Au Venezuela, le désarroi des militants chavistes

Pénuries et corruption minent la société

À mesure que les pénuries s’aggravent, le Venezuela s’enfonce dans le chaos économique. Victorieuse lors des législatives de décembre 2015, la droite tente d’organiser un référendum afin de révoquer le président Nicolás Maduro, successeur d’Hugo Chávez. Une victoire lors d’un tel scrutin suffirait-elle à redonner confiance aux militants de gauche ?

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Non ! ça, tu ne le fais pas ! », gronde une femme face à l’homme qui vient de donner un coup de pied dans les cartons remplis de nourriture, exaspéré de devoir attendre le ministre de la jeunesse pour que commence la distribution des aliments. L’impatient quitte le local où sont rassemblés les membres du comité local d’approvisionnement et de production (CLAP), quasi exclusivement des femmes.

Créé en avril 2016, le dispositif vise à lutter contre le détournement de denrées alimentaires et la spéculation qui, selon le gouvernement vénézuélien, vident les magasins du pays. À travers diverses organisations, dont les CLAP, l’État apporte à chaque habitant les produits alimentaires de base (riz, farine, huile…) que l’on ne trouve plus qu’au marché noir à des prix exorbitants. Le kilo de lait en poudre, qui coûte au tarif officiel 70 bolivars (6,36 euros (1)), s’arrache pour trente fois plus dans la rue.

La distribution débute enfin. « Je leur ai dit de commencer sans attendre le ministre, nous confie M. Jesús Guzman, un habitant du quartier. Sinon, les gens l’auraient accueilli avec des noms d’oiseaux. » Les bras chargés, les militantes entament la répartition du précieux butin dans cette tour d’immeuble de la cité Hornos de Cal, au cœur du quartier San Agustín de Caracas.

« Pour quel journal travailles-tu ? Appartiens-tu à une organisation politique dans ton pays ? Quelles sont tes premières impressions de Caracas ? », interroge avec un peu d’insistance un visage caché derrière d’épaisses lunettes. Mme Yurami Quintero, vice-ministre de la jeunesse, semble accorder une confiance mesurée aux journalistes étrangers. Sans véritablement attendre de réponse, elle reprend le travail, au milieu d’un groupe d’une demi-douzaine de personnes. Étage par étage, elles distribuent, liste en main, les sacs de provisions vendus à prix fixe et réduit. Dans les couloirs, laissant ouvertes les portes des appartements d’où jaillissent des têtes d’enfants, les résidents écoutent les interventions des membres du comité.

« Nous affrontons actuellement une guerre économique, tempête Mme Rodbexa Poleo, militante du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV), qui arbore le maillot de l’équipe nationale de football. Mais nous sommes ici pour vous montrer que la révolution vous défend. Que nous sommes avec le peuple ! » Puis vient le tour de Mme Quintero, qui adopte un ton plus posé : « Les CLAP ne sont pas la solution à tout, mais c’est un début. Grâce à eux, nous sommes en train de frapper durement cette mafia qui nous vole. »

« Mafia » ? Une référence au patronat, dont le gouvernement estime qu’il organise le chaos économique en interrompant la production et, plus problématique encore, les importations, dans un pays qui achète à l’étranger une grande partie de ce qu’il consomme. Le 31 mai 2016, le député PSUV Ricardo Molina a par exemple dénoncé à la télévision la destruction de trois millions d’œufs destinés à la vente par l’entreprise Ovomar. « Et le lait !, ajoute M. Charles Ruiz, militant du PSUV. On a plusieurs fois retrouvé des milliers de litres déversés sur les chemins. Tout ça sur ordre des patrons, dans le but de créer la pénurie. » Dans les commerces, les produits de première nécessité manquent cruellement. Au marché noir, les prix flambent et attisent l’inflation, dont le Fonds monétaire international (FMI) prévoit qu’elle atteindra 700 % en 2016. Les sacs distribués ce matin du 28 mai 2016 contiennent du sucre, du lait, de la farine, de l’huile, du riz et des pâtes, pour un prix total de 475 bolivars, soit moins que celui d’un kilo de lait en poudre au marché noir.

« Une fuite en avant dans l’individualisme »

Dans une petite cour du barrio (quartier) Marin, Mme Martha Gonzalez, travailleuse du secteur culturel, aide des amis à peindre des fresques sur les murs ; une activité destinée à maintenir, espèrent-ils, la mobilisation des jeunes dans le domaine artistique en période de crise. « Les CLAP ne fonctionnent pas partout avec la même efficacité, remarque-t-elle dans un sourire. Le problème du pays, c’est la corruption. Et pas uniquement au sein de la haute administration. Tout le monde est impliqué : les secrétaires, les employés des douanes, le livreur qui détourne des produits pour les revendre à des amis qui, à leur tour, les revendent au marché noir… Bref, la corruption concerne tous ces Vénézuéliens qui volent les Vénézuéliens. » Autour de nous, les couleurs vives des portraits et des dessins servent de toile de fond à un match de basket-ball improvisé par les gamins de la rue. « Et pourtant, le gouvernement ne fait rien ! À cause de la corruption, d’ailleurs ! De fil en aiguille, c’est le sauve-qui-peut général. Tout le monde ici connaît l’histoire du délinquant qui, lorsque le policier l’arrête, lui propose 10 000 bolivars. Le policier refuse et emmène le malfrat au commissariat, avant de le voir ressortir aussi vite. “Tu n’es pas malin : ton chef m’a laissé partir pour 5 000 !” »

