Les deux grands chorégraphes Israel Galvan et Akram Khan.
Montpellier Danse. « Torobaka », en référence au toro et à la vache, rencontre de deux animaux sacrés et deux maîtres.
Sur le papier la rencontre Israel GalvanAkram Khan programmée sur la scène du Corum peut paraître vendeuse et elle l’est comme on l’a constaté avec l’engouement du public qui a empli la grande salle de l’Opéra Berlioz deux soirées d’affilée. Au delà de l’événement, la création Torobaka répond à une longue fidélité du festival envers ces deux artistes qu’il a contribué à faire découvrir. Elle conforte aussi la place de Montpellier en tant qu’espace de rencontre et de création. Lieu singulier en Europe où la danse contemporaine pétille, se cherche, prend des risques, innove.
Ici, ces dispositions ne sont pas que des mots. Elles concourent à la qualité du spectacle offert par les deux artistes exigeants qui ne se contentent pas de jouer sur l’effet de notoriété cumulé. C’est une vraie rencontre qui se déroule sur scène entre deux grands chorégraphes.
Chacun se livre pleinement au jeu de cette confrontation de culture avec la force et l’irrévérence créative qui les caractérise individuellement. Israel Galvan que des fées sévillanes ont trempé bébé dans l’essence du flamenco pour lui donner le don de s’émanciper de la gestuelle traditionnelle, poursuit son exploration.
Akram Khan Britannique d’origine bangladaise chorégraphe de la mondialisation inspiré par la danse kathak de l’Inde du nord semble happé par des esprits païens.
Les deux chorégraphes s’imprègnent mutuellement de leur énergie. Partagent les planches avec la complicité rythmique de leurs musiciens et chanteurs dont B.C. Manjunath, grand maître des percussions vocales et instrumentales. Chacun apporte sa langue, vibrante, sèche, et pointue chez Galvan, ronde, souple, et envoûtante chez Khan, et les deux corps conducteurs habités par une lointaine mémoire nous emportent, très loin.
La 35e édition du festival débute ce mercredi 24 juin. Jusqu’au 9 juillet, le monde contemporain se croise pour dresser un état de la scène chorégraphique du local aux frontières lointaines.
Ouvert sur le territoire local avec une présence renforcée dans la Métropole et toujours foncièrement international, le Festival Montpellier danse qui débute aujourd’hui reçoit cette année des chorégraphes venant de treize pays différents : (Canada, Colombie, États-Unis, France, Italie, Allemagne, Belgique, Grande-Bretagne, Espagne, Pays-Bas, Israël, Maroc, Turquie). Jean-Paul Montanari, le directeur du festival, maintient depuis les premiers pas de l’événement un état de veille sur le monde de la danse qui fait du festival un moment incontournable pour la scène chorégraphique.
Comme tous les grands rendez-vous de ce type, il est aussi question de porter à la lumière la vitalité des jeunes chorégraphes. A l’instar de la jeune marocaine Bouchra Ouizguen dont la recherche permanente pose l’épineux problème du corps et plus généralement de la place de la femme dans la société marocaine. Au contact de Matilde Monnier et de Boris Charmatz, la chorégraphe qui ne craint pas de déranger s’est confrontée aux pratiques d’écriture occidentales, et bénéficie depuis plusieurs années de la fenêtre que lui ouvre Montpellier Danse sur le monde.
Autre chorégraphe porteuse de renouveau, Phia Ménard sera cette année à l’affiche avec sa création Belle d’Hier. La pièce entend travailler sur la disparition d’un mythe, par sa transformation; en l’occurrence celui du prince charmant. De formation circassienne Phia Ménard participe à la rencontre et à la redéfinition des deux arts du mouvement que sont la danse et le cirque. Elle ouvre un champs émotionnel et poétique prometteur.
