Le renvoi des réfugiés: de la théorie à la pratique

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La frontière entre la Grèce et la Turquie est officiellement fermée depuis hier, tant aux immigrés économiques qu’aux demandeurs d’asile. Tous ceux qui arrivent dans les îles grecques sont désormais censés être renvoyés manu militari vers les côtes turques, en vertu de l’accord conclu vendredi entre l’Union européenne et Ankara, accord qui met fin au droit d’asile en Europe, au moins temporairement. Mais ça, c’est la théorie.

  • · Les renvois ont-ils commencés ?

Evidemment, non. « L’accord sur le renvoi des nouveaux arrivants sur les îles devrait, selon le texte, entrer en vigueur le 20 mars, mais un tel plan ne peut pas être mis en place en seulement 24 heures », a reconnu Girogos Kyritsis, le coordinateur de la politique migratoire grecque. La Grèce, pays en faillite et à l’Etat déficient, a déjà montré qu’elle n’avait pas les moyens de contrôler ses frontières, alors organiser aussi rapidement le renvoi systématique des arrivants, c’est tout simplement une tâche impossible.

« Il faudra des semaines, voire un miracle, pour que ces expulsions de masse se mettent en place », explique un diplomate. « Avec 1000 demandes par jour, le bureau d’asile grec est totalement débordé. Alors avec 2 ou 3000 par jour, il vaut mieux oublier », s’amuse un policier européen présent sur place. C’est pour cela qu’une aide européenne est prévue : forces de police, officiers de protection du droit d’asile chargés de faire le tri, interprètes, voire juges pour statuer sur les recours des déboutés du droit d’asile (ce qui posera un problème juridique sur la validité d’une décision rendue en Grèce par un juge étranger). Selon la Commission, 4000 agents devront être mobilisés, dont un millier de « personnel de sécurité et militaire » et environ 1500 policiers grecs et européens pour un budget de 280 millions d’euros sur les six prochains mois. Paris et Berlin ont promis d’envoyer dans les îles grecques 600 policiers et experts de l’asile : pour l’instant, la France n’a dépêché sur place que trois officiers de l’Office Français de protection des réfugiés et apatrides…

Alors, pourquoi avoir proclamé que l’accord du 18 mars entrerait en vigueur le 20 mars ? « Pour éviter un temps de latence qui aurait conduit à un appel d’air », explique un fonctionnaire européen. A l’heure du net, l’information va vite et beaucoup de candidats à l’immigration ou à l’asile se seraient précipités en Europe pour éviter de trouver porte close. D’ailleurs, plusieurs centaines de personnes ont gagné les iles grecques samedi, soulagées d’être arrivée avant le gong fatal. « L’effet d’annonce peut marcher. Depuis décembre dernier, les Grecs placent à nouveau en centre de rétention les Algériens et les Marocains qui arrivent en Grèce et le flux s’est brutalement tari », raconte un diplomate présent en Grèce.

  • · Qui sera concerné par ces expulsions ?

Tous ceux qui arrivent à partir de dimanche. Les quelques 50.000 personnes coincées en Grèce (dont un cinquième à Idoménie, à la frontière macédonienne), à la suite de la fermeture de la route des Balkans, sont exclus de l’accord UE-Turquie, tout comme le million de migrants et de réfugiés se trouvant dans d’autres pays européens. Pour libérer de la place dans les îles du Dodécanèse, le gouvernement grec a entrepris d’évacuer vers le continent tous les migrants qui s’y trouvent encore. Leur sort sera tranché selon les anciennes règles qui ne prévoient aucune automaticité du refus des demandes d’asile et aucun engagement de réadmission par les autorités turques.

Tous ceux qui arriveront désormais seront accueillis dans l’un des cinq hotspots (centre d’accueil) situés à Lesvos, Leros, Chios, Samos et Kos. Pour l’instant, ils n’offrent que 6000 places, mais 20.000 sont prévues au total. Tout le monde sera enregistré dans le fichier européen des empreintes digitales (EURODAC). Si l’étranger veut demander l’asile (presque personne ne le fait actuellement en Grèce pour pouvoir continuer sa route), sa demande sera « examinée » sur le champ : s’il est passé par la Turquie (désormais « pays sûr ») ou un pays de « premier asile » qui pourra lui offrir une « protection suffisante », sa demande sera jugée « irrecevable » et il sera renvoyé en Turquie. Il pourra faire appel devant un juge de cette décision (par exemple en expliquant qu’en tant que Kurde, la Turquie n’est pas un pays sûr pour lui) qui tranchera sur place. La procédure est censée être express afin que le séjour ne s’éternise pas. Ceux qui ne demanderont pas l’asile (la moitié du flux actuel ne demande pas l’asile) seront immédiatement rembarqués. « Mais pour gagner quelques jours, tout le monde va demander l’asile, l’information circule vite », ironise un policier européen.

