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Archives de catégorie : Asie
La stratégie arabe de la Chine

Par Mohamed Troudi
L’émergence de la Chine comme puissance montante de cette fin du 20ème siècle résulte de sa capacité prouvée de faire cohabiter deux traditions, celle de manier à bon escient les ressources que lui offrent la technologie occidentale tout en consolidant ses traditions propres tissées depuis des millénaires. La question qui se pose est la suivante: le monde est-il entrain d’assister en même temps qu’à l’émergence inéluctable de la Chine à un retour à un monde plus normal, par conséquent moins marqué par une longue et brutale domination européenne?. Assiste-on à l’affaiblissement de l’impérialisme américain et européen? La crise économique et financière si grave aujourd’hui va-elle dans le même sens d’un affaiblissement de l’impérialisme mondial, qui pousse toutes les puissances au désespoir en causant des frictions entre elles chacune cherchant à alléger ses problèmes au dépend de l’autre?
Chacun sait que la domination américaine au Moyen orient représente un argument essentiel pour la réussite de la stratégie mondiale des Etats-Unis qui souhaiterait imposer son modèle au monde entier. En effet les Etats-Unis veulent s’assurer le contrôle des gigantesques ressources pétrolières de la région, ce qui donnera à l’Amérique les moyens de manipuler l’économie mondiale et par conséquent de limiter voire de gommer toute concurrence des autres pays développés. Je pense à la Chine, à l’Inde et probablement la Russie.
Les fondements de la pensée stratégique chinoise
L’apparition de nouveaux acteurs majeurs sur le marché mondial comme la Chine, offrant une toute autre stratégie d’échange et de relations basées sur un partenariat d’égal à égal, peut fortement gêner la puissance américaine notamment dans sa quête inlassable de grandes espaces et de nouvelles sources de matières premières en tête desquelles le pétrole notamment dans la région arabe et en Afrique, dans le but de mieux diversifier son approvisionnement.
Sans vouloir verser dans un anti-américanisme primaire, je note que les Etats-Unis sont aujourd’hui dans l’incapacité de peser sur les grands bouleversements mondiaux. En choisissant souvent la facilité et le court terme dans la conduite de leur politique étrangère, ils ne sont plus aujourd’hui à l’abri de nouveaux concurrents déterminés à repenser les termes du débat stratégique, dans un espace désormais fragmenté.
En somme, ils entretiennent la peur d’un empire somme toute théâtral et d’une expansion narcissique notamment dans le monde arabe. Le résultat désormais consommé, l’échec dans la réalisation de leurs objectifs stratégiques, l’exemple irakien et afghan en est l’illustration parfaite. L’apparition d’acteurs majeurs sur la scène mondiale dont les Etats-Unis sont incapables de contrôler, particulièrement la Chine, est de nature à compliquer davantage une tâche déjà complexe pour les Américains. Cette situation ouvre un boulevard pour la Chine, puissance montante, qui semble décider à utiliser tous les moyens en sa possession pour jouer à fond sa chance.
Il est opportun de signaler à titre d’exemple la réussite du rapprochement entre la Chine et l’Amérique latine, qui peut servir d’exemple à reproduire dans le monde arabe. En effet, l’Amérique latine trouve dans le commerce avec Pékin, un marché parfaitement en état de recevoir ses produits. La Chine importe du Brésil des quantités importantes de produits extraits du soja. De son côté le Venezuela de CHAVEZ, a négocié avec la Colombie pour construire un oléoduc vers sa côte pacifique. Cette plateforme a pu accroître les exportations pétrolières de Caracas vers la Chine, privant ainsi les Etats-Unis d’une manne dont elle en a tant besoin surtout que l’Amérique dépend du Venezuela à hauteur de 14% de leur importation en pétrole. Cet exemple de rapprochement réussi sino latin, est-il en cours de se reproduire au Moyen-Orient et au Maghreb?
Le rapprochement entre la Chine et le monde arabe semble être une opportunité stratégique pour les deux parties, même si l’un des deux partenaires a pris plusieurs longues d’avance sur l’autre. En effet si la Chine semble aller de l’avant, le monde arabe donne encore au monde l’image d’une région divisée, sans aucun dessin politique et stratégique commun, incapable de s’unir autour de sujets d’importance majeure engageant l’avenir des peuples de la région. Toutefois les printemps arabes déclenchés par la révolution tunisienne et égyptienne, permettent d’espérer un retournement de situation et la mise en place de politiques économiques plus en phase avec les aspirations des peuples arabes. La Tunisie puis l’Egypte, le Yémen et la Syrie en attendant que d’autres pays du monde arabe ne connaissent à leur tour des bouleversements profonds qui pourraient bouleverser non seulement le monde arabe, mais aussi les relations qu’il entretient avec le reste du monde, notamment la Chine
En quoi, la Chine peut-elle en tirer profit de cette nouvelle donne arabe? En grande puissance, la Chine suit la situation de très près, même si elle se refuse à la commenter .En effet la possible onde de choc des évènements dans le monde arabe fait craindre aux dirigeants chinois le risque d’une contagion, pourtant hautement improbable, à la Chine. Comment la Chine va-t-elle se comporter? Jusqu’à quel point les troubles qui secouent le monde arabe, peuvent-elles peser sur la situation interne de ce grand pays, sachant que ce type d’évènements est toujours traité avec une grande prudence, et le plus souvent assimilé à une forme de chaos dont il faut se méfier.? Autant de questions que ce travail se propose d’y apporter une esquisse de réponse.
Pour bien comprendre la politique chinoise en vers le monde arabe, il est opportun de rappeler les fondements notamment intellectuels de la pensée stratégique chinoise qui dictent la nature et le contenu de sa politique étrangère. Il faut admettre que l’espace stratégique mondial considéré jusqu’à lors comme unique, et homogène, est probablement en passe de laisser la place à un espace stratégique mondial fragmenté. Qu’il s’agisse de l’Amérique latine ou de la Chine, des puissances dites émergentes concurrencent sur le terrain politique et économique, des puissances jadis bien établies. Parmi ces nouveaux acteurs menaçant l’hégémonie stratégique américaine, la Chine se place en bonne position. Cette dernière a en effet décidé de projeter en dehors de son environnement immédiat, sa vision du monde partant des fondements de sa pensée stratégique.
Une des bases de la stratégie chinoise c’est qu’elle s’inscrit presque toujours dans le long terme et cherche avant tout à influer sur les tendances lourdes. Elle ne se construit pas dans la précipitation et par conséquent s’inscrit dans la durée, tenant compte à la fois de l’environnement et des stratégies des concurrents directs. Elle s’appuie sur des comportements inébranlables, celui de l’écoute, l’absence de préjugé et d’arrogance et enfin la disponibilité et sa capacité à s’adapter à toutes les circonstances extérieures. En somme ce premier fondement de la politique étrangère chinoise peut être résumé en une phrase: moduler la situation, ne surtout pas la forcer.
Le deuxième fondement de la stratégie chinoise, s’appui sur une conception nuancée du monde contrairement à la vision occidentale qui adopte souvent une approche plutôt dualiste et cartésienne du monde. La conception chinoise du monde qui influe largement sur sa stratégie se résume en un mot « le soft power ». Si le hard power se réfère à l’utilisation des outils traditionnels mis à la disposition d’un Etat à savoir la coercition, en brandissant la menace de représailles militaires, ou encore l’incitation économique et financière, à l’opposé le soft power, fait appel à l’habilité pour un Etat d’obtenir ce qu’il désire par le pouvoir d’attraction du rayonnement de sa culture et de sa civilisation, de sa conception des relations internationales et plus particulièrement de sa diplomatie. Il a pour effet de propulser l’Etat ou la puissance en question sur la scène mondiale et d’attirer l’attention des autres acteurs sur la spécificité d’un acteur donné.
La Chine a misé sur le soft power dont l’objectif est moins d’imposer un système ou une manière de voir que d’influencer imperceptiblement ces partenaires à travers le monde. Ce qui m’amène à penser que la Chine tout en utilisant la puissance de son économie, elle s’appuie aussi sur ce mécanisme du soft power, mettant en avant la force de sa culture plurimillénaire et sa population, deux vecteurs essentiels aujourd’hui de sa puissance politique et économique. La multiplication des instituts Confucius (1) à travers le monde en est l’exemple parfait du rayonnement culturel de la Chine.
La politique de la main tendue tout en souplesse avec des acteurs partenaires, semble être d’une grande efficacité au Tiers-monde, particulièrement en Afrique et depuis un certain temps dans le monde arabe. Il faut rappeler que la Chine se considère d’abord comme un pays du Sud, ayant optée pour une vision singulièrement différente des autres puissances, basée sur l’écoute et la non ingérence pour se rapprocher de nouveaux partenaires et gagner la confiance. Cette phrase prononcée par le président nigérian Olusegun Obasanjo lors du dîner officiel offert en avril 2006 au Président Hu Jintao, en dit long sur le charme qu’exerce en permanence la Chine sur ses partenaires africains : « Nous souhaitons un jour que la Chine dirige le monde, et quand ce sera le cas, nous voulons être juste derrière vous ». Le grand stratège chinois Sun Tzu, auteur du premier traité de stratégie militaire écrit au monde « stratégie militaire du maître Sun », dans le quel, il développe des thèses originales qui s’inspirent de la philosophie chinoise ancienne. Il disait pour en citer un exemple que les armes sont de mauvais augures, car le vainqueur sera haï par le vaincu et ses ressources seront d’autant plus difficiles à exploiter sur la durée. La Chine semble avoir retenu cette leçon dans sa relation avec les pays du Sud, plus que toutes autres puissances du moment, Etats-Unis en tête.
La diplomatie chinoise dans le monde arabe, s’inscrit dans la droite ligne de la politique extérieure de l’empire du milieu, énoncée pour la première fois en 1953 par celui qui était le ministre des affaires étrangères Chou En-Laï. Quelques principes majeurs fondent la nouvelle diplomatie chinoise dans le monde arabe: respect mutuel, non agression, non ingérence dans les affaires internes, relations basées sur l’égalité, les bénéfices mutuels et la coexistence pacifique.
Le multilatéralisme chinois en dehors de l’Asie
Très tôt, lors de la conférence de Bandung en 1955 et dans l’euphorie révolutionnaire, la République populaire de Chine a manifesté un intérêt pour l’Afrique et le monde arabe, ce qu’on désignait à cette période par le Tiers-monde. Une trentaine de pays qui pour la plupart venaient d’accéder à l’indépendance, comptaient désormais peser sur la politique internationale. C’est l’économiste et le démographe Alfred Sauvy qui est à l’origine de l’expression « Tiers Monde », en effet dans un article publié dans le Nouvel Observateur en 1952, désigne pour la première fois ses pays nouvellement libres sous le terme de Tiers Monde, en allusion au Tiers Etat qui avait provoqué la Révolution française (2). L’on peut lire à Alfred Sauvy notamment ce passage : « car enfin, ce tiers monde ignoré, exploité, méprisé comme le tiers état, veut lui aussi, être quelques chose ».
Trois acteurs vont organiser la philosophie tiers-mondiste : l’Indien Jawarharlal Nehru qui a succédé à Gandhi et qui veut mettre en avant la nécessité d’une union et d’une lutte par des moyens pacifiques,
l’Egyptien Gamal Abdel Nasser, qui symbolise le nationalisme arabe et Zhou Enlai, premier ministre chinois qui fort du prestige et de la puissance numérique de la Chine populaire, voulait lui donner, l’image d’un pays soutenant les luttes contre toute forme d’impérialisme mondial.