Fruit d’un savant dosage, la programmation offre également l’occasion de retrouver quelques grands noms de l’histoire chorégraphique. A commencer par le spectacle de ce soir, la création Extremalism du duo italo-hollandais Emio Greco et Pieter C.Scholten tout fraîchement nommés au Ballet national de Marseille. Autre duo de taille Israel Galvan et Akram Khan, présenteront leur création Torobaka où jouteront les influences du kathak indien et la virtuosité du flamenco. On attend aussi la présence des maîtres reconnus, Anne Teresa de Keersmaeker, Ohad Naharin, et Maguy Marin dont les oeuvres ont modifié le sens conféré au concept d’espace.
A l’heure où le Festival débute sa 35e édition, il paraît peu opportun de se questionner sur l’état de la danse contemporaine. Peut être parce que le chiffre 35 parle de lui-même et que cette interrogation sur la crise de l’expression chorégraphique paraît datée.
En vertu du rapport étroit qu’elle entretient avec la notion d’immanence, la danse contemporaine a toujours été un laboratoire d’actions nouvelles. La danse est par ailleurs un puissant stimulant de l’activité réceptrice, notamment dans les arts du spectacle vivant. Que l’on constate l’apport de la danse au théâtre, à la musique ou encore au cirque, pour apprécier les bienfaits transmis dans le rapport à l’espace au mouvement et au temps.
La danse se dessine dans un mouvement qui porte son propre tracé et situe la place du corps en modifiant l’espace. Il ne faut donc pas tenir à comprendre mais inventer un nouveau sens. A ce titre, la place que Montpellier danse accorde à la création demeure un critère incontournable avec 14 créations à découvrir.
Comme le ferait dire l’auteur Jérôme Ferrari à un de ses personnages, la danse contemporaine répond, à sa façon, au principe physique de l’incertitude.
Fiest’A Sète. Le festival de musiques du monde s’achève ce soir avec deux invités d’exception : Trilok Gurtu et Susheela Raman.
Dernière soirée de concerts Fiest’A Sète ce soir au Théâtre de la Mer sous le signe de l’Inde et de l’ouverture qu’incarnent les deux artistes invités. A commencer par le maître des percussions Trilok Gurtu dont les tablas ont épicé et illuminé les performances de quelques-uns des plus grands noms du jazz des quatre dernières décennies. Se référer à la discographie du personnage et à ses multiples collaborations à de quoi faire tourner la tête. Ce génie oeuvre pour la rencontre des genres en se situant au croisement entre musique classique indienne, jazz, funk, pop, et électro.
En 1973, Trilok Gurtu, rejoint par le trompettiste Don Cherry quitte son pays natal. Il n’a cessé depuis de travailler à rapprocher les sources de la musique indienne aux autres continents, Europe, Amérique Afrique. Ses propres disques révèlent une science sidérante de la composition et des arrangements, doublée d’une rare ouverture musicale. Entre deux tournées, Trilok retourne chaque année parfaire son enseignement auprès de son maître indien, signe d’une humilité et d’une passion hors du commun.
Libre Susheela Raman
La chanteuse anglaise d’origine indienne Susheela Raman nous revient avec son nouvel album Queen Between qui poursuit le pont que son œuvre construit entre le rock occidental et la musique indienne. Après avoir approché les chants extatiques tamouls sur son dernier disque, elle se rapproche des traditions soufies en jouant avec des musiciens qawwal (1), rajasthani. Dans une démarche libre et ouverte qui ne cède ni aux contraintes rituelles de la tradition ni au référentiel religieux que prennent parfois les orientations musicales culturellement métissées, à partir d’un système islamiquement normé défini par le religieux.
Pas plus d’ailleurs qu’aux contraintes politiques qui résultent de la partition du sous continent indien en 1947 (2). Les musiciens pakistanais qawwals et ceux du Rajasthan que Susheela a réunis pour son disque ne travaillent plus trop ensemble alors qu’ils partagent des références culturelles et musicales communes. Le partage est aussi social entre musiciens classiques et ceux issus de la musique populaire. Susheela priorise l’énergie et la musique pour abolir les distances et faire tomber les préjugés.
A l’écoute, quelque chose de nouveau prend forme qui apaise l’âme et invite à voyager dans un autre univers. La voix époustouflante de profondeur et de variation de Susheela évoque la plénitude et la beauté.
