Malgré les menaces des talibans, 60 % des 86 millions d’électeurs pakistanais se sont rendus aux urnes samedi pour élire leurs députés. Nawaz Sharif, ancien premier ministre à la tête de la Ligue musulmane du Pakistan, a revendiqué la victoire.
Elections au Pakistan. AFP
Samedi, à Islamabad, des femmes attendaient pour voter. Les observateurs ont fait état d’une élection « majoritairement pacifique », malgré les cinq attentats qui ont fait 21 morts à travers le pays.
Les talibans avaient prévenu. Quiconque participerait au processus démocratique pourrait y laisser sa vie. Pourtant, dans tout le pays, des files d’attente se formaient samedi devant les bureaux de vote. Les Pakistanais étaient appelés à choisir les 342 députés qui siégeront à l’Assemblée nationale et ceux des quatre assemblées provinciales. Ils éliront ensuite le premier ministre.
Pour la première fois depuis l’indépendance du Pakistan en 1947, la transition se fait par les urnes et au terme d’un mandat complet de cinq ans. Près de 60 % des 86 millions d’électeurs enregistrés ont pris part à ce scrutin historique, contre 44 % en 2008. Une participation « énorme » selon la commission électorale.
La bombe qui a explosé plus tôt ne semble pas les avoir découragés
À Peshawar, les prospectus menaçants distribués avant les élections par les talibans n’ont pas dissuadé les habitants. Nichée dans la province conservatrice du Khyber Pakhtunkhwa (KP), la ville est souvent touchée par les violences des terroristes logés dans les zones tribales frontalières de l’Afghanistan. « Mais peu de personnes ont vraiment peur des menaces ici », estime Ijaz Khan, officier de police chargé de la sécurité d’un bureau de vote.
De fait, le préau du lycée transformé pour l’occasion ne désemplit pas?; l’un des nombreux hommes présents est en fauteuil roulant. « Il est la preuve que les Pakistanais croient en la démocratie malgré les obstacles?! », plaisante un jeune de 24 ans venu apporter sa voix à Imran Khan, ancien joueur de cricket reconverti dans la politique. À quelques pas de l’urne, Mohammad attend son tour. « Nous voulons une révolution?! », s’emballe-t-il. « Je vote pour que nous ayons tous les mêmes droits. » La bombe qui a explosé plus tôt dans la matinée près d’un bureau de vote ne semble pas les avoir découragés.
Quelques kilomètres plus loin, dans une rue à l’abri des regards, femmes et enfants sont réunis dans une cour d’école. Trois pièces sommairement transformées, quatre officiers de police et près de 1 500 femmes déjà venues voter à la mi-journée. « Je ne pensais pas qu’elles seraient aussi nombreuses à venir », se ravit Naheeda Wasim, responsable du bureau de vote. « La plupart d’entre elles ne savent pas comment ça marche », reconnaît-elle.
Partout, l’affluence était telle que les bureaux de vote ont dû rester ouverts une heure de plus que prévu.
« C’est la première fois que je vote, explique une femme de 60 ans qui en paraît vingt de plus. Je le fais pour la prospérité du pays. J’espère que quelqu’un viendra et nous aidera », explique-t-elle. Dans d’autres circonscriptions du KP, certaines femmes ont toutefois été empêchées d’aller voter selon la Fafen, un organisme indépendant chargé de surveiller la campagne et le scrutin. Les observateurs ont fait état d’une élection « majoritairement pacifique », même si cinq attentats ont eu lieu dans la journée dans plusieurs endroits du pays faisant 21 morts.
Partout, l’affluence était telle que les bureaux de vote ont dû rester ouverts une heure de plus que prévu. Dès la tombée de la nuit, les slogans de victoire de la Ligue musulmane du Pakistan (PML-N) et du Mouvement pour la justice (PTI) résonnaient dans la capitale. Selon des résultats partiels, le PML-N mené par Nawaz Sharif raflerait près de 120 sièges à l’Assemblée. S’il n’obtient pas de majorité, l’ancien premier ministre de centre droit, déchu du pouvoir en 1999 après le coup d’État de Pervez Moucharraf, devra former une coalition.
