Depuis le 1er janvier, la FAO – organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture – a un nouveau directeur général : José Graziano da Silva. L’ex sous-directeur de cette même structure par ailleurs monsieur « faim zéro » – programme mené au Brésil pour le président Lula – a d’emblée affirmé que « l’élimination totale de la faim et de la sous-alimentation dans le monde » était sa priorité. Un objectif louable et finalement normal pour cette organisation intergouvernementale créée en 1945 dont le mandat est précisément de « veiller à ce que les êtres humains aient un accès régulier à une nourriture de bonne qualité qui leur permette de mener une vie saine et active. «
Pourtant, on ne peut qu’avoir une sensation de déjà entendu. Au sein de cette FAO ou à l’occasion des journées mondiales contre la faim du 16 octobre. Mais pas seulement. En 2000, les 193 Etats qui s’engagent sur les objectifs du millénaire pour le développement actent au premier chapitre, la réduction de moitié de la population souffrant de la faim en 2015.
Et pourtant. En 2007/2008 l’explosion des prix des produits alimentaires provoque une crise énorme : 40 millions de personnes supplémentaires souffrent désormais de la faim. Ce qui porte le total à 963 millions. L’été dernier, c’est la Corne de l’Afrique qui est menacée de famine. 12 millions de personnes sont en danger. Les pays riches réagissent, multiplient les conférences de donateurs… pour mieux peiner à obtenir 50% de promesses de dons sur le milliard et demi de dollars estimé comme nécessaire par l’ONU. L’actualité propose de nouvelles déclinaisons de cette faim dans le monde : une étude montre que 42% des enfants de moins de 5 ans en Inde sont sous-alimentés. Et ce, malgré la croissance impressionnante du PIB. Au Congo, le chiffre est de 26% : plus d’un quart des enfants de moins de 5 ans touchés par la malnutrition dénonce l’Unicef . Reste encore le Tchad à qui l’ONU vient d’allouer 6 millions de dollars d’aide d’urgence le 11 janvier dernier pour faire face à une crise alimentaire.
Cacao contre sorgho
Misère, guerre et sécheresse font, évidemment, parties des explications à cette faim dans le monde. Mais pas seulement. Il ne faut en effet surtout pas oublier que dans les quarante dernières années, le FMI et la Banque Mondiale ont fait en sorte que les gouvernements des pays du Sud détruisent les silos à grains qui alimentaient les marchés intérieurs en cas de crise ; qu’ils les ont poussé à supprimer les agences publiques de crédit aux agriculteurs ; qu’ils les ont convaincu de troquer les productions de blé, de riz, de maïs ou de sorgho pour des cultures de cacao, café ou thés qui s’exportent si bien ; qu’ils les ont enfin contraints à ouvrir leurs frontières aux exportations de pays occidentaux subventionnées massivement. Tout cela pour leur permettre d’obtenir les précieux dollars nécessaires au remboursement de la dette. Ces dernières années, la mode des biocarburants aidés par les pays du Nord ont eu raison de nouveaux hectares de cultures vivrières.
Il ne faut pas oublier non plus que la crise alimentaire de 2007/2008 résulte du boursicotage de quelques spéculateurs quittant la bulle immobilière qui venait d’exploser aux Etats-Unis. Il ne faut pas oublier enfin que depuis la crise financière, le G 20 tente de remettre le FMI en selle avec, cette fois, l’Europe pour terrain de jeu.
Dernier élément a aussi prendre en compte : les réformes agraires jamais menées dans certains pays d’Amérique du Sud, d’Afrique ou d’Asie qui interdisent à des milliards de paysans d’avoir un accès direct à la terre et en font les première victime de la faim dans le monde.
Ceci posé, la FAO peut donc ambitionner d’éradiquer la faim dans le monde. De jolies phrases qui rendent plus supportable l’idée que, chaque année, de 3 à 5 millions d’enfants meurent à cause de la malnutrition dans le monde. Mais comment prendre au sérieux une lutte contre la faim qui fait l’impasse sur les causes de cette faim ?
Angélique Schaller (La Marseillaise)
Jean Ziegler : « L’ordre cannibale du monde peut être détruit »
Somalie
Les experts le savent bien, l’agriculture d’aujourd’hui serait en mesure de nourrir normalement 12 milliards d’êtres humains, soit près du double de la population mondiale.
Le 17 janvier dernier sur le campus de la Gaillarde, Montpellier SupAgro a accueilli un des plus éminents défenseurs du droit à l’alimentation Jean Ziegler pour une conférence-débat animée par Damien Conaré, secrétaire général de la Chaire UNESCO Alimentations du monde, partenaire de cette rencontre exceptionnelle, co-organisée avec la librairie Sauramps.
jean ziegler
Rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation de 2000 à 2008, Jean Ziegler est aujourd’hui vice-président du comité consultatif du conseil des droits de l’homme de l’ONU. Il a consacré l’essentiel de son oeuvre à dénoncer les mécanismes d’assujettissement des peuples du monde. Professeur émérite de sociologie à l’Université de Genève, il a publié L’Empire de la honte (2005) et La Haine de l’Occident (2008). Dans son nouvel essai intitulé Destruction massive : géopolitique de la faim (Seuil, octobre 2011) le sociologue a dressé un état des lieux de la faim dans le monde et analysé les raisons de l’échec des moyens mis en œuvre depuis la deuxième guerre mondiale pour l’éradiquer. Il critique les ennemis du droit à l’alimentation aujourd’hui, à savoir la production d’hydro-carburants et la spéculation sur les biens agricoles.
Version intégrale d’un entretien avec Jean Ziegler publié dans La Marseillaise
Globalement, l’état des lieux que vous dressez de la situation fait pâlir. Quels sont les nouveaux paramètres de la sous-alimentation qui frappe notre planète au XXIe ?
Le massacre annuel de dizaines de millions d’être humains par la faim est le scandale de notre siècle. Toutes les cinq secondes, un enfant âgé de moins de dix ans meurt de faim, 37 000 personnes meurent de faim tous les jours et un milliard – sur les 7 milliards que nous sommes – sont mutilés par la sous-alimentation permanente… Et cela sur une planète qui déborde de richesses !
Le même rapport sur l’insécurité alimentaire dans le monde de la FAO qui donne les chiffres des victimes dit que l’agriculture mondiale dans l’étape actuelle de ses forces de production pourrait nourrir normalement (2 200 calories/ individu adulte par jour) 12 milliards d’êtres humains, donc presque le double de l’humanité actuelle.
Au seuil de ce nouveau millénaire, il n’existe donc aucune fatalité, aucun manque objectif. Un enfant qui meurt de faim est assassiné.
Pendant huit ans, j’ai été rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation. Ce livre est le récit de mes combats, de mes échecs, des mes occasionnelles fragiles victoires, de mes trahisons aussi.
Les populations les plus exposées sont les pauvres des communautés rurales des pays du Sud où se cumulent aux conditions environnementales une violence physique et économique ?
Un fléau particulier qui frappe les paysans depuis peu est l’accaparement des terres arables dans les pays du Sud – surtout en Afrique – par les sociétés transcontinentales privées.
Selon la Banque mondiale, l’année dernière, 41 millions d’hectares de terres arables ont été accaparés par des fonds d’investissements et des multinationales uniquement en Afrique. Avec pour résultat, l’expulsion des petits paysans. Ce qu’il faut dénoncer, c’est le rôle de la Banque mondiale, mais aussi celui de la Banque africaine de développement, qui financent ces vols de terre. Pour se justifier, elles ont une théorie pernicieuse qui est de dire que la productivité agricole est très basse en Afrique. Ce qui est vrai. Mais ce n’est pas parce que les paysans africains sont moins compétents ou moins travailleurs que les paysans français. C’est parce que ces pays sont étranglés par leur dette extérieure. Ils n’ont donc pas d’argent pour constituer des réserves en cas de catastrophes ni pour investir dans l’agriculture de subsistance. Il est faux de dire que la solution viendra de la cession des terres aux multinationales.
3,8 % des terres arables d’Afrique sont irriguées. Sur tout le continent, il n’existe que 250 000 animaux de trait et quelques milliers de tracteurs seulement. Les engrais minéraux, les semences sélectionnées sont largement absents.
Ce qu’il faut faire, c’est mettre ces pays en état d’investir dans l’agriculture et de donner à leurs paysans les instruments minimaux pour augmenter leur productivité : les outils, l’irrigation, les semences sélectionnées, les engrais…
Un autre scandale dont souffrent les populations rurales dans l’hémisphère sud est le dumping agricole pratiqué par les États industriels. L’année dernière, les pays industriels ont versé à leurs paysans 349 milliards de dollars à titre de subsides à la production et à l’exportation. Résultat : sur n’importe quel marché africain, on peut acheter des fruits, des poulets et des légumes français, grecs, portugais, allemands, etc. au tiers ou à la moitié du prix du produit africain équivalent. Face au dumping agricole, le paysan africain qui cultive son lopin de terre n’a pas la moindre chance de vendre ses fruits ou ses légumes à des prix compétitifs.
Or, de 54 pays africains 37 sont des pays presque purement agricoles.
L’hypocrisie des commissaires de Bruxelles est abyssale : d’une part, ils organisent la faim en Afrique et, d’autre part, ils rejettent à la mer, par des moyens militaires, des milliers de réfugiés de la faim qui, chaque semaine, tentent d’atteindre la frontière sud de la forteresse Europe.