  • · Techniquement, comment vont avoir lieu ces expulsions ?

Frontex, l’agence européenne chargée de coordonner le contrôle des frontières extérieures de l’Union, a annoncé qu’elle allait mettre à disposition huit navires d’une capacité de 300 à 400 places. Ce qui est insuffisant au rythme actuel des arrivées (environ 60.000 par mois). Le problème est que, pour l’instant, les Turcs n’ont désigné qu’un seul point de débarquement en face de l’île de Lesbos… En outre, « pour l’instant, rien n’est prévu en cas de résistance », soupire un policier européen. Les scènes de rembarquement risque d’offrir quelques images brutales quand on voit ce qui se passe sur la route des Balkans.

* L’accord UE-Turquie pourra-t-il être invalidé par la justice européenne?

La forme juridique de l’accord est pour le moins étrange: il s’agit d’un engagement du Conseil européen auprès de la Turquie, ce qui constitue une base fragile pour renvoyer tous les demandeurs d’asile en Turquie: il ne s’agit ni d’une loi européenne, ni d’un accord international, ce qui privent les Parlements (nationaux et européen) de leur pouvoir de contrôle. Beaucoup de juristes estiment qu’il ne faudra pas attendre très longtemps pour qu’un juge saisisse la Cour européenne de justice pour statuer sur sa validité, mais aussi sur le statut de pays «sûr» reconnu à la Turquie. La Cour européenne des droits de l’homme pourra aussi être saisi par un réfugié renvoyé en Turquie. Il faut se rappeler que ces deux juridictions ont estimé que le règlement de Dublin, qui pose en principe que le premier pays d’entrée est responsable du traitement de la demande d’asile, ne pouvait pas s’appliquer à la Grèce, car ce pays n’avait pas les moyens de remplir correctement ses obligations. Un renvoi systématique basé sur une irrecevabilité de principe est-il une réponse adéquate à une demande d’asile? On peut en douter.

Source : Libération Coulisse de Bruxelles

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Que fuient les Afghans ?

 Réfugiés afghans près de la frontière entre Grèce et Macédoine • Crédits : Yannis Behrakis - Reuters

Réfugiés afghans près de la frontière entre Grèce et Macédoine • Crédits : Yannis Behrakis – Reuters

Ils sont nombreux mais on ne les voit plus vraiment : les Afghans restent la 2e communauté de réfugiés à tenter leur chance en Europe. Au total, ils sont plus de 2.7 millions à avoir choisi l’exil, plutôt que de rester vivre dans un pays, l’Afghanistan, toujours en guerre.

Si les Syriens sont aujourd’hui les plus nombreux à venir chercher refuge en Europe, ils ne sont pas les seuls, loin de là. On finirait presque par les oublier, mais les Afghans représentent la deuxième communauté d’exilés. Une histoire qui dure depuis 35 ans, et qui n’est pas près de se terminer. L’an dernier, ils étaient 200 000 Afghans à faire une demande d’asile à l’un des pays de l’Union : six fois plus que l’année précédente.

C’est que l’Afghanistan reste, aujourd’hui encore, un des pays les plus dangereux au monde. Les talibans n’ont pas été vaincus : ils combattent à nouveau pour s’emparer du pouvoir. Face à eux, une armée souvent démunie, qui ne peut plus compter sur le soutien des troupes de l’OTAN : celles-ci ont quitté le pays fin 2014. L’Afghanistan, pays instable, et qui peine donc à se reconstruire, malgré les moyens importants octroyés par les Etats-Unis depuis 2001 et le début de leur intervention militaire. Selon le Haut commissariat de l’Onu aux réfugiés, plus de 2 millions 700 000 Afghans vivent aujourd’hui en dehors de leur pays, au Pakistan et en Iran pour la plupart.