Le PTI, dont le leader Imran Khan avait beaucoup misé sur les nombreux jeunes primo-votants, a réussi son coup. Il emporte près de 35 sièges, alors qu’il n’en avait qu’un lors des élections de 2002. En revanche, la défaite est cuisante pour le Parti du peuple pakistanais, à la tête de la coalition sortante. Le parti de l’ancien président Ali Asaf Zardari semble avoir payé les frais de son mauvais bilan économique et siégera probablement sur les bancs de l’opposition.
Source La Croix le 12/05/13
Pakistan : Victoire de la droite libérale aux législatives
Nawaz Sharif brigue un troisième mandat de Premier ministre.
La Ligue musulmane du Pakistan (PML-N) est sortie victorieuse des élections législatives de samedi. Son leader, le magnat de l’acier Nawaz Sharif, brigue un troisième mandat de Premier ministre. Le scrutin a été marqué par une participation atteignant 60 %, un record depuis les législatives de 1977, et ce malgré les menaces des talibans. Le Mouvement des talibans du Pakistan s’était opposé aux élections, les jugeant « non islamiques ». Résultat : une série d’attentats dans plusieurs villes du pays, faisant 26 morts et plusieurs dizaines de blessés. Nawaz Sharif, qui avait prôné le dialogue avec les talibans lors de la campagne, soutient maintenant les États-Unis dans leur « guerre contre le terrorisme ». Le double jeu du Pakistan continue…
Source : Politis 16/05/13
Dans la nuit de dimanche à lundi 2 mai, une unité des forces spéciales américaines a abattu Oussama Ben Laden dans la ville pakistanaise d’Abbottabad.
La deuxième mort du fondateur d’Al-Qaida
Le hasard fait, parfois, bien les choses. L’homme qui a incarné le djihadisme international meurt au moment où le « printemps arabe » vient de porter un coup à ce fantasme totalitaire. Dès lors que les peuples arabes se révoltent au nom de la démocratie et non de l’islamisme ou du retour au califat prônés par Al-Qaida, Oussama Ben Laden était un moribond politique.
C’est presque la deuxième mort du fondateur d’Al-Qaida qu’a annoncée dimanche soir 1er mai le président Barack Obama, en indiquant qu’un commando américain avait tué Ben Laden au Pakistan.
Le premier avis de décès, politique celui-ci, du dissident saoudien, on pouvait le lire dans les slogans des manifestants de Tunis et du Caire. Y transparaissaient non pas la haine de l’Occident, « des croisés et des juifs », la haine de l’Amérique, cris de ralliement habituels de Ben Laden, mais un désir de liberté et de démocratie, deux « valeurs » abhorrées par le chef djihadiste. Dans le monde arabe, au moins, Ben Laden avait perdu la bataille : la révolte en cours ne célèbre pas l’islamisme, cette illusion mortelle que portait le chef d’Al-Qaida selon laquelle le retour au califat et à l’islam des origines est la réponse à tous les problèmes des pays musulmans – voire à ceux du monde entier.
Ben Laden meurt au moment où la capacité de mobilisation et d’entraînement de l’islamisme est sur le déclin. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura plus d’attentats. Ni même qu’Al-Qaida et ses filiales maghrébine et sahélienne ne séviront plus. Il y aura toujours des groupes se réclamant de la marque pour tuer et enlever, ici et là. Le Maroc vient d’en faire l’expérience. Ce culte de la violence la plus aveugle n’est pas le seul héritage laissé par Ben Laden. L’homme qui disparaît a profondément marqué – pour le pire – ce début de XXIe siècle. Oussama Ben Laden, ce fils d’une riche famille saoudienne qui fit ses premières armes dans la lutte contre les Soviétiques en Afghanistan, a façonné le paysage stratégique qui est le nôtre.
Parce qu’ils ont cru devoir répondre par la guerre aux attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis sont toujours empêtrés dans deux conflits : en Irak et, surtout, en Afghanistan. Ces aventures les ont épuisés militairement, budgétairement ; elles ont durablement terni leur image dans le monde arabo-musulman. M.Obama va pouvoir tirer profit aux Etats-Unis de l’élimination de Ben Laden; il n’en reste pas moins enlisé dans l’imbroglio afghan.
