Christophe Coello : « Le terme indignés vient des médias, il comporte une petite notion de passivité »
Né au Chili, Christophe Coello est arrivé en France dans son enfance avec ses parents qui ont obtenu le statut de réfugiés politiques. Il a réalisé plusieurs documentaires sur les luttes en Amérique latine dont Chili L’ombre du Jaguar (1998) sur l’absurdité du miracle économique chilien ou Mari Chi Wen (2000) sur les luttes du peuple mapuche. Il co-réalise également avec Pierre Carles et Stéphane Goxe un diptyque sur le rapport au travail avec Attention danger travail ( 2003) et Volem rien foutre al païs (2007). C’est sur ce tournage qu’il rencontre en 2003 les membres du collectif de réappropriation urbaine barcelonais Miles de Viviendas qu’il va suivre avec sa caméra pendant sept ans.
Christophe Coello était sur Montpellier au cinéma Diagonal mercredi. Accompagné de Annie Gonzalez, de C-P Productions qui a produit plusieurs de ses films, il a présenté Squat la ville est à nous, qui retrace la vie du collectif Miles de Viviendas.
Votre film propose un autre regard sur les squatters dont il est souvent donné une image stéréotypée de marginaux, passablement drogués voir de délinquants…
Christophe Coello. C’est un parti pris de ma démarche de documentariste. Je vais souvent au contact de gens qui vivent autrement. Je pense que c’est un enjeu important de donner un autre point de vue sur des mouvements inconnus. Par exemple, rompre avec cette vision que la lutte c’est forcément du sacrifice et de la douleur. Quand je les ai rencontrés en 2003, ils étaient en train de fonder le collectif. La plupart des membres – ils sont une trentaine – s’étaient rencontrés autour de la mobilisation contre la guerre en Irak. Le groupe était quasiment paritaire et regroupait des gens entre 18 et 45 ans.
Annie Gonzalez. Le travail d’auteur de Christophe offre un point de vue sur le monde. Son approche permet de capter l’histoire populaire. Ce qu’on ne trouve pas au cinéma et encore moins à la télévision qui la réduit à une caricature à travers les reality shows.
Comment avez-vous négocié les conditions du tournage ?
CC. C’est un travail de confiance fin 2003 à Barcelone. Le contexte était tendu. Je leur ai proposé de filmer leur vie quotidienne sans la trahir mais je voulais garder une carte blanche. Je ne voulais pas faire un film de propagande. Ils en ont discuté en assemblée et ils ont accepté. On le voit à l’écran, Il y a des moments de tension mais je ne focalise pas sur cela. J’ai privilégié les prises directes. Il n’y a pas d’interview, pas de voix off pour faciliter la compréhension. Ce choix opératoire demande beaucoup plus de temps. J’ai intégré leur mode de vie. Je voulais restituer la vie quotidienne, l’intimité, ne pas montrer que des moments d’exception.
Dans le cas du collectif de réappropriation urbaine, on voit que l’action vise à se loger, mais elle va bien au-delà puisqu’il s’agit de reprendre le contrôle sur sa vie…
CC. Pourquoi ouvrir un squat ? C’est une action illégale qui s’avère complètement légitime. Pour le collectif cela permettait de libérer du temps pour débattre et s’organiser en autogestion de manière transversale. Et aussi stimuler les autres mouvements, pour travailler en réseau avec d’autres collectifs ou soutenir les populations ciblées par les spéculateurs immobiliers. Etre ensemble permet de diminuer la peur, pas seulement celle de la matraque mais aussi celle du vide. Ce ne sont pas des gens qui affirment détenir la vérité avec un V énorme. Ils politisent leur vie quotidienne. L’idée n’est pas de prendre le pouvoir mais de le dissoudre. Il y avait 200 000 personnes dans la rue, samedi dernier à Barcelone, rassemblées sous le slogan : De l’indignation à l’action. Après la manif les gens sont allés occuper la fac de lettres et un immeuble pour reloger les gens expulsés. Le qualificatif des indignés vient des médias, c’est un terme qui comporte une petite notion de passivité…
Une semaine après l’agence de notation Fitch, Standard and Poor’s a abaissé à son tour jeudi d’un cran la note souveraine de l’Espagne, à « AA-« , citant « les perspectives incertaines de croissance » du pays et la probable poursuite de la détérioration du système financier espagnol. L’agence a précisé que la perspective de cette note restait « négative », notant que le pays était confronté à des « risques croissants » en raison d’un niveau de chômage élevé, d’un environnement financier plus difficile et du risque de ralentissement économique chez les principaux partenaires de l’Espagne.
