hTh. Fraîcheur au musée d’anatomie

«The End», éléments de scénographie sans formol. Photo JMDI

«The End», éléments de scénographie sans formol. Photo JMDI

hTh Lecture. «The End» de Vaeria Raimondi et Enrico Castellani.

Une temporalité singulière dans un lieu singulier, celui du conservatoire d’anatomie de la fac de Médecine de Montpellier. Endroit tout trouvé pour écouter The End, lâché dans le noir muni d’un casque sur les oreilles et d’une lampe torche.

Le texte de Valeria Raimondi et Enrico Castellani interroge la mécanique implacable et vaine de nos existences. Avec le sens de la dramaturgie que construit notre libre cheminement dans l’espace, on évacue d’emblée l’anecdotique pour en venir à notre propre histoire humaine et à son dénouement.

Le texte s’adresse à nous mais la distribution de casques nous isole face au miroir de nos considérations. La voix du lecteur qui se déplace résonne un peu comme une âme amie. Avec plus ou moins d’attention, nous l’écoutons une heure durant, en laissant aller nos pas dans les longues allées du musée où tous les éléments du corps humain (et de quelques animaux) se dévoilent sous vitrines.

En tant qu’oeuvre, la pièce qui se joue n’a rien d’un fait accompli. L’espace qui porte déjà les éléments de la mise en scène médicale, se redistribue selon le parcours physique et psychique du visiteur. Dans les vitrines, les scènes inspirées de récits scientifiques ne font plus vraiment référence. Notre parcours suspend les récits préalables, se soustrait à leurs lois, efface le texte. Il nous renvoie à l’ignorance de notre sort, et à la ténacité d’un «pas encore».

JMDH

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Etat de siège, finis tes carottes.

– C’est la guerre !

Mon père a claqué la porte d’entrée. Il a crié ces mots sans enlever son manteau. Il a répété  » la guerre  » sur le seuil de chaque pièce. Le salon, la salle à manger. Nous étions dans la cuisine, ma mère et moi.

– C’est la guerre.

Mon père, immense, occupant tout le chambranle. J’épluchais trois carottes, ma mère préparait un poireau.

-Qu’est-ce que tu racontes ?

Il l’a regardée, sourcils froncés. Ma mère et ses légumes. Il était mécontent. Il annonçait la guerre, et nous n’avions qu’une pauvre soupe à dire.

– Ce que je raconte ?

Geste brusque. Le journal est tombé sur la table, au milieu des épluchures.

 » Coup de force militaire à Alger  » titrait France Soir, publiant les photos de trois soldats.     » Les militaires rebelles proclament l’état de siège. »

J’ai regardé le titre à l’encre noire, mon père, ma mère.

– C’est la guerre, maman ?

Ma mère a plié le journal et l’a posé sur l’évier.

– Finis tes carottes.

– C’est ça, finis tes carottes, s’est moqué mon père.

Elle grattait la terre du poireau, coupait ses racines à petits gestes secs, découpait le blanc en fine rondelles. Moi je râpais les légumes avec un économe. Et lui nous observait.

– C’est tout ce que tu apprends à ton fils ? La cuisine ?

Ce dimanche 23 avril 1961, j’étais un enfant. Né douze ans, un mois et six jours plus tôt. Je préparais la soupe de la semaine avec ma mère et baissais la tête devant mon père.

Sorj Chalandon

Sorj Chalandon

Extrait de Profession du père, son dernier roman paru aux Editions Grasset.

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Mosconi roi de coeur discret

patrick-mosconi-3153869-jpg_2803720Lecture d’été. « On ne joue pas avec le diable ». Spirale de vie, d’éros et de mort.

Dans notre série des lunettes noires pour mieux voir l’été, nous revenons sur une figure emblématique du roman noir français, qui était il y a peut à Frontignan pour conduire un atelier avec le groupe des femmes de l’épicerie solidaire. Atelier au sortir duquel l’auteur confiait réjoui :  » Ils sont géniaux. C’est un public qu’on n’embarque pas avec des belles paroles. Le préalable à toute chose c’est d’être vraiment avec eux, dans le présent.»