Face à ce drame de chaque instant, vous évoquez la notion de faim structurelle et de faim conjoncturelle ainsi que les notions d’Histoire visible et invisible comme les effets de la malnutrition…
La faim structurelle est celle qui tue quotidiennement à cause des forces de production insuffisamment développées dans les campagnes de l’hémisphère sud. La faim conjoncturelle par contre frappe lorsqu’une économie s’effondre brusquement par suite d’une catastrophe climatique ou de la guerre.
Regardons ce qui se passe aujourd’hui dans la Corne de l’Afrique. Certains pays comme la Somalie, le nord du Kenya, Djibouti, l’Érythrée et l’Éthiopie se trouvent dans une situation de cauchemar. Ils doivent faire face à une faim à la fois conjoncturelle, liée à la sécheresse ou à la guerre, et structurelle en raison de l’explosion des prix mondiaux des denrées alimentaires. Impossible donc pour eux d’acquérir suffisamment de nourriture pour alimenter toutes leurs populations. Dans la Corne de l’Afrique, des dizaines de milliers de personnes sont mortes de faim ou de ses suites immédiates depuis avril 2011.
Cette conscience que vous faites émerger se heurte souvent à une opinion publique indifférente. Comment peut-on s’expliquer la disproportion insensée d’implications entre les 2 700 victimes du WTC et les centaines de millions de morts de la faim ?
Vous avez raison. L’opinion publique dans son immense majorité, en Europe, oppose son indifférence au meurtre collectif par la faim qui se déroule dans l’hémisphère sud.
Pourquoi ? A cause de la théorie néolibérale qui empoisonne l’opinion. Or, les ennemis du droit à l’alimentation sont la dizaine de sociétés transcontinentales privées qui dominent complètement le marché alimentaire. Elles fixent les prix, contrôlent les stocks et décident qui va vivre ou mourir puisque seul celui qui a de l’argent a accès à la nourriture. L’année dernière, par exemple, Cargill a contrôlé plus de 26 % de tout le blé commercialisé dans le monde. Ensuite, ces trusts disposent d’organisations mercenaires : l’Organisation mondiale du commerce, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Ce sont les trois cavaliers de l’Apocalypse. S’ils reconnaissent que la faim est terrible, ils estiment que toute intervention dans le marché est un péché. A leurs yeux, réclamer une réforme agraire, un salaire minimum ou le subventionnement des aliments de base, par exemple, pour sauver les vies des plus pauvres est une hérésie. Selon les grands trusts qui, ensemble, contrôlent près du 85 % du marché alimentaire, la faim ne sera vaincue qu’avec la libéralisation totale du marché et la privatisation de tous les secteurs publics.
Cette théorie néolibérale est meurtrière et obscurantiste. L’Union soviétique a implosé en 1991 (c’était une bonne chose). Jusque-là, un homme sur trois vivait sous un régime communiste et le mode de production capitaliste était limité régionalement. Mais en vingt ans, le capitalisme financier s’est répandu comme un feu de brousse à travers le monde. Il a engendré une instance unique de régulation : le marché mondial, la soi-disant main invisible. Les États ont perdu de leur souveraineté et la pyramide des martyrs a augmenté. Si les néolibéraux avaient raison, la libéralisation et la privatisation auraient dû résorber la faim. Or, c’est le contraire qui s’est produit. La pyramide des martyrs ne cesse de grandir. Le meurtre collectif par la faim devient chaque jour plus effrayant.
L’ONU devrait soumettre à un contrôle social étroit les pieuvres du commerce mondial agroalimentaire.
Le rapport FAO estime que l’agriculture mondiale pourrait nourrir 12 milliards de personnes. Évoque-t-il les modalités de mise en œuvre d’un plan réaliste pour faire face à ce fléau ?
Non. La FAO est exsangue. Elle se contente de la mise en œuvre de quelques programmes de coopération régionale. Elle n’a pas la force ni d’affronter les pieuvres du négoce alimentaire ni les spéculateurs boursiers.
Le développement des biocarburants qui s’impose comme « une arme miracle » ne répond pas aux défis environnementaux et accentue de manière catastrophique la famine dans le monde affirmez-vous ?
Vous avez raison de poser la question des agrocarburants, car il existe en cette matière une formidable confusion. La théorie généralement diffusée est la suivante : le climat se détériore et la principale raison en est l’utilisation de l’énergie fossile. Il faut donc diminuer sa consommation. Mais, je le dis avec force, les agrocarburants ne sont pas la solution. Pour réduire la consommation d’énergie fossile, il faut drastiquement économiser l’énergie, favoriser les transports publics, développer les énergies solaires, éoliennes, géothermiques. L’année dernière, les États-Unis ont brûlé 138 millions de tonnes de maïs et des centaines de millions de tonnes de blé, pour produire des agrocarburants. En Suède, près de la moitié des voitures roulent au bioéthanol. Le réservoir moyen d’une voiture est de 50 litres. Il faut brûler 352 kilos de maïs pour produire 50 litres de ce carburant. Or, ces 352 kilos de maïs permettraient à un enfant en Zambie ou au Mexique, où le maïs est la nourriture de base, de manger et de vivre pendant un an !
Brûler des plantes nourricières sur une terre où 35 millions de personnes meurent tous les ans de la faim ou de ses suites immédiates est inadmissible.
Vous mettez en lumière les incidences géopolitiques de la folie spéculatrice, en mettant en parallèle la flambée des cours du blé avec les révolutions du monde arabe qui est la première région importatrice de céréales du monde ou encore l’utilisation de la faim comme une arme politique de destruction en Afghanistan, en Somalie, à Gaza…
Les fonds spéculatifs (hedge funds) et les grandes banques ont migré après 2008, délaissant des marchés financiers pour s’orienter vers les marchés des matières premières, notamment celui des matières premières agricoles. Si l’on regarde les trois aliments de base (le maïs, le riz et le blé), qui couvrent 75 % de la consommation mondiale, leur prix ont explosé. En 18 mois, le prix du maïs a augmenté de 93 %, la tonne de riz est passée de 105 à 1 010 dollars et la tonne de blé meunier a doublé depuis septembre 2010, passant à 271 euros. Cette explosion des prix dégage des profits astronomiques pour les spéculateurs, mais tue dans les bidonvilles des centaines de milliers de gens. De plus, la spéculation provoque une autre catastrophe. En Afrique le Programme alimentaire mondial (PAM) ne peut plus acheter suffisamment de nourriture pour l’aide d’urgence en cas de famine : comme aujourd’hui dans la Corne de l’Afrique où les fonctionnaires de l’ONU refusent chaque jour l’entrée à des centaines de familles, réfugiées de la faim, devant les 17 camps d’accueil installés dans la région. Il faudrait transférer ces spéculateurs, dont les actions aboutissent au désastre actuel, devant un tribunal de Nuremberg et les juger pour crime contre l’humanité.
C’est vrai ce que vous dites : l’explosion des prix des aliments de base – surtout du blé – a joué un rôle crucial dans les révolutions notamment tunisienne et égyptienne. La faim comme arme de guerre : les Israéliens l’utilisent à Gaza, les Shebabs musulmans en Somalie.
Peut-on envisager un mouvement social international qui puisse faire reculer la Banque mondiale, l’OMC et le FMI que vous qualifiez de cavaliers de l’Apocalypse ? La lutte pour la vie ne se joue-t-elle pas au niveau des États sur le terrain de la politique intérieure ?
Malgré son titre – Destruction massive – mon livre est un livre d’espoir. La faim est faite de main d’homme. Elle peut être éliminée par les hommes. Il n’y a pas d’impuissance en démocratie. La France est une grande, vivante démocratie. II existe des mesures concrètes que nous, citoyens et citoyennes des États démocratiques d’Europe, pouvons imposer immédiatement ; interdire la spéculation boursière sur les produits alimentaires ; faire cesser le vol de terres arables par les sociétés multinationales; empêcher le dumping agricole ; obtenir l’annulation de la dette extérieure des pays les plus pauvres pour qu’ils puissent investir dans leur agriculture vivrière ; en finir avec les agrocarburants… Tout cela peut être obtenu si nos peuples se mobilisent. J’ai écrit Destruction massive, géopolitique de la faim pour fortifier la conscience des citoyens. Il n’y a pas d’impuissance en démocratie. Je le répète, pendant que nous discutons, toutes les cinq secondes, un enfant de moins de dix ans meurt de faim. Les charniers sont là. Et les responsables sont identifiables.
De plus, de formidables insurrections paysannes – totalement ignorées par la grande presse en Occident – ont lieu actuellement dans nombre de pays du Sud : aux Philippines, en Indonésie, au Honduras, au nord du Brésil. Les paysans envahissent les terres volées par les sociétés multinationales, se battent, meurent souvent, mais sont aussi parfois victorieux.
Georges Bernanos a écrit: « Dieu n’a pas d’autres mains que les nôtres ». L’ordre cannibale du monde peut être détruit et le bonheur matériel assuré pour tous. Je suis confiant : en Europe l’insurrection des consciences est proche.
Recueilli par Jean-Marie Dinh
Jean Ziegler, auteur de Destruction massive, géopolitique de la faim, Éditions du Seuil ; et aussi : L’or du Maniema, roman, réédition dans la coll. Points, Seuil).
Alors que la zone euro a accordé une nouvelle aide à la Grèce, la gauche française s’est divisée, hier, lors du vote sur le Mécanisme européen de stabilité à l’Assemblée. Une «capitulation», selon Mélenchon.