La note « AA-« , la quatrième meilleure possible, reste d’un niveau attribué aux émetteurs de haute qualité. Cette décision est intervenue quelques heures après que la Slovaquie eut levé un obstacle majeur pour permettre à la zone euro de renforcer son système de défense contre la crise de la dette.
Le Parlement slovaque a approuvé le renforcement du Fonds européen de stabilité financière (FESF), permettant ainsi l’entrée en vigueur de cet outil incontournable de la réponse à la crise de la dette. Pour expliquer sa décision, S&P a cité « les perspectives incertaines de croissance de l’Espagne à la lumière de la nécessité pour le secteur privé d’avoir accès à des financements extérieurs » au moment où le pays emprunte à des taux élevés en raison de l’affaiblissement de la confiance des prêteurs.
L’agence juge également « probable que la qualité des actifs du système financier espagnol continue à se détériorer », tandis que « la réforme incomplète du marché de l’emploi va continuer à freiner la reprise économique ».
S&P a basé son analyse sur des prévisions de croissance de 0,8% en 2011 en termes réels et 1% en 2012, soit moins que ce qu’elle prévoyait il y a encore huit mois (1,5%). Elle a évoqué la possibilité que l’économie retombe en récession l’an prochain, en raison notamment d’une baisse de la demande interne et étrangère, avec un PIB en baisse de 0,5%. Dans ce cas, précise l’agence, la note de l’Espagne serait de nouveau abaissée. En revanche, si l’Espagne dépasse les prévisions de croissance de S&P, la perspective du pays passerait à « stable ».
« Nous pensons néanmoins que le gouvernement pourrait manquer ses objectifs budgétaires en raison de dépassements de dépenses au niveau des gouvernements locaux et régionaux et de la sécurité sociale, malgré une réduction du déficit budgétaire du gouvernement central plus importante que prévu », indique S&P.
L’agence table sur un déficit budgétaire du gouvernement central de 6,2% du PIB en 2011, globalement conforme aux prévisions du gouvernement espagnol (6%). « Nous pensons néanmoins que des mesures supplémentaires seront nécessaires pour atteindre l’objectif de 4,4% du PIB en 2012 », ajoute-t-elle, tablant sur 5,0% du PIB.
Une semaine plus tôt, Fitch Ratings avait abaissé de deux crans la note de l’Espagne, désormais établie à « AA-« , contre « AA+ » auparavant, soit la quatrième la plus élevée sur une échelle de vingt.
Pour Fitch aussi, la note est assortie d’une perspective « négative », qui implique que l’agence pourrait l’abaisser de nouveau à moyen terme.
Moody’s devrait se prononcer d’ici à fin octobre sur un éventuel abaissement de la note espagnole, actuellement à « Aa2 » (la troisième meilleure possible).
La croissance de l’Espagne, dopée pendant des années par sa bulle immobilière, a brutalement chuté quand cette dernière a éclaté fin 2008, au moment même où éclatait la crise financière internationale. Elle a alors plongé dans 18 mois de récession, dont elle n’est ressortie, début 2010, qu’avec une croissance atone.