Source France Culture Du grain à Moudre 15/03/2016

 

« Que fuient les Afghans ? » Ecouter l’émission

Intervenants :

  • Ahmad Mahjoor : sociologue, conseiller spécial du parlement afghan, auteur de L’Afghanistan en transition. Une approche politique (L’Harmattan, juin 2013)
  • Gilles Dorronsoro : Professeur de science politique à l’Université de Paris 1- Panthéon-Sorbonne
  • Mathilde Bethelot : Responsable des programmes MSF en Afghanistan

Liens On Line

  • Afghanistan : 11 000 civils tués ou blessés en 2015, un chiffre sans précédent (Le Monde)
  • Afghanistan. Pourquoi les talibans se trompent en refusant de négocier la paix (Courrier International)
  • L' »amère expérience » européenne de réfugiés afghans rentrés au pays (Le Parisien)
  • Afghanistan: une sulfureuse police locale balaye les talibans dans le sud (Le Point)

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Asie, AfghanistanElection présidentielle en Afghanistan : quels enjeux ?,  rubrique Politique, Politique Internationale, Politique de l’immigration,

 

«Radicalisations» et «islamophobie» : le roi est nu

Fatima al-Qaws berce son fils de 18 ans, Zayed, souffrant des effets des gaz lacrymogènes lancés lors d’une manifestation de rue à Sanaa, Yémen, 15 octobre 2011. Photo Samuel Aranda

Fatima al-Qaws berce son fils de 18 ans, Zayed, souffrant des effets des gaz lacrymogènes lancés lors d’une manifestation de rue à Sanaa, Yémen, 15 octobre 2011. Photo Samuel Aranda

Par,Gilles Kepel*

Le succès du slogan «Islamisation de la radicalité» et le refus des chercheurs, par peur d’être soupçonnés d’islamophobie, d’analyser la spécificité du jihadisme confortent la doxa médiatico-politicienne dans son ignorance de la réalité sociale et son arrogance intellectuelle.

 

L’une des premières victimes collatérales des attentats de 2015 est l’université française. Alors que les sciences humaines et sociales sont concernées au premier chef pour fournir les clés d’interprétation du phénomène terroriste d’une ampleur inouïe qui a frappé l’Hexagone, les institutions universitaires sont tétanisées par l’incapacité à penser le jihadisme dans notre pays. Cela provient pour une part d’une politique désinvolte de destruction des études sur le monde arabe et musulman – la fermeture, par Sciences-Po en décembre 2010, le mois où Mohamed Bouazizi s’immole par le feu à Sidi Bouzid, du programme spécialisé sur ces questions est l’exemple le plus consternant : ont été éradiqués des pans entiers de la connaissance et notamment la capacité des jeunes chercheurs à lire dans l’original arabe la littérature de propagande salafiste et jihadiste. Mais cela provient aussi d’un interdit idéologique : entre le marteau de la «radicalisation» et l’enclume de «l’islamophobie», il est devenu très difficile de penser le défi culturel que représente le terrorisme jihadiste, comme une bataille à l’intérieur même de l’islam au moment où celui-ci est confronté à son intégration dans la société française.

«Radicalisation» comme «islamophobie» constituent des mots écrans qui obnubilent notre recherche en sciences humaines. Le premier dilue dans la généralité un phénomène dont il interdit de penser la spécificité – fût-ce de manière comparative. Des Brigades rouges et d’Action directe à Daech, de la bande à Baader à la bande à Coulibaly ou Abaaoud, il ne s’agirait que de la même «radicalité», hier, rouge, aujourd’hui, peinturlurée du vert de l’islamisation. Pourquoi étudier le phénomène, apprendre des langues difficiles, mener l’enquête sur le terrain dans les quartiers déshérités où les marqueurs de la salafisation ont tant progressé depuis trente ans, puisqu’on connaît déjà la réponse ? Cette posture intellectuelle, dont Olivier Roy est le champion avec son slogan de «L’islamisation de la radicalité», connaît un succès ravageur car elle conforte la doxa médiatico-politicienne dans son ignorance de la réalité sociale et son arrogance intellectuelle – toutes deux suicidaires. Le corollaire de la dilution du jihadisme dans la radicalisation est la peur de «l’islamophobie» : l’analyse critique du domaine islamique est devenue, pour les nouveaux inquisiteurs, haram – «péché et interdit». On l’a vu avec l’anathème fulminé lors du procès en sorcellerie intenté au romancier algérien Kamel Daoud pour ses propos sur les violences sexuelles en Allemagne, par une douzaine de chercheurs auxquels le même Olivier Roy vient d’apporter sa caution (1).