JMDH
(1) Le qawwali, chant musulman sacré du XIIème siècle.
(2) Ce bouleversement politique s’est accompagné de gigantesques transferts de populations (6 M de musulmans quittent l’Inde que rejoignent 4 M d’hindous).
Plaza Francia sur le territoire passionnel
La soirée Tango de Fiest’A Sète a eu lieu à guichets fermés. La faute aux dieux du bandonéon.
Une ouverture en douceur sur les ballades folk de la jeune argentine Natalia Doco qui apparaît sur le devant de la scène avec son premier album Freezing. La fraîcheur de cette chanteuse née à Bunos Aires et vivant à Paris rompt avec l’image quelque peu trempée qu’ont laissée ses compatriotes fuyant la dictature. Un souffle nouveau comme aime à les propulser le festival. Malgré le charme déployé et les couleurs acidulées musicalement goûteuses, le bonbon ne fond pas encore dans la bouche. Devant un Théâtre de la Mer plein à craquer, il était évidemment difficile de rivaliser avec l’Art raffiné de Plaza Francia.
Nouvelle formation certes mais déjà très expérimentée. Le groupe est issu d’un projet dont l’origine revient à l’Argentin Eduardo Makaroff et au Suisse Christoph Müller, deux des fondateurs du Gotan Project, qui ont demandé à Catherine Ringer de venir à la rescousse bâtir avec eux un album de tango*. Voyez la coupure… Dès les premières notes, superbement servies par la création lumière, l’alliance des styles singuliers fait son effet. Avec une passionnelle sobriété Catherine Ringer, qui célébrait déjà l’Amérique latine en rendant hommage à la chorégraphe argentine Marcia Moretto sur son célèbre Marcia Baila, campe la scène avec une élégance et une présence pleine et entière.
A ses côtés, Mu?ller et Makaroff, en quête d’aventures s’offrent une virée libre qui allie pop, tango et musique électronique. Simplicité, feeling et expression dramatique de la violence et de la douleur sont au rendez-vous. Plaza Francia s’affranchit des codes et des genres pour en inventer un nouveau. Le concert intègre des morceaux de Gotan Project et des Ritas Mitsouko et porte le public aux anges.
Les dieux du tango devaient s’ennuyer, ils ont favorisé cette rencontre qui innove autant qu’elle coule de source.
Qui sont les principaux candidats à l’élection présidentielle afghane ? Le candidat de l’opposition a-t-il une chance d’être élu ? Quels sont les enjeux de cette élection ?
11 candidats se présentent à l’élection présidentielle d’avril prochain. Parmi eux, on peut distinguer quatre candidats qui ont l’espoir de l’emporter. Il s’agit de Dr Abdullah Abdullah, ancien ministre des Affaires étrangères et ancien candidat à l’élection présidentielle en 2009, de Ashraf Ghani, ancien ministre et ancien fonctionnaire de la Banque mondiale, de Zalmai Rassoul, le dernier ministre des Affaires étrangères, et de Abdul Rasul Sayyaf, ancien chef de guerre, accusé par certaines ONG de défense des droits de l’homme de massacre de civils et de crimes de guerre. On peut ajouter également parmi les favoris, Abdul Qayum Karzaï, le frère de président sortant.
Avant de connaitre les noms des autres candidats, Dr Abdullah apparaissait comme favori car il avait réussi à former une grande alliance politique regroupant les principaux anciens chefs de guerre ou chefs de partis opposés à Hamid Karzaï. Il bénéficiait également du discrédit du président sortant, son rival à l’élection présidentielle de 2009. Pourtant, cette alliance n’a pas résisté au jeu de pouvoir dans un pays où les partis politiques n’existent pas réellement et où le changement d’alliance est la règle. Ainsi, on a vu le fameux général Dostom, chef de guerre de la communauté ouzbek, se rallier à la candidature de Ashraf Ghani, l’homme qui considérait son nouvel allié comme un criminel de guerre. C’est aussi le cas du frère de l’ancien commandant Ahmed Shah Massoud, dont le Dr Abdullah était le lieutenant, qui a choisi de soutenir Zalmai Rassoul. Il souhaite être le premier vice-président en cas de victoire. Dr Abdullah a néanmoins comme colistier Mohammad Mohaqiq, l’un des principaux leaders de la communauté hazâra qui vote massivement à chaque élection, contrairement aux zones pachtounes de l’Est et du Sud, zones sous l’influence des Taliban. Il peut également rassembler les jeunes et des organisations de la société civile dans les grandes villes. Ainsi, on ne peut réellement prévoir les résultats de cette élection, étant donné le nombre d’incertitudes.