AFP
Journée mondiale de manifestations contre le pouvoir des banques
Après la journée mondiale de manifestations contre le pouvoir des banques le 15 octobre, le quotidien de centre-gauche El País souligne le caractère inédit de ce mouvement : « Cette dimension mondiale fait de cette journée de protestation un évènement particulier auquel on n’avait encore jamais assisté. D’une part, une initiative lancée par des citoyens est parvenue à organiser en même temps des manifestations dans des endroits aussi nombreux, aussi différents et aussi distants les uns des autres. Contrairement aux mouvements antimondialisation qui ont eu lieu jusqu’à présent là où se rencontraient les décideurs de la planète, il s’agit ici d’une réaction internationale, qui remet en question le traitement mondial de la crise financière qui a entraîné une grave dépression dans le monde entier. Les exigences du mouvement rencontrent la sympathie d’une majorité de personnes à un moment difficile de notre histoire, où la répartition des coupes budgétaires à supporter et des sacrifices est ressentie comme injuste. » (16.10.2011)
L’exposition Juan Gris, « Rime de la forme et de la couleur », appelle une escale sétoise cet été. A proximité du cimetière marin, le bleu azur inonde la partie haute de la ville. Tout là haut perché, le Musée Paul Valéry répond aux principes architecturaux peu esthétiques de Le Corbusier. Il lui permet cependant de disposer d’intéressants volumes intérieurs. Jusqu’au 31 octobre on peut y (re) découvrir l’œuvre rare de Juan Gris (1887/1927).
Le peindre espagnol est le moins connu des trois grandes figures du cubisme. Après avoir suivi la voie ouverte par ses aînés, Braque et Picasso, Gris a indéniablement contribué au mouvement par son apport personnel. En France, la dernière exposition que lui a consacré le Musée Cantini de Marseille remonte à une quinzaine d’années. Plus récemment, la rétrospective du Musée national de la Reina Sofia à Madrid en 2005, fait référence au niveau international. L’exposition de Sète rassemble une cinquantaine d’œuvres provenant de nombreux musées tel le Minneapolis Institut off Art, le Musée néerlandais d’Art d’Otterlo, le Musée d’Arts moderne de Paris… Elle a également sollicité plusieurs collectionneurs particuliers. « L’exposition s’apparente à une mise en relation d’œuvres permettant de cerner le propos de Gris sur la poésie », indique la Directrice du Musée Paul Valéry, Maïthé Vallès Bled, qui assure le commissariat général de l’exposition.
Fin du culte de la nature
Le parcours propose quelques œuvres de jeunesse, époque où l’artiste se trouve un atelier au Bateau Lavoir sur la butte Montmartre qu’il a rejoint en 1906. A Paris, pour gagner sa vie, Juan Gris réalise des dessins humoristiques qu’il place dans les journaux illustrés comme L’assiette au beurre ou Le cri de Paris. Avec Picasso dans son voisinage, le jeune homme qui a suivi une formation d’ingénieur, s’imprègne des procédés cubistes tel le renversement des plans, ou la variation des angles de vue.
Dès 1907, dans la perspective de solidifier les formes ouvertes par Cézanne, Les Demoiselles d’Avignon (ou Bordel d’Avignon) opposent des volumes cubiques aux effets lumineux des impressionnistes. A partir de 1910, Picasso et Braque consomment la rupture avec la vision classique en vigueur ouvrant jusqu’en 1912 la seconde phase du cubisme dite analytique. Ils abandonnent définitivement l’unicité du point de vue de la perspective albertienne. Leur démarche reçoit le soutien d’Apollinaire qui associe à cette évolution picturale la fin du culte de la nature (celle du Dieu créateur terrestre), auquel il oppose la grandeur des formes métaphysiques, les deux artistes multiplient les angles de vision des objets pour en donner une nouvelle représentation. Ne cherchant pas à affirmer une esthétique personnelle, Juan Gris se distingue dès cette époque de ses initiateurs par une construction plus affirmée. Mais c’est vraiment dans la troisième phase du mouvement, le cubisme synthétique qui voit jour à partir de 1913, que la sensibilité de Gris s’illustre.
