De la Littérature à la politique, Gabriel Garcia Marquez a réconcilié l’Amérique latine

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Dans un continent encore extrêmement polarisé politiquement, l’immense contribution de l’écrivain, décédé jeudi, à la vie intellectuelle –et politique– latino-américaine fait plus que jamais l’unanimité.

«Gabriel Garcia Marquez a réussi, par son décès, à mettre d’accord pour la première fois deux ennemis jurés: les guérillas des Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes (FARC) et l’ancien président [conservateur] Alvaro Uribe (2002-2010), qui ont lamenté d’une seule voix la mort de l’écrivain lauréat du prix Nobel de littérature en 1982.»

Voilà le constat que faisait le quotidien latino de Miami «El Nuevo Herald» après la mort du maître du réalisme magique ce jeudi 17 avril. De son vivant, Gabo, comme il était connu en Amérique Latine, n’a pas échappé aux critiques– notamment  à cause de son amitié avec Fidel Castro et de ses liens avec certains groupes de guérilla.

Mais dès l’annonce de sa mort, le président colombien de droite Juan Manuel Santos a déclaré trois jours de deuil national. Les hommages d’artistes, écrivains et hommes politiques de tous bord se multiplient. Dans un continent encore extrêmement polarisé politiquement, l’immense contribution de Garcia Marquez à la vie intellectuelle –et politique– latino américaine fait plus que jamais l’unanimité.

«Le seul prix Nobel»

En grande partie, cet attachement est dû au fait que Garcia Marquez a donné une mythologie à l’Amérique Latine. L’auteur William J. Kennedy disait d’ailleurs de Cent Ans de Solitude qu’il s’agissait de «la première œuvre littéraire depuis la Genèse qui devrait être une lecture obligatoire pour tout le genre humain

Et l’œuvre phare de Gabo est bien une sorte de Bible du continent construite autour du village  allégorique de Macondo. Au commencement du livre, «le monde était si récent que les choses n’avaient pas encore de nom, et pour les mentionner, il fallait les montrer du doigt.»

La dynastie Buendía, à la fois protagoniste et victime du roman, connaît ensuite un déluge de cinq ans, puis l’Apocalypse. Mais l’herméneutique de l’œuvre ne se limite pas à sa signification religieuse. Si le grec Prométhée a donné le feu à l’homme, le gitan Melquiades, lui, offre la glace aux Colombiens – un bien essentiel dans une région où il ne fait jamais froid.

Pour Garcia Marquez, le réalisme magique, cette manière de conter l’histoire d’un pays – d’un continent même – autour d’événements fantastiques mêlés à la banalité du quotidien, était le produit du passé sanglant et des dictatures d’Amérique Latine. Un passé si extrême qu’il aurait pu être inventé. Dans son discours d’acceptation du prix Nobel en 1982, il expliquait ainsi:

«Notre réalité n’est pas de papier, elle vit avec nous et détermine chaque instant de nos innombrables morts  quotidiennes. Elle est l’origine d’une source de création insatiable, pleine de tristesse et de beauté, de laquelle ce Colombien errant et nostalgique n’est qu’un parmi d’autres, plus distingué par la chance. Poètes et mendiants, musiciens et prophètes, guerriers et racaille, tous créatures de cette réalité effrénée, n’avons eu que peu de choses à demander de notre imagination, car le défi principal pour nous a été de rendre notre vie crédible sans avoir assez de ressources conventionnelles pour y arriver. Cela, chers amis, est le cœur de notre solitude.» 

La magie, en somme, pouvait encourager la littérature protestataire.

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La publication de Cent Ans de Solitude a coïncidé avec le «boom» littéraire latino-américain, au moment où des auteurs comme Carlos Fuentes, Julio Cortázar et Mario Vargas Llosa commençaient à être reconnus internationalement pour la virtuosité et l’audace de leur style. Mais c’est sans aucun doute Garcia Marquez qui a fini de faire de l’Amérique Latine une destination littéraire.

Dans un portrait publié dans le New Yorker en 1999, le journaliste américain Jon Lee Anderson remarquait qu’un ami de l’écrivain l’avait décrit comme «le seul prix Nobel», une qualification qui, loin de le choquer, lui «avait semblé fondamentalement juste, du moins en Amérique Latine.» Lee Anderson oubliait tout de même un autre géant de la littérature espagnole, Pablo Neruda, lauréat du Nobel onze ans avant Garcia Marquez. Mais l’erreur est significative: pour beaucoup,  Garcia Marquez est le père de la littérature latino-américaine telle qu’on la connaît aujourd’hui.