Membre du collectif Comando creativo (« commando créatif »), M. Victor P. s’affaire aux côtés de Mme Gonzalez. Il a réalisé bon nombre des fresques que l’on peut voir ici. Coiffé d’une large casquette rouge assortie à un tee-shirt de la même couleur — celle des chavistes —, il s’exprime en brassant l’air, tel un boxeur aux prises avec un adversaire invisible. « Ici, on trouve de tout ! Mais au noir. Et tout le monde s’y met. Une personne fait la queue tôt le matin pour acheter des couches le jour où, d’après son numéro de carte d’identité, c’est son tour d’y avoir droit, alors qu’elle n’a pas d’enfant ! Elle dévalise le stock et le revend sur le trottoir d’en face, dix fois plus cher. » Autre exemple, que nous donne M. Ruiz : « Pénurie oblige, le boulanger doit acheter sa farine aux “bachaqueros” [ceux qui profitent de la spéculation par la vente de produits régulés]. Comme son prix est fixé par les autorités, il ne peut pas la revendre, sauf s’il l’utilise pour faire du pain, qui, lui, peut être vendu très cher. » Désignant une file qui s’allonge devant une boulangerie, il conclut : « Et ceux qui achètent le pain le savent. » « Cela entretient une espèce de fuite en avant dans l’individualisme, reprend M. P. Les gens n’ont pas le sentiment de faire partie d’une communauté politique. » Lorsqu’on lui demande pourquoi l’État ne réprime pas plus sévèrement de telles pratiques, si contraires au projet socialiste défendu par le président Nicolás Maduro et son prédécesseur Hugo Chávez, il lâche, désabusé : « C’est la question à un million… »

D’autres, dont le journaliste de la chaîne TeleSur Eduardo Rothe, avancent quelques éléments de réponse. Parfois glaçants. « Ni la production ni les importations n’ont baissé : les niveaux sont les mêmes depuis des années. Côté distribution, par contre, c’est autre chose. Tout ce que tu ne trouves pas dans les magasins, tu le trouves dehors. » Le passage du commerce traditionnel à l’illégalité a donné naissance à un immense marché, dont beaucoup profitent, ou dépendent. « C’est une affaire collective, conclut Rothe. Et ce gouvernement n’est pas une dictature : il ne veut pas s’aliéner autant de gens. »

À la télévision, un spot financé par l’État passe en boucle. Dans une salle de classe, une enseignante demande à ses élèves ce qu’ils souhaitent faire plus tard. L’un d’eux répond qu’il sera bachaquero, comme son père. Le spot se termine par un rappel du caractère illégal et immoral de la contrebande. Une démarche de sensibilisation dont on peine à croire qu’elle suffira à enrayer le fléau.

Car la vulnérabilité économique de l’État vénézuélien n’est pas un phénomène nouveau. Elle repose principalement sur sa dépendance vis-à-vis de la rente pétrolière (2). « Dès les années 1930, l’économiste Alberto Adriani invitait à développer l’élevage, l’agriculture, l’industrie. Selon lui, il fallait “semer le pétrole”, nous explique M. Carlos Mendoza Potellá, directeur de la revue de la Banque centrale du Venezuela, derrière son bureau où trônent des échantillons de pétrole et de soufre. Nous ne l’avons jamais fait. Comment “semer le pétrole” lorsque les ressources sont aussi gigantesques ? » Le Venezuela abrite les plus importantes réserves pétrolières prouvées du monde, ce qui, paradoxalement, décourage les investissements productifs. Reprenant son analyse de la version caribéenne de la « maladie hollandaise », qui entrave le développement industriel d’un pays doté d’immenses richesses en matières premières, M. Mendoza Potellá résume : « Ce revenu externe accroît notre capacité à importer et, notre monnaie s’appréciant, réduit notre compétitivité pour les exportations. »

Chávez a tenté durant sa présidence (1999-2013) de corriger ce mal structurel ; en vain. M. Mendoza Potellá nous raconte : « Un ami agronome se rendait il y a quelques années dans la zone agricole la plus productive, dans l’État de Barinas, au centre du pays. Il devait effectuer un long trajet en hélicoptère. Du ciel, il voit soudain des taches jaunes et vertes. Il descend pour voir ce que c’est. Il s’agissait de parcs immenses où l’on avait abandonné des tracteurs. Des John Deere pour les verts et des Caterpillar pour les jaunes. Qu’est-ce que cela signifie ? Des crédits agricoles avaient été utilisés, des tracteurs achetés. Mais ça n’a pas fonctionné… » Pour le reste, poursuit notre interlocuteur, « les financements agricoles se sont transformés en spéculation immobilière à Caracas ».

« Au risque de parler comme l’opposition… »

Le charismatique président décédé en 2013 ne porterait-il donc aucune responsabilité ? Notre interlocuteur sourit : « Que fait Chávez à son arrivée au pouvoir, en 1999 ? Il ne s’attaque pas d’abord à l’économie, mais à l’urgence sociale : la malnutrition, le logement. Je ne le lui reproche pas ; c’est ce que commandait la solidarité humaine. Mais ce n’est pas comme cela qu’on développe la production nationale. » Compréhensible, ce choix se révèle lourd de conséquences. À l’image de la consommation de calories, en hausse grâce à la redistribution de richesses, les importations de nourriture n’ont cessé de croître depuis l’arrivée au pouvoir de Chávez. Selon le chercheur Carlos Machado Allison, elles sont passées de 1,4 milliard d’euros en 2000 à 6,5 milliards en 2013 (3). Les besoins de la population n’ont pas diminué depuis, mais la valeur du bolivar s’est effondrée, aggravant encore le problème.