Verre et journal (1916)
Chemins oniriques
Désormais, la technique cubiste est explorée dans la capacité qu’elle offre de concevoir les rapports du sujet à l’objet. La majeure partie des œuvres de Gris présentées à Sète sont issues de la décennie 1916-1926. Une période où l’artiste est à la recherche d’un contenu spirituel. « Ce côté sensible et sensuel qui, je pense, doit exister toujours, je ne lui trouve pas de place dans mes tableaux » écrivait-il en 1915 à son marchand Daniel-Henry Kahnmeiler. Pourtant, une toile comme Verre et journal (1916), apparaît au visiteur fortement empreinte de la conscience de l’objet de celui qui le représente. De même, Le joueur de guitare (1918) dont la musique qui le traverse fait vibrer le corps et l’espace, démontre la sensibilité tactile et fantaisiste qui habitent l’artiste.
Gris n’a de cesse de trouver l’équilibre parfait entre la richesse du contenu spirituel et les nécessités architecturales. Il se distingue de ses illustres aînés dans l’usage de la couleur en poussant le regard par le jeu des contrastes. La vue sur la baie (1921) offre une idée de son champ de recherches qui part d’une maîtrise pour s’ouvrir sur des chemins oniriques. Dans ce télescopage des espaces intérieur extérieur, on peut voir la liberté saisir l’âme des objets qui s’échappent. Sur la toile Mère et enfant, 1922, les personnages ne se donnent pas à l’image. Les lignes ondulantes et les masses rondes s’entrecroisent mettant en évidence l’intériorité fusionnelle de la relation par la lumière.
De l’intentionnalité
Le parcours propose également une captivante série de natures mortes réalisées entre 1924 et 1925 où l’on mesure l’interprétation qu’a pu faire Gris du phénoménologue Husserl notamment sur le rôle de l’intentionnalité dans la perception des objets quotidiens. On n’y trouve pas de coquillage même si Gris y développe une poésie silencieuse qui le rapproche du poète montpelliérain Francis Ponge. Il faut pousser la porte du Musée Paul Valéry pour découvrir l’intuition sensible de Gris qui prolonge la pensé cubiste et quelque part l’aboutit. Le mérite de « Rime de la forme et de la couleur » pourrait être de réconcilier certains amateurs d’art éloignés du cubisme par l’intransigeante rigueur de ses premiers pas.
Jean-Marie Dinh
« Rimes de la forme et de la couleur » Musée Paul Valéry, jusqu’au 31 octobre.
Festival d’Avignon : Angelica Liddell prouve qu’on ne peut la résumer à des automutilations. La rage de la femme blessée s’y élargit, dans le bilan d’un monde médiocre qui mutile ses enfances.
La présence de la Madrilène Angélica Liddell fut, en juillet 2010, un choc aussi puissant qu’inattendu. Avec La casa de la fuerza au cloître des Carmes puis El año de Ricardo aux Pénitents blancs, dans un théâtre cruel et féroce, tour à tour dans un marathon collectif et farouchement intime puis un quasi solo inspiré par la figure monstrueuse de Richard III, elle s’imposait en héritière de Kantor, en cousine de Sarah Kane ou en petite soeur de Pippo Delbono, de celles et de ceux qui hurlent ou s’éraillent pour remuer les tripes et les âmes dans des jaillissements d’amour et de rage.
Logiquement, son retour dans l’édition 2011 a suscité l’engouement des spectateurs, avides de nouveaux bouleversements, et qui ont raflé tous les billets dès leur mise en vente, imposant la mise en place de deux supplémentaires (à midi) tout aussi prisées. Tout cela, malgré l’absence d’autres coproducteurs aux côtés des grands rendez-vous d’Avignon et de Madrid (Otoño en primavera), fruit d’une réticence des autres programmateurs et diffuseurs (à l’exception de la scène nationale de Tarbes) que confirme, un brin dépité, Vincent Baudriller : « malgré l’événement qu’a constitué, l’été dernier, la présence d’Angélica au Festival, cette nouvelle création a paradoxalement été difficile à « monter » financièrement ; mais elle correspond tellement à l’esprit d’Avignon que nous avons tout fait pour que cela soit possible. »
Même si l’on peut entendre la déception de quelques-uns face à cette nouvelle pièce (Maldito sea el hombre que se confia en el hombre, un titre emprunté au Livre de Jérémie dans l’Ancien Testament) présentée dans la (très grinçante) salle de Vedène, on ne peut accepter le procès d’ assagissement qui semble être fait à la pasionaria Liddell, toujours aussi enragée dans le mot et dans son implication personnelle, corporelle. Lui reproche-t-on de ne pas s’y entailler la peau comme l’été dernier, comme si ce qui n’était au final qu’anecdote dans la puissance de La casa de la fuerza devait être une « marque de fabrique » ? La force de la Liddell dépasse ces réductions plasmatiques ; et si l’univers déployé dans Maldito… est effectivement enfantin (une forêt , les lapins d’Alice, des jeux de cour de récré entre corde à sauter et marelle), c’est justement parce que c’est l’enfance et les horreurs qu’elle subit sont au coeur de ce nouveau cri, qui se décline dans un Abécédaire à la Greenaway, exercice lui-même marqué du sceau de l’enfance.
