolo révèle d’autres facettes du réalisateur.

Réalisateur, comédien, scénariste, historien du cinéma et auteur de roman noir, Noël Simsolo est l’invité du Cinemed. L’homme aux yeux doux et espiègles arbore un joli plâtre au bras gauche. Il participait hier à une table ronde dans le cadre de l’hommage rendu à Marco Ferreri qu’il a bien connu en tant qu’acteur et scénariste.

 

Noël Simsolo

Noël Simsolo

 Né en 1944, Noël Simsolo a collaboré avec les grands noms du cinéma français, Eustache, Chabrol, Vecchialli, Godard, Tavernier…  » Je viens d’appeler Mocky avec qui je dois bientôt tourner pour lui dire que j’avais le bras dans le plâtre. Il m’a répondu : très bien je n’aurais pas à t’en mettre un.  » Un certain esprit de répartie qu’affectionne particulièrement Simsolo.  » Ferreri était un peu comme ça, il captait les idées au vol. Il disait : je suis dans la rue. Je vois deux hommes qui se parlent, puis se disputent, ça me suffit pour en faire un film.  » C’est ainsi que naissent des chefs d’œuvre connus comme La Grande Bouffe. Présenté dans la sélection française à Cannes en 1973, le film fait scandale. Avec un goût certain de la provocation, le réalisateur milanais signe des films moins connus, mais tout aussi hallucinant, comme Touche pas à la femme blanche (1974).  » Dans l’appartement que lui avait prêté Piccoli, Marco faisait des concours de pâtes, avec Tavernier et Mocky et après ils regardaient des films. C’est ainsi que lui est venue l’idée de faire un film sur des gens qui meurent en mangeant. Pour Touche pas à la femme blanche, il voulait faire un film différent. Il a vu ce trou des Halls, ça lui a donné envie de faire un western dans une époque contemporaine.  » Le film où l’on voit Custer (Mastroianni) et Buffalo Bill (Piccoli) débarquer dans le Paris des années 7O pour karchériser les Indiens traverse les âges sans en pâtir, ce qui témoigne de sa modernité.  »  Ces Indiens que l’on veut faire disparaître, c’est une parabole pour parler des algériens. Aujourd’hui cela peut très bien s’appliquer aux Roms « , souligne Noël Simsolo qui s’est fait embarquer dans le tournage alors qu’il était simplement venu dire bonjour.

la-grande-bouffeA propos de la dimension politique de Ferreri, Simsolo met en lumière le réalisme du réalisateur italien.  » Il était de gauche. Mais il restait lucide sur sa condition d’artiste bourgeois. D’ailleurs dans la plupart de ses films ses personnages principaux sont des bourgeois en rupture. Un peu comme Chabrol qui démonte la bourgeoisie de l’intérieur.  » Un réalisme qu’il exprime aussi à travers son style :  » C’était un amis d’Antonioni, de Pétri, de Rossellini et de Pasolini avec qui il entretenait une relation plus complexe, mais au niveau stylistique il est plus proche de l’éthologie de Godard dans son approche des motivations comportementales humaines. Il s’intéressait à la petitesse du désespoir. On l’a pris pour un comique, mais ce n’est pas ça. Il allait jusqu’au bout. A quel moment on met une balle dans le revolver et on tue sa femme comme dans Dillinger est mort. » Comme tous les grands réalisateurs modernes et subversifs, Ferreri n’a pas d’héritier même si certains cinéastes comme Mocky poursuivent leur chemin dans la même veine.  » Ferreri était un moraliste pessimiste, pense Simsolo, Mais les pessimistes, on le voit actuellement avec les mouvements sociaux, sont les seuls à agir. Tout le monde savait que le gouvernement ne reculerait pas sur les retraites, les optimistes pensent que tout est pourri et qu’il n’y a rien à faire. Les pessimistes y vont quand même, ce sont les seuls qui ont de l’espoir. L’avenir leur appartient. « 

Jean-Marie Dinh

Angoisse

 Journée Dario Argento 

Dario Argento

Dario Argento

Aujourd’hui un hommage est rendu au Maître du thriller italien, Dario Argento qui a présenté hier le film de Sergio Léone Il était une fois dans l’Ouest auquel il est associé en temps que scénariste. On retient de ce réalisateur sa période dite des années surnaturelles avec Suspiria, sorti en 1977, qui est un thriller surnaturel extrêmement violent considéré par beaucoup comme son meilleur film. Libéré des contraintes du format plus conventionnel, Suspiria est un essai irréel où l’histoire et les personnages ont moins d’importance que le son ou l’image. Argento avait prévu que ce film serait le premier opus d’un trilogie sur les trois mères (Mater suspiriarum, Mater tenebrarum et Mater lachrimarum), trois anciennes sorcières vivant dans 3 villes modernes différentes. Le second volet fut Inferno en 1980, va encore plus loin dans l’art pur. La trilogie des trois mères est aujourd’hui achevée grâce au troisième opus sorti en Italie le 2007 intitulé la troisième mère que l’on pourra voir ce soir à 21h suivi de quatre autres de ses films lors de Une nuit d’enfer au Centre Rabelais. A noter également une table ronde en présence du réalisateur à 17h espace Joffre au Corum.

Cinemed : Un film politique sur le système berlusconien

Triple peine pour les victimes du séisme, privés de leur maison et de démocratie

Avec Draquila, l’Italie qui tremble, Sabrina Guzzanti dénonce l’instrumentalisation politique du tremblement de terre de l’Aquila en Italie.

sabina_guzzanti_02Licenciée de la télévision italienne pour son « impertinence », la journaliste Sabina Guzzanti dénonçait dans Viva Zaparero (2005) l’anéantissement de la liberté d’expression dans l’Italie berlusconienne. Avec Draquila, l’Italie qui tremble, elle revient sur la gestion politique du tremblement de terre de L’Aquila, qui a détruit, le 6 avril 2009, cette ville des Abruzzes. Au-delà du lourd bilan qui a fait 308 morts, on découvre comment celui que l’on surnomme il Cavaliere a su mettre la détresse à son profit en sacrifiant une ville de 70 000 habitants pour les besoins de sa notoriété. Très documenté, ce film politique prend l’effarante mesure du dénie de démocratie qui règne en Italie. La présentation du film à Cannes cette année est à l’origine de l’annulation de la venue du ministre de la culture italien, Sandro Bondi.

A travers cette enquête autour de la catastrophe, j’ai voulu faire comprendre pourquoi les gens votent pour Berlusconi, explique la réalisatrice, Sur place, tout a été militarisé. On a déporté et changé le mode de vie des gens sans la moindre décision démocratique. Les médias ont été muselé et l’opposition est restée autiste. » Le documentaire démonte l’argument sécuritaire invoqué par la protection civile dont la privatisation a été bloqué suite aux révélations du film. Sabina Guzzanti pointe le programme de relogement onéreux lancé à grand renfort médiatique par le président du Conseil comme une manœuvre ayant permis d’ouvrir la manne des fonds publics au réseau politico-industriel et mafieux. Sur le petit écran, Silvio Berlusconi apparaît comme un sauveur au yeux d’une minorité de sinistrés. On mesure la force de la propagande à travers de multiples témoignages dont celui d’un journaliste local qui a persuadé ses propres enfants de rester sagement dans leur chambre juste avant de les perdre dans la catastrophe.

Jean-Marie Dinh

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