Ils se définissent contre les essais nucléaires, la politique des blocs, et le colonialisme. La Conférence de Bandung se tient du 18 au 24 avril 1955 et regroupe 29 pays (15 asiatiques, 9 du Moyen-Orient et 5 africains). L’Afghanistan, la Birmanie, le Cambodge, Ceylan (l’actuel Sri Lanka), la République populaire de Chine, l’Inde, l’Indonésie, le Japon, le Laos, le Népal, le Pakistan, les Philippines, Siam (l’actuelle Thaïlande), la République populaire du Vietnam, l’Arabie saoudite, l’Égypte, l’Iran, l’Irak, la Jordanie, le Liban, la Syrie, la Turquie, le Yémen la Côte-de-l’Or (l’actuel Ghana), l’Éthiopie, le Libéria, le Soudan et la Libye. La République populaire de Chine a été également membre pendant un temps du mouvement des non-alignés crée suite à la déclaration de la Havane en 1949. Son but est d’assurer : l’indépendance nationale, la souveraineté, l’intégrité territoriale et la sécurité des pays non alignés dans leur lutte contre l’impérialisme, le colonialisme, le néo-colonialisme, la ségrégation, le racisme, le sionisme, et toute forme d’agression étrangère, d’occupation, de domination, d’interférence ou d’hégémonie de la part de grandes puissances ou de blocs politique.
La Chine a été le premier pays non arabe à reconnaître le gouvernement provisoire d’Algérie, créé en septembre 1958. Si après la mort de Mao Zedong, la présence chinoise en Afrique est devenue plus discrète, se limitant à certains investissements ciblés comme au Bénin, la Chine a rapidement repris une politique de rapprochement avec des pays africains et arabes, comme en témoigne l’intérêt de la Chine pour l’Egypte et l’Algérie et récemment pour le Maroc. En effet la Chine considère l’arabisme comme une variante du tiers-mondisme, il est également l’expression de la lutte des classes et ses partisans les plus acharnés se plaçaient dans son camp.
Depuis toujours, fidèle à sa stratégie de petits pas, la diplomatie chinoise est fondée sur le principe du développement pacifique, orientation confirmée après l’accession au pouvoir de Hu Jintao en 2002. Tout en privilégiant des relations harmonieuses et stables avec ses voisins asiatiques, la Chine, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, aujourd’hui première puissance démographique et deuxième puissance économique mondiale, cherche à se placer sur un pied d’égalité avec les autres grandes puissances mondiales qu’il s’agit des Etats Unis, de la Russie ou de l’Union européenne. Se faisant Pékin développe sa présence économique via des partenariats solides avec les pays du Sud notamment en Afrique et dans le monde arabe. La politique chinoise est une politique caractérisée par des évolutions en petites touches, l’objectif étant de défendre les intérêts du pays notamment l’accès aux hydrocarbures sur le long terme. Pékin défend ses intérêts vitaux sous couvert de la solidarité avec les pays du Sud et profite de sa puissance pour réaliser ses desseins stratégiques au risque souvent de créer le ressentiment et de faire peur.
Le développement économique de la Chine et son appétit insatiable en pétrole, lui impose de redéployer sa diplomatie afin de s’assurer des disponibilités en matières premières, ce qui pousse aujourd’hui le pays à se tourner vers l’Afrique, l’Amérique latine et le monde arabe. La pénétration chinoise en Afrique est à cet égard emblématique et surtout à contre-courant de la stratégie européenne et américaine, puisque Pékin par altruisme n’en conditionne jamais son aide et ses investissements souvent colossaux à un quelconque critère politique. Il faut signaler que les principaux partenariats noués par la Chine, en dehors de l’Asie orientale, se fondent sur des coopérations économiques ou militaires ciblées avec des partenaires finement choisis.
Dans le cas du monde arabe, particulièrement au Moyen-Orient, la Chine a signé des partenariats surtout avec l’Arabie Saoudite grand producteur et exportateur du pétrole et l’Iran dont les relations avec c e pays sont excellentes.
En ce qui est de l’Afrique, les liens sont étroits avec des pays comme l’Afrique du Sud et le Zimbabwe, deux pays richement dotés en matières premières et qui n’oublient pas le soutien de Pékin dans la lutte contre l’apartheid et plus largement dans leur lutte contre la colonisation britannique. La Chine a également lourdement investit dans trois pays producteurs de pétrole, je veux parler du Nigeria, de l’Angola et du Soudan. S’agissant de ce dernier, Pékin a fortement investi dans l’exploitation et dans le raffinage du pétrole, mettant une sourdine sur le conflit de la province du Derfour, considérant la question comme une affaire interne au Soudan, ce qui ne l’a pas empêché d’envoyer une force multinationale d’interposition dans la province. Mais qu’en est-il de son action en direction du monde arabe?
La Chine et le monde arabe, des intérêts partagés
La politique étrangère de la Chine repose sur les principes généraux stipulés par le paragraphe 12 de la constitution chinoise : rôle de locomotive de la Chine pour les pays du Tiers-monde ; non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats ; coopération bilatérale et multilatérale mutuellement avantageuse, c’est le principe de développement pacifique, qui a été confirmé en 2002 par l’accès à la tête de la Chine de Hu Jinato
La diplomatie chinoise poursuit quelques objectifs majeurs, en tête desquels se trouve le développement économique du pays, ce qui vient en soutien au deuxième objectif, celui de la consolidation de son statut de grande puissance émergente. On peut en citer un troisième et non des moindres, celui d’assurer la pérennité du régime communiste au pouvoir, probablement l’objectif prioritaire aujourd’hui. En effet l’effondrement de l’Union soviétique, a persuadé les différents dirigeants communistes chinois, de Deng Xiaoping à ses successeurs, Jiang Zemin puis Hu Jintao, aujourd’hui, de poursuivre non seulement les réformes et le développement du pays mais d’accélérer son intégration à l’économie mondiale, considérée comme une condition sine qua non à l’accès au statut de puissance à la fois politique et militaire.
Bastion de la plus grande révolution communiste survenue dans le Tiers Monde, et lieu de ressourcement de nombreux espoirs révolutionnaires, la Chine accélère son développement économique et son ouverture au monde extérieur, tout en renouant avec son riche héritage culturel et historique national, se faisant elle est probablement en cours de réussir une action de réforme en profondeur de la société internationale. En renforçant sa diplomatie économique et ses échanges culturels avec le monde extérieur, la Chine considère en effet que le contexte international est favorable à la réalisation de ces objectifs si liés.
Dans ses conditions perçues comme propice, favorisant les opportunités stratégiques, la Chine marque sa volonté non seulement de prendre part au nouvel ordre international qui se profile mais surtout de le façonner et l’adapter à ses intérêts vitaux tout en en évitant de heurter frontalement les Etats-Unis.
L’action de Pékin à l’extérieur, se présente désormais comme la diplomatie d’un nouvel ordre mondial, mettant en avant la nécessité de promouvoir une approche nouvelle des relations internationales basée sur la justice et la raison dans la conduite des affaires du monde. En somme aider à sortir d’un monde mono polaire rendu possible par l’éclatement de l’Union soviétique et favoriser la promotion d’un multilatéralisme effectif, enjeu majeur de ce début du 21ème siècle.
La vocation à l’hégémonie de la Chine qui n’est pas que symbolique, est en passe de se transformer en aspiration à la domination territoriale et politique de certaines zones stratégiques dont le monde arabe en fait partie intégrante. A la fin des années soixante dix, la diplomatie chinoise jusqu’à la teintée de coopération militante sur fond d’idéologie tiers-mondiste, est rapidement passée à une nouvelle approche diplomatique marquée par le réalisme et le pragmatisme dans ses rapports avec les pays arabes et africains.
On posera deux questions essentielles: comment la Chine influence-t-elle le monde arabe et comment ce dernier peut l’influencer en retour après les printemps arabes qui va sans dire inquiète le pouvoir communiste chinois?
Depuis le 8e Congrès du P.C.C., en 1956, la République Populaire de Chine s’est lancée dans une politique d’ouverture bien au delà de sa zone d’influence régionale, notamment vers l’Amérique latine, et particulièrement l’Afrique à qui l’empire du milieu consacre plus de 40% de son aide extérieure et une partie du monde arabe. Cette nouvelle phase politique l’a obligé, à dessiner une stratégie chinoise pour le Tiers Monde, avec pour enjeu de taille, la satisfaction de ses besoins grandissants en matières premières et contre balancer autant que faire se peut la puissance américaine sans véritablement rentrer en confrontation directe avec les Etats-Unis. Si en Asie, la stratégie de Pékin se résume à une équation simple: s’imposer comme la première puissance face au Japon, son concurrent direct, ce qui peut donner à la politique asiatique de la Chine une connotation impériale, qu’en est-il de sa politique arabe?
Depuis la décennie quatre vingt, Pékin a instauré un partenariat solide avec le monde arabe. Dans une de ses interventions, l’ancien ambassadeur chinois au Maroc, Cheng Tao, a clairement dévoilé les atouts et les arcanes de la politique étrangère de la Chine dans cette partie du monde. C’est une politique basée sur le respect mutuel de la souveraineté, de l’intégrité territoriale, tout particulièrement sur le bénéfice réciproque « gagnant-gagnant » ou « win-win », déclarait-il.
Tout comme sa politique africaine, l’action de Pékin au Maghreb et au Moyen-Orient se résume à une politique d’occupation de terrain via des partenariats et des forums économiques. Un des constats stratégiques parfaitement intégré par la diplomatie pékinoise, est que la Méditerranée est un lieu de présence des puissances du moment, la Chine est par conséquent consciente de la nécessité d’intégrer cet espace. Parallèlement certains pays arabes cherchent à diversifier leurs relations en s’ouvrant à de nouveaux acteurs émergents, cherchant ainsi à sortir du suivisme économique et politique qui a jusqu’à présent caractérisé leurs rapports avec l’Occident en général et les Etats-Unis en particulier. Ces tentatives menées par les Etats arabes, ont permis de densifier leurs relations avec un ensemble de pays désigné par ces quatre lettres « BRIC », en l’occurrence Brésil, Chine, Inde et Russie. Ce rapprochement s’est opéré dans le cadre d’un mouvement Sud Sud, mené par des pays d’Amérique du sud, notamment le Brésil et des pays nord-africains principalement l’Algérie et des pays arabes du Moyen-Orient, avec le soutien de la Chine et la Russie. Ce désir des pays arabes de développer des politiques étrangères multidirectionnelles et de diversifier leurs rapports commerciaux internationaux, n’a pas échappé à la vigilance de Pékin, qui s’intéresse d’autant plus au monde arabe, que les derniers bouleversements de cette partie du monde, inquiètent la Chine .
Aujourd’hui, la Chine figure parmi les premiers partenaires commerciaux de nombreux pays maghrébins notamment de l’Algérie dont il est le sixième fournisseur. La pénétration chinoise du marché maghrébin est réelle, aujourd’hui nombreuses sont les entreprises chinoises dans le domaine du bâtiment ou encore dans la téléphonie, qui sont devenues de véritables rivales des groupes occidentaux notamment français comme Dumez ou encore Bouygues. La Chine multiplie depuis quelques temps, la construction d’infrastructure, secteur dans le quel les compétences et le savoir-faire chinois sont indiscutables. La Chine a entamé un large redéploiement des activités de ces grands groupes industriels vers l’Afrique du Nord principalement dans le textile, l’électronique et l’alimentaire, permettant ainsi à la Chine d’occuper le terrain et de promouvoir ses produits. La présence économique et le développement commercial avec ces pays semblent être les deux piliers du projet socialiste chinois, en somme le business, ce qui est pour le moins paradoxal car c’est un mode de pensée que Mao n’aurait jamais imaginé.