Tourbillons et recueillements
« Quand je me suis mise à étudier le français, tout m’a paru tomber sous le sens ; je me suis vue à 40 ans, en train de réciter l’alphabet assise à une table d’écolier, comme une petite fille » : de ce paradoxe entre son « projet d’alphabétisation » et une « vie de merde » qui lui donnait l’envie de « brûler le monde », de cette dichotomie entre l’innocence et le désenchantement, la performeuse-hooligan a forgé un spectacle réglé au millimètre, tout aussi « faussement bordélique » et cruel que les précédents. Avec elle, des acrobates chinois, une alter-égale mutique et deux hommes enfants, pour osciller entre fraîcheur et gravité, tourbillons et recueillements, accès de violence et tendresse affleurante.
Cette rage, elle est d’emblée, dans l’entame, où une cohorte de petites filles à grandes oreilles jouent naïvement avant d’être « substituées » par de véritables lapins morts, puis empaillés, tandis que les robes des gamines s’assortissent, devenues « grandes », de talons acérés. Puis dans la chute rêvée du cadavre d’un président français. Ou en arrosant une poignée de terre déposée sur la poitrine d’un cadavre. Ou à travers un charnier final, amas de cadavres de mousse dont les poses font écho aux contorsions des athlètes asiatiques…
On pourrait aussi noter que Liddell use des même stratagèmes que dans sa Casa d’hier : la chanson populaire, avec le magnifique Todo tiene su fin et la VF de Porque te vas de Jeannette utilisé par Carlos Saura dans Cria cuervos, le Paint it black des Rolling Stones et le In dreams de Roy Orbison, mais aussi les nettoyages de plateau intentionnellement longs, et plus généralement un va-et-vient entre soliloques enflammés et « marathons » collectif. Cette fois, on peut effectivement parler de « marque de fabrique », mais ces ficelles restent dédiées à donner du souffle à ce qu’elle veut défendre ici : le mépris du monde adulte pour l’enfance qu’il souille et annihile. Un monde où l’on sait se parler en écrivant du bout du doigt dans l’espace, où l’on pourrait encore jouer Schubert au piano,. Un monde de contradictions et de paradoxes, où l’on peut clamer son désenchantement avant d’implore l’espoir, afficher son mépris du bonheur feint et son amour de l’argent tout en « chiant sur l’amour d’une mère ». Où l’on peut souhaiter « que plus un enfant ne soit conçu à la surface de la terre » puis caresser tendrement la chevelure d’une gamine déguisée en lapin. Promenons-nous dans son bois, parce que, avec ou contre les loups, Liddell sera toujours là…
La menace de la « contre-révolution silencieuse » de la nouvelle gouvernance économique et du Pacte pour l’euro, et les plans d’austérité à répétition représentent un défi majeur pour les mouvements sociaux en Europe. Si l’émergence des mobilisations spontanées en Espagne et en Grèce questionne les échecs et impuissances des organisations traditionnelles, elles pourraient contribuer à presser à la radicalisation des luttes syndicales et sociales. Le tout sous fond d’un enterrement sans gloire de la « troisième voie » et du blairisme, dont la crise de la social-démocratie en Europe est une des résultantes…
Dans un article précédent, nous proposions deux enjeux à prendre en compte autour de la question de l’adoption de la nouvelle gouvernance économique et du Pacte pour l’euro.