Le rapport que vient de publier le président du CNRS sous le titre «Recherches sur les radicalisations» participe de la même démarche. On aurait pu s’attendre, de la part d’une instance scientifique, à une définition minimale des concepts utilisés. Il n’en est rien. Le postulat des «radicalisations» est à la fois le point de départ et d’arrivée d’un catalogue des publications et des chercheurs où la pondération des noms cités montre, sans subtilité, le parti pris idéologique des scripteurs. Emile Durkheim, bien oublié par une sociologie française dont il fut pourtant le père fondateur, avait établi l’identité de la démarche scientifique par sa capacité à distinguer les concepts opératoires des «prénotions». Il qualifiait ces dernières de «sortes de concepts, grossièrement formés», qui prétendent élucider les faits sociaux, mais contribuent, en réalité, à les occulter car ils sont le seul produit de l’opinion, et non de la démarche épistémologique de la recherche. Or, l’usage ad nauseam des «radicalisations» (le pluriel en renforçant la dimension fourre-tout) illustre à merveille le fonctionnement des prénotions durkheimiennes par ceux-là mêmes qui en sont les indignes – fussent-ils lointains – héritiers.

Cette prénotion-ci est d’origine américaine. Diffusée après les attentats du 11 septembre 2001, elle prétendait rendre compte des ruptures successives du «radicalisé» par rapport aux normes de la sociabilité dominante. Les analyses qui s’en réclament partent du même postulat propre à la société libérale – celui d’un individu abstrait, sans qualités, atome détaché de tout passé et de tout lien social. L’interrogation initiale porte la marque de l’école américaine des choix rationnels : pourquoi pareil individu décide-t-il de tuer et de mourir ? Son intérêt bien compris n’est-il pas plutôt de vivre le bonheur de l’American Way of Life ? Un commencement d’explication relève des aléas de la biographie individuelle. On présume que l’intéressé a vécu une rupture initiale (humiliation, racisme, rejet…) à l’origine de sa «radicalité», voire de son basculement ultérieur. La révolte attend alors sa mise en forme idéologique.

Pour résoudre l’énigme, l’analyse se tourne alors vers le rôle de l’offre. C’est ici que les postulats de la sociologie individualiste coïncident avec les fiches signalétiques de l’analyse policière. En effet, l’offre en question est incarnée par des «cellules de recrutement» sophistiquées, animées par des «leaders charismatiques» dont le savoir-faire repose sur un jeu subtil d’incitations religieuses, d’explications politiques et de promesses paradisiaques. Resocialisé par l’organisation réseau, l’individu adopte progressivement les modes de perception et d’action qui lui sont proposés. A la fin, il est mûr pour le passage à l’acte. Il est «radicalisé». Le recours fréquent au lexique de la «dérive sectaire» ou de la «conversion religieuse» (même lorsque l’individu en question est déjà musulman) inscrit le phénomène dans un continuum absurde reliant le terroriste Abaaoud au «Messie cosmo-planétaire» Gilbert Bourdin. La messe est dite, si l’on ose dire. Et les crédits de recherches dégagés par l’administration américaine sont allés aux think tanks de Washington où personne ne connaît un mot d’arabe ni n’a jamais rencontré un salafiste.

Venus d’outre-Atlantique et hâtivement mariés par une partie de la recherche universitaire française généraliste et ignorante de la langue arabe elle aussi, le couple «radicalisation – islamophobie» empêche de penser la manière dont le jihadisme tire profit d’une dynamique salafiste conçue au Moyen-Orient et porteuse d’une rupture en valeurs avec les sociétés européennes. L’objet «islamophobie» complète le dispositif de fermeture de la réflexion, car son objectif vise à mettre en cause la culture «blanche néocoloniale» dans son rapport à l’autre – source d’une prétendue radicalité – sans interroger en retour les usages idéologiques de l’islam. Il complète paradoxalement l’effort de déconstruction de la République opéré par les religieux salafistes, main dans la main avec les Indigènes de la République et avec la bénédiction des charlatans des «postcolonial studies» – une autre imposture qui a ravagé les campus américains et y a promu l’ignorance en vertu, avant de contaminer l’Europe.