En effet, la priorité de Pékin, n’est plus celle de Mao, unifier le Tiers monde sous la bannière du socialisme chinois, désormais la Chine est avant tout en quête de stabilité par et pour la croissance économique, dans la quelle le monde arabe est appelé à jouer un rôle déterminant. C’est partant d’un activisme diplomatique très dense notamment en direction du Maghreb et surtout du Proche et Moyen-Orient, tentant par la même un certain contrôle de l’islam mondial.
Au Maghreb, la Chine joue de tous son poids pour tirer profit de relations plutôt solides avec les pays du Maghreb comme avec le reste du monde arabe notamment avec les palestiniens. Elle est par conséquent dans une position favorable pour tisser des liens solides, partant d’un fort capital de sympathie et de confiance accumulé dans les cinq dernières décennies.
Le regard du monde arabe en vers la Chine se résume en deux idées phares: la Chine à l’OMC, peut infléchir le commerce mondial vers plus d’équité et de justice économique et permettre au monde arabe de bénéficier d’une meilleure chance en terme d’investissements internationaux. C’est du moins ce qu’attend le monde arabe de la Chine. En effet la montée en puissance de la Chine et son entrée à l’OMC en 2001 a entraîné un bouleversement de réorientation des flux commerciaux internationaux. Les pays du Maghreb n’ont pas été épargnés des effets de la montée en puissance de la Chine. Un pays comme le Maroc a ressenti les effets sur certains secteurs d’activités comme le textile habillement. Certaines analyses économiques marocaines font état d’un déficit commercial important dans les relations de la Chine avec Rabat, en effet si Pékin est devenue en l’espace de quelques années le troisième fournisseur du Maroc, elle ne représente néanmoins que son 18ème client
Le Maroc travaille à des relations plus équilibrées avec la Chine basée sur un véritable partenariat, il se place dans les priorités de la politique extérieure chinoise. Partant de sa position géographique, espace d’intérêt commun entre l’Afrique et la Chine, le Maroc veut jouer pleinement la carte de la profondeur stratégique que représente pour ce pays l’Afrique et dont on connaît son importance aujourd’hui pour Pékin. Il cherche à faire valoir sa position de concentrateur commercial et financier régional, au carrefour des marchés européen, américain, africain et arabe, très attractif aux entreprises chinoises.
Le but recherché pour le Maroc est de s’associer à la dynamique conquérante des entreprises chinoises dans le continent et passer ainsi d’un cadre concurrentiel à un cadre partenarial. Parallèlement, Pékin veut faire du Maroc une plate-forme pour leurs exportations vers l’Europe et les Etats-Unis. La déclaration d’un chef d’une délégation d’hommes d’affaires chinois représentant la province de Zhijiang lors d’un déplacement au Maroc est à cet égard signifiante: « nous examinons avec les responsables de la région, la possibilité de créer des usines comme on l’a fait dans d’autres pays. Nous manquons de ressources naturelles, mais nous avons des ressources humaines dynamiques et qualifiées ».Il est vrai que la position géographique stratégique et la nature de son système politique très particulier, offrent des atouts majeurs à la pénétration chinoise, même si les récents printemps arabes viennent compliquer quelque peu la stratégie arabe de la Chine, idée que je développerai à la fin de cet article. Développer la connaissance mutuelle des deux nations et rapprocher culturellement les peuples du Sud, figurent parmi les fondements de la politique étrangère chinoise et un pilier de sa stratégie d’approche, qui lui permet d’une année à l’autre d’alimenter sa croissance très souvent à deux chiffres, plaçant officiellement le pays désormais au deuxième rang d’économie mondiale, devant le Japon mais derrière les Etats-Unis du moins pour le moment.
Voulant consolider cette stratégie de pénétration en douceur dans le monde arabe, la Chine a lancé une chaîne de télévision en langue arabe qui diffuse depuis le 25 juillet 2009 des programmes 24 heures sur 24 à destination de 22 pays arabophones, soit près de 300 millions de téléspectateurs potentiels.
L’ambition de ce projet d’après l’autorité de la chaîne, représentée par Zhang Changming, vice président de CCTV est de « montrer la « vraie » Chine aux pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord . Elle s’inscrit dans la volonté du gouvernement chinois de promouvoir sa vision pluraliste du monde en encourageant ses médias à agir en occupant l’espace médiatique mondial.
Outre l’aspect culturel et l’échange inter civilisationnel, qui est certes présent dans l’approche chinoise du monde, la stratégie arabe de la Chine reste dominée par des considérations économiques majeures au centre desquelles le développement de la Chine et l’accès au pétrole occupent une place de choix.
La diplomatie pétrolière est au centre de la stratégie arabe de la Chine
Outre l’Afrique noire, qui abrite près de 10% des réserves mondiales en pétrole et en assure 11% de la production mondiale, offrant à la Chine une possibilité de choix pour diversifier ses approvisionnements, l’Algérie, la Libye et bien évidemment l’Arabie saoudite et l’Iran sont des partenaires stratégiques pour Pékin. Le développement de la Chine et son besoin insatiable en hydrocarbures, ont entraîné un rapprochement remarqué avec les pays arabes exportateurs de pétrole, elle mène une stratégie d’accès au pétrole au centre duquel les liens avec l’Arabie saoudite et accessoirement l’Algérie sont capitales, ce qui n’a pas manqué de créer un bouleversement géopolitique, poussant les Etats-Unis à contrôler de près la pénétration chinoise dans ces pays comme elle a tenté de contrôler la pénétration chinoise en Afrique. En effet Pékin considère son approvisionnement en pétrole comme une question de sécurité nationale
Depuis 1995, la Chine n’est plus autonome, devenant rapidement par la rapidité de son développement industriel, un pays importateur net de pétrole, par conséquent largement dépendant des zones d’approvisionnements, notamment du Moyen-Orient. Cette situation de dépendance énergétique, est devenue rapidement concevable pour les dirigeants chinois au regard du rôle mondial qu’entend tenir la Chine. Jusqu’en 1990, pékin s’approvisionnait en matières énergétiques essentiellement auprès de l’Indonésie, du sultanat d’Oman et d’Iran. La diversification des fournisseurs est devenue une priorité nationale à cause de l’augmentation de la consommation de la Chine et de la raréfaction des réserves de l’Indonésie. Aujourd’hui, la Chine est devenue le deuxième importateur de pétrole d’Afrique, après les Etats-Unis. L’Afrique représente 25 % de l’approvisionnement pétrolier de la Chine, contre 15 % au milieu de la décennie 1980. Il serait par conséquent intéressant de s’interroger sur les conséquences géopolitiques évidentes de ce rapprochement chinois avec les pays arabes les plus riches en pétrole et sur les risques que cela fait courir à la stratégie globale des Etats-Unis dans cette partie du monde.
Les bonnes relations entre la Chine et l’Algérie, sont à cet égard très significatives. Ces relations très cordiales, ont permis d’établir des liens commerciaux et techniques avec le (CSCEC), numéro un du BTP chinois concurrence les groupes occidentaux notamment français et remporte fréquemment des contrats publics. Aujourd’hui, la Chine se présente comme le septième fournisseur de l’Algérie. A titre d’exemple la Sinopec (3) a signé en 2002 un contrat de 420 millions d’euros pour développer le gisement de Zarzaitine au Sahara. Une autre société chinoise, la China National Oil and Gas Exploration doit également construire une raffinerie dans le désert algérien, près d’Adrar.
Ces relations qui se sont bonifiées avec le temps, remontent à la fin des années cinquante, avec le soutien politique et militaire apporté par la Chine nouvelle aux revendications algériennes de libération nationale, qui s’est traduit par la reconnaissance du gouvernement provisoire comme l’unique représentant du peuple algérien. Il faut rappeler ici, que la Chine était le premier pays hors du monde arabe à reconnaître officiellement, le premier gouvernement provisoire algérien en 1958. Parallèlement, la Chine reste reconnaissante pour l’Algérie, qui dès le début l’indépendance algérienne, n’a cessé de soutenir fermement la réunification et l’intégrité territoriale chinoise. La convergence entre les deux pays notamment sur les questions internationales les plus importantes, a facilité leur rapprochement, qui s’est traduit par un partenariat stratégique entre les deux pays, signé à Beijing en novembre 2006.
Si l’on prend en compte, les statistiques officielles tant algérienne que chinoise, le volume d’échanges commerciaux entre les deux pays a totalisé 3,828 milliards de dollars en 2007 et est en nette progression depuis. D’un autre côté, les exportations de l’Algérie envers la Chine ont atteint 1,140 milliards de dollars (+696% par rapport à 2006), tandis que ses importations étaient de 2,688 milliards de dollars (+38%).
En 2002, la Sinopec a signé un contrat pour développer le gisement de Zarzaïtine au Sahara, pour 420 millions d’euros. Le gisement doit fournir entre 1,3 millions et 2,5 millions de tonnes de pétrole par an à la Chine. Une autre société chinoise, la China National Oil and Gas Exploration, a construit une raffinerie à Adrar, dans le désert algérien. Ce volume des échanges a dépassé les 4 milliards de dollars fin 2008 et a avoisiné les 5 milliards de dollars, à la fin 2009.
Alger occupe une place particulière dans l’histoire de la coopération sino-africaine, étant un des rares pays africains à avoir obtenu son indépendance par une dure lutte armée, cet élément a d’emblée resserré les liens entre Alger et Pékin. Pays producteur de pétrole, l’Algérie a rejoint le rang des pays fournisseurs de la Chine. Le partenariat stratégique entre les deux pays, perçu comme un modèle de coopération Sud Sud, n’a cessé de se consolider. La Chine est déjà dans le top dix des fournisseurs et des clients de l’Algérie. Elle a l’opportunité de tirer avantage des secteurs sur lesquels les occidentaux refusent le transfert de technologie, comme à titre d’exemple le nucléaire civil, la médecine nucléaire, l’industrie spatiale, les secteurs militaires ou encore la recherche minière et médicale et d’autres secteurs sur lesquels l’Algérie est bien déficitaire.
Les sociétés chinoises obtiennent par conséquent de très nombreux contrats de construction dans des domaines variés comme la construction navale, aéronavale, l’équipement téléphonique, les forages pétroliers ou encore les logements sociaux. Ce dynamisme des entreprises chinoises s’explique par des prix très compétitifs et par des embauches de main d’œuvre locale, ce qui participe de la lutte contre le chômage plutôt endémique dans ces pays surtout parmi les jeunes diplômés.
Jusqu’en 1990, Pékin importait ses besoins énergétiques principalement d’Indonésie, du sultanat d’Oman, d’Arabie saoudite et d’Iran (5). L’augmentation de sa consommation pétrolière a poussé la Chine à diversifier ses sources d’approvisionnement, en mettant en place une véritable diplomatie pétrolière. L’Afrique reste le continent privilégié pour Pékin, conscient que les réserves du Moyen-Orient sont sous contrôle américain depuis l’invasion et l’occupation de l’Irak. Très rapidement la Chine est devenue le deuxième consommateur du pétrole africain, derrière les Etats-Unis. Des pays comme le Gabon, l’Algérie, le Congo ou encore la Libye répondent parfaitement aux besoins chinois en pétrole et entretiennent de bonnes relations, basées sur le respect mutuel et la non ingérence dans les affaires internes.