Cette élection sera un évènement extrêmement important en Afghanistan car, pour la première fois dans l’histoire du pays, on assistera au transfert de pouvoir d’une manière pacifique, grâce à des élections et non pour cause de conflit. Egalement, ce pourrait être la première fois que l’on verrait, si le candidat de l’opposition l’emporte, un non pachtoune gouverner l’Afghanistan depuis sa fondation. Mais plus important encore, si jamais cette élection se déroule d’une manière pacifique, transparente et juste, le prochain président aura une légitimité que son prédecesseur n’avait pas. Le pouvoir se renforcera face aux Talibans qui mettaient toujours en avant la non représentativité et la non légitimité du pouvoir à Kaboul. Le prochain gouvernement afghan sera un interlocuteur plus crédible auprès de la communauté internationale.
Pour quelles raisons une épreuve de force s’est engagée publiquement entre Barack Obama et Hamid Karzaï ?
Depuis qu’il a été décidé que la présence militaire de l’OTAN prendrait fin en 2014, l’Afghanistan a commencé à signer des traités ou des accords de coopération avec de nombreux pays, y compris la France. Celui avec les Etats-Unis prévoyait un accord bilatéral de sécurité avec la présence de 10 000 soldats américains en Afghanistan après 2014, ainsi que le maintien de 9 bases américaines. Cet accord a été approuvé par la plus haute juridiction afghane, la Loya Jirga, et n’attendait que la signature du président afghan pour être effectif. Mais Hamid Karzaï a fait une volte-face inattendue. Depuis six mois, il est entré dans une épreuve de force avec Washington et pose des conditions irréalisables pour sa signature. Après avoir demandé aux Américains de respecter les maisons des Afghans et de mettre fin aux opérations nocturnes, ce que les Américains ont accepté, il leur demande aujourd’hui d’arrêter toutes opérations militaire en Afghanistan car il n’y aurait pas selon lui de terroristes en Afghanistan, mais uniquement au Pakistan, et de négocier immédiatement et ouvertement avec les Taliban, considérés par Hamid Karzaï comme des frères mécontents.
Dans cette épreuve de force entre Barack Obama et Hamid Karzaï, ce dernier est prêt à réécrire entièrement l’histoire de ces 13 ans de guerre en Afghanistan. Dans une interview accordée au Washington Post le 1er mars, Hamid Karzaï a affirmé que cette guerre n’était pas celle des Afghans qui en sont victimes et serait menée dans le seul intérêt des Etats-Unis et de ses alliés. Il est allé encore plus loin en affirmant qu’Al-Qaïda est un mythe et qu’il n’existait pas réellement. Une déclaration qui pourrait inciter Barack Obama à mettre en place l’option zéro, à savoir retirer les soldats américains d’Afghanistan à la fin de cette année, une option qui pourrait être désastreuse pour le maintien de la sécurité en Afghanistan. Comment l’Afghanistan, un pays dont le budget annuel pour 2014 ne dépasse pas les 7 milliards de dollars, pourrait-il faire face seul aux défis économique, social et sécuritaire, lorsqu’on sait que les Etats-Unis y ont dépensé plus de 6 milliards dollars en 2013 ?