Ni la « guerre économique » ni les priorités sociales du chavisme ne suffisent à expliquer les pénuries, selon M. Mendoza Potellá, qui prend l’exemple du sucre. « Le gouvernement détient toutes les centrales sucrières : il les a nationalisées. Mais la production n’atteint même plus le niveau de la consommation nationale. Tout s’est arrêté, la canne n’est pas récoltée. Est-ce du sabotage, de l’inefficacité ? Je ne sais pas. Vous allez dire que je parle comme un partisan de l’opposition, mais la corruption est partout ! » Selon une étude réalisée par la société Ecoanalítica, « environ 70 milliards de dollars ont été détournés à travers les importations entre 2003 et 2012. Vingt pour cent des importations réalisées par des sociétés privées et 40 % de celles menées par les agences ou les sociétés pilotées par le gouvernement étaient frauduleuses (4).  » Et M. Mendoza Potellá de conclure : « Nous n’avons pas remplacé la rationalité capitaliste par une autre, socialiste, mais par celle d’administrateurs corrompus. »

« Corruption » : pas une discussion au cours de notre visite sans que le mot ne soit prononcé. À tel point que beaucoup reprochent au gouvernement sa « mollesse » dans la lutte contre cette calamité. « Il ne veut pas se montrer trop sévère de peur de nuire à la popularité du président, estime M. Fermin Sandoval, qui s’occupe d’une radio de quartier à Petare, dans les faubourgs de Caracas. Qu’il réprime ou non, les médias diront de toute façon que le Venezuela est une dictature. »

« Nous sommes dans une période de radicalisation »

Un 4 x 4 rutilant fait son entrée dans une rue qui borde la place Bolívar, ainsi baptisée en hommage au Libertador, le dirigeant indépendantiste Simón Bolívar (1783-1830), dont Chávez avait fait l’un de ses héros. On interroge deux jeunes femmes vêtues de rouge à la terrasse d’un café : s’agit-il de la voiture d’un membre de ces « élites » dénoncées par les révolutionnaires bolivariens ? Elles lèvent les yeux au ciel : « Plutôt celle d’un ministre, ou d’un dirigeant du PSUV ! » Est-ce le cas ? Impossible à dire. Mais tous les témoignages le confirment : le fossé entre le train de vie de certains dirigeants chavistes et celui de leur base militante en a creusé un autre, politique, celui-là.

On ne l’observe nulle part aussi bien que dans le quartier 23 de Enero. Bastion historique de la gauche vénézuélienne, épicentre de la résistance populaire durant la période insurrectionnelle des années 1960 puis au cours des décennies suivantes, le « 23 » a été remporté par l’opposition lors des législatives du 6 décembre 2015, marquées par une cinglante défaite nationale du chavisme (5). « Avec seulement vingt voix d’écart ! », insiste M. Juan Contreras, figure politique de premier plan dans le quartier. Il nous accueille au siège de la radio communautaire Al son del 23 (« Au son du 23 »), où il travaille pour la Coordination Simón Bolívar. « Nos locaux se trouvent dans un ancien commissariat où on torturait les jeunes de gauche dans les années 1960. C’était important pour nous de reprendre possession de lieux comme celui-là. » Les façades du bâtiment arborent désormais les visages d’Ernesto Che Guevara et de Bolívar, ou des graffitis en faveur de la cause palestinienne. Pour beaucoup, M. Contreras était le candidat naturel du quartier. Il a pourtant été écarté par la direction du PSUV au profit d’une candidate parachutée. Une « erreur », estime humblement le militant.

De tels procédés expliquent le revers de décembre 2015, selon Eduardo Rothe, qui rappelle que le PSUV a davantage souffert d’un effondrement du vote chaviste que d’un raz de marée en faveur de l’opposition. « Les élections ont été régulières, souligne-t-il. Aucune magouille. Mais le parti, trop bureaucratique, s’est tiré une balle dans le pied en refusant les candidats proposés par la base. » Dans le « 23 », beaucoup disent s’être abstenus en signe de protestation.

Dorénavant, le chavisme serre les rangs. Le 1er juin 2016, une manifestation de soutien au gouvernement rassemblait la jeunesse chaviste dans la capitale. Dans une ambiance festive, des centaines de collégiens, de lycéens et d’étudiants défilaient le long des avenues en scandant des mots d’ordre favorables au pouvoir et en agitant des drapeaux du PSUV, du Venezuela ou encore de Cuba. Arrivée au palais de Miraflores, la foule a été accueillie par le président Maduro. Poignées de main, acclamations…

À l’image de Fidel Barbarito, enseignant à l’Université nationale expérimentale des arts (Unearte), certains chavistes en tirent des conclusions encourageantes : en dépit d’importantes manifestations du côté de l’opposition également, une telle mobilisation suggère selon eux que, si un référendum révocatoire avait lieu (6), ils le gagneraient. « Nous sommes dans une période de radicalisation : les masques sont tombés. La droite, désespérée et soucieuse de défendre les priorités des États-Unis, a changé de scénario. C’est une vraie guerre. »

M. Sandoval nous raconte un incident qu’il juge révélateur de la situation actuelle. « Cette semaine, il y a eu une attaque armée contre les forces de l’ordre, ici, à Petare ! Des types masqués tiraient à la mitrailleuse — des paramilitaires. C’était un ballon d’essai. Le but était de voir si, dans le contexte des pénuries, un accrochage pouvait entraîner une explosion sociale. Pour l’instant, la majorité de la population ne suit pas, car elle sait qui provoque tout ça ; mais je crois que les gens vont se fatiguer. » Dissimulant mal son inquiétude, il ajoute : « Dans de tels cas, pourquoi fait-on appel à de jeunes recrues de la police ? Pourquoi le gouvernement n’envoie-t-il pas des unités spécialisées ? »

En guise de réponse, Fidel Barbarito, qui a été ministre de la culture dans le premier cabinet de M. Maduro, évoque les opérations de libération du peuple (OLP), dirigées par les forces armées nationales bolivariennes à l’été 2015. « Ces opérations visent à démanteler les organisations paramilitaires. Nous ne reculons pas devant le combat physique. » Si nul ne souhaite voir le Venezuela tomber aux mains des paramilitaires, la création des OLP ne dessine pas vraiment un horizon paisible pour la révolution.