Les pays africains producteurs de pétrole affirment que la Chine présente quelques avantages non négligeables en tant que partenaire commercial. Pékin offre en effet son savoir-faire, sa main-d’œuvre et des crédits avantageux pour la construction d’infrastructures. La Chine par conséquent n’impose aucune condition politique préalable à une coopération bilatérale ou multilatérale avec les pays du Sud. Certains vont même jusqu’à considérer la Chine comme un contrepoids à l’hégémonie américaine notamment le Soudan qui a bénéficié d’un soutien entier de la Chine sur la question de Darfour. Ne perdons pas de vue que la diplomatie chinoise a toujours eu une position constante sur le Soudan et considère cette question comme une affaire interne à Khartoum.
En dépit de l’importance des gisements africains, des ressources présumées de l’Arctique ou encore des sites de pétrole offshore du Brésil, aucun Etat ne peut aujourd’hui se passer du pétrole du Moyen-Orient. Abritant près des deux tiers des réserves pétrolières conventionnelles mondiales et près de 40% des réserves gazières aujourd’hui connues, le Moyen-Orient demeure et demeurera certainement l’une des régions clés de production et d’exportation de pétrole brut. Cette région couvrira pour longtemps encore les besoins énergétiques aussi bien des pays riches que des pays émergents en tête des quels la Chine.
Certains États sont en effet des producteurs clé, je veux parler de l’Arabie saoudite particulièrement et accessoirement du Koweït, du Qatar et des Émirats arabes unis, sans oublier, l’Iran qui a une capacité de production considérable .Il faut rappeler que ce pays produisait pas moins de six millions de barils par jour en 1979, il n’en produit aujourd’hui que 4,3 millions actuellement dont la moitié seulement sont destinés à l’exportation soit environ 2,4 millions de barils. S’agissant de l’Irak, ces réserves connues sont aussi importantes, il y a quelques années sa capacité de production, avoisinait les 11 millions barils par jour, il n’en produit aujourd’hui que 2,5 millions barils jour, les guerres successives dans ce pays, et l’invasion américaine, ont eu des lourdes conséquences et ont contribuées à ralentir d’une manière drastique la production de ce pays.
Riyad abrite en effet, le plus grand champ pétrolier du monde, celui de Ghawar (6). La région abrite également des terminaux pétroliers et gaziers majeurs pour l’industrie mondiale des hydrocarbures. Le plus grand, le site saoudien de Ras Tanura, possède une capacité de raffinage de plus de 30 millions de tonnes par an.
Le Moyen-Orient au cœur des enjeux énergétiques: la carte saoudienne
Les gisements pétroliers étant tarissables par définition, le fait que leur localisation géographique ne coïncide pas avec l’emplacement des Etats consommateurs, font que l’exploitation et l’accès à ses ressources stratégiques, étaient et demeurent une source permanente de tensions mondiales depuis les premières découvertes en ce début du XXe siècle. Importatrice nette depuis 1993, avec une consommation qui augmente de près de 15% par an, la Chine est désormais le deuxième consommateur mondial d’or noir après les Etats-Unis, du fait d’un développement industriel important, elle est également le premier marché mondial pour l’automobile
La diplomatie chinoise du Moyen-Orient s’articule en deux volets, bilatéral et multilatéral. Elle oscille entre sa dépendance croissante vis-à-vis du pétrole de la région, impliquant des concessions politiques, et sa volonté de s’affirmer comme puissance responsable dans les affaires régionales et internationales, notamment sur la question palestinienne, avec des succès de plus en plus visibles. Je rappelle que la Chine a reconnut l’Etat palestinien au niveau diplomatique depuis le 20 octobre 1988 et n’a eu de cesse depuis de soutenir la solution pacifique du conflit par l’application des résolutions des Nations unies notamment les résolutions 242 et 338.
Si l’axe bilatéral de la diplomatie moyen-orientale de la Chine s’étend à l’ensemble des pays de la région, mettant de côté les aspects politiques, Pékin a noué des relations commerciales avec tous les pays de la région en accordant néanmoins une attention particulière à l’équilibre de sa balance commerciale. L’approvisionnement en pétrole en Iran, au Sultanat d’Oman et en Arabie saoudite constitue la priorité de la stratégie chinoise dans la région. En effet, si l’Afrique participe à hauteur d’environ 21%, la région Asie Pacifique à hauteur de 20%, le Moyen orient représente plus 40 % de ces importations en hydrocarbures.
La Chine s’emploie à renforcer des partenariats solides avec les pays riches en pétrole, dans la région du Moyen-Orient, la carte saoudienne occupe une place névralgique dans sa stratégie de diversification de son approvisionnement en or noir. Le Prophète de l’Islam Mohammed a dit une phrase célèbre : « pour ceux qui sont en quête de la connaissance, même la Chine n’est pas trop éloignée ». Depuis des siècles, Arabes et Chinois apprennent les uns des autres et l’histoire de leur amitié remonte aux temps les plus reculés.
Les nations arabe et chinoise ont une longue histoire, elles ont crées des civilisations brillantes et originales. L’histoire des relations contemporaines sino-arabes, démarre à partir 1950, quand les Chinois décident de nouer des liens et des relations diplomatiques affirmées avec le monde arabe. Qu’en est-il du rapprochement entre la Chine et l’Arabie saoudite, premier producteur de pétrole au monde ? Depuis le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays en 1990, le développement des liens diplomatiques, économiques, commerciales voire stratégiques s’est considérablement accru.
Depuis 2001, l’Arabie saoudite a subtilement réorientée sa stratégie pétrolière et ses investissements vers l’Asie, aussi un partenariat stratégique sino saoudien a pris place aux côtés du partenariat stratégique saudi-états-uniens mis à mal par les attentats du 11 septembre. Ce n’est pas un hasard si le premier voyage officiel du Roi Abdallah depuis son accession au trône (août 2005) a eu pour destination l’Asie avec une première escale à Pékin le 22 janvier 2007. Plusieurs accords bilatéraux, économiques et politiques y ont été signés. Il paraît clairement que le royaume saoudien et certaines monarchies du CCG « Conseil de Coopération du Golfe », ont enclenché une orientation très asiato-centrée, on évoque même la conclusion très probable d’un accord de libre-échange entre le CCG et Pékin, ce qui peut renforcer d’autant plus solidement la position des sociétés chinoises en Arabie saoudite, que les négociations d’un accord de libre-échange CCG-UE patinent depuis plus de vingt ans et semblent définitivement s’orienter vers une forme de coopération bilatérale entre l’Union européenne et les pays membres du CCG, souhaitant s’y engager.
La Chine qui a accueilli en 2010 la quatrième session ministérielle du Forum de la coopération sino-arabe, lancé en en 2004, qui se tient tous les deux ans, a fait de ce forum un cadre idéal d’échange et de discussion entre les deux parties. Se faisant, il a conféré une dimension stratégique à la coopération entre la Chine et le monde arabe, axée sur le développement des intérêts communs des deux parties. Sur le plan économique, les deux parties entretiennent des relations très fortes. Les chiffres sont très significatifs à cet égard. L’année 2009, a été une année très dense, puisque à la lecture des statistiques des autorités chinoises, présentées par M. Zhai Jun, vice ministre chinois des Affaires étrangères, le volume des échanges commerciaux entre les deux parties avait atteint plus 100 milliards de dollars et que son pays avait importé quelque 90 millions de tonnes de pétrole en grande partie du Moyen-Orient. Certes la Chine, mais également l’Inde, le Japon et même la Corée du Sud, se placent aujourd’hui dans une position très favorable pour réaliser un partenariat industriel d’une grande importance avec les pays du CCG et particulièrement avec l’Arabie saoudite. Il faut dire qu’outre le facteur pétrolier toujours présent, la proximité géographique des Etats asiatiques avec l’Arabie saoudite et les pays du CCG et les performances économiques indéniables dont ils font objet depuis les trente dernières années, sont de nature à encourager les pays du CCG à renforcer la coopération avec la Chine et lui donner un caractère stratégique pour l’ensemble des parties selon l’équation chère aux chinois « gagnant-gagnant ».
Seulement cette situation n’est pas pour plaire aux Etats-Unis qui tiennent à rester le premier partenaire, considérant cette région comme une « chasse gardée » américaine, elle suscite par conséquent des inquiétudes et des réactions américaines, ce qui est loin d’être loin le cas de l’Europe qui semble se contenter de son rôle de principal perdant de cette concurrence sino-américaine déclenchée par l’Arabie saoudite et les membres du CCG. Seulement voilà la Chine détient un atout de taille, elle dispose de la plus grande réserve en dollars de l’histoire soit plus de 2 000 milliards de dollars en 2009. Avec un dollar historiquement faible, ce stock devient une arme non négligeable. Ceci favorise la position de Pékin de partenaire industriel et financier de premier ordre notamment pour les pays arabes. La performance de l’économie chinoise qui compte parmi la plus dynamique au monde, peut amener Pékin à renforces des relations stratégiques avec ces pays. La question lancinante est la suivante: sommes-nous entrain d’assister à cet affrontement Chine-Etats-unis que l’on annonce comme inévitable depuis des décennies? L’opposition frappante entre le déficit abyssal et non moins régulier des Etats-Unis, représentant aujourd’hui quasiment 100% du PIB américain et le surplus quasi structurel de la Chine qui par ailleurs finance ce déficit américain à hauteur de près de 30% en 2009 (il était de 13% en l’an 2000), peut-il être le fer de lance de cet affrontement? Autrement dit, les Etats-Unis peuvent-il se maintenir encore longtemps comme la véritable colonne vertébrale de la défense et de la protection du royaume saaoudien et des autres monarchies du Golfe. L’avenir le dira.
Néanmoins c’est un autre problème qui gène Pékin aujourd’hui en tous les cas davantage que cet affrontement annoncé avec les Etats-Unis. Je veux parler des révolutions arabes qui ont secoué non seulement la région maghrébine mais quasiment l’ensemble du monde arabe, qui sont probablement entrain de changer l’ordre des choses et le statu quo en vigueur dans le monde arabe depuis les indépendances grâce notamment à l’appui souvent inconditionnel des Etats-Unis et de l’Occident à des régimes corrompus et corrupteurs.
La Chine suit forcément de très près, l’issue de ces révolutions, faisant mine de pas les commenter et mieux de pas s’y intéresser. En vérité, le possible onde de choc des évènements dans le monde arabe fait craindre aux dirigeants chinois le risque d’une contagion, pourtant hautement improbable, à la Chine. Qu’en est-il?
La Chine dans la tourmente des révolutions arabes
La révolution du « jasmin » a été le fer de lance, une rampe de lancement de ce qu’il convient d’appeler désormais le « printemps arabe », qui a vu successivement la chute de deux dictateurs d’un gros calibre, j’ai nommé Ben Ali et Moubarak.
L’effet de dominos est terrible pour les autres, que ce soit en Libye ou le régime pernicieux de Ghadafi cherche à prolonger l’échéance au prix d’un terrible massacre de population civile dans lequel l’impensable était utilisée je veux parler d’avions de combats achetés d’ailleurs à la France dans les années 80 qui bombardent sans distinction.
Ailleurs, notamment au Yémen, l’actuel président Ali Salah au pouvoir depuis plus de trente ans saisit le ballon en vol et annonce qu’il ne briguera pas un nouveau mandat et qu’il ne chercherait pas à installer son fils au pouvoir à sa place ce qui était pourtant programmé.