L’héritage encore : Al-Qaida a prouvé qu’un petit groupe pouvait perpétrer un crime de masse. Si Ben Laden, doté d’une arme chimique ou biologique, avait pu tuer non pas 3 000 mais 3 millions de personnes à New York, il l’aurait fait. Cette perspective a posé la lutte contre le terrorisme en priorité absolue. Et, au nom de celle-ci, en Amérique, en Europe et ailleurs, l’obsession sécuritaire a conduit à limiter les libertés publiques. On n’en a pas tout à fait fini avec Ben Laden.
Le Monde (02/05/11)
Une intéressante réflexion du journal La Croix
« sans baisser la garde face au danger terroriste, les pays qu’il menace doivent se porter aux côtés des jeunes forces, dans les pays du monde arabo-musulman, qui cherchent des voies nouvelles pour développer leur pays et y instaurer la démocratie. (…) Soutenir ces mouvements avec la même détermination, conclut La Croix, la même persévérance qui furent mises en œuvre pour traquer le chef d’Al-Qaïda, c’est – plus efficacement encore – combattre le terrorisme. »
Chine : une étape importante dans la lutte antiterroriste internationale
La Chine a déclaré lundi soir que la mort d’Oussama Ben Laden constituait une étape importante et un développement positif dans la lutte internationale contre le terrorisme. La porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Jiang Yu, s’est ainsi exprimé, commentant la mort du leader du mouvement terroriste Al-Qaïda.
Le président américain, Barack Obama, a annoncé dimanche soir que Ben Laden avait été tué lors d’une opération américaine au Pakistan. « La Chine a pris note de cet annonce », a affirmé Mme Jiang. « Le terrorisme est l’ennemi commun de la communauté internationale. La Chine est également une victime du terrorisme », a-t-elle indiqué.
Elle a souligné que la Chine s’était toujours opposée à toutes les formes de terrorisme et participait activement aux efforts anti-terroristes internationaux. « La Chine soutient que la communauté internationale devra établir une coopération afin de lutter ensemble contre le terrorisme », a réitéré Mme Jiang. « La Chine considère qu’il est nécessaire de trouver une solution temporaire et un règlement permanent dans la lutte contre le terrorisme et de faire de grands efforts pour éliminer le sol sur lequel repose le terrorisme pour se développer, » a ajouté la porte-parole chinoise.
Xinhua (3/05/11)
ONU : La mort de ben Laden est un tournant dans la lutte contre le terrorisme
Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a estimé lundi que la mort du chef d’Al-Qaïda, Oussama ben Laden, annoncée par le président américain Barack Obama, constituait un tournant dans la lutte contre le terrorisme à travers le monde et a appelé à se souvenir des victimes.
« La mort d’Oussama ben Laden annoncée par le président Obama la nuit dernière constitue un tournant dans notre lutte commune et globale contre le terrorisme », a dit Ban Ki-moon dans une déclaration à la presse. « Les crimes d’Al-Qaïda ont touché la plupart des continents, causant des tragédies et la mort de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants. Les Nations Unies condamnent dans les termes les plus forts possibles le terrorisme dans toutes ses formes quels que soient ses objectifs et les lieux où il frappe », a-t-il ajouté.
« C’est un jour pour se souvenir des victimes et des familles des victimes ici aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde », a encore dit le secrétaire général. Il a indiqué qu’il se souvenait personnellement très bien du 11 septembre 2001, alors qu’il se trouvait à New York ce jour-là.« Les Nations Unies continueront à combattre le terrorisme et prendront la tête de cette campagne contre le terrorisme », a insisté Ban Ki-moon.
L’opposition indienne accuse le Pakistan de fournir refuge aux terroristes
Le principal parti de l’opposition indienne, le Bharatiy Janata Party (BJP) a annoncé lundi que la mort d’Oussama Ben Laden au Pakistan avait montré que « le Pakistan fournit de refuge aux terroristes ».
« Il a été tué au Pakistan, tout près de sa capitale Islamabad, cela confirme le fait que le Pakistan reste l’épicentre du terrorisme », a indiqué le porte-parole du BJP Ravi Shankar Prasad. « Les terroristes sont encouragés par le Pakistan qui les fournissent de refuge, et la mort de ben Laden au Pakistan est le plus grand exemple », a-t-il ajouté.