Militant associatif à Petare, M. Ruben Pereira se montre lui aussi confiant quant à l’issue d’un possible référendum révocatoire. Mais il doute que cette éventuelle victoire suffise : « Un référendum n’arrangerait rien. Nous le gagnerions, et puis quoi ? L’opposition serait toujours là. » La solution qu’il privilégie ? « Une Assemblée constituante. À la place de Maduro, je remettrais mon mandat en jeu, ainsi que celui de cette Assemblée nationale de droite. Il faut tout remettre à plat ! » Selon lui, un nouveau « virage à gauche » devrait viser à renforcer le pouvoir populaire, ces institutions parallèles à l’État traditionnel, censées développer la participation citoyenne (7)… Là encore, un doute demeure : M. Maduro dispose-t-il de l’appui nécessaire à un tel projet au sein du PSUV, dont chacun admet qu’il est largement gangrené par la corruption ?

Moins optimiste quant à l’issue du référendum, Mme Gonzalez refuse toutefois de sombrer dans la morosité. La claque des législatives de 2015 ? « Surtout une défaite de la bolibourgeoisie [les fonctionnaires ayant tiré profit du mouvement révolutionnaire]. Ça ne m’inquiète pas, dans la mesure où ce qui a été acquis, les missions, les programmes sociaux, tout cela reste dans la tête des gens. Ils ne se laisseront pas dépouiller. Et puis, malgré la guerre économique, le chavisme a remporté cinq millions de voix. C’est là son noyau dur ; c’est énorme. »

La question, selon elle, est la suivante : que vont faire ceux qui ont voté pour l’opposition en pensant qu’elle mettrait fin aux pénuries ? À ce propos, les chavistes n’ont pas hésité à ironiser sur le titre du clip de campagne de la Table de l’unité démocratique (MUD, coalition des partis de l’opposition), « La dernière queue », dans lequel des gens patientaient « une dernière fois » pour voter, chasser les chavistes et en finir avec les pénuries.

Boissons gazeuses et mots d’ordre révolutionnaires

« Avec autant de sièges, on aurait pu s’attendre à ce que l’opposition, une fois à l’Assemblée, fasse passer des lois populaires sur l’économie et la sécurité, remarque Rothe. Mais non ! La première chose qu’ils font, c’est voter une loi d’amnistie ! » Ce texte, qui exclut les poursuites judiciaires pour toute la période allant du 1er janvier 1999 à l’entrée en vigueur de la loi, blanchit les auteurs de crimes ou délits tels que les « diffamations et injures » à l’encontre de fonctionnaires ou la participation aux « événements du 11 avril 2002 et des jours suivants ». À cette date, l’opposition, le patronat et les médias avaient orchestré un coup d’État (qui fit long feu) (8). « Menons l’enquête auprès de ceux qui ont voté pour les candidats de l’opposition en pensant qu’ils allaient changer la vie, s’amuse M. Pablo Artiaga, militant de quartier à Petare. Je ne m’attends pas à une vague d’enthousiasme. » Mais l’opposition a-t-elle vraiment eu l’occasion de gouverner ? À peine était-elle installée à l’Assemblée que le président Maduro décrétait l’état d’urgence économique de façon à pouvoir poursuivre sa politique.

Les murs et les façades de Caracas sont à l’image de la situation politique du pays : en lutte constante. Les affiches vantant les mérites de boissons gazeuses ou de chaînes de restauration rapide disputent l’espace aux mots d’ordre révolutionnaires ou aux fresques représentant les yeux de Chávez. Pour le moment, le « seuil minimum de conscience du peuple » dont parlent les chavistes a permis d’éviter une explosion sociale, en grande partie grâce au travail quotidien de la base militante. Tôt le matin, des files de dizaines de personnes se forment sur les trottoirs. Devant les boulangeries, les pharmacies, les magasins, les banques, dans le calme, lisant le journal ou échangeant avec leur voisin, les habitants de Caracas patientent. Jusqu’à quand ?

Loïc Ramirez

Journaliste. Auteur de La Rose assassinée,

(1) La monnaie vénézuélienne circule pour une valeur beaucoup plus faible sur le marché noir. À ce taux de change parallèle, 70 bolivars correspondent à 0,14 euro.

(2) Lire Gregory Wilpert, « Le Venezuela se noie dans son pétrole », Le Monde diplomatique, novembre 2013.

(3) Libération, Paris, 24 juin 2013.

(4) William Neuman et Patricia Torresmay, « Venezuela’s economy suffers as import schemes siphon billions », The New York Times, 5 mai 2015.

(5) L’opposition a obtenu 111 sièges à l’Assemblée nationale, contre 55 pour le PSUV, sur un total de 167. Lire Gregory Wilpert, « Avis de tempête au Venezuela », Le Monde diplomatique, janvier 2016.

(6) Exigé par l’opposition et approuvé en avril 2016 par l’Assemblée nationale, un référendum révocatoire requiert notamment la signature de 20 % du corps électoral. Le 7 juin 2016, le Conseil national électoral (CNE) a validé la majorité des signatures (le gouvernement ayant dénoncé des fraudes). Il s’agit désormais pour le CNE de vérifier 1 % des signatures en demandant aux gens de se déplacer.

(7) Lire Yoletty Bracho et Julien Rebotier, « La révolution bolivarienne par sa base », Le Monde diplomatique, janvier 2016.

(8) Lire Maurice Lemoine, « Hugo Chávez sauvé par le peuple », Le Monde diplomatique, mai 2002.