En Jordanie le roi sent la révolte se rapprocher et annonce toute une série de réformes doublée d’un remaniement ministériel, quant à la Syrie le président Bachar a annoncé également une série des mesures en faveur des couches les plus démunis comme la baisse du prix du chauffage et de l’essence, voilà à mon sens une tentative à la fois insignifiante et tardive pour tenter de relativiser la portée de la contestation qui grandie d’un jour à l’autre, qui atteint aujourd’hui son paroxysme.
Ce qui est acquis, c’est qu’un vent de changement souffle désormais sur le Maghreb et tous le monde arabe et plus rien ne peut arrêter ce désir ardent des populations arabes à une meilleure gouvernance qui passe inévitablement par des changements des régimes autocrates et incompétents qui depuis plus de 20 à 40 ans se sont servis plutôt que de servir. Ces révolutions vont pour le moins bouleverser non seulement les pays arabes, mais également les relations qu’entretenaient ces pays en ébullition avec le reste du monde. Nombre de pays occidentaux observent de près l’évolution des différentes situations avec des solutions différentes apportées ici et là. En grande puissance, la Chine n’échappe pas à cette règle, même si officiellement Pékin se contente d’observer sans prendre une quelconque position, fidèle à sa stratégie de ne pas s’immiscer dans les affaires internes des Etats, du moins en apparence.
Pour autant la Chine s’inquiète à juste titre, notamment des risques à mon sens improbables de contagion notamment dans les provinces musulmanes. La Chine se contente visiblement, d’observer ce sursaut révolutionnaire et adopte une grande prudence dans le traitement des informations en lien avec les pays arabes en proie à des changements en profondeur. Pékin a peur et semble relativiser la portée de ces révolutions, allant jusqu’à déconsidérer ce type de changement comme l’atteste le traitement des médias chinois qui ne s’attardent guère sur les revendications et les origines de ces mouvements. L’objectif étant de ne pas donner des idées aux chinois et notamment aux séparatistes musulmans situés au nord ouest de la Chine. Je veux parler des militants musulmans du Xinjiang, une province autonome semblable au Tibet
Les déclarations de Hu Jintao à propos des manifestations qu’a entraîné le passage de la flamme olympique en Europe montrent que la Chine se sent menacée au Tibet, dans la province du Xinjiang, territoire qu’elle ne veut perdre. La Chine ne perd pas de vue la désintégration du territoire du voisin russe, qui lui fait horreur, encouragés il est vrai par les positions de bon nombre de Russes qui estimaient que leurs dirigeants auraient dû suivre l’exemple chinois. Toutefois la différence est de taille: si en Chine la périphérie s’agite, sans aucun résultat tangible, en Russie c’est le centre qui a implosé, entraînant avec lui la désintégration de l’empire.
Aujourd’hui, la Chine étudie avec inquiétude les mouvements nationalistes et séparatistes qui lui posent de sérieux problèmes à la fois interne mais également de critiques à l’extérieur. Dès lors on peut légitimement s’interroger sur les incidences de ces mouvements et au delà sur l’avenir des relations sino-arabes après cet élan libérateur des peuples arabes? La question est d’autant plus intéressante que la présence de l’islam en Chine populaire n’a commencé que depuis peu à intéresser l’opinion publique mondiale, quand des troubles ont éclaté en 1988-1989 dans le Xinjiang et que des républiques de l’ex-URSS à forte majorité musulmane sont devenues indépendantes en Asie centrale.
Il faut d’abord rappeler que les relations sino–arabes sont très anciennes, commencées par des échanges principalement maritimes, commencés dès avant 500 après J.C, le résultat étant l’installation de quelques commerçants arabes notamment sur les côtes méridionales, principalement dans les a provinces actuelles de Canton, de Fujian, Zhejiang et Jiangsu. Quelques années après l’hégire en 622, on assiste à un début de présence musulmane en Chine, qui s’est renforcée par la suite par le processus d’expansion de l’islam, poussant les Arabes vers une conquête de l’Asie centrale. Ceci a eu pour effet quasi immédiat la conversion de tribus d’origine turque et mongole du centre de l’Asie, alors en contact avec l’empire chinois. Les historiens datent l’implantation de l’islam en Chine en 651 avec l’arrivée des émissaires du calife abbaside Osman Ibn Affan (7).
Le développement du commerce de la soie autour des côtes chinoises a joué un rôle majeur dans l’installation d’une forte communauté arabe en Chine, appelée alors « Fanke » ou hôtes étrangers, dirigée par un juriste « Qadi », dont le mariage mixte a consolidé les liens avec les autochtones. Cette communauté, n’était pas seulement arabe, il existait en effet d’autres groupes ethniques notamment persans, mais tous soudés par une religion, l’islam. L’expansion musulmane s’est poursuit dans l’Asie du centre et du nord, particulièrement par la conversion de la population Uigur en 965, aujourd’hui connue sous le nom de musulmans de la province Xinjiang.
D’après les statistiques officielles des autorités chinoises, les musulmans chinois sont passés de près de 11 millions en 1951 à plus de 20 millions aujourd’hui, alors que d’autres estimations avancent le chiffre de 40 à 60 million, avec plus de 30.000 imams et presque 24.000 mosquées répartis principalement dans les provinces musulmanes de l’empire. Depuis 1980, les séparatistes musulmans de la province autonome du Xinjiang, ont de plus en plus contesté l’autorité centrale de Beijing, néanmoins ce conflit est resté très discret, par conséquent moins connu que la lutte historique des Tibétains contre le gouvernement central chinois.
La Chine craint en effet la contagion des printemps arabes. Les enjeux sont élevés, et Pékin s’inquiète sans aucun doute de ce que le séparatisme musulman devienne une menace importante pour la stabilité politique à long terme de la Chine, à commencer par les régions périphériques du pays. Pékin craint en particulier une coordination de plus en plus efficace entre le séparatisme du Xinjiang et le mouvement d’indépendance actif du Tibet qui a le soutien international principalement des Etats-Unis et de l’Europe. Un autre élément économique donne une importance majeure à la province du Xinjiang dont les importantes réserves pétrolières seraient fortement utiles aux progrès économiques de la Chine, si toutefois elles s’avèrent exactes, notamment dans le bassin de Tarim. Par ailleurs, cette région désertique, renferme d’autres richesses notamment du plomb, du zinc et de l’or, des sources hautement précieuses pour Pékin
L’extrémisme musulman actuel dans le Xinjiang a été inspiré par les changements en profondeur qui ont secoué l’Asie centrale au cours de la dernière décennie. L’indépendance à laquelle ont accédé les républiques musulmanes voisines, conséquence de la dislocation de l’Union soviétique a sans doute alimenté les espoirs des séparatistes du Xinjiang de parvenir à l’autonomie à leur tour. D’autre part la défaite de l’armée soviétique et son retrait dans la difficulté d’Afghanistan a forgé chez les séparatistes musulmans un mental de vainqueur surtout quand il s’agit d’affronter et de vaincre des des puissances mondiales.
Ce qui est certain c’est que l’issue finale de la lutte dans le Xinjiang est loin d’être certaine. La réémergence de l’identité islamique partout en Asie centrale a certainement donné une dimension nouvelle au conflit, aussi la réponse répressive et exclusivement sécuritaire de Beijing ne peut que compliquer davantage la question à l’avenir. A cela s’ajoute le soutien qu’apporte la communauté musulmane et notamment les mouvements jihadistes aux séparatistes du Xinjiang. Dans ce contexte de révolutions arabes contre l’oppression et l’injustice, toute la priorité pour la Chine aujourd’hui est de garder de bonnes relations avec les Etats arabes en majorité musulmans sans heurter la sensibilité des peuples arabes musulmans, tous juste débarrassées de certains de leurs dictateurs, en pratiquant la répression d’autres musulmans, même si Pékin considère ce problème comme une affaire strictement interne. Pékin aura tout intérêt à adopter des mesures plus efficaces permettant aux musulmans de ces provinces de jouir d’une réelle autonomie qui aura un sens dans le cadre d’une administration chinoise plus souple.
Le traitement des médias chinois des printemps arabes, reste très prudent, obéissant à des règles strictes émanant de l’appareil du parti, il rappelle les déboires voire les responsabilités historiques à la fois des Etats-Unis et de l’Europe. Un article du Quotidien du peuple sous le titre ironique « Washington piégé au Moyen Orient » illustre bien la position officielle de la Chine: cet article contient une analyse des contradictions américaines en Egypte, qui entretiennent une position très délicate entre leur soutien à Israël, partenaire stratégique et leur obligation de s’adapter à l’évolution de l’histoire de cette région. Le journal va plus loin en critiquant la politique américaine dans cette région poudrière en des termes très durs, je cite : « Les Etats-Unis jouent avec le feu. Ayant contribué à mettre sous le boisseau les réformes politiques dans la région, ils participent aujourd’hui à créer les conditions de l’émergence de forces extrémistes radicales. Mais si l’Oncle SAM était dépassé par son propre machiavélisme, le pétard qu’il a lui-même allumé pourrait bien lui exploser à la figure ».
Le même journal, revenant sur le dossier égyptien, dans un article portant le nom « l’Egypte a gagné une bataille, mais elle n’a pas gagné la guerre », considère que le problème dans ces pays n’est pas tant la démocratie dont il met en doute l’efficacité et insiste lourdement sur l’inégalité entre les couches sociales égyptiennes et l’absence de partage des richesses dans ce pays, on peut y lire par exemple : « la classe moyenne égyptienne est faible, la bureaucratie, la corruption dominent le système politique, les écarts de revenus sont considérables. La démocratie à elle seule ne viendra pas à bout de ces problèmes. Il y faudra d’abord un long et difficile processus de développement de toute la société égyptienne ».
Dans un autre article d’un autre journal, le China Daily, qui tout en essayant d’analyser les causes politiques, mettant en avant les conséquences sociales et politiques de la crise économique et monétaire mondiale, rappelle que ces révolutions arabes relèvent de questions internes et que par conséquent, il ne faudrait pas s’immiscer, on peut y lire notamment : « la hausse des prix, le chômage et le désordre monétaire sont à la racine des troubles, dont les premières victimes sont les pays en développement à faibles revenus »
La position chinoise semble bien critique de la solution démocratique à tous prix, que semble défendre l’Occident et les Etats-Unis de la manière la plus hypocrite quand on connaît le soutien indéfectible apporté par l’une et l’autre puissance à des régimes corrompus au non de la lutte contre l’extrémisme. La position chinoise insiste sur la nécessité d’un compromis, plutôt que la révolution et ses conséquences directes, le désordre et le chaos généralisé.
Paradoxalement le malaise dans le quel sont plongés certaines démocraties occidentales, que ce soit la France avec ces tergiversations et ses déboires dans le traitement du dossier tunisien, ou encore les Etats-Unis qui ont toujours apporté un soutien sans faille au dictateur déchu Moubarak et l’inaction de ces sois disons démocraties et leur silence criminel sur le dossier syrien, yéménite et bahreïni, ouvre des possibilités pour la Chine qui ne manquera pas de les exploiter. En effet, comme je l’ai rappelé plus haut, l’instauration de la démocratie même embryonnaire par l’arrivée de nouvelles représentations politiques dans les pays arabes, libérés, pourrait faire le bonheur de la Chine par une baisse importante de l’influence occidentale si ce n’est l’éviction quasi totale des puissances occidentales, au bénéfice de Pékin.