Beaucoup d’analystes, notamment afghans, voient les raisons de la tension entre les présidents américain et afghan dans le fait que Karzaï ne peut pas se présenter à un 3e mandat et ne veut pas non plus laisser le pouvoir échapper à son clan et à son influence. Il veut maintenir son influence sur le pays via le prochain président qu’il aurait soutenu. Il essaie ainsi de favoriser deux ou trois candidats pour que l’un d’entre eux arrive au second tour et puisse emporter facilement le scrutin. Il faut noter également, qu’à deux mois d’une élection cruciale, aucune institution internationale n’a annoncé la présence d’observateurs, à l’exception de deux fondations américaines.
Le Pakistan négocie actuellement avec les Taliban pakistanais. Y a-t-il une chance que les négociations aboutissent ? Quel est l’objet principal des discussions ?
On n’en parle pas suffisamment en France, mais le Pakistan souffre énormément des actions des Taliban pakistanais, le Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP ou Mouvement des Taliban du Pakistan). C’est un mouvement qui n’existait pas avant la guerre en Afghanistan. Fondé en 2007, le TTP a rassemblé de nombreuses organisations locales traditionnellement très conservatrices. Sous l’influence de la guerre en Afghanistan et en contact avec des éléments d’Al-Qaïda, il est devenu une force extrêmement organisée, puissante et violente dans les zones tribales et mène des actions sanglantes dans d’autres villes pakistanaises. Depuis 2007, le Pakistan a perdu plus de 3000 soldats dans la lutte contre les Taliban. Ce mouvement est une menace pour la sécurité du pays.
Islamabad, après avoir tenté de les vaincre militairement, essaie de négocier avec eux. Le précédent gouvernement, dirigé par le parti laïc Parti du Peuple du Pakistan, a essayé de le faire sans succès. Le gouvernement actuel du Premier ministre Nawaz Sharif et ses alliés anti-américains tentent de relancer ces négociations. Il existe en effet des canaux réels entre le gouvernement pakistanais et les Taliban. Non seulement la Ligue musulmane du premier ministre mais ses alliés, comme le Mouvement du Pakistan pour la Justice d’Imran Khan ou les islamistes du Muttahida Majlis-e-Amal, ont tous mené la campagne électorale de mai 2013 sous des slogans anti-américains, particulièrement contre les attaques des drones américains sur les positions des Taliban. D’autre part, les Taliban se trouvent confrontés à un éventuel changement en Afghanistan où la perspective d’une solution impliquant les Taliban afghans est réelle. Le gouvernement est conscient de leur faiblesse et, malgré des attentats et des attaques, l’armée a établi une feuille de route. Elle a en effet annoncé qu’à chaque fois qu’il y aurait une action des Taliban, celle-ci serait suivie par une action militaire de l’armée pakistanaise. C’est pourquoi ces derniers jours on a assisté à un escalade des opérations des uns et des autres, mais cela n’a pas empêché le TTP d’annoncer, le 2 mars, un trêve d’un mois pour entamer les négociations. Nous ne connaissons pas l’ordre du jour des pourparlers, on sait seulement que les Taliban ont demandé l’arrêt des opérations militaire et l’application de la charia. Le gouvernement semble être prêt non seulement à reconnaître l’autonomie des zones tribales, déjà effective, mais aussi d’aider au développement de ces zones, les plus pauvres du Pakistan. Quant à l’application de la charia, il faut savoir que le Pakistan est déjà une république islamique, mais une application pure et dure à l’image de ce qui se passe dans les zones contrôlées par les Taliban n’est pas envisageable. Tout en étant un Etat islamique, le Pakistan possède une société civile importante et des institutions solides telles que le pouvoir judiciaire ou la presse. En revanche, le Pakistan pourrait bien accepter l’application de la charia dans les zones tribales autonomes.
Islamabad — Après la première transition démocratique de son histoire, le Pakistan s’apprête à prendre une décision tout aussi cruciale avec le remplacement du chef de son armée, l’institution la plus puissante de ce pays en théorie allié des Etats-Unis dans leur « guerre contre le terrorisme ».
Le général Ashfaq Kayani, nommé en 2007 à la tête de l’armée, puis reconduit en 2010 pour un mandant de trois ans, a annoncé dimanche qu’il allait tirer sa révérence le 29 novembre prochain coupant court aux rumeurs selon lesquelles il cherchait à s’accrocher à son poste.