Sacrée Europe. A chaque fois qu’elle déboule dans le débat politique français, la voilà qui menace la gauche de divisions : du traité de Maastricht à celui de Lisbonne, en passant par le traité constitutionnel européen (TCE) rejeté en 2005 par référendum et dont le PS garde quelques stigmates. Hier, c’est par la porte parlementaire que s’est représentée la question européenne. Au lendemain de l’accord entre les pays de la zone euro sur un plan d’aide géant de la Grèce (lire page 4), les députés ont adopté, hier soir, le projet de loi autorisant la mise en place du Mécanisme européen de stabilité (MES) par 256 voix contre 44 et 131 abstentions. Plus richement doté – 500 milliards d’euros – que l’actuel Fonds européen de stabilité financière qu’il doit remplacer en 2013, le MES permettra d’offrir rapidement du cash à des pays de la zone euro empêtrés dans la crise. Mais s’il est juridiquement distinct du pacte de discipline budgétaire – conclu entre 25 Etats de l’UE – qui doit être signé le 1er mars, les pays voulant bénéficier du MES devront s’y conformer. Ils auront notamment l’obligation d’inscrire la «règle d’or» de l’équilibre budgétaire dans leur Constitution. Ce que refusent les partis de gauche.
«Message». Assez pour voir cette fois-ci la gauche unie dans un vote contre ? Non. A l’Assemblée nationale, les députés socialistes ont choisi hier l’abstention (une vingtaine, dont Henri Emmanuelli, ont voté contre). D’abord pour ne pas laisser penser qu’ils refusent la solidarité européenne, mais surtout parce que François Hollande a promis, en cas de victoire à la présidentielle, de renégocier le pacte de stabilité budgétaire voulu par la chancelière allemande, Angela Merkel. «Si ce qui va être signé le 1er mars, ce n’est que de l’austérité, alors l’Europe ne pourra pas s’en sortir. C’est le message que nous voulons adresser», a expliqué Jean-Marc Ayrault, chef des députés PS. François Fillon a lui dénoncé une «faute historique» des socialistes. «C’est une abstention constructive», a défendu Claude Bartolone, partisan du non en 2005.
La gauche du parti aurait préféré le vote contre, mais elle n’a pas voulu faire de vagues en pleine campagne. Razzy Hammadi, proche de Benoît Hamon justifie : «Notre position, c’était soit le non, soit l’abstention. S’abstenir, c’est une manière de ne pas cautionner le traité et, en même temps, cela permet que l’argent soit versé à la Grèce.»
De quoi hérisser leur ex-camarade Jean-Luc Mélenchon, pour qui le MES impose un «modèle austéritaire» à toute l’Europe et donnerait à tous «le médicament qui va tuer la Grèce». Le candidat du Front de gauche, militant du non en 2005, a «adjuré» hier les socialistes de voter contre : «Tout élu du peuple doit exprimer un avis. Il est impossible de se cacher aux toilettes ou ailleurs» sur une question qui engage «l’avenir du pays». S’abstenir ? «C’est préparer le terrain à une capitulation, selon l’eurodéputé. Surtout quand on prétend vouloir gouverner le pays.» Puisque Hollande dit vouloir renégocier le traité «pour préparer le rapport de forces, il faut résister tout de suite», relève-t-il. D’autant plus que la gauche est majoritaire au Sénat où le texte doit être débattu le 28 février : «S’abstenir au Sénat, c’est dire à la droite qu’elle peut faire ce qu’elle veut à propos de l’Europe», s’est insurgé Mélenchon, annonçant un recours devant le Conseil constitutionnel.
Quant aux écologistes, ils ont voté contre la création du MES lors d’un premier vote, puis se sont abstenus sur les détails du mécanisme. «A chaque fois qu’il y a des débats européens, on voit ressortir des divergences entre ceux qui assument une part de rigueur et ceux qui sont dans la dénégation de la dette. On a trouvé ce compromis», explique le député François de Rugy.
«Hypocrite». Abstention, vote contre, refus de participer au scrutin… «La gauche française est hypocrite», avait dénoncé Daniel Cohn-Bendit lundi dans Libération. «Dany, c’est Dany, il voit ça depuis l’Allemagne», lui a répondu l’écologiste Noël Mamère. Surtout, à deux mois du premier tour présidentiel, ni le PS ni les écologistes ne veulent revivre 2005 et ses déchirements. Au contraire du Front de gauche, qui rêve d’un nouveau grand soir européen. Depuis plusieurs mois, il veut transformer cette présidentielle en référendum sur les nouvelles règles de l’UE. «Je veux amener ce débat sur le nouveau traité, confiait récemment Mélenchon. S’il arrive dans l’élection, tout le monde va être mis au pied du mur.» Il mise sur les électeurs de gauche qui avaient voté non en 2005 : «Si les socialistes ne veulent pas voter contre le MES, il y a un autre bulletin de vote, le mien.» L’Europe n’a pas fini de gêner la gauche.
Lilian Alemagna et Matthieu Écoiffier (Libération 22/02/12)
Les députés se penchent sur le MES
L’Assemblée a ratifié ce dispositif destiné à devenir le pare-feu de la zone euro contre les crises de la dette souveraine, et qui fait l’objet de vifs débats à gauche.
L’Assemblée nationale doit ratifier le 21 février, la création du Mécanisme européen de stabilité (MES), destiné à devenir le pare-feu permanent de la zone euro contre les crises de la dette souveraine, et qui fait l’objet de vifs débats au sein de la gauche.
Le MES, qui doit entrer en activité début juillet en vertu d’un traité signé le 30 janvier, est destiné à prendre à terme le relais de l’actuel Fonds européen de stabilité financière (FESF), avec qui il cohabitera jusqu’à l’été 2013.
Se condamner à «l’austérité»
Il disposera d’une capacité de prêt de 500 milliards d’euros pour les pays en difficulté. Il est distinct du pacte de stabilité budgétaire conclu entre 25 pays de l’UE, également le 30 janvier, et que le candidat socialiste François Hollande veut renégocier s’il est élu, lui reprochant de ne pas comporter de volet sur la croissance.
Le pacte ne fera l’objet que le 1er mars d’un traité en bonne et due forme, et ne pourra donc être débattu que par la nouvelle Assemblée nationale élue en juin.
Si l’UMP et le Nouveau Centre devraient voter ce mardi sans état d’âme la création du MES, il n’en est pas de même dans l’opposition. Pour le Front de gauche, qui votera contre, et son candidat Jean-Luc Mélenchon, «ceux qui voteront pour le mécanisme européen de stabilité enchaîneront notre pays au traité suivant», ce qui revient à se condamner à «l’austérité». L’eurodéputé a interpellé, mardi, les socialistes Laurent Fabius et Henri Emmanuelli sur leur vote, se demandant s’ils avaient «changé d’avis» après leur non au traité constitutionnel européen de 2005.
Les socialistes vont s’abstenir
Les députés PS on décidé de leur position lors de leur réunion de groupe ce mardi matin, ils s’abstiendront. L ‘abstention semblant avant le débat de ce matin une solution envisagée par beaucoup. «La solidarité est nécessaire au sein de la zone euro, nous l’avons toujours dit, mais ce mécanisme arrive trop tard et est insuffisamment doté», a-t-on expliqué de source proche du groupe. «En outre, se pose le problème juridique du lien avec le pacte de stabilité», a-t-on ajouté.
Chez les Verts, la candidate Eva Joly a estimé que le MES «tel qu’il est proposé au vote de nos assemblées ne répond pas à la crise». A l’inverse, l’eurodéputé Daniel Cohn-Bendit a déploré l’«hypocrisie de la gauche française, Verts compris» à l’égard du MES, y voyant «une des rares choses positives» arrachées aux dirigeants de l’UE, «et surtout à l’Allemagne».
Formellement, l’Assemblée se prononce ce mardi sur deux textes distincts : le traité créant le MES d’une part, et la modification du traité de l’UE qu’il implique d’autre part. Et, par ailleurs, le budget rectificatif 2012, qui sera également voté mardi, prévoit l’abondement de la France au mécanisme, soit 6,5 milliards d’euros en 2012 (16,3 milliards en tout à terme).
avec AFP (21 02 12)
Non à ce coup contre la démocratie, non à ces nouveaux traités !
Par Jean-Luc Mélenchon Député européen
Sommes-nous condamnés au sarkozysme à perpétuité, même si nous chassons Nicolas Sarkozy de l’Elysée ? Sommes-nous condamnés à l’austérité même si nous votons contre ? C’est ce qui se joue ces jours-ci. Deux traités européens, embrouillés à souhait, vont arriver en catimini devant le Parlement. Dès le 21 février à l’Assemblée nationale et le 28 février au Sénat, les élus sont appelés à se prononcer sur un premier traité : le «Mécanisme européen de stabilité». Ce «Mécanisme» étend à tous les Etats qui auraient besoin d’aide, la méthode d’assistance cruelle qui a été imposée à la Grèce ! Les citoyens n’ont reçu aucune information sur ce texte de 48 articles et de 62 pages. Pourtant, c’est non seulement un modèle économique asphyxiant qu’il s’agit d’imposer à tous mais une répudiation de la démocratie qui commence. Le sort de la Grèce qui en est le laboratoire nous enjoint un devoir absolu de résistance. Pour l’amour de l’Europe, il faut rejeter les traités Merkozy qui veulent la soumettre aux seuls intérêts cupides des banquiers.
Dans le «Mécanisme européen de stabilité», la France s’engage à injecter, «de manière irrévocable et inconditionnelle», une contribution immédiate de 16,3 milliards d’euros. Le traité dit que la France devra donner jusqu’à 142,7 milliards d’euros en cas de besoin. Une telle somme représenterait près de la moitié du budget de l’Etat. Cette hypothèse n’a rien de théorique : il suffirait que le «Mécanisme» ait à secourir l’Espagne et l’Italie pour que ses capacités maximales de prêts soient atteintes.