Puissance montante indiscutable, la Chine pourrait gagner cette bataille face aux puissances occidentales sur le terrain de l’investissement qu’elle pourrait apporter aux nouveaux dirigeants dont les pays souffrent de graves difficultés économiques tant les demandes et les aspirations à l’égalité économiques sont énormes pour des populations longtemps laissées en marge de toute participation aux richesses de ces pays. Dans ce contexte de crise économique mondiale aggravée pour ces pays par des mois de manifestations, et de récession économique, les priorités politiques pourraient probablement s’effacer devant la convergence d’intérêts strictement économiques. Il est fort possible que les printemps arabes qui ont secoué la conscience mondiale dont les effets ont dépassés le cadre strictement régional, pourraient à court et moyen terme tourner à l’avantage d’un pays qui pour le moins qu’on puise dire n’est pas une démocratie.
Sommes nous en train d’assister à un paradoxe, la montée de la Chine pas seulement en tant que puissance mondiale mais également en tant qua partenaire privilégié des pays du Sud, en partie grâce aux révolutions arabes? L’histoire le dira.
Résumé
Napoléon Bonaparte disait : “quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera”.
Plus d’un demi-siècle après la naissance de la Chine populaire, le cours de l’histoire chinoise apparaît aujourd’hui plus stable sans être néanmoins dépourvus d’interrogations. En dépit d’une image ternie notamment par les évènements tragiques de 1989, la Chine a pu accélérer la marche de son développement économique et son ouverture sur le monde, notamment arabe, renouant ainsi avec son héritage culturel et historique national et une stratégie de pénétration, basée sur le respect mutuel et sur un marché de gagnant-gagnant, ce qui peut probablement permettre aux pays arabes de sortir du verrou américain et occidental.
Résumé en anglais
? Napoleon Bonaparte said, « When China awakes, the world will tremble ».
More than a half a century after the birth of the People’s Republic of China, the course of Chinese
history seems more stable today but not void of numerous interrogations. Despite an image tarnished by the tragic events that took place in 1989 at Tiananmen, China has been able to accelerate its pace of economic development and has opened up to the outside world, notably to the Arab world, reignited its cultural and historic tradition and its strategy of penetration based on mutual respect, and a win-win engagement, which will probably help Arab countries escape American and Western grips.
Notes
(1) Confucius (env. 551- 479 av. J.-C.): Philosophe et penseur chinois, il a exercé une puissante influence sur la culture chinoise et sur son histoire dont on voit encore aujourd’hui les effets. Pour lui, le bon fonctionnement d’une société passe obligatoirement par la connaissance d’un ordre cosmique supérieur porteur de préceptes universels, et par la reconnaissance d’un ordre intime propre à la nature humaine. Car dès lors que l’homme se ressent porteur de la plus grande vertu qui soit et qu’il nomme « noblesse du ciel », il se découvre uni à l’infini comme avec les autres et comprend que l’ordre social ne peut émaner que de sa volonté de développer la perfection qui est en lui. Confucius préconise, à cet effet, de forger nos propres comportements, par amour pour autrui comme pour nous-mêmes, selon cinq principes de base: la bonté, la droiture, la bienséance, la sagesse et la loyauté. A la lumière de la médecine chinoise qui se préoccupe avant tout de soigner la cause du mal, la doctrine confucéenne propose de soigner la cause profonde des désordres sociaux. Les instituts chinois qui se réclament de courant philosophique, ont pour mission de développer la diffusion de la langue et la civilisation chinoise à travers le monde. Même si le premier institut Confucius n’a été lancé qu’en 2004 en Ouzbékistan, l’on compte depuis le début de 2009 plus de 290 instituts répartis sur plus de 98 pays à travers le monde. A titre d’exemple en compte sept instituts rien qu’en France
(2) On désigne par Tiers Etat, le troisième ordre de la société d’Ancien Régime, ils concerne tous ceux qui n’appartiennent ni au clergé, ni à la noblesse et exercent des activités économiques telles que les agriculteurs, les marins, les artisans et commerçants, c’est-à-dire la grande majorité, soit 95% des Français.
(3) China Petroleum and Chemical Corporation ou Sinopec, deuxième pétrolier mondial et premier raffineur en Asie. Ce géant pétrolier chinois est présent dans des zones stratégiques, comme en Afrique, dans le monde arabe et au Kazakhstan dont il contrôle près de 20% du pétrole si l’on croît l’AIE « Agence internationale de l’énergie ». Cet intérêt marqué pour le Kazakhstan résulte de l’existence d’un pipeline de 2.200 kilomètres de long qui permet de relier les côtes de la mer Caspienne à la Chine. D’ici à 2015, cet oléoduc va permettre de transporter environ 6 % des importations de la Chine. Ce qui devrait réduire quelque peu la dépendance du deuxième consommateur de pétrole au monde vis-à-vis du Moyen-Orient et de l’Afrique (76 % des importations chinoises en 2010 et en 2011). Il existe deux autres sociétés aussi importantes, issues toutes d’une réorganisation du ministère chinois de l’industrie pétrolière mise en place entre 1981 et 1983. Il s’agit de « China National Offshore Oil Corporation » (CNOOC), créée en 1982, en vue de développer et d’exploiter les gisements offshore. La troisième est crée en 1988, elle résulte de la transformation du ministère de l’Industrie Pétrolière, devenu lui même compagnie sous le nom de « China National Petroleum Company « (CNPC), chargée de la production on shore.
(4) CCTV-Arabic China Central Television (CCTV), n’est pas la première chaîne arabe, l’empire du milieu n’est donc pas précurseur dans ce domaine, d’autres pays l’ont devancé notamment aux Etats-unis avec la création de la chaîne arabe El Hurra, en Angleterre avec la mise en place de la chaîne BBC arabic ou encore en Russie avec la diffusion de la chaîne Roussya elyoum, en France avec la présence de France24 et en Turquie avec la chaîne TRTarabic
(5) L’Iran exporte 340 000 barils de pétrole par jour en Chine, ce qui place l’Iran comme troisième plus grand fournisseur de la Chine après l’Angola et l’Arabie Saoudite. Les investissements de la Chine dans les infrastructures pétrolières iraniennes comprennent un accord récent de 100 billions de dollars US pour développer le champ pétrolier de Yadavanan, et la construction d’un pipeline pétrolier de 386 Km traversant le Kazakhstan voisin.
(6) Le champ pétrolier de Ghawar est le joyau de la couronne, le plus grand champ pétrolier au monde, s’étendant sur plus de 200 km de zone désertique. Il produit deux fois plus que n’importe quel autre champ et a manifestement contribué à plus de la moitié des ressources du Royaume. La difficulté majeure, c’est qu’il est exploité depuis plus de cinquante ans, et on évoque déjà son assèchement et à terme son déclin.
(7) Othman Ibn Affân Ibn al-Âs Ibn Amîa (579-656) est le troisième calife succédant à Abû Bakr, puis Omar, son règne s’est étalé de 644 à 656. Selon la tradition, il est le premier Mecquois converti à l’islam, conversation intervenue avant l’hégire, mot qui désigne le départ du Prophète Mahommad et de ses compagnons de la Mecque vers Médine, connue avant sus le nom d’oasis de Yathrib en 622.
Préféré à Ali, il suscita des mécontentements autour de lui notamment par la confiscation au profit de son clan d’une partie du butin ramené des conquêtes d’Afrique, d’Asie Mineure et de Perse. C’est sous son règne que la conquête de nouveaux territoires était la plus accrue en l’an 649 où de nombreux territoires africains et espagnols furent conquis. Il fut assassiné à Médine le 17 juin 656 et c’est Ali qui a été désigné par la population médinoise comme successeur en tant quatrième calife de l’islam.
Mohamed TROUDI est chercheur en relations internationales et stratégiques, politologue, spécialiste du monde arabe et musulman. Il collabore à la revue Géostratégiques et intervient régulièrement dans les colonnes de Politique-actu.
Publié dans la Revue Geostrategiques :
http://www.strategicsinternational.com/
Voir aussi : Rubrique Chine, rubrique Méditerrannée, rubrique Moyen-Orient, rubrique Géopolitique, rubrique Histoire,
La Palestine devient membre à part entière de l’Unesco
Les Palestiniens ont enregistré lundi 31 octobre à Paris une victoire diplomatique aussi symbolique que significative sur la voie de la reconnaissance de leur Etat, en obtenant le statut de membre à part entière de l’Unesco, l’une des principales agences de l’ONU.
« La Conférence générale (qui réunit l’ensemble des Etats membres, ndlr) décide de l’admission de la Palestine comme membre de l’Unesco », dit la résolution adoptée par 107 voix pour, 52 abstentions et 14 voix contre, parmi les pays présents lundi au siège de l’Unesco à Paris.
« L’entrée de la Palestine porte le nombre d’Etats membres de l’Unesco à 195 », a déclaré l’organisation dans un communiqué. La quasi-totalité des pays arabes, africains et latino-américains se sont prononcés pour l’adhésion des Palestiniens, de même que la France qui avait pourtant émis de sérieuses réserves ces derniers jours sur la démarche palestinienne. « L’Unesco, ce n’est ni le lieu ni le moment. Tout doit se passer à New York », jugeait encore vendredi le ministère français des Affaires étrangères.
« Prématuré »
Car beaucoup d’Occidentaux estimaient que la candidature à l’Unesco ne pouvait précéder l’aboutissement de la démarche entreprise par les Palestiniens auprès de l’ONU à New York.
Le président palestinien Mahmoud Abbas avait solennellement demandé le 23 septembre à l’ONU de reconnaître l’Etat palestinien. Cette demande doit être examinée le 11 novembre par le Conseil de sécurité, où elle pourrait être frappée d’un veto américain.
« Nous pensons que c’est contreproductif. C’est une mesure prématurée », a répété lundi devant la Conférence générale de l’Unesco la sous-secrétaire américaine à l’Education, Martha Kanter.
Les Etats-Unis, l’Allemagne et le Canada ont voté contre, tandis que parmi les Européens, l’Italie et le Royaume Uni se sont abstenus.
« Ce vote permettra d’effacer une infime partie de l’injustice faite au peuple palestinien », a déclaré devant la Conférence générale le ministre des Affaires étrangères de l’Autorité palestinienne, Riyad al-Malki.
Embarras américain
Il a assuré que la demande palestinienne était déconnectée de ses démarches à l’ONU à New York et précisé que les Palestiniens avaient besoin de l’aide de l’Unesco pour protéger leur patrimoine historique et culturel.
Cette admission palestinienne embarrasse particulièrement les Américains, qu’elle place dans une position délicate vis-à-vis de l’Unesco. La pleine adhésion des Palestiniens, qui bénéficiaient jusqu’à présent du statut d’observateur, devrait provoquer l’arrêt immédiat de leur contribution financière à l’organisation, soit 70 millions de dollars et 22% de son budget.
Après l’avoir boycotté pendant 20 ans (1984-2003) pour protester contre sa mauvaise gestion et son idéologie tiers-mondiste, les Etats-Unis participent désormais activement aux programmes de l’agence, y voyant un moyen de diffuser certaines valeurs occidentales sans se mettre en première ligne.
Les diplomates de l’Unesco insistent notamment sur l’importance à leurs yeux des programmes en faveur des femmes et des filles dans certains pays.
Les Américains sont tenus par deux lois du début des années 1990 qui interdisent le financement d’une agence spécialisée des Nations unies qui accepterait les Palestiniens en tant qu’Etat membre à part entière, en l’absence d’accord de paix avec Israël.
Dotations retirées
« La décision d’aujourd’hui va compliquer notre capacité à soutenir les programmes de l’Unesco », a confirmé l’ambassadeur américain auprès de l’Unesco, David Killion.
Pour l’Unesco, les conséquences financières seront considérables. Israël devrait suivre les Américains et retirer lui aussi sa dotation. Selon l’ambassadeur israélien Nimrod Barkan, le budget de l’Unesco serait ainsi amputé d’un quart de son montant.