Source Le Monde Diplomatique Juillet 2016
Voir aussi : Actualité Internationales, Rubrique Amérique Latine , Venezuela, Politique, Affaires,

Lettre de Frida Kahlo à Nickolas Muray

Sans-titre3

Guillermo Kahlo (1871-1941)

Mon adorable Nick, mon enfant,

Je t’écris depuis mon lit d’Hôpital américain. […]

En plus de cette maudite maladie, je n’ai vraiment pas eu de chance depuis que je suis ici. D’abord, l’exposition est un sacré bazar. Quand je suis arrivée, les tableaux étaient encore à la douane, parce que ce fils de pute de Breton n’avait pas pris la peine de les en sortir. Il n’a jamais reçu les photos que tu lui as envoyées il y a des lustres, ou du moins c’est ce qu’il prétend ; la galerie à lui. Bref, j’ai dû attendre des jours et des jours comme une idiote, jusqu’à ce que je fasse la connaissance de Marcel Duchamp (un peintre merveilleux), le seul qui ait les pieds sur terre parmi ce tas de fils de pute lunatiques et tarés que sont les surréalistes. Lui, il a tout de suite récupéré mes tableaux et essayé de trouver une galerie. Finalement, une galerie qui s’appelle « Pierre Colle » a accepté cette maudite exposition. Et voilà que maintenant Breton veut exposer, à côté de mes tableaux, quatorze portraits du XIXe siècle (mexicains), ainsi que trente-deux photos d’Alvarez Bravo et plein d’objets populaires qu’il a achetés sur les marchés du Mexique, un bric-à-brac de vieilleries, qu’est-ce que tu dis de ça ? La galerie est censée être prête pour le 15 mars. Sauf qu’il faut restaurer les quatorze huiles du XIXe et cette maudite restauration va prendre tout un mois. J’ai dû prêter à Breton 200 biffetons (dollars) pour la restauration, parce qu’il n’a pas un sou. (J’ai envoyé un télégramme à Diego pour lui décrire la situation et je lui ai annoncé que j’avais prêté cette somme à Breton. Ça l’a mis en rage, mais ce qui est fait est fait et je ne peux pas revenir en arrière.) J’ai encore de quoi rester ici jusqu’à début mars, donc je ne m’inquiète pas trop.

Bon il y a quelques jours, une fois que tout était plus ou moins réglé, comme je te l’ai expliqué, j’ai appris par Breton que l’associé de Pierre Colle, un vieux bâtard et fils de pute, avait vu mes tableaux et considéré qu’il ne pourrait en exposer que deux parce que les autres sont trop « choquants » pour le public !! J’aurais voulu tuer ce gars et le bouffer ensuite, mais je suis tellement malade et fatiguée de toute cette affaire que j’ai décidé de toute envoyer au diable et de me tirer de ce foutu Paris avant de perdre la boule. Tu n’as pas idée du genre de salauds que sont ces gens. Ils me donnent envie de vomir. Je ne peux plus supporter ces maudits « intellectuels » de mes deux. C’est vraiment au-dessus de mes forces. Je préférerais m’asseoir par terre pour vendre des tortillas au marché de Toluca plutôt que de devoir m’associer à ces putains d’« artistes » parisiens. Ils passent des heures à réchauffer leurs précieuses fesses aux tables des « cafés », parlent sans discontinuité de la « culture », de l’ « art », de la  « révolution » et ainsi de suite, en se prenant pour les dieux du monde, en rêvant de choses plus absurdes les unes que les autres et en infectant l’atmosphère avec des théories et encore des théories qui ne deviennent jamais réalité.

Le lendemain matin, ils n’ont rien à manger à la maison vu que pas un seul d’entre eux ne travaille. Ils vivent comme des parasites, aux crochets d’un tas de vieilles peaux pleines aux as qui admirent le « génie » de ces « artistes ». De la merde, rien que de la merde, voilà ce qu’ils sont. Je ne vous ai jamais vu, ni Diego ni toi, gaspiller votre temps en commérages idiots et en discussions « intellectuelles » ; voilà pourquoi vous êtes des hommes, des vrais, et pas des « artistes » à la noix. Bordel ! Ça valait le coup de venir, rien que pour voir pourquoi l’Europe est en train de pourrir sur pied et pourquoi ces gens — ces bons à rien sont la cause de tous les Hitler et les Mussolini. Je te parie que je vais haïr cet endroit et ses habitants pendant le restant de mes jours. Il y a quelque chose de tellement faux et irréel chez eux que ça me rend dingue.

Tout ce que j’espère, c’est guérir au plus vite et ficher le camp.

Mon billet est encore valable longtemps, mais j’ai quand même réservé une place sur l’Isle-de-France pour le 8 mars. J’espère pouvoir embarquer sur ce bateau. Quoi qu’il arrive, je ne resterai pas au-delà du 15 mars. Au diable l’exposition et ce pays à la noix. Je veux être avec toi. Tout me manque, chacun des mouvements de ton être, ta voix, tes yeux, ta jolie bouche, ton rire si clair et sincère, TOI. Je t’aime mon Nick. Je suis si heureuse de penser que je t’aime — de penser que tu m’attends — et que tu m’aimes.

Mon chéri, embrasse Mam de ma part. Je ne l’oublie surtout pas. Embrasse aussi Aria et Lea. Et pour toi, mon coeur plein de tendresse et de caresses, un baiser tout spécialement dans ton cou, ta

Xochitl.

Source.Des lettres. wikisource.org/wiki/Frida_Kahlo,_Paris,_France_letter_to_Nickolas_Muray,_New_York,_N.Y.,_1939_Feb._16 )
Voir aussi : Rubrique Art, rubrique Lecture, Rubrique Amérique Latine Mexique,

Au Brésil, de nouveaux projets de barrages menacent la forêt tropicale et les populations indigènes

Portrait de deux amérindiens Munduruku, par le peintre français Hercules Florence, lors de l’expédition conduite en Amazonie brésilienne par le Baron von Langsdorf de 1825 à 1829.

Portrait de deux amérindiens Munduruku, par le peintre français Hercules Florence, lors de l’expédition conduite en Amazonie brésilienne par le Baron von Langsdorf de 1825 à 1829.