Le mécanisme d’assistance consiste à imposer aux Etats en difficultés «une stricte conditionnalité […] sous la forme notamment de programmes d’ajustement macroéconomiques». Ces termes, déjà employés pour saigner la Grèce, indiquent que toute aide financière sera assortie de plans de rigueur impératifs.
Je conjure ceux qui envisagent de voter pour l’application de tels plans de bien examiner leur résultat en Grèce depuis deux ans et demi. Après huit plans d’austérité successifs imposés en vertu de la méthode qu’il est proposé de généraliser, la dette grecque a grimpé de 25%. L’activité s’est violemment contractée et le chômage a doublé pour atteindre plus de 20% des actifs. La démonstration concrète est donc faite que l’austérité, en comprimant la demande, fait reculer l’activité. Cela réduit les rentrées fiscales et creuse plus vite encore les déficits. Pourquoi vouloir étendre à d’autres Etats ce qui a si lamentablement échoué en Grèce ?
Les Etats concernés seront placés sous la tutelle de la cruelle troïka, Commission européenne, Banque centrale européenne (BCE), Fonds monétaire international (FMI). Oui, le FMI basé a Washington ! Il trône dorénavant en «coopération très étroite» à toutes les étapes du «Mécanisme». On lui demande une «participation active», aussi bien pour évaluer l’attribution des aides que pour infliger des plans de rigueur et contrôler leur application. Les procédures prévues pour l’intervention de cette odieuse troïka sont aussi opaques qu’autoritaires.
De plus, en contradiction avec toutes les règles de fonctionnement de l’Union européenne, le traité donne à deux Etats seulement, l’Allemagne et la France, un droit de veto pour l’octroi des aides. Ce traité entérine donc un directoire autoritaire de la zone euro. Il impose aussi le secret sur les mécanismes de décision et le fonctionnement du «Mécanisme». La France s’expose donc financièrement jusqu’à 142,7 milliards d’euros dans un fonds auquel aucun compte ne pourra être demandé par son gouvernement ou son Parlement. Quel parlementaire est prêt à ce renoncement ?
Le cocktail «austéritaire» de ce «Mécanisme» est enfin renforcé par une clause qui lie étroitement son application au second traité européen en cours d’adoption : l’imprononçable «Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire». C’est dans ce second traité que Nicolas Sarkozy et Angela Merkel prévoient d’imposer la «règle d’or» de l’interdiction des déficits et des sanctions automatiques contre les Etats contrevenants.
C’est ce second traité que François Hollande dit vouloir renégocier. Mais il se trompe lourdement quand il indique que «les deux textes sont déconnectés l’un de l’autre». Ils sont au contraire étroitement liés. Le traité sur le «Mécanisme européen de stabilité» indique qu’«il est convenu que l’octroi d’une assistance financière dans le cadre des nouveaux programmes en vertu du Mécanisme européen de stabilité sera conditionné […] par la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance».
Ceux qui voteront pour le «Mécanisme européen de stabilité» enchaîneront notre pays au traité suivant. Dès lors, qui prétend vouloir renégocier demain ce second traité, doit commencer par s’y opposer aujourd’hui et donc par rejeter son préalable, «le Mécanisme européen de stabilité».
Avec le Front de gauche, je lance un appel solennel à tous les parlementaires : n’acceptez pas ce coup de force contre notre démocratie ! A gauche surtout ! Car aucune politique de gauche n’est possible dans le cadre de ces traités. Les parlementaires socialistes, écologistes, radicaux et chevènementistes doivent donc voter avec ceux du Front de gauche contre ces textes.
Puisque la France est engagée par la signature du président sortant, alors une voix plus forte et sans appel doit s’exprimer sur le sujet. Celle du peuple ! Il nous faut un référendum sur les nouveaux traités.
Allez, monsieur Sarkozy, voilà un référendum qui ne vous déshonorerait pas comme le feraient ceux que vous proposez contre les chômeurs et les immigrés !
Règle d’or budgétaire : Merkel met la pression sur la France
Créé le 31-01-2012
La chancelière allemande estime impensable que la France ne fasse pas ratifier la règle d’or budgétaire au Parlement, alors que Nicolas Sarkozy a confirmé que le vote n’aura pas lieu avant l’élection présidentielle.
La chancelière allemande Angela Merkel a jugé lundi 30 janvier impensable que la France n’applique pas la nouvelle règle d’or budgétaire européenne, quelle que soit l’issue de l’élection présidentielle, alors qu’elle a été critiquée par le favori des sondages, le socialiste François Hollande. « Je ne peux pas m’imaginer que la France n’applique pas correctement la règle d’or », a souligné Angela Merkel devant la presse à l’issue d’un sommet de l’UE Bruxelles au cours duquel 25 pays ont approuvé un traité qui impose partout des règles d’or sur l’équilibre budgétaire.
Recours juridique contre la France ?
La chancelière était interrogée sur le risque pour elle de devoir le cas échéant porter plainte contre la France devant la Cour européenne de justice au cas où le candidat socialiste François Hollande l’emporterait en mai et refuserait de mettre en oeuvre le traité signé par le président Nicolas Sarkozy.
« C’est pourquoi je ne peux pas m’imaginer la plainte (devant la CEJ), parce que cela n’aura pas lieu », a-t-elle ajouté.
Le traité prévoit que chaque pays signataire inscrive dans sa constitution ou sa législation la nouvelle règle d’or l’obligeant à tendre vers l’équilibre des comptes publics. S’il ne le fait pas correctement il pourra être poursuivi devant la Cour par un autre Etat.
Pas de vote du parlement avant l’élection
Nicolas Sarkozy a indiqué lundi que le nouveau traité renforçant la discipline budgétaire au sein de l’UE ne pourrait pas être adopté par le parlement français avant l’élection présidentielle, mais qu’il ne doutait pas qu’il soit ensuite approuvé.
Mais, ensuite, « le Parlement ne sera pas en mesure de se réunir durant la campagne électorale » pour la présidentielle dont le premier tour est fixé au 22 avril. « Ca me semble pas raisonnable » d’envisager une adoption avant cette date, a-t-il ajouté.
Incertitudes sur les intentions du candidat Hollande
Le candidat socialiste François Hollande fait planer l’incertitude sur ses intentions à l’égard du traité européen et de la règle d’or budgétaire. Il a promis la semaine dernière de « renégocier » le texte pour faire en sorte qu’on parle davantage de croissance.
Tous les pays de l’UE, à l’exception de la Grande-Bretagne et de la République tchèque, ont approuvé le texte. Le Royaume-Uni refuse de le signer car il serait « économiquement désavantageux » pour le pays, estime un responsable britannique, sous couvert de l’anonymat. Les pays européens qui en veulent « vont signer un traité qui rend le keynésianisme illégal », estime-t-il.
Ce pacte répond à une exigence de la chancelière allemande Angela Merkel qui l’a posé comme condition en échange de la solidarité financière de son pays avec les Etats en difficulté de la zone euro.
AFP 31/01/12
L’Europe accouche d’un pacte de discipline budgétaire sur fond de désaccords
le 31-01-2012
Le traité confirme l’ascendant de Berlin dans la gestion de la crise de la dette. La France s’est elle vivement opposée à une mise sous tutelle de la Grèce soutenue par l’Allemagne.
Les dirigeants européens ont adopté lundi soir un nouveau pacte de discipline budgétaire fortement inspiré par l'Allemagne et demandé un accord très rapide pour sauver la Grèce de la faillite, dans le cadre de leurs efforts pour tourner la page de la crise de la dette. (c) Afp
Les dirigeants européens ont adopté dans la soirée du lundi 30 janvier un nouveau pacte de discipline budgétaire fortement inspiré par l’Allemagne et demandé un accord très rapide pour sauver la Grèce de la faillite, dans le cadre de leurs efforts pour tourner la page de la crise de la dette. Leur sommet à Bruxelles a toutefois été assombri par une controverse autour d’une proposition allemande visant à placer Athènes sous une stricte tutelle budgétaire européenne. Elle a été sèchement rejetée par plusieurs pays, dont la France.
Au final, vingt-cinq des vingt-sept pays de l’Union européenne ont accepté un nouveau traité de discipline budgétaire. La République tchèque est venue au dernier moment rejoindre la Grande-Bretagne dans le front du refus, en invoquant des problèmes « constitutionnels ». En clair des difficultés à faire ratifier le texte du fait du risque de devoir convoquer un référendum.
Les autres Etats ont accepté d’inscrire dans leurs législations une règle d’or sur le retour à l’équilibre budgétaire et des sanctions quasi-automatiques en cas de dérapages des déficits publics, comme le voulait à tout prix l’Allemagne en échange d’une poursuite de sa solidarité financière avec les pays en difficulté.
Le traité, qui confirme l’ascendant pris par Berlin dans la gestion de la crise de la dette, doit désormais être signé lors d’un prochain sommet en mars avant les longues phases de ratification.
Mésententes à cause de l’euro
Ce pacte budgétaire a buté jusqu’au dernier moment sur une question annexe, le format des sommets de la zone euro.
La France et la Pologne se sont livrées à un bras de fer avant de trouver un compromis: Paris tenait à ce que les dix-sept pays utilisant la monnaie commune puissent se retrouver seuls entre eux sur certains sujets. Varsovie estimait que tous les pays appelés à rejoindre l’euro devaient être invités.
Au final, les sommets de la zone euro seront limités aux pays de l’Union monétaire, sauf sur certains sujets où les autres Etats n’en faisant pas partie pourront aussi être conviés.
Nombre de pays européens espèrent que ce traité encouragera la Banque centrale européenne à faire davantage à l’avenir pour aider la zone euro face à la crise de la dette.