Quelle alternative, face au défi jihadiste qui a déclenché la terreur dans l’Hexagone ? Le premier impératif est, pour la France, de prendre les études du monde arabe et de sa langue au sérieux. Les mesurettes du ministère de l’Enseignement supérieur, qui vient de créer quelques postes dédiés à «l’analyse des radicalisations» (la doxa triomphe rue Descartes) et aux «langues rares» (sic – l’arabe compte plusieurs centaines de millions de locuteurs) – relèvent d’une thérapie de l’aspirine et du sparadrap (et une opacité de mauvais aloi a orienté le choix des heureux bénéficiaires). Pourtant, c’est en lisant les textes, et en effectuant des enquêtes de terrain dans les langues locales que l’on peut mettre en perspective les événements des décennies écoulées, comprendre comment s’articulent les mutations du jihadisme, depuis le lancement américano-saoudien du jihad en Afghanistan contre l’URSS en 1979 jusqu’à la proclamation du «califat» de Daech à Mossoul en 2014, avec celles de l’islam en France, puis de France. Repérer les articulations, les charnières, comme cette année 2005 où Abou Moussab al-Souri publie son «Appel à la résistance islamique mondiale» qui érige l’Europe, ventre mou de l’Occident, en cible par excellence du jihad universel, et où les grandes émeutes de l’automne dans les banlieues populaires permettent, à côté de la participation politique massive des enfants de l’immigration musulmane, l’émergence d’une minorité salafiste visible et agissante qui prône le «désaveu» (al bara’a) d’avec les valeurs de l’Occident «mécréant» et l’allégeance exclusive (al wala’) aux oulémas saoudiens les plus rigoristes. Analyser les modes de passage de ce salafisme-là au jihadisme sanglant, qui traduit en acte les injonctions qui veulent que le sang des apostats, mécréants et autres juifs soit «licite» (halal).

A cette fin, toutes les disciplines doivent pouvoir contribuer – à condition d’aller aux sources primaires de la connaissance, et non de rabâcher des pages Wikipédia et des articles de presse. Les orientalistes, médiévistes comme contemporanéistes, les sociologues, les psychologues et cliniciens, les historiens, les anthropologues, mais aussi les spécialistes de datascience ont devant eux un champ immense à défricher – qui ne concerne pas seulement l’étude des ennemis de la société qui ont ensanglanté la France, mais aussi l’étude de la société même dont les failles ont permis à ces derniers de s’y immiscer et d’y planter leurs racines. Il est temps d’en finir avec la royale ignorance qui tétanise les esprits et fait le jeu de Daech.

(1) Libération du 10 mars.

*Gilles Kepel Professeur des universités, Sciences-Po – Ecole normale supérieure (dernier ouvrage paru : «Terreur dans l’Hexagone, genèse du djihad français», éd. Gallimard, 2015, 352 pp., 21 €) et Bernard Rougier, Professeur des universités Sorbonne-Nouvelle

Source Libération : 14/03/2016

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Sommet UE-Turquie sur les réfugiés : un accord « moralement insupportable »

Dessin de Mix & Remix, publié dans Le Matin

Dessin de Mix & Remix, publié dans Le Matin

Dans la nuit du 7 au 8 mars, les Vingt-Huit et la Turquie sont parvenus à un accord censé endiguer l’afflux vers l’UE de réfugiés en provenance du Moyen-Orient. Le texte, qui doit être entériné lors d’un sommet européen le 17 mars, prévoit entre autres, le renvoi vers la Turquie des Syriens candidats à l’asile débarqués illégalement en Grèce (et l’accueil de ceux qui auront déposé une demande en Turquie), le versement d’une aide de 3 milliards d’euros supplémentaires à Ankara pour gérer les réfugiés, des patrouilles maritimes mixtes UE-OTAN en Mer Egée et la réouverture des négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE. Si la presse turque fait preuve de réalisme, les journaux européens s’indignent de ce que l’UE se soit pliée aux exigences d’Ankara, au moment où le régime marque une dérive autoritaire sans précédent.