Dans la presse européenne
El País – Espagne Un revers important pour Al-Qaida
Si la mort d’Oussama Ben Laden affaiblit le réseau terroriste Al-Qaida, elle ne le détruira pas, estime le quotidien de centre-gauche El País : « La perte de Ben Laden est un revers cinglant pour Al-Qaida. Il sera difficile de remplacer la force symbolique de son leader. Mais Al-Qaida poursuivra son existence et disposera d’un nouvel émir, probablement de l’Egyptien Aiman Al-Zawahiri. Celui se présente depuis des années comme le stratège du terrorisme mondial, même s’il n’est peut-être pas soutenu par tous les acteurs de ce réseau multiforme. Ces dernières semaines ont été arrêtées en Allemagne trois personnes qui étaient en relation avec la cellule dirigeante d’Al-Qaida et qui se préparaient à commettre des attentats-suicides dans le pays. On continuera à recevoir des nouvelles de ce type dans les années à venir. » (03.05.2011)
România Liber? – Roumanie La jeunesse musulmane a besoin de perspective
La mort du chef d’Al-Qaida Oussama Ben Laden ne signifie pas la fin du terrorisme, ce dont l’Occident est lui-même coupable, estime le quotidien România Liber? : « Ce combat n’existerait pas si la jeunesse appauvrie du monde islamique disposait d’une véritable alternative aux sociétés archaïques et à la violence qui les entoure. … Mais les données statistiques compilées par les organisations internationales ces dernières années montrent combien la situation de l’éducation est décourageante dans les pays musulmans. … La lutte contre les mouvements comme celui d’Oussama Ben Laden devrait être menée avec des livres plutôt qu’avec des bombes, et c’est l’élite politique, culturelle et aussi économique des Etats musulmans qui devrait la mener, plutôt que les généraux des armées occidentales. L’Occident pourrait jouer un rôle important qu’il n’a jusque là pas assumé avec suffisamment de détermination. C’est une obligation ! Si ce n’est par empathie, du moins pour préserver ses citoyens de nouveaux actes terroristes. » (03.05.2011)
De Morgen – Belgique La fin du choc des civilisations
Avec la disparition d’Oussama Ben Laden, l’indicible « choc des civilisations » peut aussi prendre fin, espère le quotidien De Morgen : « On peut voir dans la mort de Ben Laden la fin presque symbolique du terrorisme fondamentaliste, mais aussi celle de l’exploitation qui en a été faite pour amplifier et problématiser la contradiction entre monde occidental et monde musulman. … Il n’y a dans l’histoire ni table rase ni rupture soudaine d’un jour à l’autre. … Mais la mort de Ben Laden, associée aux évolutions dans les pays arabes, contribuera à ce que l’on ne puisse plus parler de la politique mondiale en des termes manichéens, ‘noir et blanc’, ‘vous et nous’. Elle ne contribuera pas à ce que l’on abandonne la politique hégémonique, ni à ce que tout devienne rose. Mais la mort d’Oussama Ben Laden et le printemps arabe pourraient augurer une ère où les deux ‘cultures’ ne seront plus hermétiques l’une à l’autre. » (03.05.2011)
Le Monde – France Les révolutions arabes ont tué le djihad
Oussama Ben Laden est mort politiquement depuis déjà longtemps, écrit le quotidien de centre-gauche Le Monde : « La mort physique d’Oussama Ben Laden fait suite à la mort politique du chef d’Al-Qaida, liquidé par les révolutions démocratiques arabes dont les slogans étaient aux antipodes de son idéologie islamiste radicale. Eût-il été éliminé par George W. Bush durant la guerre contre la terreur, Ben Laden aurait pu servir de martyr à la cause jihadiste, voire d’icône aux mouvements anti-occidentaux divers du monde musulman. Sa mort vient clore une sombre décennie dans les relations entre le monde arabe et musulman et l’Occident, ouverte par les attentats du 11-Septembre et refermée par la révolution du jasmin tunisienne, par la place Tahrir au Caire et par les aspirations des peuples arabes à la démocratie et aux droits de l’homme. » (03.05.2011)
Gilles Kepel
The Times – Royaume-Uni Le Pakistan mis en cause