Il pourrait aussi convaincre la chancelière allemande Angela Merkel de renforcer les moyens du Fonds de secours permanent de la zone euro pour les pays fragiles, le MES, qui a été officiellement mis sur les rails lundi soir et commencera à fonctionner en juillet.
« Nous sentons une évolution dans la position de l’Allemagne et je suis optimiste », a déclaré le chef du gouvernement italien Mario Monti, car « il est important que la dotation de ce Fonds soit adaptée ». Berlin est sous pression pour accepter une hausse des moyens du mécanisme de 500 à 750 milliards d’euros. La question sera tranchée en mars.
Au sujet de la Grèce, Berlin a jeté un pavé dans la mare en proposant de placer Athènes sous stricte tutelle: un commissaire européen disposerait d’un droit de veto sur les décisions budgétaires du gouvernement.
Cette idée a été rejetée catégoriquement par la France. Le président Nicolas Sarkozy a jugé que ce ne serait « pas raisonnable, pas démocratique et pas efficace ».
Athenes ne veut pas en entendre parler. « Soit nous avançons sur la voie démocratique où chaque pays est responsable de sa propre politique, soit nous sapons la démocratie dans l’Europe entière », a réagi Georges Papandreou, le chef de file des socialistes grecs et ex-Premier ministre.
Face à cette fronde, la chancelière allemande Angela Merkel a tenté de calmer le jeu, sans pour autant se désavouer.
Berlin ne cèdera pas sur la Grèce
La question d’une surveillance accrue des décisions du gouvernement grec « se pose » car les réformes promises ne sont pas toutes mises en oeuvre, a-t-elle dit. « Le débat doit porter sur « comment l’Europe peut aider à ce qu’en Grèce les tâches qui ont été données soient effectuées », a-t-elle estimé.
L’enjeu n’est pas mince: il s’agit du déblocage du second plan d’aide au pays d’un montant de 130 milliards d’euros, promis par les Européens en octobre dernier. Cette aide est vitale pour la Grèce qui doit rembourser 14,5 milliards d’euros de prêts le 20 mars, faute de quoi elle sera en cessation de paiements.
Mais le pays doit en parallèle boucler des négociations avec ses créanciers privés pour réduire sa dette de 100 milliards d’euros, condition sine qua non au déblocage de l’aide européenne. Sur ce point, cela avance « dans la bonne direction », a indiqué le président français, qui a lancé un appel du pied à la BCE pour qu’elle accepte aussi une réduction de ses propres créances.
Le Premier ministre grec, Lucas Papademos, a dit tabler sur un accord global d’ici la fin de la semaine, tant avec les banques qu’avec les créanciers publics du pays. Et il se refuse dans l’immédiat à envisager de demander plus que ce qui a été promis à Athènes, malgré la dégradation économique continue de son pays.
Challenges.fr et AFP
MES et Règle d’Or : la tentation totalitaire
Le 21 Février prochain , nos députés vont voter un invraisemblable projet du nom de Mécanisme Européen de Stabilité : dont voici quelques détails… Ce texte est d’une dangerosité sans précédent .. car il enfreint les principaux fondements démocratiques qui sont la séparation des pouvoirs . Cette séparation des pouvoirs permet d’éviter la corruption et la dictature par l’indépendance du judiciaire, du législatif et de l’éxécutif .. Le texte sur lequel les députés vont être amenés à voter supprime ces séparations puisque il restreint considérablement le pouvoir du législatif : le vote du budget , puisque si il apparaît que ce MES a besoin de capitaux , ils peuvent être appelés , et doivent être versés à première demande , sans qu’il ne soit nécessaire d’en justifier le motif et encore moins de faire passer le versement devant l’assemblée ..
Il soumet les octrois à l’accord du FMI !!!!
(8) Le MES coopérera très étroitement avec le Fonds monétaire international (« FMI ») dans le cadre de l’octroi d’un soutien à la stabilité. Une participation active du FMI sera recherchée, sur le plan tant technique que financier. Il est attendu d’un État membre de la zone euro demandant l’assistance financière du MES qu’il adresse, lorsque cela est possible, une demande similaire au FMI.
C’est désormais la liquidité des marchés qui devient primordiale
Le FMI est privilégié par rapport au MES !!!!
– il exonère tous ceux qui contribuent à son fonctionnement de quelque responsabilité juridique que ce soit .. (immunité judiciaire totale)
CHAPITRE 6 : articles 8 et 9
– 8. Dans la mesure nécessaire à l’exercice des activités prévues par le présent traité, tous les biens, financements et avoirs du MES sont exempts de restrictions, réglementations, contrôles et moratoires de toute nature.
– 9. Le MES est exempté de toute obligation d’obtenir une autorisation ou un agrément, en tant qu’établissement de crédit, prestataire de services d’investissement ou entité autorisée, agréée ou réglementée, imposée par la législation de chacun de ses membres.
Les agents du MES sont exonérés des obligations fiscales nationales
Article 36
5. Les agents du MES sont soumis à un impôt interne perçu au profit du MES sur les salaires et émoluments payés par le MES conformément aux règles adoptées par le conseil des gouverneurs. À partir de la date à laquelle cet impôt est appliqué, ces traitements et émoluments sont exonérés de tout impôt national sur le revenu.
– il restreint considérablement le pouvoir du législatif : le vote du budget , puisque si il apparaît que ce MES a besoin de capitaux , ils peuvent être appelés , et doivent être versés à première demande , sans qu’il ne soit nécessaire d’en justifier le motif et encore moins de faire passer le versement devant l’assemblée ..
Le texte actuel Chapitre 4 : Opérations – article 15 .. expose de manière parfaitement claire l’objectif de ce mécanisme : mutualiser les pertes privés pour les transférer sur le public :
Assistance financière pour la recapitalisation d’institutions financières d’un membre du MES
1. Le conseil des gouverneurs peut décider d’octroyer une assistance financière sous forme de prêts à un membre du MES, dans le but spécifique de recapitaliser des institutions financières?de ce membre.
Il concentre donc tous les pouvoirs dans les mains d’une junte non élue en privilégiant les intérêts financiers privés au détriment de l’intérêt général.
La Règle d’or s’inspire de la même démarche, mais en faisant inscrire cette notion dans la constitution , elle dépossède le législatif de tous ses pouvoirs en matière budgétaire et fiscale .. pour les confier également comme ce qui se passe en Grèce à un exécutif non élu que l’on nomme désormais pudiquement : les commissaires Européens .
La différence entre une dictature et une démocratie ? C’est exactement la séparation des pouvoirs puisque la Dictature n’est rien d’autre que la concentration des pouvoirs au sein d’une même main. Nous allons donc assister le 21 Février prochain à l’enterrement en grande pompe de ce qui a fait notre force depuis deux siècles : la séparation des pouvoirs , ce qui entraine de facto la mort de notre démocratie ….
Il est urgent de bloquer ce vote. Un mediapartien propose un texte de lettre à envoyer de toute urgence à son député et j’ajouterais quelque soit la tendance politique du député !!!!! .. Cela n’a aucune importance , mais que pour une fois , ils prennent conscience qu’ils vont voter la condamnation à mort du système qui les a fait élire.
Effectivement , derrière , les députés ne seront plus d’aucune utilité puisque le budgétaire ne les concernera plus . On pourra toujours , pendant quelques mois encore , leur faire voter des lois concernant la circulation routière , puis progressivement , s’en débarrasser car les économies nécessaires au paiement des intérêts des financiers doivent se trouver partout et le fonctionnement de l’assemblée est indéniablement un poste conséquent .
Quand à la constitutionnalité de ce texte dément , elle reste également à prouver , mais ce n’est pas avec la formidable publicité faite à ce projet essentiel par les médias, que les juristes ont vraiment eu l’occasion d’en débattre .
Bienvenue dans la nouvelle dictature européenne …
Celle de l’esclavage par la dette … les esclavagistes étant les banquiers et ceux qui les représentent : les gouverneurs ou les commissaires de Bruxelles . D’ailleurs ce qui se passe en Grèce nous montre très clairement que c’est ce vers quoi nous nous orientons puisque un service régalien , essentiel , vient d’être concédé aux banques privées : la levée de l’impôt … Donc servage plus le rétablissement des fermiers généraux .. la révolution française semble n’avoir jamais eu lieu ….
Médiapart 14 02 12
Le fonds d’aide européen, «un mécanisme de chantage»
Le gouvernement a adopté ce mercredi le Mécanisme européen de stabilité, qui doit prendre le relais du FESF pour aider sous conditions les pays européens en difficulté. Un instrument antidémocratique, estime le secrétaire à l’économie du Parti de gauche, Jacques Généreux.
Que reprochez-vous au Mécanisme européen de stabilité?
D’abord, de bien mal porter son nom. La seule chose qui stabiliserait l’euro serait de s’attaquer aux causes de la crise des dettes. D’une part, la libéralisation de la finance, qui fait que les capitaux circulent librement et que tous les produits toxiques de spéculation sont autorisés. De sommet en sommet, il n’a jamais été question de s’attaquer à ces instruments. D’autre part, les gouvernements européens ont choisi de dépendre du marché mondial des capitaux en s’interdisant d’emprunter auprès des banques centales. Pour s’abriter de la spéculation et se financer, il faut permettre à celles-ci de souscrire la dette publique à taux zéro, ou très faible. Le système ne conduira pas forcément à un laxisme financier de la part des Etats, on peut imaginer des règles pour assurer une certaine prudence.
Quelle différence avec le FESF?
Quasiment aucune, l’un remplace l’autre. Le FESF était un bricolage d’urgence entre Etats, le MES sera inscrit dans le mécanisme institutionnel européen, sous forme permanente. Il s’agit en fait de créer un FMI européen pratiquant la même politique de conditionnalité stricte, c’est-à-dire imposant des politiques libérales de rigueur en échange du soutien financier.