Patrick Mosconi est romancier, scénariste, et peintre. Il a sévi dans l’édition. En 1979, il créé les éditions Phot’œil, et la célèbre collection « Sanguine », qui révèle, au début des années 80, les précurseurs du nouveau roman noir français (néopolar). C’est l’époque où Mosconi découvre Thierry Jonquet, Jean-Bernard Pouy, Patrick Raynal, Jean-Pierre Bastid, Michel Quint, Tonino Benacquista, Gérard Delteil…pour ne citer qu’eux.

L’homme discret et sensible contribue à la diffusion de l’œuvre de Guy Debord. C’est aussi un fidèle compagnon de route de Fred Vargas et un contributeur  à la bonne destinée du FIRN. Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages.

Dans le dernier en date, On ne joue pas avec le diable, paru cette année chez Calmann-lévy, l’auteur met en scène un richissime et cynique homme d’affaire à l’intelligence exceptionnelle. Michaël Turner tire manifestement plaisir des humiliations qu’il inflige à ses semblables et particulièrement aux femmes qu’il séduit pour finalement les pousser dans le lit de son chauffeur Rachid.

Jusqu’au jour où il croise la route de la jeune slave Elena grande amatrice de poker menteur. Le jeu de fascination auquel se livrent les personnages nous entraîne par effet de miroir au coté d’un flic désabusé et admiratif qui file les protagonistes, en dehors des clous,  à la recherche d’une trace d’humanité.

On aurait tort de réduire ce récit à un larmoyant conflit entre bonne et mauvaise conscience, car c’est bien une irrésistible aventure humaine que nous propose Mosconi. Embarqué, on touche un état de conscience permettant d’embrasser plusieurs vérités contradictoires qui sont les faces d’une même vérité, fondamentale et inaccessible…

JMDH

Source : La Marseillaise 12/08/2015

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Poètes méditerranéens sous le signe d’une alternance temporelle

La poésie en liberté dans l’espace public sétois. Photo dr

La poésie en liberté dans l’espace public sètois. Photo dr

Bilan. Après neuf jours de transmission le festival de poésie méditerranéenne Voix Vives enregistre une hausse de sa fréquentation et de son intensité.

En dépit de la situation alarmante qui enflamme les pourtours du bassin méditerranéen, en dépit des réductions de la dotations d’État aux villes et aux communes qui se répercute comme une malédiction sur les budgets culturels, en dépit de la mort mais pas de la vie, le bilan de la sixième édition du festival de Poésie Voix Vives à Sète s’avère positif et réjouissant !

« Au delà des chiffres de fréquentation, il y avait cette année une densité des êtres présents, esquisse la directrice Maïthé Vallès-Bled, une conscience aiguë chez les poètes de l’espace de douceur et de rencontres offert par la ville de Sète et ses habitants
Il ne serait pas étonnant que ce sentiment global fort saisissant  « d’échange fraternel permanent », s’exprime par contraste au spectacle de la guerre et de la misère.

« On a senti le public et les poètes liés par les uns et les autres à la situation en méditerranée. J’ai pour la première fois entendu des poètes me dirent : Je n’ai pas envie de revenir dans mon pays » confie la directrice. Peut-être cette rançon de l’intelligence sensible qui faisait dire à Bergson que l’homme ne peut pas exercer sa faculté de penser sans se représenter un avenir…

Et toujours cette forte détermination pour le combat des poètes, occupés à faire grandir l’être qui est en eux. Combat que résume bien la phrase de la poétesse canadienne Louise Dupré qui trônait derrière la scène de la place aux livres : « Non, j’écris tes lettres à l’envers, c’est toujours non », ou les textes révoltés contre les marchés du poètes portugais Luis Filipe Sarmento dont on se demande bien pourquoi ils n’ont pas trouvé d’éditeur français pour être traduits.