Le premier concernait le positionnement des partis sociaux-démocrates et verts vis-à-vis de ce nouveau renforcement de l’intégration européenne – au prix d’une généralisation de mesures d’austérité injustes et inefficaces. Jusqu’à présent, le « plus d’Europe » avait toujours justifié toutes les compromissions pour le centre-gauche ; et ce au motif d’une incantatoire « Europe sociale » dont on attendait sans doute qu’elle descende miraculeusement des bureaux des fonctionnaires de la Commission européenne. La radicalité de cette nouvelle « révolution silencieuse » va-t-elle contribuer à faire « bouger les lignes » selon le vocabulaire préféré des apparatchiks ? Nous le verrons plus loin.
Le second enjeu concernait le mouvement social européen, et l’émergence d’une véritable mobilisation populaire dans les pays européens. Sur ce point, difficile de s’avouer déçu : le 15 mai débutaient en Espagne les mobilisations des indignados, et qui ont essaimées entre autres en Grèce et au Portugal. Revendiquant une vraie démocratie contre les plans d’austérité dictés par des instances non élues, Union européenne, FMI, les manifestants fustigeaient la corruption et le suivisme du « PPSOE », mélange des initiales des deux principaux partis espagnols.
Par leur ampleur et leur nature sont tout à fait particulières, ces mobilisations sont riches en questionnements pour les organisations « traditionnelles » du mouvement social. Les syndicats ont particulièrement brillé par leur incapacité à proposer un débouché pour la contestation sociale. Pourtant les impostures de la « sortie de crise » à la sauce UE/FMI (qui se résumerait à peu près par : « les peuples doivent payer, pas les banquiers ») ont porté à ses limites l’« indignation » populaire.
Faiblesses des mouvements sociaux en Europe
En France, la frilosité des syndicats s’est traduite en 2009, puis en 2010, à des moments où l’opinion était pourtant particulièrement favorable comme ce fut le cas lors des mobilisations contre la réforme des retraites, par l’invention d’une nouvelle « norme » : la « journée d’action », avec à la clé de sympathiques promenades dans les rues des villes françaises. Qui contrastaient notamment avec les actions menées en Guadeloupe par le LKP, sur la base d’un syndicalisme de terrain… et de lutte [1].
En Grèce et en Espagne, les syndicats et organisations politiques traditionnelles sont tout simplement absentes des mobilisations récentes. Non que leurs militants n’y participent pas à titre individuel. Mais le discrédit est tel à leur égard – en raison de leur incapacité à s’opposer aux politiques d’austérité, leur corruption ou encore leur proximité vis-à-vis des partis politiques – que la plupart des mouvements spontanés s’accordent pour ne pas s’adresser à eux.
En ce qui concerne le mouvement altermondialiste, il semble pour lui que le bilan soit double : d’une part, à l’échelle européenne, le forum social européen, dont le processus a débuté en 2002 à Florence, n’a pas vraiment dépassé le statut de forum d’échange informel entre organisations, ni permis de jeter les bases d’un véritable mouvement social européen. D’années en années, les grandes manifestations du mouvement altermondialiste semblent perdre leur assise populaire. D’autre part, les manifestants, en Espagne et en Grèce, se sont largement emparés de ses slogans et revendications. Ainsi le 15 mai, le mot d’ordre de la mobilisation en Espagne était-il « nous ne sommes pas des marchandises aux mains des banquiers et des politiciens ».
Une nouvelle donne ?
Il semble que les récents développements autour de la nouvelle gouvernance économique, et la généralisation programmée des mesures d’austérité en Europe, soient cependant suffisamment critiques pour contribuer à changer cette donne. Les gouvernements européens, à travers le « Pacte pour l’euro », initialement « Pacte de compétitivité », ont en effet offert aux mouvements sociaux en Europe un symbole fort. « Ce n’est pas une crise, c’est une escroquerie » pouvait-on lire sur les pancartes à Madrid.