«Le dernier optimiste de Colombie»

Un autre versant, certes plus polémique, de la popularité de Gabo est lié à son engagement idéologique. Après tout, ses convictions politiques ont informé toute sa vie à la fois ses romans et sa carrière de journaliste. Et même si une partie de son public lui a toujours reproché son amitié  avec le régime Cubain, Garcia Marquez était depuis longtemps considéré comme l’une des voix de la réconciliation entre la guérilla et Bogota, même après avoir quitté son pays de naissance pour le Mexique. Se décrivant comme «le dernier optimiste de Colombie», il avait ainsi poussé les deux côtés du conflit qui continue de déchirer son pays à s’asseoir à la table des négociations.

A la fin des années 1990, celui qui était alors président de la Colombie, Andrés Pastrana, fit appel à Garcia Marquez pour négocier avec les FARC.  L’écrivain présenta le chef d’Etat colombien à Fidel Castro, et c’est en partie grâce à lui que les dialogues de paix entre la guérilla et Bogota ont encore lieu à La Havane. «Je ne dirais pas que c’est Gabo qui a tout mis en place», confiait Bill Richardson, l’ancien Secrétaire à l’Energie américain, au New Yorker. «Mais  il a certainement agi en catalyseur».

Souvent critiqué pour son goût un peu trop prononcé du pouvoir, et de ceux qui le détenaient, Gabo a tout de même pris part aux négociations pour terminer les guerres civiles au Nicaragua et à El Salvador et participé aux opérations de libération d’otages en Colombie.

Sans avoir jamais condamné Castro, il admettait avoir souvent intercédé pour obtenir l’exil de certains prisonniers politiques cubains (il disait même se loger chez certains d’entre eux quand il visitait Miami).

Mais c’est peut-être avant tout son rayonnement international, même aux pires heures de la Colombie, dont ses compatriotes lui sont reconnaissants. Dans un pays ravagé par la violence, le narcotrafic et les guérillas  —un mal que Garcia Marquez avait qualifié d’«holocauste Biblique»— la magie du verbe de ses plus grandes œuvres a longtemps été l’une des seules fiertés du pays qu’il avait fini par abandonner. Comme l’a si bien résumé le journaliste Enrique Santos Calderón, «dans un pays qui s’est enfoncé dans la merde, Gabo est un symbole de fierté nationale».

Daphnée Denis

Source : Slate 20/04/2014

Voir aussi : Rubrique Littérature, Littérature latino-américaine, Littérature espagnole, rubrique Amérique Latine, Colombie, rubrique Politique, Politique internationale, rubrique Actualité internationale,

Sont-ils intouchables les héritiers du franquisme !

" N'ayons pas la mémoire courte. " Photo David Maugendre

Sous l’étendard de l’association pour le Souvenir de l’Exil Républicain Espagnol en France (Aseref*), une centaine de personnes se sont rassemblées hier sur la place de la Comédie, en soutien au juge Baltasar Garzon condamné par la justice espagnole pour avoir voulu enquêter sur les crimes amnistiés du franquisme. Plusieurs rassemblement se sont déroulés ce même jour, à Béziers, Paris, Barcelone… attestant d’une amplification du mouvement. « Nous exigeons la nullité de la sentence et le rétablissement d’une vrai justice en Espagne qui reconnaisse les crimes contre l’humanité des franquistes, indique Eloi Martinez de l’Aseref, La loi d’amnistie de 1977 doit être abrogée. Elle a mis sur un pied d’égalité les victimes et les bourreaux aux mépris des lois internationales. »

La condamnation de Baltasar Garzon pour écoutes illégales  interdit au juge d’exercer son métier en Espagne pendant onze ans. Elle a soulevé un mouvement d’indignation en Espagne mais aussi  en France. Dans la région, où ont été internés des milliers d’exilés républicains dans le camps de Rivesaltes, leurs descendants n’ont pas manqué d’épingler le silence du gouvernement français en rappelant les 10 000 républicains morts dans les camps français. « La France grandirait à reconnaître ses responsabilités, immense dans cette tragédie, notamment par la décision de non intervention pendant la guerre d’Espagne ce qui permis au fascistes de mettre à terre la république  espagnole et ensuite d’occuper la France. »