Pour ses promoteurs, la rigueur est la contrepartie naturelle de la solidarité…
C’est un mécanisme de pression et de chantage que l’on veut institutionnaliser. Comme le faisait le FMI pour contraindre les pays pauvres à la libéralisation. En pure perte, d’ailleurs, car les 500 milliards du MES sont une somme ridicule par rapport au poids d’un grand pays comme l’Italie, par exemple. Les gouvernements se refusent à prendre des mesures à la hauteur des enjeux, et se replient sur la doctrine archaïque de la rigueur.
Quelle alternative proposez-vous?
Le bon sens enseigne que la seule solution est la restructuration, voire l’annulation pure et simple d’une partie de la dette. Et le recours à la banque centrale comme prêteur de dernier ressort pour racheter celle-ci. Ensuite, sur le moyen et long terme, on peut bien sûr négocier des réformes, choisies démocratiquement par le pays concerné. Sur un temps long, on peut viser l’équilibre financier et une dette raisonnable. Mais il est absurde de le faire dans l’urgence de la crise.
Dans l’état actuel des rapports de force européen, une telle solution n’est-elle pas irréaliste?
Pour l’atteindre, il est nécessaire que, dans un pays au moins, une gauche progressiste soit majoritaire et démontre que l’on peut faire autrement. C’est cela qui peut changer le rapport de forces, en provoquant un effet d’entraînement dans les autres pays. C’est possible sans quitter l’euro ni l’Union européenne, simplement en désobéissant à quelques dispositions des traités qui empêchent de contrôler les mouvements de capitaux.
Pourquoi Jean-Luc Mélenchon dénonce-t-il une ratification «en catimini»?
La procédure retenue permet à ce mécanisme d’échapper au débat public. Le peuple n’est pas consulté alors que l’on s’apprête à constitutionnaliser – puisque les traités sont supérieurs au droit national – un traité qui oblige à pratiquer un type particulier de politique comme condition à la solidarité financière.
Recueilli par Dominique Albertini Libération 08/02/12
NEW-YORK – Rien n’illustre mieux les divergences politiques, la présence d’intérêts particuliers et les considérations économiques à court terme à l’œuvre en Europe que le débat sur la restructuration de la dette souveraine de la Grèce. L’Allemagne veut une restructuration en profondeur – une réduction d’au moins 50% de la dette pour les détenteurs d’obligations – alors que la Banque centrale européenne demande à ce que la restructuration se fasse sur la base du volontariat. Dans le temps (je pense à la crise de la dette latino-américaine des années 1980), on pouvait obtenir facilement un crédit, en général d’une grande banque, souvent avec le soutien ou grâce à la pression exercée par l’Etat et les régulateurs qui voulaient le moins d’accrocs possible. Mais avec la titrisation des dettes, il y a de plus en plus de prêteurs – en particulier des fonds spéculatifs et d’autres investisseurs qui échappent pour l’essentiel à l’influence de l’Etat et des régulateurs.
Par ailleurs, « l’innovation » dans les marchés financiers a permis aux détenteurs de titres de s’assurer, autrement dit de participer, mais sans prendre de risque. Ils ont des intérêts à défendre : ils veulent faire jouer leur assurance, et il faut pour cela que la restructuration soit considérée comme un incident de crédit équivalent à un défaut de paiement. Or la position de la BCE en faveur d’une restructuration « volontaire » – autrement dit qui ne soit pas assimilable à un incident de crédit – est contraire à leur intérêt. Il est paradoxal que les régulateurs aient autorisé la création d’un système aussi dysfonctionnel.
La position de la BCE est curieuse. On aurait pu supposer que face au risque de défaut sur leurs obligations, les banques achètent une assurance. Dans ce cas, un régulateur qui prend en compte la stabilité systémique veille en principe à ce que l’assureur paye en cas de perte. Pourtant la BCE veut que les banques perdent plus de 50% sur les obligations qu’elles détiennent, sans être dédommagées.
On peut avancer trois explications à la position de la BCE, mais aucune n’est en faveur de cette institution ou de sa politique de régulation et de supervision. La première est que les banques ne se sont pas assurées et que certaines ont adopté des positions spéculatives. La seconde est que la BCE sait que le système financier manque de transparence et que les investisseurs ne peuvent évaluer les conséquences d’un défaut involontaire – ce qui pourrait entraîner un gel des marchés du crédit, ainsi que cela s’est passé après l’effondrement de Lehman Brothers en septembre 2008. Enfin, la BCE essaye peut-être de protéger les quelques banques qui ont émis les contrats d’assurance.
Aucune de ces explications ne justifie son opposition à une restructuration en profondeur qui soit imposée à la dette de la Grèce. Elle aurait pu exiger plus de transparence – l’une des grandes leçons de 2008. Les régulateurs n’auraient pas dû laisser les banques spéculer et exiger au minimum qu’elles achètent une assurance et par la suite imposer une restructuration qui leurs aurait permis de toucher les indemnités liées à l’assurance.
Il n’y a guère d’éléments qui laissent à penser qu’une restructuration en profondeur soit plus traumatique si elle est imposée. En voulant à tout prix qu’elle soit volontaire, la BCE essaye peut-être de limiter la part de la dette qui va être restructurée ; mais dans ce cas elle fait passer les intérêts des banques avant ceux de la Grèce pour laquelle une restructuration en profondeur est nécessaire pour sortir de la crise. En réalité la BCE fait probablement passer l’intérêt des quelques banques qui ont émis des CDS (assurance contre le risque de défaillance d’un crédit) avant celui de la Grèce, des contribuables européens et des prêteurs qui ont agi prudemment en s’assurant.
Enfin, dernière étrangeté, l’opposition de la BCE à une gouvernance démocratique. C’est un comité secret de l’Association internationale des swaps et dérivés, une organisation professionnelle, qui décide si un incident de crédit a bien eu lieu. Or les membres de cette association ont un intérêt personnel dans ce type de décision. Selon la presse, certains d’entre eux utiliseraient leur position pour défendre une attitude plus accommodante au cours des négociations. Il paraît inconcevable que la BCE délègue à un comité secret d’acteurs du marché en situation de conflit d’intérêts le droit de décider ce qu’est une restructuration acceptable.
Seul un argument parait – au moins à première vue – privilégier l’intérêt général : une restructuration imposée pourrait aboutir à une contagion financière, avec comme conséquence une hausse importante et peut-être prohibitive du coût du crédit pour les grandes économies de la zone euro comme l’Italie, l’Espagne et même la France. Cela conduit à la question suivante : si elles sont réalisées dans les mêmes proportions, pourquoi une restructuration imposée produirait-elle une contagion pire que si elle était volontaire ? Si le système bancaire était bien régulé, les banques détentrices de dettes souveraines étant assurées, une restructuration imposée serait moins perturbatrice pour les marchés financiers.
On pourrait dire que si la Grèce s’en tire avec une restructuration imposée, d’autres pourraient être tentés de suivre son exemple. Mais craignant cela, les marchés financiers augmenteraient instantanément les taux d’intérêt sur les autres pays – petits et grands – de la zone euro.
Les pays à risque n’ayant déjà plus accès aux marchés financiers, une réaction de panique aurait des conséquences limitées. Il est vrai que d’autres pourraient imiter la Grèce si cette dernière s’en tirait mieux avec une restructuration que sans, mais c’est quelque chose dont tout le monde a conscience.
Le comportement de la BCE n’est pas surprenant. Ainsi qu’on le voit ailleurs, les institutions qui n’ont pas à rendre des comptes de manière démocratique peuvent être la proie d’intérêts particuliers. C’était vrai avant 2008. Malheureusement pour l’Europe et pour l’économie mondiale, le problème n’a pas été résolu depuis.
Joseph Stiglitz : Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Joseph Stiglitz est prix Nobel d’économie et professeur à l’université de Colombia à New-York. Il a écrit Le triomphe de la cupidité.
« Chaque société tend à privilégier les discours en affinité élective avec ses valeurs »
Roland Gori. L’initiateur de l’Appel des appels sera à Montpellier le 22 février pour évoquer son dernier livre. Il est professeur émérite de psychopathologie clinique à l’université d’Aix-Marseille et psychanalyste. Entretien.
Face aux nouvelles formes de la censure sociale, vous exprimez dans votre dernier livre la nécessité de dire et de partager notre expérience, mais cette censure sociale s’appuie sur une insécurité sociale en pleine croissance…
A l’heure actuelle nous nous trouvons face à une nouvelle étape du capitalisme qui « financiarise » les activités sociales et culturelles. L’Appel des appels montre à travers l’exemple des praticiens dans l’éducation, le soin, la justice, ou le journalisme, comment ces professionnels sont victimes d’une double violence. La violence économique matérielle : celle qui réduit les conditions d’existences sociales en insufflant toujours davantage de précarité et qui contribue au recul de leur statut, économiquement parlant. Et celle de la violence économique symbolique, au sens de Bourdieu, qui s’attaque à leur capital symbolique.
L’hégémonie économique, celle des marchés, s’exerce aussi sur la sphère politique en imposant une idéologie unique qui piétine les valeurs humaines. Au-delà de l’indignation, comment appliquer la réaffirmation subjective, que vous appelez de vos vœux, de manière collective ?