La poésie sait attendre, sa force est douce et inébranlable. On ne résiste pas avec l’écriture, affirme le tunisien Abdelwaheb Melaoueh mais en étant poète. « Un poète file en TGV vers la mort sans savoir qu’il est le train », dit-il encore. C’est beau comme un avion sans aile.

Sous d’autres cieux, il fut question d’amour, autre grand combat de la vie qu’ont notamment célébré les trois grands poètes libanais Salah Stétié (de son lit d’hôpital) Vénus Khoury-Ghata et Adonis. « Quelle chance inouïe de pouvoir écouter de la poésie en allant faire son marché », s’exclamait une femme sétoise qui garde le mot de la faim.

 JMDH

Les retrouvailles avec les poètes entendus durant le festival sont permises avec l’Anthologie Voix Vives 2015 disponible aux éditions Bruno Doucey.

Source : La Marseillaise 08/08/2015

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Montpellier. Yeux ouverts derrière des lunettes noires

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Roman d’été. Antoine Chainas et Anthony Pastor signent «Le soleil se couche parfois à Montpellier ». Un captivant petit polar de la collection SNCF Le Monde.

C’est un lieu commun pas dénué de charme. On voit mieux l’été, derrière des lunettes noires. Avant d’arpenter Montpellier la nuit, on vous conseille de trouver un coin à l’ombre pour vous délecter de « Le soleil se couche parfois à Montpellier» un petit polar qui arrose les idées bien en place d’un petit coulis de fruit rouge avec un sens inné de la mise en scène qui met en lumière l’obscure nature du pouvoir.

Pour répondre à la commande du Monde et de la SNCF qui traversent cet été une dizaine de villes françaises pour la saison 4 Les Petits polars, Antoine Chainas, grand prix de la littérature policière 2014 pour son roman Pur, et le dessinateur Anthony Pastor, prix Fauve à Angoulême en 2013 pour son album Castilla Drive, croquent la cité Montpelliéraine.

« Cette histoire se déroule à Montpellier, l’ancienne Surdouée (…) A dix kilomètres au sud, la Méditerranée, plate et lourde. En saison estivale, les flots adoptent une teinte d’huile de vidange usagée. L’été paraît ici plus féroce qu’ailleurs. Le soleil, boule de magma vorace, pétrifie la cité, étend son empire ardent jusqu’aux confins du département. Le Lez, à l’est, s’essouffle. La Mosson et le Verdanson, à l’ouest, deviennent des filet d’eau à peine perceptibles, des chuchotement sur un lit de béton

Le décor planté en 2018, laisse place aux retrouvailles de MZ et d’Anna un couple de sexagénaires qui ont oeuvré 50 ans plus tôt, aux basses oeuvres des constructeurs, Frêche, Bofill et autres Dugrand, pour réaliser le grand rêve de gauche post  soixante-huitard « coulé avec un naturel confondant dans les aspirations du libéralisme des années 80. Aujourd’hui, en 2018, le rêve a pâle figure. Le capitalisme ne survit plus aux désastres économique et écologique qu’il a lui-même enfantés que par la perfusion des instances publiques

Le récit fait des aller-retours dans le temps exhumant, contextes politiques, luttes intestines, réalisations urbaines sans omettre les faits d’armes sur les terrains vagues attenants. Cette approche singulière de l’histoire contemporaine de Montpellier passe comme un songe. On n’en sort pas indemne, avec une légère mais tenace odeur de sous-sols qui persiste.

« Le réel n’existe pas, le réalisme non plus. L’ennemi de la vérité s’incarne dans la certitude »; rappelle Antoine Chainas, rien n’est donc moins sûr que les événements relatés dans ce précieux petit livre.

JMDH

En vente en kiosque jusqu’au 31 août 2015 . En septembre un Petit Polar sera diffusé dans l’émission « Samedi noir », et tout l’été sur le site Fictions. franceculture.fr !

Source La Marseillaise  05/08/2015

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