Le juge Garzon, est aussi célèbre en Amérique latine pour avoir traqué l’ex-dictateur chilien Augusto Pinochet et d’anciens tortionnaires sud-américains. En 2011, il a été nommé comme consultant, à Bogota, auprès de la mission locale de l’Organisation des Etats Américains (OEA) où il devrait poursuivre sa mission liée au processus de démobilisation des milices paramilitaires d’extrême droite, accusées du massacre de dizaines de milliers de civils dans les années 1990.

A Montpellier on notait hier, la présence d’élus du PRG et du NPA ainsi que celles de diverses associations régionales liées à la mémoire des républicains espagnols et des victimes du fascismes au Chili. la mobilisation a donné lieu à des témoignages de survivants. Expression de souvenirs douloureux, malheureusement pas coupés de l’actualité à l’heure où le réseau idéologique de l’extrême droite européenne se reconstitue progressivement.

JMDH

* Une pétition de soutien est disponible sur le site de l’Aseref

Voir aussi : Rubrique Espagne, Garzon proposé pour le Nobel de la paix, Le FMI presse l’Espagne d’adopter des réformes, Soutien à Baltasar Garzon, rubrique Montpellier, Histoire, rubrique Livre, Manuel Rivas L’éclat dans l’abîme, rencontre Georges Semprun, Orwell un cran à gauche, mémoire combattante en région sud,

Visa pour l’Image : Le plus grand magazine du monde

Guatemala : Une Paix bien plus violente que la guerre. Rodrigo ABD, Associated Press

Festival. Visa pour l’Image est aujourd’hui le lieu de rassemblement majeur des acteurs internationaux de la presse et du photojournalisme. Quelques raisons de ce succès.

Après La gare de Dali, Visa pour l’Image fait de Perpignan le centre du monde à la différence,  que depuis 23 ans, on est passé en mode réaliste. Pendant deux semaines jusqu’au 11 septembre, le festival revient sur « l’actu » de l’année. Les visiteurs* se succèdent continuellement pour découvrir les 28 expositions gratuites de la manifestation. Nombre de regards traduisent un intérêt acéré. Au-delà de l’esthétisme qui demeure au rendez-vous, ils décryptent l’écriture photographique comme une expérience signifiante qui s’offre à leurs yeux.

C’est peu dire que cette forme d’expression n’a rien de commun avec la télévision et les autres médias tant la puissance des reportages sélectionnés emporte. La vision d’actualité du photojournalisme défendue par le fondateur du festival, Jean-François Leroy, refuse la course médiatique pour rester en phase avec ce qui se passe. Une qualité d’exigence rare qui se heurte aux pratiques d’aujourd’hui. Celles qui bradent les valeurs professionnelles, comme la rigueur, l’engagement pour un sujet, et la crédibilité de l’information sous couvert de l’évolution technologique. Comme si rapidité et rentabilité rimaient avec authenticité. Ce sujet  reste au cœur du débat des rencontres professionnelles.

Kesennuma : The man with a dog 22 mars 2011, Issey Kato Reuter

A travers plusieurs séquences, le festival revient sur les événements qui ont mobilisé les grands médias, comme la manifestation sismique au Japon ou la vague du printemps arabe, mais il ouvre surtout sur le hors champ. Des reportages comme celui de Valerio Bispuri qui a sillonné pendant dix ans les prisons d’Amérique Latine, ou de d’Alvaro Ybarra Zavala sur la guerre civile en Colombie témoignent de l’engagement de ce métier. La moisson mondiale des crises écologiques, économiques, démocratiques, et sociales de l’année écoulée a le goût du sang et de l’abandon. Elle suscite aussi de l’espoir à travers la nécessité absolue qui s’impose pour trouver des limites.

* 190 000 visiteurs en  2010

Lima, Pérou, décembre 2006. Détenus dansant dans la cour de la prison. Valéro Bispuri.