L’Europe brisée en deux au grand bal du Sultan

Il Sole 24 Ore, Milan, 8 mars Pour Adriana Cerretelli, le « pacte de fer » signé avec le pouvoir de Recep Tayyp Erdo?an a « érigé tout à coup la Turquie en 29e Etat membre de l’Union. De fait, si ce n’est de droit. » Qui plus est, après « un volte-face retentissant qui brise les résistances que l’on croyait insurmontables et, surtout, qui ignore les conditions minimales requises, à savoir le respect des valeurs fondamentales européennes, comme la liberté d’information et d’expression, l’égalité des sexes, la protection des minorités. » Ce n’est pas la première fois que les Européens font preuve d’une « amnésie sélective », poursuit la journaliste : « mais il n’était jamais arrivé qu’un candidat à l’adhésion, houspillé encore il y a peu parce qu’il ne remplissait systématiquement pas les conditions essentielles pour devenir un partenaire, rédige carrément un nouvel accord bilatéral dans lequel il multiplie par deux la demande de concessions en échange de l’endiguement des flux migratoires. C’est l’Europe habituelle, cynique et sans scrupules, mais pas plus lucide pour autant. Affaiblie par le triomphe de ses propres nationalismes, elle demeure prisonnière du risque habituel d’être incongrue. Même lorsqu’elle joue avec sa propre identité et qu’elle accepte de voltiger au grand bal du Sultan. On verra avec quels résultats à la fin. »

Culbute

Die Tageszeitung, Berlin, 8 mars « Pervers, fou, juridiquement contestable et moralement insupportable » : Eric Bonse ne mâche pas ses mots. Et sa virulente critique s’adresse avant tout contre la chancelière allemande Angela Merkel : « D’abord une roulade arrière, et maintenant une culbute ? Les méandres de la politique des réfugiés de l’UE laissent pantois. […] Tout d’un coup, non seulement la route des Balkans devrait être bloquée pour les réfugiés. Mais la mer Egée tout entière doit devenir une zone sans passeurs. Et encore plus fou : pour chaque migrant ‘illégal’ que la Grèce renvoie en Turquie, un [migrant] ‘légal’ doit venir en Europe. Ce soi-disant principe un-pour-un, serait, dit-on, une idée du Premier ministre turc Davuto?lu. En vérité, il porte la signature de Merkel – comme d’ailleurs tout ce sommet, qui a été convoqué à la demande de la Chancelière juste avant les élections régionales. Ce principe pervers signifie une rupture radicale avec le droit d’asile tel que nous le connaissons en Europe. Auparavant, ce droit était individuel, maintenant il sera éludé par l’expulsion massive des réfugiés. C’est juridiquement contestable; moralement, c’est insupportable. »

Le pacte de la honte

El País, Madrid, 8 mars Pour l’éditorialiste Rubén Amón, « l’Europe se renie elle-même, offrant à Erdogan l’adhésion de la Turquie à l’UE » : « Ne pouvant et ne voulant pas résoudre la crise des migrants, l’UE a décidé de la sous-traiter. Elle l’a externalisée. Elle a engagé la gendarmerie turque, pas tellement en échange de 6 milliards d’euros – le double de la somme prévue initialement – mais au prix incalculable du reniement des principes fondateurs de l’Union. Soit parce que l’Europe s’exempte de toute responsabilité humanitaire. Soit parce que l’accord entérine des expulsions à chaud. Soit encore parce que l’UE brade les conditions d’adhésion de la Turquie à l’UE. Le grand paradoxe étant qu’Ankara a avancé ses aspirations à l’intégration au moment où elle sape le plus ses standards démocratiques. »

Source : Voxeurop

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Migrants: jusqu’à 70.000 pourraient être «pris au piège» en Grèce

Des réfugiés attendent à la frontière entre la Grèce et la Macédoine à Idomeni, le 28 février 2016 Photo LOUISA GOULIAMAKI. AFP

Des réfugiés attendent à la frontière entre la Grèce et la Macédoine à Idomeni, le 28 février 2016 Photo LOUISA GOULIAMAKI. AFP

La Grèce a averti dimanche que le nombre de migrants bloqués sur son territoire risquait de tripler en mars, pour atteindre le chiffre de 70.000 personnes, en raison des quotas imposés par les pays des Balkans aux candidats à l’établissement en Europe occidentale.