Les ressources hydroélectriques du Brésil sont immenses. Mais la construction de barrages a des impacts énormes sur l’environnement : indigènes et écologistes s’opposent aux nouveaux projets, comme celui de Tapajós.

ActualisationVendredi 5 août – La construction de la centrale hydroélectrique de Tapajos a été rejetée jeudi 4 août par l’autorité environnementale brésilienne (Ibama). Les groupes indigènes et Greenpeace se sont alliés pour protester contre la construction d’un méga-barrage à São Luiz do Tapajos. Pour les opposants, sa construction forcerait les communautés locales Munduruku à quitter leurs lieux de vie et mettrait en danger la forêt amazonienne.

São Paulo (Brésil), correspondance

Non loin de Manaus et de Santarém, les villes principales d’Amazonie, coule le fleuve Tapajós, un affluent de l’Amazone. Un fleuve réputé pour ses eaux claires, qui peut atteindre par endroit jusqu’à 12 kilomètres de large. Il tient son nom des Indiens Tapajós, une tribu aujourd’hui disparue. Sur ses berges vivent désormais les Munduruku. Et ils risquent bien de disparaître à leur tour à cause d’un projet de mégabarrage qui pourrait bouleverser tout un écosystème plurimillénaire.

Du point de vue économique, l’exploitation de l’énergie de centaines de cours d’eau de son territoire est d’une importance stratégique pour le développement du Brésil. En 2015, 64 % de l’électricité produite dans le pays provenait de cette source gratuite et renouvelable. Une bénédiction dont le plus grand pays d’Amérique du Sud aurait tort de se priver, avec une des plus grandes réserves d’eau douce de la planète grâce à l’Amazone, fleuve géant. Mais le Brésil est aussi le gardien d’une grande partie d’une autre ressource naturelle vitale : la forêt tropicale amazonienne.

250 barrages en projet en Amazonie brésilienne

Si la construction de barrages n’est pas la principale cause de la déforestation [1], elle n’en a pas moins un coût environnemental et social irréversible. Selon le dernier rapport du WWF, Living Amazon, pas moins de 250 barrages sont en projet en Amazonie brésilienne. Rien que sur le fleuve Tapajós, une quarantaine de projets sont à l’étude. Le plus important d’entre eux, l’usine hydroélectrique de São-Luiz-de-Tapajós, devrait submerger 729 km², soit sept fois la superficie de la ville de Paris.

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Le fleuve Tapajós, d’une longueur de 2 291 km, est un affluent de l’Amazone.

La particularité des barrages hydroélectriques, c’est qu’ils dépendent de décisions politiques, et permettent donc une déforestation sur un fondement légal. C’est pourquoi les ONG de protection de l’environnement, et en premier lieu Greenpeace, se sont lancées dans des campagnes de sensibilisation de l’opinion aux menaces que représentent ces grands travaux et font pression sur les décideurs politiques.

Car chaque ouvrage a des conséquences sur la migration des poissons et des animaux aquatiques, tels que les dauphins roses, une espèce d’eau douce unique au monde ; sur les routes d’approvisionnement des populations riveraines ou encore sur le trajet des alluvions, modifiant les écosystèmes. Il génère aussi des gaz à effet de serre lorsque les végétaux détruits par la montée des eaux entrent en décomposition et émettent du méthane dans l’atmosphère.

L’implication de grandes compagnies étrangères

Dans une région où les scientifiques estiment que beaucoup d’espèces animales et végétales restent à découvrir, la biodiversité est menacée. « Il existe différents types de forêts. La forêt alluviale, que les indiens appellent la “Mata de Igapó”, est caractéristique des berges des fleuves amazoniens. Elle joue un rôle fondamental pour la survie des tribus, explique Danicley de Aguiar, chargé de campagne pour Greenpeace Brésil. C’est elle qui serait menacée de disparition par la rétention que créerait le barrage. Or, cette forêt a une relation très importante avec la forêt profonde, plus dense, qui constitue le cœur de l’Amazonie. Il faut donc préserver cette forêt fluviale, car elle garantit l’équilibre du système comme un tout. »

À cela il faut ajouter que, pour les besoins de ces travaux titanesques, de nouvelles routes sont ouvertes et que l’arrivée de milliers de travailleurs suppose la création d’infrastructures de vie, générant déforestation et pollution dans des zones quasiment vierges jusqu’à présent de présence humaine. L’expérience de la construction du barrage de Belo Monte, troisième plus grand barrage hydraulique du monde, également en Amazonie, a montré à quel point les conséquences environnementales d’une usine hydroélectrique peuvent être nombreuses et complexes. Celle-ci, inaugurée en mai, vient par ailleurs d’entrer en service, malgré trente ans de luttes indigènes, menées notamment par le chef Raoni avec le soutien de stars internationales.

Les défenseurs de l’environnement s’inquiètent donc à raison de la construction d’un nouveau mégabarrage. Greenpeace mobilise actuellement ses volontaires et soutiens pour défendre les Munduruku qui vivent dans la région contre le projet de São-Luiz-de-Tapajós et dénonce, dans une étude, le « business risqué de l’hydroélectrique ». L’organisation pointe notamment l’implication de grandes compagnies étrangères [2] et rappelle que ce type de projet cache souvent des affaires de corruption, comme ce fut le cas à Belo Monte [3]. Enfin, ces grands ouvrages, qui engloutissent des dizaines de millions de reals (la monnaie brésilienne) de subventions publiques et dépassent souvent leurs budgets initiaux, se révèlent parfois beaucoup moins rentables que prévu et ne bénéficient que marginalement aux populations locales [4].