A Perpignan le versant Occident n’est pas épargné

A Perpignan l’hémisphère Sud apparaît en première ligne mais  Visa pour l’Image ne fait pas l’impasse sur les dérives sociétales de l’Occident. Shaul Schwarz signe un symptomatique reportage sur la culture narco qui se propage au sein de la communauté latino américaine aux Etats-Unis. Les film narco et les clubs narcocorridos y font fureur sur la côte Ouest, comme les chansons composées à la gloire des trafiquants. « C’est l’expression d’un mode de vie qui s’oppose à la société », explique le photographe américain.

Construction de tombes monumentales au cimetière Jardine del Humaya, Mexique juillet 2009.

 

Une mode  en forme de bras d’honneur à la mort et à la guerre de la drogue qui emporte 35 000 vies par an. Le reportage donne un nouveau visage à la drogue comme instrument de contrôle social. Les images pimpantes du luxe narco sont à rapprocher de celles tout aussi réelles qu’a ramenées Alvaro Ybarra Zavala de Colombie.

Tumaco, Colombie,  2009. La police interroge les occupants d’un bar. Alvaro Ybarra Zavala / Getty Images

 

Avec son travail sur les classes sociales défavorisées en Israël, Pierre Terdjman lutte également contre les idées reçues en touchant du doigt une réalité oubliée. A Lod, dans la banlieue de Tel Aviv, on ne lutte pas contre les « terroristes » mais pour survivre, manger, se soigner, où se payer sa dose dans l’indifférence totale de L’Etat.

Made in England

L’édition 2011 propose aussi deux reportages Made in England, dont l’un des mérites est de faire un peu baisser la tension. Avec « Angleterre version non censurée », Peter Dench porte un regard sans complaisance sur le monde ordinaire de ses compatriotes. « Accoutrements grotesques, mal bouffe et manque de savoir vivre : beaucoup d’Anglais s’obstinent à se rendre ridicules » observe le photographe. Il démontre ses dires à travers un voyage convivial et humoristique où l’alcool, mais peut-être pas seulement, semble tenir un rôle prépondérant.

Jocelyn Bain Hogg s’est lui replongé dans le milieu pour suivre la vie intime des mafieux britanniques. Ce photographe très british a commencé son travail sur la pègre en 2001 avec un reportage intitulé  « The Firm ». Sept ans plus tard il y retourne en axant son sujet sur la famille. « Ce choix m’a permis d’être validé, confit-il, car depuis mes premières visites une bonne part de mes anciens contacts avaient passé l’arme à gauche. » « The Family » débute par une série de portraits tout droit sortis d’un film de Scorsese. Quand on lui demande s’il n’a pas forcé un peu le trait pour que la réalité rejoigne le mythe, Jocelyn Bain Hogg trouve la réponse qui tue : « Ils ont des têtes de gangsters parce qu’ils sont gangsters. On peut penser au cinéma, mais qui était là les premiers: les films ou les gangsters ? »

Ici, on n’est pas dans un film, mais à l’enterrement du père de Teddy Bambam. Jocelyn Bain Hogg VII Network

Le parcours en noir et blanc nous entraîne dans les salles de combats de boxe clandestins que la famille utilise comme autant de business center pour parler affaires, drogue et prostitution… Les expressions de la famille Pyle expriment un mélange de machisme et de violence teinté de culpabilité. On suit Joe, Mitch, Mick, qui font faire leur première communion à leur fils Cassis et Sonny : « Malgré leurs mauvais côtés, ceux sont des êtres humains qui aiment et sont croyants », commente Jocelyn Bain Hogg qui brosse le portrait d’un milieu en perdition détrôné par les mafias de l’Est qui règnent désormais en Angleterre.

Jean-Marie Dinh (La Marseillaise)

Voir aussi : Rubrique Photo, rubrique Médias, rubrique Festival, Visa pour l’Image Cédric Gerbehaye: un regard engagé,

« Changer la géographie du monde » pourquoi Lula a « presque » tenu son pari

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Luiz Inacio Lula da Silva

Il ne voulait rien de moins, avait-il confié un jour au Time, que « changer la géographie politique et économique du monde ».