Le fait qu’Oussama Ben Laden ait pu se cacher aussi près de la capitale pakistanaise préoccupe le quotidien libéral-conservateur The Times : « Un problème certain de Washington est désormais de savoir comment traiter le Pakistan. Il est difficile de croire que personne ne savait ce qui se trouvait dans ce camp largement fortifié – à quelques centaines de mètres d’une école militaire d’élite. Dans le meilleur des cas, Islamabad est coupable de négligence, dans le pire des cas, de complicité. Les Etats-Unis ont désormais besoin du Pakistan à leurs côtés, notamment pour les prochaines décisions sur l’Afghanistan, et traiteront Islamabad avec un certain tact diplomatique. Il serait toutefois imprudent de se fier à ce gouvernement dysfonctionnel. » (03.05.2011)
Ce n’est pas tapi au fond d’une caverne des zones tribales que Ben Laden a été retrouvé, mais dans une demeure sécurisée d’un quartier peuplé de militaires à Abbottabad, à moins de 100 km d’Islamabad. De quelles complicités l’homme le plus recherché au monde a-t-il bénéficié ? Jean-Luc Racine, directeur de recherches au CNRS, au centre d’études de l’Inde et de l’Asie du Sud, analyse le rôle et les motivations du Pakistan dans l’attaque contre le leader d’Al Qaeda.
Lorsqu’il a été attaqué, Ben Laden se trouvait dans une maison protégée par une grande enceinte dans une ville qui abrite une base militaire de l’armée pakistanaise. Cela relance les suspicions sur les liens entre le Pakistan et Al Qaeda…
Le chercheur Jean-Luc Racine
La situation est très opaque. Nous sommes depuis des années dans un jeu d’ombres qui bien sûr posait problème aux autorités américaines. Celles-ci ont fait part récemment de leur « impatience stratégique » aux responsables de l’armée pakistanaise, avec qui les contacts sont très réguliers. On ne sait pas encore exactement ce qui s’est passé. Mais difficile de croire que Ben Laden ait pu vivre à quelque 60 kilomètres d’Islamabad sans que personne de l’Inter-services intelligence (ISI), – les services secrets pakistanais, qui dépendent de l’armée – n’en sache rien.
Comme toujours avec les services pakistanais, cet état de fait traduit des manœuvres très complexes, qui restent en partie sujettes à interprétation : d’un côté, Ben Laden échappe aux traques américaines pendant près de dix ans ; de l’autre, le Pakistan, sous Pervez Musharraf, au pouvoir de 1999 à 2008, a livré beaucoup de responsables importants d’Al Qaeda, dont Khalid Sheikh Mohammad, le « cerveau » du 11 Septembre. Il faut aussi rappeler qu’Al Qaeda a plusieurs fois condamné les responsables pakistanais comme traîtres à l’islam, tout cela dans un contexte où les talibans pakistanais, retournés contre le pouvoir d’Etat, ont mené dans le pays des vagues très meurtrières d’attentats terroristes depuis des années.
On peut imaginer que les services pakistanais aient en quelque sorte gardé en réserve la carte Ben Laden, non parce qu’ils soutiennent sa ligne, mais pour peser dans leurs relations compliquées avec les Etats-Unis. Le véritable enjeu pour eux étant la relation à l’Inde et à l’Afghanistan, un Afghanistan où ils entendent retrouver une influence amoindrie depuis le 11 Septembre et la chute des talibans afghans.
Pourquoi avoir alors permis aux Etats-Unis d’attaquer le lieu où se trouvait Ben Laden ?
Il paraît peu vraisemblable que les services secrets pakistanais n’aient pas été au courant de l’attaque commanditée par les Etats-Unis (d’autant que le commando est venu d’Afghanistan). A tout le moins, ils savaient que les Américains étaient sur la piste de Ben Laden. Et le président Obama s’est félicité, sans précision, de la coopération pakistanaise à cet égard. Bien sûr, vu le degré d’anti-américanisme au Pakistan, il est difficile pour le pouvoir, civil ou militaire, de s’afficher en première ligne dans cette affaire. Mais d’un autre côté, une partie de l’opinion va crier à la violation de la souveraineté nationale si les Américains y sont allés seuls.