« La résistance des Munduruku n’est pas qu’une lutte qui se restreint au Brésil, elle est mondiale » 

Tout pourrait se jouer dans les prochaines semaines. Le président intérimaire du Brésil, Michel Temer, a annoncé qu’il attendrait la fin du processus légal qui pourrait écarter définitivement Dilma Rousseff d’ici au mois d’août, avant de lancer les appels d’offre. Cependant, il lui manque le soutien des organismes publics comme l’Ibama (l’Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles) et la Funai (la Fondation national de l’indien). L’Ibama, qui accorde les autorisations environnementales pour toute infrastructure de ce type, a suspendu depuis avril 2016 ses procédures de certification. L’Institut a déclaré attendre de connaître la décision qui sera prise par rapport à la reconnaissance du territoire des indiens Munduruku. Celui-ci n’est pas encore allé jusqu’au bout du processus de « démarcation », qui ne peut être officialisé que par décret présidentiel, sur recommandation des études menées par la Funai et après avoir obtenu l’aval du ministère de la Justice.

Depuis quelques semaines, il semble que la mobilisation commence à être entendue. Mi-juillet, le ministre de l’Environnement du gouvernement intérimaire, José Sarney Filho, s’est déclaré plutôt opposé à l’idée des grands barrages hydrauliques et souhaite lancer des études pour trouver des solutions de rechange, comme l’éolien. « La résistance des Munduruku n’est pas qu’une lutte qui se restreint au Brésil, elle est mondiale. Ce sont plus d’un million de personnes qui les soutiennent à travers la pétition lancée par notre organisation, a expliqué Asensio Rordriguez, directeur exécutif de Greenpeace Brésil après sa rencontre au ministère, à Brasilia. C’était très important de le faire comprendre au ministre, parce que désormais toutes les mesures qui seront prises par rapport au complexe électrique de la rivière Tapajós seront suivi par des gens du monde entier. »

Mathilde Dorcadie 

Source Reporterre 26/07/2016

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Amérique Latine, Brésil, rubrique BRICS, rubrique Economie, rubrique Théâtre, The Encounter de McBurney. Interconnexion : la langue entre en jungle,

 

The Encounter de McBurney. Interconnexion : la langue entre en jungle

Plongée dans l'univers cognitif de McBurney

Plongée dans l’univers cognitif de McBurney

«The Encounter», première française de l’auteur britannique Simon McBurney embarque le public du Printemps des Comédiens ici , là bas et ailleurs au fin fond de la forêt amazonnienne pour y vivre une expérience onirique qui frappe à la porte du réel.

« Je pensais que la seule façon de représenter l’endroit où la biodiversité est la plus riche sur la planète était de permettre au gens de l’imaginer. Et le voyage de McIntyre est avant tout intérieur comme une expérience somatique. Peut-être que  ce qu’il vivait intérieurement était plus difficile à surmonter que ses difficultés physiques », confie McBurney à propos de sa dernière création The Encounter (La rencontre) sur laquelle il a travaillé huit ans avec sa compagnie Complice.

Les liens que tisse cet artiste singulier semblent ténus mais ils trempent dans une expérimentation du réel qui les rend résistants à toute épreuve. En 1984, il s’était introduit clandestinement dans un bidonville au Chili pour jouer, puis diffuser en live ce spectacle dans les cinémas du monde entier. Cette fois il s’engage sur les pas de Loren McIntyre, un photographe parti en expédition en 1971 pour localiser la source de l’Amazone au Brésil. Ses voyages sont relatés dans le livre Amazon Beaming de l’écrivain Roumain Petru Popescu qui raconte comment le photographe se perd et se trouve capturé par une tribu indienne isolée non loin de la source du plus grand fleuve du monde.

Seul sur scène Simon McBurney réussit le tour de force de restituer un univers complexe au grand public. Le processus narratif prend pied dans la salle de spectacle avant de se transporter dans plusieurs espaces qui s’interconnectent pour dépeindre la perdition d’un occidental avec une puissance digne de Conrad. L’usage de la technologie produit des effets vertigineux où l’énoncé impossible qui ne peut être vrai dans un seul espace le devient dans plusieurs. McBurney fait renaître ce qui n’est pas là.

« Je me tiens debout devant le chef du Marajaì. Entassés dans sa hutte, la moitié des habitants du village, me regardent.

–  Pourquoi es-tu ici ? 

– Je suis ici parce que je ne suis jamais allé en Amazonie, je n’ai jamais vu la forêt tropicale. Je suis ici à cause du livre que j’ai décidé d’adapter… »

Lui raconte l’histoire dans des micros et vous entendez la parole qui se déplace dans votre casque, où différents niveaux de temps se superposent pour finalement conduire à son abolition. Une langue drôle, libre et insoumise, que nous rapporte McBurney,  la sienne, celle de sa fille, du photographe explorateur, celle des indiens du bout du monde … qui tourne dans notre crâne, s’y pose. Actionne des touches invisibles et nous transporte en plusieurs lieux simultanés.

Ainsi le corps parlant sur scène ne cherche pas à contrôler la parole. Le corps sur le plateau entraîne la naissance de la voix qui passe comme un liquide, comme le fleuve qui nous fait sentir l’anachronisme entre le monde extérieur et la création sensitive. Surgit le charme intrigant du personnage faillible et désenchanté qui ne renonce jamais à affronter la vie et donc apprend à la connaître dans la disparition de la personne dont elle porte le souvenir. Celle du matérialiste ?

Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 21/06/2016

Voir aussi ;  Rubrique Théâtre, rubrique FestivalMontpellier,

Etats-unis : Hillary Clinton et Donald Trump face au casse-tête du Proche-orient

Hillary-Clinton-candidate-d-mocrate-pr-sidentielle-am-ricaineLa fusillade meurtrière d’Orlando aux États-Unis a atteint de plein fouet la campagne des deux candidats à la présidence qui doivent s’affronter dans les urnes le 8 novembre 2016. Elle ne sera pas sans conséquences sur leur attitude face à des dossiers aussi brûlants que l’islam et le Moyen-Orient, en proie à des bouleversements politiques, communautaires et militaires exceptionnels. Outre le front ukrainien et la tension en mer de Chine, les crises syrienne et irakienne et leur corollaire Daech, les suites de l’accord sur le nucléaire iranien et le conflit israélo-palestinien sont les dossiers de politique étrangère les plus brûlants que Barack Obama s’apprête à léguer à son successeur.