Sa déclaration ouvre officiellement la course à la chefferie d’une armée de 600.000 hommes confrontée à des défis internes, allant de la montée en puissance des talibans pakistanais à son crédit entamé par le raid de la CIA contre Oussama Ben Laden à Abbottabad, où est établi la principale académie militaire du Pakistan.
A quoi s’ajoutent des enjeux externes comme les relations avec les Etats-Unis et l’Inde rivale, et le rôle du Pakistan dans le futur de l’Afghanistan après le retrait des forces de l’Otan.
Selon des analystes pakistanais, le nouveau chef maintiendra une approche pragmatique avec les Etats-Unis, premier bailleur étranger de l’armée, et tentera aussi de ne pas contrecarrer les efforts politiques pour améliorer les relations indo-pakistanaises.
Un choix stratégique
Le Premier ministre Nawaz Sharif choisira sous peu le nouveau chef de l’armée parmi une liste de candidats fournie par le général Kayani.
Or, M. Sharif, élu en mai Premier ministre pour la troisième fois, devra se montrer prudent, après avoir promu Pervez Musharraf chef des armées à la fin des années 90. Le général Musharraf l’avait remercié en le renversant quelques mois plus tard….
Lors des élections législatives de mai, qui ont permis pour la première fois de l’histoire du pays à un gouvernement issu des urnes de passer le flambeau à un autre après avoir complété un mandat de cinq ans, le général Kayani s’était tenu à l’écart de la joute politique.
« Le mandat de Kayani à la tête de l’armée représente un pas en avant pour la transition démocratique au Pakistan car il a établi une nouvelle référence en dépolitisant le rôle de chef de l’armée », dans un pays ayant connu trois coups d’Etat depuis sa création en 1947, estime l’analyste pakistanais Imtiaz Gul.
Un chef pro-américain
Dans le cercle des intimes, quatre noms circulent pour prendre la relève du général Kayani, dont le lieutenant général Haroon Aslam, chef de la logistique de l’armée qui avait pris part à l’opération militaire contre les rebelles talibans dans la vallée de Swat (nord-ouest) en 2009.
Le général Rashad Mehmood, actuellement chef d’état-major, le lieutenant général Raheel Sharif, chef de l’entraînement et de l’évaluation du personnel, et Tariq Khan, ancien chef des paramilitaires dans le nord du pays ayant mené de nombreuses opérations de contre-insurrection, font aussi partie des favoris.
Malgré des relations houleuses entre le Pakistan et les Etats-Unis, Washington soupçonnant entre autres Islamabad de jouer un « double jeu » dans la lutte contre les combattants islamistes comme l’a démontré l’épisode d’Abbottabad, l’armée pakistanaise reçoit toujours l’aide financière de son allié américain.
Au cours de la dernière décennie, Washington a fourni plus de 23 milliards de dollars en aide au Pakistan, principalement militaire, selon les données du Congrès américain.
« Aucun chef de l’armée ne peut être anti-américain, car l’armée dépend en grande partie de l’aide américaine pour l’équipement et le soutien technique », explique Talat Masood, un général à la retraite. « Chacun des quatre candidats cités maintiendra des relations… » avec les Etats-Unis, pense-t-il.
Le prochain chef de l’armée cherchera certainement à « normaliser les relations avec l’Inde » afin de concentrer ses ressources sur les zones tribales près de la frontière afghane, sanctuaire des talibans pakistanais qui multiplient depuis leur création en 2007 les attaques contre les forces pakistanaises, estime M. Masood. « L’armée ne peut être engagée sur deux fronts à la fois », résume-t-il.
Ce qui reste moins clair toutefois est de savoir ce que peut faire l’armée pour juguler l’influence des insurgés locaux. Le général Kayani soutient l’offre de dialogue du gouvernement aux insurgés, mais le soutien populaire à cette politique de la main tendue s’est érodé depuis une vague récente d’attentats.