Le Pacte pour l’euro symbolise de manière idéale cette escroquerie à la fois sur le plan démocratique et social, qui impose pour seule et unique solution à la crise aux peuples européens la mise en œuvre de plans d’ajustement violents. Des plans tout droit sortis de la vieille boîte à outil du FMI, lequel s’efforce depuis les années 80 – au nom du droit des créanciers à toucher leurs plus-values – à couler des pays entiers et sacrifier leurs populations.
Qu’il s’agisse des mouvements spontanés, altermondialistes ou syndicaux, le Pacte pour l’euro fait l’unanimité contre lui. Ainsi le mouvement des « indignés » espagnols a-t-il choisi de placer la journée de mobilisation nationale du 19 juin sous le signe de la contestation de ce pacte [2]. Les organisations du forum social européen se sont quant à elles accordées le 31 mai, à l’occasion d’une conférence dédiée à la question de la crise en Europe, à travailler de manière prioritaire sur la question.
Enfin, last but not least, les plans des gouvernements européens et de la commission ont-ils même réussi à réveiller la Confédération Européenne des Syndicats (qui n’est pas précisément le tenant d’en syndicalisme de lutte). Son secrétaire général John Monks, qui fut un temps proche de Tony Blair, n’a pas hésité pour qualifier les conditionnalités imposées dans le cadre de la future gouvernance économique de « quasi-coloniales », et pour indiquer que le futur mécanisme de sanction ressemblait aux dispositions du Traité de Versailles [3]. Lors de son dernier congrès le 19 mai à Athènes, la CES s’est accordée pour se mobiliser contre la gouvernance économique du Pacte pour l’euro, en proposant la journée du 21 juin, en amont du Conseil européen du 24 juin, comme « journée d’action nationale ».
Il serait bien sûr tout à fait hasardeux d’imaginer qu’un tel faisceau d’initiatives soit synonyme d’une réelle convergence à venir pour les mouvements sociaux européens et nationaux autour de la question de l’austérité et de la gouvernance économique. Il est néanmoins clair que les choses semblent évoluer rapidement. Et ce même… au sein des formations politiques européennes de gauche d’ordinaire peu enclines à la critique de l’eurolibéralisme.
Enterrement sans gloire pour la « troisième-voie »
Il était peut-être temps de s’en rendre compte ; « La social-démocratie est en crise. Nous sommes dans une situation catastrophique [4] » reconnait à bon compte Martin Schulz, président du Parti Socialiste européen. Pour lui, les socialistes européens se trouvent dans une situation doublement problématique. D’une, l’héritage de la « troisième voie » promue par Tony Blair, rend les socialistes en partie responsables de la situation actuelle en Europe. De l’autre, les gouvernements qui appliquent les plans d’austérité en Grèce, au Portugal, en Espagne, sont des gouvernements socialistes.
Il indique qu’une reconstruction de la crédibilité des sociaux-démocrates pourrait passer par une rupture forte avec cet héritage, et la mise en avant de nouvelles perspectives communes pour la gauche en Europe. Le rejet du « paquet gouvernance », actuellement discuté au parlement européen, et la mise en avant d’un ensemble d’alternatives pour « sortir de la crise » pourrait y contribuer. Les Verts et le Parti Socialiste européen ont récemment publié un appel, « changeons l’Europe », qui va dans le sens d’une rupture – que l’on pourrait certes bien difficilement qualifier de radicale. A noter que parmi les alternatives proposées, la restructuration, ou même l’audit des dettes souveraines fait figure de grande absente…
Réelle ou non, la volonté affichée de mettre en place d’une fiscalité qui fasse payer les salaires élevés et le capital, ou encore de s’attaquer aux excédents budgétaires autant qu’aux déficits, pourrait par ailleurs rester longtemps sans conséquences, au vu des équilibres politiques actuels au Conseil et au Parlement. Un vœu pieux qui porte néanmoins le germe d’une critique d’un des piliers essentiels de la domination des grands groupes sur l’agenda politique européen : le culte de la sacro-sainte « compétitivité »…