Il est possible que le Pakistan ait décidé de livrer Ben Laden aux Américains, non seulement en raison des pressions accrues de Washington, mais aussi parce qu’une part décisive de la stratégie d’Obama en Afghanistan est de dissocier les talibans afghans, avec qui les négociations sont envisageables, d’Al Qaeda. Ce groupe terroriste étant bien la cible-clé d’Obama, comme il l’a encore récemment rappelé.
En affaiblissant Al Qaeda, le Pakistan gagne ainsi sur deux fronts : d’une part, il amoindrit une menace pesant sur la sécurité pakistanaise, de l’autre il renforce sa position sur le grand échiquier discret sur lequel se joue en coulisses le futur de l’Afghanistan, et donc le futur de l’influence pakistanaise en Afghanistan, à l’heure où l’on discute du calendrier de retrait des forces de l’Otan.
Or, pour Islamabad, la carte afghane est essentielle, afin d’éviter la prise en tenaille entre l’Inde et un Afghanistan où les Indiens seraient influents – et leur influence s’est accrue sous la présidence d’Hamid Karzai…
En 2008, David Petraeus, commandant des forces internationales en Afghanistan, avait déclaré pour la première fois qu’un lien étroit existait entre les talibans pakistanais, afghans et Al Qaeda. La même année, un nouveau responsable des services secrets pakistanais était nommé, Ahmad Shuja Pasha. Quelle a été l’influence de Washington sur cette nomination ?
Il semble bien que la nomination du général Pasha en 2008 s’inscrive dans les consultations qui ont eu lieu en 2007 avec Washington quand le général président Musharraf a dû abandonner ses responsabilités à la tête de l’armée, au bénéfice du général Kayani (lui même ancien directeur de l’ISI) et qui ont eu lieu de nouveau en 2008, après que Musharraf fut contraint par l’opinion d’abandonner la présidence de la République. Le général Nag, successeur de Ashfaq Pervez Kayani à la tête d’ISI, aura donc été en poste peu de temps, pour laisser la place à Ahmed Shuja Pasha. A chaque fois, Washington a, semble-t-il, été consulté discrètement, au nom de la coordination américano-pakistanaise dans la lutte contre le terrorisme.
On pose parfois par ailleurs la question de savoir si une part de l’armée est tentée par l’islamisme radical. Mais cette crainte, assez peu crédible, peut être aussi instrumentalisée par l’armée pour légitimer la difficulté qu’elle a à lutter contre l’extrémisme. Le vrai problème étant du reste plutôt celui posé par les talibans pakistanais, des enfants du pays, que par Al Qaeda proprement dit.
Est-ce-que la mort de Ben Laden peut modifier les relations entre le Pakistan et les Etats-Unis et si oui, dans quel sens ?
Pour l’opinion pakistanaise, il faudra en savoir plus sur les conditions de sa mort, et sur ce qu’il est advenu de son corps ensuite. En termes de relations bilatérales, il faut attendre de voir ce qui va suivre. La disparition de Ben Laden va-t-elle être suivie ou non par d’autres disparitions, son second Ayman al-Zawahiri par exemple ?
Si Al Qaeda – la maison mère, pas ses succursales au Sahel ou ailleurs – est réellement affaiblie, si le mouvement est décapité, les relations entre Islamabad et Washington peuvent s’améliorer de façon significative, d’autant que les Etats-Unis ont besoin du Pakistan pour négocier avec les talibans afghans.
Encore faut-il voir comment le pouvoir, civil et militaire, va gérer les conditions de l’intervention américaine contre Ben Laden vis-à-vis de l’opinion, au nom de la souveraineté nationale d’un pays de 180 millions d’habitants, nucléarisé de surcroît.
Le secrétaire général de l’Otan Anders Fogh Rasmussen a salué lundi le « grand succès » que représente selon lui la mort de Ben Laden, tout en estimant que les opérations militaires de l’Alliance en Afghanistan devaient continuer.
« C’est un grand succès pour la sécurité des alliés de l’Otan et de tous les pays qui se sont joints à nous pour combattre le fléau du terrorisme mondial et rendre le monde plus sûr pour nous tous », a déclaré M. Rasmussen en « félicitant le président (américain) Barack Obama et tous ceux qui ont rendu cette opération possible ».