La question de la dignité se confronte aux nouvelles certitudes de l’évaluation. C’est une nouvelle forme de censure qui ne s’exerce plus sur les contenus mais sur les canaux de transmission. Aujourd’hui se sont les systèmes informatiques qui coordonnent la confiscation de la pensée au profit du numérique. Les classes moyennes se retrouvent prolétarisées au sens marxiste du terme. Le collectif n’est rien d’autre que le sujet de l’individu. C’est la même matrice qui contrôle la gestion des finances de l’Etat et l’évaluation des individus qui commence maintenant dès la gestation pour finir à la tombe. On pense en terme de prime d’assurance et cela concerne aussi bien les individus que le collectif. Il faut se réapproprier une certaine indépendance du politique par rapport à la logique du marché qui a colonisé les champs sociaux, politiques et culturels.
L’espace démocratique vous paraît-il menacé par le mécanisme européen de stabilité que le gouvernement s’apprête à constitutionaliser ?
Cela me paraît un enjeu extrêmement important face à la crise d’autorité du politique. Le mécanisme européen de stabilité et la règle d’or instaurent un dispositif de contrôle au nom d’une l’idéologie économique, que j’estime, par ailleurs, pas rentable. Si on inscrit cette règle comptable dans la constitution, on ne pourra plus réfléchir à ce que l’on fait. C’est le renversement entre la fin et les moyens. Dans cette configuration, les moyens sont leur propre fin. La démocratie fondée sur la distribution de la parole a évolué vers une démocratie d’expertise de l’opinion qui dépossède le citoyen de sa participation politique. Avec le contrôle et/ou la complicité des médias, on met en scène des faits divers pour adopter des lois en faisant croire que ces décisions sont exemptes de parti pris politique ».
Recueilli par Jean-Marie Dinh
Invité par la Librairie Sauramps Roland Gori donnera une conférence merc 22 février à 19h salle Pétrarque. Dernier ouvrage paru : La Dignité de penser, éditions LLL, 16 euros.
Les ressources de la planète peuvent nourrir 12 milliards d’humains, mais la spéculation et la mainmise des multinationales sur les matières premières créent une pénurie. Conséquence : chaque être humain qui meurt de faim est assassiné, affirme Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation. Il dénonce cette « destruction massive » par les marchés financiers. Des mécanismes construits par l’homme, et que l’homme peut renverser. Entretien réalisé par Élodie Bécu pour Bastamag.
Basta ! : Craignez-vous que la crise financière amplifie celle de la faim dans le monde ?
Jean Ziegler : Tous les cinq secondes, un enfant de moins de 10 ans meurt de faim. Près d’un milliard d’humains sur les 7 milliards que compte la planète souffrent de sous-alimentation. La pyramide des martyrs augmente. À cette faim structurelle, s’ajoute un phénomène conjoncturel : les brusques famines provoquées par une catastrophe climatique – comme en Afrique orientale, où 12 millions de personnes sont au bord de la destruction – ou par la guerre comme au Darfour. En raison de la crise financière, les ressources du Programme alimentaire mondial (PAM), chargé de l’aide d’urgence, ont diminué de moitié, passant de 6 milliards de dollars à 2,8 milliards. Les pays industrialisés ne paient plus leurs cotisations car il faut sauver la Grèce, l’Italie et les banques françaises. Une coupe budgétaire qui a un impact direct sur les plus démunis. Dans la corne de l’Afrique, le PAM est contraint de refuser l’entrée de ses centres de nutrition thérapeutique à des centaines de familles affamées qui retournent dans la savane vers une mort presque certaine.
Et les financiers continuent de spéculer sur les marchés alimentaires. Les prix des trois aliments de base, maïs, blé et riz – qui couvrent 75 % de la consommation mondiale – ont littéralement explosé. La hausse des prix étrangle les 1,7 milliard d’humains extrêmement pauvres vivant dans les bidonvilles de la planète, qui doivent assurer le minimum vital avec moins de 1,25 dollar par jour. Les spéculateurs boursiers qui ont ruiné les économies occidentales par appât du gain et avidité folle devraient être traduits devant un tribunal de Nuremberg pour crime contre l’humanité.
Les ressources de la planète suffisent à nourrir l’humanité. La malnutrition est-elle seulement une question de répartition ?
Le rapport annuel de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) estime que l’agriculture mondiale pourrait aujourd’hui nourrir normalement 12 milliards d’humains [1], presque le double de l’humanité. Au seuil de ce nouveau millénaire, il n’y a plus aucune fatalité, aucun manque objectif. La planète croule sous la richesse. Un enfant qui meurt de faim est assassiné. Il n’est pas la victime d’une « loi de la nature » !
Au-delà de la spéculation, quelles sont les autres causes de la faim dans le monde ?
Tous les mécanismes qui tuent sont faits de main d’homme. La fabrication d’agrocarburants brûle des millions de tonnes de maïs aux États-Unis. L’océan vert de la canne à sucre au Brésil mange des millions d’hectares de terres arables. Pour remplir un réservoir de 50 litres de bioéthanol, vous devez brûler 352 kg de maïs. Au Mexique ou au Mali, où c’est l’aliment de base, un enfant vit une année avec cette quantité de maïs. Il faut agir face au réchauffement climatique, mais la solution ne passe pas par les agrocarburants ! Il faut faire des économies d’énergies, utiliser l’éolien, le solaire, encourager les transports publics.
Autre élément : le dumping agricole biaise les marchés alimentaires dans les pays africains. L’Union européenne subventionne l’exportation de sa production agricole. En Afrique, vous pouvez acheter sur n’importe quel étal des fruits, des légumes, du poulet venant d’Europe à quasiment la moitié du prix du produit africain équivalent. Et quelques kilomètres plus loin, le paysan et sa famille travaillent dix heures par jour sous un soleil brûlant sans avoir la moindre chance de réunir le minimum vital.
Et la dette extérieure des pays les plus pauvres les pénalise. Aucun gouvernement ne peut dégager le minimum de capital à investir dans l’agriculture, alors que ces États ont un besoin crucial d’améliorer leur productivité. En Afrique, il y a peu d’animaux de traction, pas d’engrais, pas de semences sélectionnées, pas assez d’irrigation.
Enfin, le marché agricole mondial est dominé par une dizaine de sociétés transcontinentales extrêmement puissantes, qui décident chaque jour de qui va vivre et mourir. La stratégie de libéralisation et de privatisation du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque mondiale et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a ouvert la porte des pays du Sud aux multinationales. La multinationale Cargill a contrôlé l’an dernier 26,8 % de tout le blé commercialisé dans le monde, Louis Dreyfus gère 31 % de tout le commerce du riz. Ils contrôlent les prix. La situation est la même pour les intrants : Monsanto et Syngenta dominent le marché mondial – donc la productivité des paysans.
Que faire face à cette situation ?
Ces mécanismes, faits de main d’homme, peuvent être changés par les hommes. Mon livre, Destruction massive, Géopolitique de la faim, malgré son titre alarmant, est un message d’espoir. La France est une grande et puissante démocratie, comme la plupart des États dominateurs d’Europe et d’Occident. Il n’y a pas d’impuissance en démocratie. Nous avons toutes les armes constitutionnelles en main – mobilisation populaire, vote, grève générale – pour forcer le ministre de l’Agriculture à voter pour l’abolition du dumping agricole à Bruxelles. Le ministre des Finances peut se prononcer au FMI pour le désendettement total et immédiat des pays les plus pauvres de la planète.
La crise de la dette européenne rend cette position plus difficile à envisager…
Elle complique la situation. Mais la taxe Tobin, quand elle a été proposée par Attac il y a quinze ans, était qualifiée d’irréaliste. Aujourd’hui, elle est discutée par le G20 ! Les organisations internationales sont obligées de constater la misère explosive créée par la hausse des prix des matières premières. Un chemin se dessine. Nous avons un impératif catégorique moral – au-delà des partis, des idéologies, des institutions, des syndicats : l’éveil des consciences. Nous ne pouvons pas vivre dans un monde où des enfants meurent de faim alors que la planète croule sous les richesses. Nous ne voulons plus du banditisme bancaire. Nous voulons que l’État à nouveau exprime la volonté du citoyen, et ne soit pas un simple auxiliaire des entreprises multinationales. Ces revendications créent des mouvements dans la société civile.
La crise ne risque-t-elle pas de provoquer une montée du populisme en Europe, plutôt qu’un nécessaire sursaut des consciences ?
La lutte est incertaine. Le chômage et la peur du lendemain sont les terreaux du fascisme. Mais il y a une formidable espérance à la « périphérie », comme le montrent les insurrections paysannes pour la récupération des terres que les multinationales se sont appropriées au nord du Brésil et du Sénégal, au Honduras ou en Indonésie. Si nous arrivions à faire la jonction, à créer un front de solidarité entre ceux qui luttent à l’intérieur du cerveau de ces monstres froids et ceux qui souffrent à la périphérie, alors l’ordre cannibale du monde serait abattu. J’ai d’autant plus d’espoir que l’écart entre Sud et Nord se réduit, parce que la jungle avance. La violence nue du capital était jusqu’ici amortie au Nord, par les lois, une certaine décence, la négociation entre syndicats et représentants patronaux. Aujourd’hui, elle frappe ici les populations humbles. Il faut montrer la voie de l’insurrection et de la révolte.
À lire : Jean Ziegler, Destruction massive : Géopolitique de la faim, 2011, Éditions du Seuil, 352 pages, 20 euros.
Notes [1] Selon les critères de l’Organisation mondiale de la santé : 2 200 calories par individu et par jour.