« Cela deviendra impossible pour l’Unesco de remplir sa mission », a-t-il estimé Nimrod Barkan.
La directrice générale de l’Unesco Irina Bokova admettait vendredi que l’organisation devrait probablement réduire la voilure.
« Il faudra couper des programmes, réajuster l’équilibre de notre budget. Mais ce n’est pas seulement un problème financier, c’est un problème qui concerne l’universalité de notre organisation », affirmait-elle.
AFP
Reconnaître la stratégie palestinienne
L’Unesco a récompensé par sa décision les efforts des Palestiniens modérés pour trouver une solution diplomatique au Proche-Orient, ce à quoi ni les Etats-Unis ni Israël ne devraient s’opposer, estime le quotidien libéral La Stampa : « Si les Palestiniens prennent les armes, on crie aussitôt que la violence empêche la paix. S’ils tentent de recourir au levier diplomatique, on y voit une initiative unilatérale qui empêche la paix. Nous aimerions donc bien savoir – notamment des Etats-Unis, d’Israël et même de l’Italie qui s’est abstenue lors du vote à l’Unesco – ce que les Palestiniens devraient faire. Il est douteux de prétendre que la reconnaissance par l’Unesco équivaut à une menace. La nouvelle stratégie tout à fait habile des Palestiniens s’inscrit au cœur des institutions internationales et des nouveaux équilibres mondiaux. Les Etats-Unis et Israël feraient bien de reconnaître l’intelligence de cette stratégie et de réagir avec la même intelligence. »
La Stampa (Italie)
La réaction trop vive de Washington
En réaction à l’adhésion de la Palestine à l’Unesco, les Etats-Unis ont suspendu le versement de leur contribution financière. Washington prend ainsi le risque de s’isoler, estime le quotidien conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung : « L’adhésion de la ‘Palestine’ à l’Unesco est pour les Palestiniens un résultat honorable qui pourrait les rapprocher un peu plus d’une entrée aux Nations unies. Israël et les Etats-Unis devraient se demander si cette adhésion de la ‘Palestine’ a un poids si important qu’ils doivent se retirer de l’organisation. Washington l’a déjà fait une fois et s’était ainsi isolé tout seul.
Frankfurter Allgemeine Zeitung (Allemagne)
Livre
Palestine Israël un Etat, deux Etats ?
Quatrième de couverture
Israël et la Palestine doivent-ils former un, ou deux Etats ? Soulevé dès le début du XXe siècle, ce vieux débat revient au premier plan de l’actualité. Et pour cause : plus de six décennies après le plan de partage de la Palestine (1947), plus de quatre après l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza (1967), et près de vingt ans après les accords d’Oslo (1993), Israël continue de coloniser la Palestine mandataire. Autrement dit, ni la lutte armée ni le combat politico-diplomatique n’ont réussi à réaliser l’autodétermination du peuple palestinien.
Face à l’intransigeance du gouvernement israélien et à la pusillanimité de la “communauté internationale”, comment réussir demain ce qui a échoué hier ? Cette question, née de l’échec même du prétendu “processus de paix”, de nombreux Palestiniens se la posent, et avec eux beaucoup de leurs amis à travers le monde. Et quand bien même l’Organisation des Nations unies, en cet automne 2011, accueillerait enfin l’Etat de la Palestine en son sein, la question de l’avenir institutionnel des deux peuples se trouvera au centre des futures négociations.
Clarifier les enjeux de ce débat, voilà le but de cet ouvrage collectif qui en approfondit toutes les dimensions : juridiques, démographiques, économiques, politiques et diplomatiques. Pour peser atouts et faiblesses des différentes solutions, neuf spécialistes, choisis à la fois pour leur compétence reconnue et la diversité de leurs sensibilités, font le point : Gadi Algazi, Isabelle Avran, Monique Chemillier-Gendreau, Youssef Courbage, Leila Farsakh, Farouk Mardam Bey, Julien Salingue, Dominique Vidal et Raef Zreik.
Historien et journaliste, Dominique Vidal a écrit de nombreux ouvrages sur le conflit israélo-palestinien et son histoire, notamment Comment Israël expulsa les Palestiniens 1947-1949 (Editions de l’Atelier, Ivry-sur-Seine, 2008) et – avec Alain Gresh et Emmanuelle Pauly – Les 100 clés du Proche-Orient (Fayard, Paris, 2011). Il a aussi dirigé avec Bertrand Badie Nouveaux acteurs, nouvelle donne. L’Etat du monde 2012 (La Découverte, Paris, 2011).
Collectif sous la direction de Dominique Vidal
Coédition Sindbad / Institut des Etudes palestiniennes
Prix : 23,00 € En librairie le 2 novembre
Visa pour l’Image : Le plus grand magazine du monde

Guatemala : Une Paix bien plus violente que la guerre. Rodrigo ABD, Associated Press
Festival. Visa pour l’Image est aujourd’hui le lieu de rassemblement majeur des acteurs internationaux de la presse et du photojournalisme. Quelques raisons de ce succès.
Après La gare de Dali, Visa pour l’Image fait de Perpignan le centre du monde à la différence, que depuis 23 ans, on est passé en mode réaliste. Pendant deux semaines jusqu’au 11 septembre, le festival revient sur « l’actu » de l’année. Les visiteurs* se succèdent continuellement pour découvrir les 28 expositions gratuites de la manifestation. Nombre de regards traduisent un intérêt acéré. Au-delà de l’esthétisme qui demeure au rendez-vous, ils décryptent l’écriture photographique comme une expérience signifiante qui s’offre à leurs yeux.
C’est peu dire que cette forme d’expression n’a rien de commun avec la télévision et les autres médias tant la puissance des reportages sélectionnés emporte. La vision d’actualité du photojournalisme défendue par le fondateur du festival, Jean-François Leroy, refuse la course médiatique pour rester en phase avec ce qui se passe. Une qualité d’exigence rare qui se heurte aux pratiques d’aujourd’hui. Celles qui bradent les valeurs professionnelles, comme la rigueur, l’engagement pour un sujet, et la crédibilité de l’information sous couvert de l’évolution technologique. Comme si rapidité et rentabilité rimaient avec authenticité. Ce sujet reste au cœur du débat des rencontres professionnelles.

Kesennuma : The man with a dog 22 mars 2011, Issey Kato Reuter
A travers plusieurs séquences, le festival revient sur les événements qui ont mobilisé les grands médias, comme la manifestation sismique au Japon ou la vague du printemps arabe, mais il ouvre surtout sur le hors champ. Des reportages comme celui de Valerio Bispuri qui a sillonné pendant dix ans les prisons d’Amérique Latine, ou de d’Alvaro Ybarra Zavala sur la guerre civile en Colombie témoignent de l’engagement de ce métier. La moisson mondiale des crises écologiques, économiques, démocratiques, et sociales de l’année écoulée a le goût du sang et de l’abandon. Elle suscite aussi de l’espoir à travers la nécessité absolue qui s’impose pour trouver des limites.
* 190 000 visiteurs en 2010

Lima, Pérou, décembre 2006. Détenus dansant dans la cour de la prison. Valéro Bispuri.
A Perpignan le versant Occident n’est pas épargné
A Perpignan l’hémisphère Sud apparaît en première ligne mais Visa pour l’Image ne fait pas l’impasse sur les dérives sociétales de l’Occident. Shaul Schwarz signe un symptomatique reportage sur la culture narco qui se propage au sein de la communauté latino américaine aux Etats-Unis. Les film narco et les clubs narcocorridos y font fureur sur la côte Ouest, comme les chansons composées à la gloire des trafiquants. « C’est l’expression d’un mode de vie qui s’oppose à la société », explique le photographe américain.

- Construction de tombes monumentales au cimetière Jardine del Humaya, Mexique juillet 2009.
Une mode en forme de bras d’honneur à la mort et à la guerre de la drogue qui emporte 35 000 vies par an. Le reportage donne un nouveau visage à la drogue comme instrument de contrôle social. Les images pimpantes du luxe narco sont à rapprocher de celles tout aussi réelles qu’a ramenées Alvaro Ybarra Zavala de Colombie.
Tumaco, Colombie, 2009. La police interroge les occupants d’un bar. Alvaro Ybarra Zavala / Getty Images
Avec son travail sur les classes sociales défavorisées en Israël, Pierre Terdjman lutte également contre les idées reçues en touchant du doigt une réalité oubliée. A Lod, dans la banlieue de Tel Aviv, on ne lutte pas contre les « terroristes » mais pour survivre, manger, se soigner, où se payer sa dose dans l’indifférence totale de L’Etat.
Made in England
L’édition 2011 propose aussi deux reportages Made in England, dont l’un des mérites est de faire un peu baisser la tension. Avec « Angleterre version non censurée », Peter Dench porte un regard sans complaisance sur le monde ordinaire de ses compatriotes. « Accoutrements grotesques, mal bouffe et manque de savoir vivre : beaucoup d’Anglais s’obstinent à se rendre ridicules » observe le photographe. Il démontre ses dires à travers un voyage convivial et humoristique où l’alcool, mais peut-être pas seulement, semble tenir un rôle prépondérant.
Jocelyn Bain Hogg s’est lui replongé dans le milieu pour suivre la vie intime des mafieux britanniques. Ce photographe très british a commencé son travail sur la pègre en 2001 avec un reportage intitulé « The Firm ». Sept ans plus tard il y retourne en axant son sujet sur la famille. « Ce choix m’a permis d’être validé, confit-il, car depuis mes premières visites une bonne part de mes anciens contacts avaient passé l’arme à gauche. » « The Family » débute par une série de portraits tout droit sortis d’un film de Scorsese. Quand on lui demande s’il n’a pas forcé un peu le trait pour que la réalité rejoigne le mythe, Jocelyn Bain Hogg trouve la réponse qui tue : « Ils ont des têtes de gangsters parce qu’ils sont gangsters. On peut penser au cinéma, mais qui était là les premiers: les films ou les gangsters ? »
Ici, on n’est pas dans un film, mais à l’enterrement du père de Teddy Bambam. Jocelyn Bain Hogg VII Network
Le parcours en noir et blanc nous entraîne dans les salles de combats de boxe clandestins que la famille utilise comme autant de business center pour parler affaires, drogue et prostitution… Les expressions de la famille Pyle expriment un mélange de machisme et de violence teinté de culpabilité. On suit Joe, Mitch, Mick, qui font faire leur première communion à leur fils Cassis et Sonny : « Malgré leurs mauvais côtés, ceux sont des êtres humains qui aiment et sont croyants », commente Jocelyn Bain Hogg qui brosse le portrait d’un milieu en perdition détrôné par les mafias de l’Est qui règnent désormais en Angleterre.
Jean-Marie Dinh (La Marseillaise)
Voir aussi : Rubrique Photo, rubrique Médias, rubrique Festival, Visa pour l’Image Cédric Gerbehaye: un regard engagé,
Afghanistan : «L’outil militaire ne peut résoudre des crises»
En visite éclair en Afghanistan, Nicolas Sarkozy a déclaré « il faut savoir finir une guerre ». Cinq soldats français sont morts mercredi en Afghanistan dans un attentat perpétré par un kamikaze. La France est présente depuis 10 ans en Afghanistan. Quel est le sens de l’engagement français dans des opérations extérieures à durée, par nature, indéterminée ? Comment interpréter le quasi-unanimisme des hommes politiques sur les opérations conduites en Lybie et en Afghanistan ?