Le secrétaire général de l’Otan a rappelé que l’alliance militaire occidentale s’était engagée en Afghanistan aux côtés des Américains car « elle considérait l’attentat du 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis comme une attaque contre tous les alliés », conformémement à l’article 5 de son traité fondateur. Or « le terrorisme continue de menacer directement notre sécurité et la stabilité internationale », a estimé M. Rasmussen. Donc, « les alliés de l’Otan et leurs partenaires continueront de mener leur mission en Afghanistan afin de s’assurer que ce pays ne redevienne jamais un havre pour l’extrémisme », a-t-il souligné. « Nous continuerons de défendre les valeurs de liberté, de démocratie et d’humanité que Oussama Ben Laden voulait détruire », a-t-il ajouté.
L’Isaf, la force internationale sous commandement Otan depuis août 2003 et qui a actuellement 140.000 soldats en Afghanistan, prévoit de ne transférer la responsabilité de toutes les opérations aux troupes afghanes qu’à la fin de 2014, à l’issue d’un processus de transition entamé cette année. Selon la décision prise par le sommet de l’Otan à Lisbonne en novembre dernier, elle ne devrait ensuite à partir de 2015 qu’assumer un rôle de soutien plus limité.
Les Etats-Unis risquent de rendre un accord de paix en Afghanistan encore plus difficile à atteindre en mettant dans le même panier talibans afghans et Al-Qaïda, estiment lundi des universitaires américains pour qui des frictions existent entre les deux groupes.
Les Etats-Unis risquent de rendre un accord de paix en Afghanistan encore plus difficile à atteindre en mettant dans le même panier talibans afghans et Al-Qaïda, estiment des universitaires américains pour qui des frictions existent entre les deux groupes.
« Les talibans et Al-Qaïda sont toujours des groupes distincts avec des objectifs, des idéologies et des moyens de recrutement différents; des frictions considérables existaient entre eux avant le 11 septembre 2001 et aujourd’hui ces frictions persistent », indiquent-ils dans un rapport.
Intitulé « Separating the Taliban from Al Qaeda: The Core of Success in Afghanistan » (Séparer les talibans d’Al-Qaïda: la clé du succès en Afghanistan), le rapport avait été mentionné dans un premier temps par le New York Times dans son édition de lundi.
Alex Strick van Linschoten et Felix Kuehn, du Centre de Coopération internationale de l’université de New York, assurent que l’intensification des opérations militaires contre les talibans pourrait rendre plus difficile la conclusion d’un accord avec eux.
Les deux universitaires, qui ont travaillé pendant des années en Afghanistan, ajoutent que les attaques menées contre les chefs talibans se traduisent par l’arrivée à la tête du mouvement de nouveaux combattants plus jeunes et radicaux, ce qui permet à Al-Qaïda d’augmenter son influence.
Ils suggèrent que les Etats-Unis engagent un dialogue avec les talibans les plus âgés avant que ces derniers ne perdent le contrôle de leur mouvement. « Il est possible de faire en sorte que les talibans renoncent à Al-Qaïda et qu’ils donnent des garanties contre l’utilisation de l’Afghanistan par des groupes terroristes internationaux de telle manière que cela remplisse les objectifs clés des Etats-Unis », estiment-ils.
Ils ne s’opposent pas à la guerre menée par l’Otan dans le pays, mais ils estiment que des négociations doivent être menées parallèlement aux combats. Un accord politique est nécessaire, écrivent-ils, autrement le conflit va s’intensifier. « La façon dont le combat est mené est importante. Si ce que l’on cherche à obtenir c’est vraiment un accord politique, il n’y a alors pas beaucoup de sens à essayer de détruire les organisations avec lesquelles on essaie de discuter », assurent-ils.
La force internationale Isaf dirigée par l’Otan doit transférer aux soldats afghans la responsabilité des combats en première ligne à une date encore indéterminée, ce printemps, une phase qui doit s’achever en 2014 avec la prise de contrôle totale du théâtre des opérations par l’armée afghane. L’objectif de l’Otan est d’aider à constituer une armée et une police afghane fortes au total de 306.000 hommes d’ici la fin 2011, afin de faciliter le transfert des responsabilités actuellement exercées par les quelque 140.000 soldats de l’Isaf.