«Selon nos estimations, le nombre de ceux qui seront pris au piège dans notre pays s’établira entre 50.000 et 70.000 personne le mois prochain», a déclaré le ministre grec de la Politique migratoire, Yiannis Mouzalas.

«Aujourd’hui, il y a 22.000 réfugiés et migrants» en Grèce, a-t-il dit dans une interview télévisée à la chaîne Mega Channel.

Et environ 6.500 d’entre eux étaient bloqués dimanche dans un camp de fortune installé près du village d’Idomeni, dans le nord de la Grèce, à la frontière macédonienne. La veille, les autorités de Skopje n’ont laissé passer que 300 personnes par ce poste-frontière. Aucune ne l’avait traversée dimanche en milieu d’après-midi.

Et ils étaient des dizaines — hommes, certains avec leurs enfants dans les bras, et femmes — à manifester dimanche, allongés sur les rails, pour exiger l’ouverture du point de passage.

Idomeni s’est transformé en goulot d’étranglement après la décision, la semaine dernière, de Skopje de refuser l’accès à son territoire aux Afghans et de renforcer le contrôle des documents d’identité pour les Syriens et Irakiens.

Et la situation devrait encore empirer avec la décision vendredi de la Slovénie et la Croatie, membres de l’UE, ainsi que la Serbie et la Macédoine de limiter à 580 le nombre d’hommes, de femmes et d’enfants transitant quotidiennement par leur territoire.

Ces pays des Balkans ont emboîté le pas à l’Autriche qui a choisi il y a plus d’une semaine de limiter l’entrée des migrants à 80 demandeurs d’asile par jour, et à 3.200 personnes en transit.

La décision de ces pays de la route des Balkans de faire cavalier seul a profondément irrité Athènes, qui a rappelé la semaine dernière son ambassadrice à Vienne pour «consultations» après une réunion à laquelle la Grèce n’avait pas été associée.

Le chancelier autrichien Werner Faymann a enfoncé le clou dimanche, accusant Athènes de se comporter «comme une agence de voyages» en laissant librement passer les migrants.

«Je ne comprends plus la politique des Grecs. Il est inacceptable que la Grèce agisse comme une agence de voyages et laisse passer tous les migrants. La Grèce a accueilli l’an passé 11.000 demandeurs d’asile, nous 90.000. Cela ne doit pas se reproduire», a-t-il estimé dans la presse autrichienne.

– ‘Effet ricochet’ –

Face à la cacophonie européenne sur la question des migrants, le pape François a exhorté les pays de l’Union à trouver une «réponse unanime» et à «répartir équitablement les charges» entre eux.

Le pape, qui s’exprimait dimanche lors de l’Angélus sur la place Saint-Pierre à Rome, a salué «le généreux secours» apporté par la Grèce et «les autres pays en première ligne», et estimé que cette urgence humanitaire «nécessitait la collaboration de toutes les nations».

En quête d’un hypothétique «consensus» sur la gestion de la crise qui divise comme jamais l’Europe, le président du Conseil européen Donald Tusk doit se rendre du 1er au 3 mars à Vienne, Ljubljana, Zagreb, Skopje et Athènes avant un sommet UE-Turquie le 7 mars.

L’enjeu a été posé par le commissaire européen aux Migrations, Dimitri Avramapoulos, qui a prévenu que l’Europe irait au «désastre» s’il n’y avait pas de «convergence» lors de ce sommet à Bruxelles.

La Grèce, elle, semblait surtout compter sur une baisse de l’afflux de migrants en provenance de Turquie, «quand les nouvelles de la fermeture du poste-frontière d’Idomeni se diffuseront», a expliqué le ministre grec de la Politique migratoire, M. Mouzalas.

«Nous préparons une campagne d’information à destination de la Turquie», a-t-il dit, estimant que cette initiative, ajoutée au déploiement prévu de navires de l’Otan en mer Egée, devrait réduire le nombre des arrivées en Grèce de 70%.

Plus à l’ouest, c’est l’Italie qui craignait un «effet ricochet», selon les mots du procureur régional de la ville de Lecce dans les Pouilles (sud), et se préparait donc à faire face à un afflux possible de migrants, en quête d’une nouvelle route vers l’Europe du Nord.

Source AFP 28/02/2016

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