Pierre Conesa: Il y a, effectivement, une communauté de vues entre les experts militaires du PS et de l’UMP sur le fait que la France doit assumer des responsabilités en matière de sécurité internationale. La plupart de ces experts justifient les engagements extérieurs français par un discours qui se résume en une expression-slogan « la France membre-permanent-du-conseil-de-sécurité-puisssance-nucléaire ». Cette espèce de consensus qui unit les penseurs stratégiques de l’UMP et ceux du PS relève de la même matrice intellectuelle, celui du statut international de la France souvent sans rapport avec la crise elle-même.
C’est ce qui explique l’engagement des politiques dans des opérations que la France -et plus globalement l’occident- n’a pas toujours les moyens militaires d’assumer. Il y a à la fois une fascination sur le fait que l’outil militaire va résoudre les crises et une incapacité à penser la guerre. Nous sommes allés en Afghanistan faire une sorte de guerre par induction, par solidarité avec les Américains. Nous ne devions faire qu’une bouchée des talibans. Cela fait 10 ans que nous y sommes, soit autant que les Russes! Et nous n’avons pas beaucoup de certitudes – c’est le moins que l’on puisse dire – sur l’état de stabilité dans lequel nous laissons le pays au moment de partir parce que nous n’avons aucune idée des formes de contestations que cela suscite.
Afghanistan, Côte d’Ivoire, Libye, Nicolas Sarkozy a multiplié les engagements alors que le Livre blanc préconisait d’être plus sélectif. Vous pensez qu’il faut revoir radicalement la politique d’intervention extérieure de la France, qu’elle n’a plus les moyens de ses ambitions politiques ?
Depuis des dizaines d’années, la France est engagée militairement dans des crises où son statut international n’est en rien menacé ! Le Tchad, Djibouti, la Côte d’ivoire, la Centrafrique c’est une mobilisation permanente. Avec 20 ans de recul, nous nous rendons compte combien c’était futile. La réflexion stratégique qui consiste à penser que la disposition d’une armée pour résoudre des crises comme celles-là n’a pas vraiment été convaincante. Mais derrière, il y a tout un appareil administratif, qui explique que nous ne sommes pas à bout de souffle et des politiques qui vivent dans l’illusion d’une France puissance militaire d’envergure internationale, qui s’interdisent tout débat sur le rôle de la France dans le monde.
Si demain un Rafale est abattu en Libye, la question se posera : cela valait-il la peine de risquer la vie d’un pilote en Libye alors qu’aucun pays arabe ne s’y est engagé – à part les qataries et les Emirats Arabes Unis ?
Pendant ce temps-là les Saoudiens envoient des troupes contre les Bahreïnis parce qu’ils ne supportent pas que les chiites se révoltent contre les sunnites. En Syrie, la répression continue pendant les travaux. Et la ligue arabe ne dit rien. C’est le monde à l’envers. Il est assez truculent d’entendre la Ligue arabe, qui est composée à moitié de monarques, à moitié de dictateurs –pour la plupart pro occidentaux- venir nous expliquer qu’il ne faut pas tuer des civils. Pourquoi la France se sent-elle concernée par ce conflit alors que la Ligue arabe est incapable de faire le moindre geste. Pour moi, c’est une des questions clés de ce conflit : que fait la Ligue arabe ?
Avec toutes ces opérations, l’armée est-elle en surchauffe ?
Le fait d’être sollicité perpétuellement par des politiques qui envoient des militaires partout a évidemment des conséquences. Ces interventions émargent sur les budgets d’équipements, ce qui retarde tous les programmes d’équipements. Il faut organiser des rotations, « civilianiser » beaucoup de fonctions occupées par des militaires, les formations sont retardées, le renouvellement des matériels ne se fait pas, la maintenance n’est pas assurée ou retardée. En cas de besoin, il serait encore possible d’envoyer des hommes au sol en Libye, si le mandat de l’ONU le permettait, ce qui n’est pas le cas.
Mais pour continuer à mener un tel rythme, il faudrait repenser toute l’organisation du Ministère qui est un peu à bout de souffle. Il s’agit moins d’un problème de surchauffe au moment où nous intervenons que de la capacité à préparer le coup d’après. Nous n’avons plus les moyens d’une politique de cette nature. Quand nous sommes partis en Afghanistan, en 2002, je me souviens d’un militaire français qui me disait « j’espère que nous ne serons pas sollicités parce que nos Véhicules Avant Blindés ne peuvent pas résister à un RPG 7 (NDLR : lance-roquettes de conception soviétique) ». C’était une question de vie ou de mort pour ses hommes. La décision politique ne tenait absolument pas compte de ce genre de choses.
Un débat critique sur le thème des interventions extérieures françaises n’a jamais eu lieu en France?
Il n’y a pas de débat. Nous faisons comme s’il était évident qu’il était de notre responsabilité d’aller sauver des gens.
Cette crise est complètement caricaturale dans son déroulement. Nous votons une résolution humanitaire avant d’essayer d’inventer toutes les solutions possibles pour la contourner : parachutage d’armes, envoi d’hélicoptères. Nous sommes bloqués par notre propre prétention, sans jamais se demander pourquoi nous faisons ça sinon l’émoi médiatique suscité par les massacres de Kadhafi.
Au moment du vote sur la prolongation de l’intervention en Libye, dans une tribune au Monde, Louis Gautier, ancien conseiller de Lionel Jospin en matière de défense, appelait les socialistes à la prudence pour ne pas tomber dans ce qui pourrait se révéler un traquenard pour la représentation nationale ?
Effectivement, Louis Gautier appelle les socialistes à ne pas signer un blanc seing. Il appelle l’opposition socialiste à un peu plus de prudence. Mais, il ne demande finalement que des précisions sur le calendrier de l’engagement français. Au pouvoir, le PS aurait eu la même démarche que l’UMP. Je ne vois pas au PS de réflexion stratégique alternative sur la question de l’engagement français.
Dans une interview au Journal Du Dimanche, le Général Vincent Desportes explique que les guerres sont de plus en plus déclenchées sans analyse stratégique préalable et qu’elles échappent presque toujours à ceux qui les ont décidées ?
L’appréciation politique de la décision qui doit se prendre au moment où se perpétue un massacre est quelque chose de très compliqué.
Mais il y a un consensus sur le fait qu’il y a des bonnes crises et des mauvaises crises. La Libye, c’était le bon ennemi, parfait pour faire un coup médiatique et militaire. Mais quand nous regardons de plus près la composition du CNT, les difficultés à appréhender l’aspect tribal de la société libyenne, nous ne sommes pas du tout sûrs que le CNT représente une opposition politique crédible et encore moins une alternative démocratique. Il faut quand même se rappeler qu’il est composé d’anciens ministres de Kadhafi, notamment l’ancien ministre de la justice qui avait fait condamner les infirmières bulgares et le Ministre de l’intérieur qui les a fait torturer. Et nous y allons, parce que BHL, « l’allié médiatique », a appelé Sarkozy pour l’assurer que les insurgés étaient prêts au combat que c’était la crise sur laquelle on ne pouvait pas ne pas réagir.
Je préfère en rire parce qu’il n’y a pas si longtemps Kadhafi, c’était le type qui nous faisait le coup de la tente à Paris et devait nous acheter des Rafale –heureusement que nous ne lui avons rien vendu, au passage. Les historiens feront leur travail là-dessus, mais le sentiment qui domine, c’est que c’était un coup de cœur des Français et des Anglais qui trouvaient là un bon moyen de régler son compte à Kadhafi qui nous avait suffisamment ridiculisés.
Partagez-vous son pessimisme quand il estime que la stratégie d’attente de Kadhafi pourrait être payante ?
Personnellement, je pense qu’il a raison de dire que les politiques et l’Etat major font des erreurs en Libye. De là à affirmer que c’est Kadhafi qui a la main, cela me semble exagéré. Le Général Desportes est un des rares militaires qui se donnent la peine de réfléchir sur l’évolution des conflits tout en ayant une expérience opérationnelle. Et quand il a émis quelques réserves sur l’opération en Afghanistan, on l’a convoqué pour l’engueuler. Il y a quand même quelque chose qui ne va pas dans le système.
Dire pour autant que l’opération en Libye est un échec militaire me semble prématuré. Sur quatre mois, les opérations ont été assez peu nombreuses : 5000 sorties aériennes pour la Libye qui est trois fois grande que la France contre 50.000 pour le Kosovo qui fait la taille de deux départements français. La situation a quand même évolué depuis le début. Il y a trois fronts ouverts contre Kadhafi : la tripolitaine, la Cyrénaïque et un troisième, dans le Djebel Nefoussa, plus au Sud où des tribus se sont rebellés contre Kadhafi. Mais c’est une guerre tribale, le souci des chefs tribaux sera toujours de protéger leur tribu et pas l’intérêt de la nation. Ils peuvent très bien se ranger derrière Kadhafi s’ils pensent qu’il reprend la main ou le lâcher quand il perdra trop de terrain. Un chef de guerre afghan disait « on ne peut pas acheter un chef de tribu, mais on peut le louer », c’est la logique de la guerre tribale. L’allié d’un jour peut devenir l’adversaire du lendemain. Avec toutes les incertitudes que cela engendre.
Aujourd’hui, une issue politique vous paraît inéluctable ?
Je crois. On ne sait pas quel est le point de rupture du système Kadhafi. Le fait qu’il appelle les Africains pour ses milices est significatif. Il n’est pas sûr que ses soutiens se battront jusqu’au bout. Il n’a pas de relations solides sinon celles basées sur l’argent mais comme il est privé de ses concessions pétrolières, il puise dans ses réserves. L’issue politique dépendra du fait que ses alliés se retourneront contre lui parce qu’il ne pourra plus les payer. Mais ce qui risque de se passer après peut être beaucoup plus compliqué à gérer.
Dans quelle mesure ?
Il faudra installer une nouvelle constitution. Nous avons vu le succès de ces démarches dans des sociétés tribales comme en Afghanistan et en Irak. Ce sont des pays où il n’y a pas de sentiment national. Ils ne négocieront pas sur le thème : « la Libye doit redevenir une puissance régionale ». C’était le rêve de Kadhafi. Les chefs tribaux auront bien plus en tête la distribution des ressources, le pouvoir des tribus etc.. Il n’y a pas de front uni contre Kadhafi et on peut même penser qu’il y aura beaucoup plus de difficultés à gérer après le départ de Kadhafi. Il tenait le pétrole, donc il distribuait la manne. Dès que les tribus ne reçoivent plus leurs subsides habituels, elles changent d’alliances.
Malgré tous ses défauts, Kadhafi assurait une certaine sécurité. Les Libyens étaient des sujets. En démocratie, ils deviennent des citoyens et ils ont des droits. Notamment le droit de décréter pour des raisons X ou Y que leur tribu est supérieure à une autre. De fait, le risque de guerre civile est important. C’est ce qu’il se passe en Afghanistan. Stabiliser la Libye sera une opération d’une autre ampleur que l’intervention elle-même compte tenu des stocks d’armes qui circuleront.
Propos recueillis par Régis Soubrouillard Mariane 2
*La fabrication de l’ennemi ou comment tuer en ayant sa conscience pour soi. Pierre Conesa. A paraître en septembre aux éditions Robert Laffont.
Voir aussi : Rubrique Méditerranée, rubrique Lybie, intensification des frappes signe de faiblesse politique, rubrique Afghanistan, rubrique Côte d’Ivoire, On Line, http://www.inversalis-productions.eu/blog/2011/04/libye-un-conseil-de-transition-neoliberal/,
Deux mille douze ans avant et après