Quelle sera l’attitude d’Hillary Clinton et Donald Trump face à ces casse-têtes?  Seule l’évolution de ces foyers de tension le dira, même s’il existe un début de réponse pour chacun.

Hillary Cliton affiche une tendance interventioniste
Forte de son expérience d’ex-première dame des Etats-Unis et d’ex-secrétaire d’Etat sous la présidence Obama, Hillary Clinton est solidement rodée à ces terrains friables.

La candidate démocrate à la Maison Blanche a clairement affiché dans sa campagne une tendance interventionniste dans les zones de crises, par opposition au président sortant qui lui apporte désormais son soutien.

Dans le conflit qui oppose Israéliens et Palestiniens depuis plus de soixante-dix ans, l’épouse de Bill Clinton, l’homme qui a accueilli la première poignée de mains entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin, donne la priorité à la sécurité de l’Etat hébreu tout en restant partisane d’une solution à deux Etats.

Lors de l’incontournable passage devant l’American Israel Public Affaires Committe (AIPAC), le principal lobby américain pro-israélien, elle a ironisé sur son rival républicain. «Oui, nous avons besoin de constance, a-t-elle assuré, pas d’un président qui dit qu’il est neutre le lundi, pro-Israël le mardi et on ne sait quoi d’autre le mercredi, parce que tout est négociable. La sécurité d’Israël n’est pas négociable».

Donald Trump veut «redonner à l’Amérique sa grandeur» 
De son côté, le candidat républicain Donald Trump a construit sa campagne sur le mot d’ordre «redonner à l’Amérique sa grandeur», tout en laissant croire qu’il se désintéressait des questions internationales ou encore qu’il prônait un isolationnisme pour mettre le pays à l’abri des tumultes du monde.

Donald-Trump-candidat-r-publicain-pr-sidentielle-am-ricaineMais, «quand je serai président, a-t-il déclaré à son tour devant l’AIPAC, il en sera fini des jours où l’on traitait Israël comme un citoyen de seconde zone». Il s’est même engagé «à reconnaître Jérusalem comme capitale de l’Etat hébreu et à transférer l’ambassade américaine de la Tel Aviv à la Ville sainte», tout en se disant, lui aussi, favorable à la solution des deux Etats.

Et comme il ne tergiverse pas non plus sur la sécurité d’Israël, il a juré de «démanteler l’accord catastrophique signé entre les grandes puissances et l’Iran sur son programme nucléaire», ajoutant : «Obama est peut-être la pire chose qui soit jamais arrivée à Israël».

Sur ce dossier, Hillary Clinton a soutenu l’accord avec l’Iran, en dépit de son amitié avec le Premier ministre israélien. Elle se dit toutefois prête à rétablir les sanctions unilatérales contre Téhéran en cas de non respect des engagements, voire à engager des actions militaires si besoin.

Des positions fluctuantes sur la Syrie, l’Irak et Daech
Concernant les crises syrienne et irakienne et l’apparition du phénomène Daech, les deux candidats ont des positions qui fluctuent au rythme des événements.

Dans un email daté de décembre 2012 et révélé par Wikileaks en mai 2016, celle qui n’était encore que secrétaire d’Etat avait écrit : «la meilleure manière d’aider Israël à gérer la capacité nucléaire grandissante de l’Iran est d’aider à renverser le régime de Bachar al-Assad».

On ne s’étonnera donc pas qu’elle soit favorable à une intervention en Syrie, comme elle l’avait été pour la Libye. Ralliée bon gré mal gré à la politique résolument pacifiste de Barack Obama, elle pourrait renouer avec son choix premier pour redonner aux Etats-Unis son rang de «gendarme du monde» comme elle le souhaite.

Quant à Daech, elle estime que «la création de l’Etat islamique est principalement et avant tout le résultat d’une situation désastreuse en Syrie causée par Bachar al-Assad qui est appuyé par l’Iran et la Russie».

Des perceptions opposées de Vladimir Poutine
Une manière de souligner la relation exécrable qu’elle entretient avec Vladimir Poutine. En mars 2014, elle avait dit à son propos : «si vous avez l’impression d’avoir déjà vu ce qui se passe en Ukraine, c’est parce que c’est ce qu’a fait Hitler dans les années 30».

Donald Trump, qui respecte Vladimir Poutine parce qu’il est «un homme respecté», préconise de laisser au Président russe et à son protégé Bachar al-Assad le soin de régler leur compte aux combattants de l’organisation de l’Etat islamique.

Plus globalement, le candidat à la coiffure coiffure excentrique regrette le temps de Moammar Kadhafi et de Saddam Hussein. «Le monde était meilleur avec eux» dit-il, parce qu’ils ne laissaient pas le choix aux terroristes, «ils les tuaient immédiatement».

Des rapports orageux avec les pétromonarchies du Golfe
Enfin, en ce qui concerne les relations avec les pétromonarchies du Golfe, les deux candidats entretiennent les mêmes rapports orageux avec des pays pourtant alliés.

«Il est plus que temps que les Saoudiens, les Qataris, les Koweitiens et d’autres empêchent leurs ressortissants  de financer des organisations extrémistes», a déclaré Hillary Clinton après le massacre homophobe d’Orlando.

Quant à Donald Trump, qui veut purement et simplement interdire l’entrée des musulmans sur le territoire américain, il estime que les Etats-Unis «protègent les Saoudiens en échange de presque rien. Et sans notre protection, ajoute-t-il, ils ne survivraient pas plus d’une semaine».

Alain Chémali

Source : Geopolis15/06/2016

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