Jean Ziegler à Montpellier. Il sera l’invité de la librairie Sauramps mardi 17 Janvier 2012
à 17h30 : Conférence exceptionnelle de Jean Ziegler sur le thème : « Géopolitique de la faim dans le monde » – suivie d’une séance de dédicaces. Dans le cadre du cycle de conférences Les CultureSciences. > Montpellier SupAgro – Campus de La Gaillarde – Amphithéâtre Philippe Lamour – 2 place Pierre Viala – Montpellier (Entrée libre)
Mise en scène signé Greenpeace du "mariage" de Merkel et de Sarkozy
L’accord – ou plutôt le compromis – laborieusement trouvé à l’issue du « double » sommet européen des 23 et 26 octobre, aussi indispensable soit-il, ne saurait dissimuler une réalité : le moteur franco-allemand est cassé et l’un des enjeux de l’élection présidentielle est d’en restaurer le dynamisme et d’en promouvoir la rénovation. La mise en scène systématique par la diplomatie française des rencontres et sommets franco-allemands, de plus en plus convoqués à la hâte, au point d’irriter jusqu’au plus haut niveau nos partenaires d’outre-Rhin, ne suffit plus à cacher un malaise inquiétant et croissant entre les deux pays… Contrairement à ce que l’on essaie de faire croire en France, surtout à la veille de l’échéance de l’élection présidentielle où tout est bon pour tenter de se (re)présidentialiser.
A première vue, la récente discorde a pu apparaître de nature presque « technique » autour du statut et de l’évolution du Fonds européen de stabilité financière (FESF), de l’ampleur de la décote à appliquer dans le procédé de restructuration de la dette grecque ou de la manière de réaliser la recapitalisation des banques. Or, cette tension brutale entre l’Allemagne et la France résulte d’un processus plus profond d’éloignement qui comporte un risque réel de fracture.
C’est un aspect largement occulté en France. Il n’en sous-tend pas moins toute une partie de la réflexion à la fois diplomatique et intellectuelle outre-Rhin, qui commence, notamment par médias interposés, à « infuser » dans l’opinion publique allemande – puisque seulement 18 % des Allemands considèrent aujourd’hui la France comme « partenaire privilégié », alors qu’ils étaient 41 % en 2005.
Ainsi, l’un des historiens allemands les plus en vue, Eckart Conze, a récemment signé un ouvrage sur l’histoire contemporaine de l’Allemagne intitulé « La Recherche de la sécurité » (Die Suche nach Sicherheit, éd. Siedler Verlag, 2009) dans lequel on peut lire : « L’accession à la présidence de la République en mai 2007 de Nicolas Sarkozy – dont la politique européenne se caractérise par une nette revendication à dominer les autres, comme l’a illustré la présidence française de l’Union européenne en 2008 – plaide dans le cas de l’Allemagne contre une orientation trop exclusivement franco-allemande en matière de politique européenne. »
Une autre grande plume, Christian Hacke, spécialiste d’histoire diplomatique, déplore dans son étude sur « La politique étrangère de la République fédérale » (Die Außenpolitik der Bundesrepublik Deutschland, éd. Ullstein Taschenbuchvlg, 2003) qu’en « Allemagne, l’importance de la relation franco-allemande continue à être surestimée, la France cherchant à travers l’Union européenne à profiter économiquement de l’Allemagne… »
Dans ce processus d’éloignement, deux niveaux doivent être distingués : d’une part, le décalage entre les deux économies, qui débouche curieusement en France à la fois sur une sorte de complexe et sur une envie frénétique d’imiter le « modèle allemand », ce que ne demande d’ailleurs pas l’Allemagne qui, pour sa part, a tendance à s’appuyer sur sa réussite économique pour faire prévaloir ses vues ; et d’autre part, la perception et la présentation de plus en plus manifeste chez nos partenaires allemands d’une France en déclin dont l’obsession serait de « se faire valoir » et de renouer avec une grandeur passée.
La première dimension est la plus souvent évoquée ; elle n’en est pas moins mal connue car reposant sur des erreurs ou des malentendus plus ou moins volontairement entretenus. Les différences entre les performances macroéconomiques des deux pays méritent d’être rappelées.
Sur les cinq dernières années, l’Allemagne enregistre une croissance cumulée de 8,6 %, la France, de 5,6 %, dont un pic de différentiel en 2010, avec des taux de croissance respectifs de 3,6 % et 1,5 %. L’excédent du commerce extérieur allemand a atteint l’année dernière 154 milliards d’euros contre un déficit de 51 milliards en France. Le taux de chômage est passé à 6,6 % en Allemagne, soit trois points de moins qu’en France.
La politique de consolidation des finances publiques engagée par Berlin depuis le milieu des années 2000 porte ses fruits : le déficit public est repassé en 2011 sous la barre des 3 % du PIB en Allemagne, alors qu’il atteint 5,7 % du PIB en France. Même en matière d’endettement, les dernières données disponibles indiquent que l’Allemagne fait mieux que la France, alors qu’elle doit encore supporter les charges de l’unification.
Si personne ne conteste l’écart économique entre l’Allemagne et la France, il existe un débat sur les origines des performances allemandes et de l’écart de compétitivité entre les deux pays. Certains mettent en avant, de manière quasi exclusive, la baisse du coût du travail en Allemagne liée à la modération salariale des dernières années. Or, s’il y a bien eu modération salariale en Allemagne ces dernières années, conduisant à un recul du salaire réel moyen de 4,5 % entre 2000 et 2009, contre une augmentation de 8,6 % en France, la tendance s’inverse : entre 2010 et 2011, le salaire réel moyen déduit de l’inflation a augmenté de 1,9 %. Surtout : l’argument du coût salarial ne vaut pas pour le secteur où l’économie allemande est la plus performante, l’industrie, puisque le coût d’une heure travaillée y atteint 34 euros outre-Rhin contre 33 en France ! Certes, dans le secteur marchand, l’Allemagne a maintenant un léger avantage puisque l’heure travaillée revient à 30 euros contre 32 en France. Il y a une vérité que certains économistes français ont encore du mal à accepter : l’Allemagne a une économie performante avec un coût du travail qui reste élevé.
Ce sur quoi l’on insiste moins en France, à tort, ce sont les avantages structurels sur lesquels s’appuie l’essor de l’économie allemande : tout d’abord, un effort très important en matière d’innovation qui a conduit à ce que l’Allemagne réalise aujourd’hui des dépenses de recherche et développement à hauteur de 2,8 % du PIB contre 2,2 % en France ; ensuite, une stratégie industrielle qui a permis de maintenir, voire de renforcer, au coeur du tissu économique l’industrie, qui représente 25 % du PIB contre 14 % pour la France, notamment du fait des performances de « grosses » petites et moyennes entreprises (PME), qui sont deux fois plus nombreuses en Allemagne qu’en France dans la catégorie des « plus de 500 salariés » ; puis une stabilisation depuis 2000 du niveau de la part dans le commerce mondial équivalant à 8,3 % des exportations mondiales, contre un recul de celui de la France, tombé à 3,4 % ; et enfin, une réforme de l’Etat providence engagée à partir des années 2004-2005 – notamment dans les domaines du marché du travail, de la santé et des retraites -, dont les économistes, même les plus keynésiens, pensent qu’elle est à l’origine d’un tiers de la croissance actuelle.
C’est à partir de là que s’est développé en Allemagne ce que les dirigeants de droite comme de gauche appellent la « culture de la stabilité », notion quasi identitaire qui revient dans le langage sous des appellations diverses comme « union de la stabilité » (souvent opposée à « union de transfert »). C’est au nom de cette « culture de la stabilité » que sont élaborées les positions allemandes en matière de politique européenne auxquelles la France se heurte d’autant plus durement qu’elle est, notamment du fait de ses mauvaises performances économiques, perçue outre-Rhin comme un pays en déclin.
C’est la seconde dimension qu’il convient d’évoquer, moins perceptible de France mais presque plus grave, car plus profonde. Il existe en Allemagne l’image d’une France affaiblie, doutant d’elle-même et de son statut en Europe et dans le monde, incertitude qu’elle aurait tendance à vouloir compenser par une forme de crispation et de gesticulation. Concernant la France, les thèmes de la « mise en scène » et de la « crispation » sont depuis plusieurs années un des sujets préférés de la presse allemande et des médias en général, souvent mis en relation avec une interrogation sur sa capacité à exercer un leadership auquel plus rien ne la prédestinerait dans une Europe élargie.
Deux exemples illustrent cette perception. Dans son édition du 19 septembre, l’hebdomadaire Der Spiegel décrit la France comme une nation fière ayant « toujours revendiqué le rôle de visionnaire en Europe », mais dorénavant soucieuse de « cacher sa faiblesse » puisqu’elle figure sur « la liste des pays malades et immobiles ». Cette présentation n’est pas isolée, comme l’attestent plusieurs articles sur la France parus à la même période, à l’instar de celui publié par le quotieidn Frankfurter Rundschau du 12 août et intitulé « La grande nation toute petite », allusion au contraste entre la volonté de jouer dans la cour des grands et une réalité économique traduisant l’affaiblissement du pays.
La perception d’une France affaiblie en quête d’un nouveau rôle, loin d’être conjoncturelle, est une lame de fond. Ainsi, au sujet des difficultés – voire de l’enlisement – de l’Union européenne pour la Méditerranée, l’un des grands éditorialistes du Frankfurter Allgemeine Zeitung, Günther Nonnenmacher, observait le 4 février à la une du journal que l’échec était patent, notamment parce que Paris avait voulu s’en servir pour accroître son propre prestige en Europe en en faisant « un contrepoids à l’influence croissante des pays du Nord et de l’Est ».
Ce déséquilibre tant dans la perception de « l’autre » que dans les performances économiques risque de miner la relation franco-allemande. En effet, cette relation, plus que toute autre, requiert un équilibre, tant pour des raisons historiques que pour des raisons propres à l’avenir de l’Union européenne.