Un pari fou que, huit ans après son arrivée à la tête du Brésil et alors qu’il va passer le flambeau, Luiz Inacio Lula da Silva est pourtant en passe de tenir, à en croire la tribune que son ministre des Affaires étrangères, Celso Amorim, a signée cette semaine dans Le Monde : « Depuis près de huit ans, le Brésil a oeuvré avec audace et, à l’instar d’autres pays en développement, nous avons changé notre importance sur la carte du monde. Nos pays sont vus aujourd’hui, même par les critiques éventuels, comme des acteurs dont les responsabilités sont croissantes et dont le rôle est de plus en plus central dans les décisions qui affectent l’avenir de la planète. »

Et ce tout en ayant réussi à séduire aussi bien au Forum social mondial de Porto Alegre qu’au Forum économique mondial de Davos.

Comment diable a-t-il fait ?

Porte-parole des pays du Sud

Rééquilibrer l’échiquier mondial, jusque-là accaparé par la Triade (Etats-Unis, Europe, Japon), en donnant aux pays du Sud une place à la mesure de leur poids politique et économique : tel va être pendant huit ans le cheval de bataille de Lula. La méthode va consister à « lancer toute une série de groupes de pression au niveau international pour provoquer une gestion multilatérale dans le commerce mais aussi dans d’autres domaines », explique Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’Iris. Lula va ainsi multiplier les alliances avec les pays en voie de développement.

Il va donner le ton dès 2003, lors de la conférence de l’OMC à Cancun, en prenant la tête d’une coalition de pays émergents pour refuser des accords commerciaux favorables aux pays du Nord. C’est à lui que l’on doit l’élargissement du cercle des décideurs de la planète du G8 au G20. Le Brésil de Lula participe aussi, avec l’Inde et l’Afrique du Sud, à l’IBAS, un groupe chargé de faire du lobbying, chacun dans sa zone respective. Et au BRIC, avec la Russie, l’Inde et la Chine, qui a pour mission de coordonner leur action. Il a aussi noué des relations privilégiées avec les pays arabes et avec l’Afrique noire.

Le président brésilien ne va pas pour autant délaisser son continent. Là aussi, il va nouer des alliances avec ses voisins émergents face au géant nord-américain. Il est à l’initiative de la création, en 2008, d’une Union des nations sud-américaines, l’UNASUR. Objectif : laver son linge sale en famille, pour éviter d’avoir recours aux Etats-Unis ou à l’ONU en cas de crise.
Il défend ses voisins face aux appétits américains – c’est ainsi qu’il s’est opposé au projet de Zone de libre-échange des Amériques voulu par les Etats-Unis (ZLEA) ou qu’il a soutenu le président déchu hondurien contre l’avis de Washington –, se pose en arbitre dans les conflits de la région et cherche avec eux le compromis – par exemple dans le contentieux qui a opposé la Bolivie à Petrobras en 2006, Lula a préféré chercher le compromis plutôt que de défendre bec et ongles l’entreprise brésilienne.

« Le fait que le Brésil n’ait pas revendiqué le siège de l’UNASUR, qui est revenu à l’Equateur, témoigne de sa prise en compte de ses voisins », fait également remarquer Jean-Jacques Kourliandsky. Du coup, même si certains pays d’Amérique latine demeurent méfiants, soupçonnant leur gigantesque voisin d’avoir des desseins expansionnistes, reste que « le Brésil est devenu un facteur de stabilité dans la région, garant de la souveraineté populaire et de la légitimité des gouvernements », constate le sociologue et historien Laurent Delcourt.

Cette politique du « gentil géant », comme il la qualifie, ou ce « leadership qui se veut aimable », comme l’appelle Jean-Jacques Kourliandsky, est donc l’une des clés du succès de la diplomatie brésilienne.

Un rêve de puissance

Mais son « multilatéralisme va aussi dans le sens du renforcement de la présence du Brésil dans le monde », relève ce dernier. « Ce militantisme pour un système international plus démocratique masque des stratégies unilatérales dues à la puissance économique et politique du Brésil, » renchérit Laurent Delcourt. « Il poursuit aussi des intérêts nationaux, notamment en poussant l’expansion de ses entreprises multinationales. »
Si Lula exerce une politique étrangère progressiste, sur le plan économique et commercial, il s’inscrit dans une certaine continuité : « Il est le champion de la libéralisation du marché agricole, et quand il fait des discours enflammés sur la réforme du système financier international, il s’oppose en même temps à la taxation de ses banques », poursuit le chercheur.

Car dans la géographie mondiale que Lula entend redessiner, le Brésil prétend au rang de grande puissance. Ce pays qui n’était encore en 2002 que la première puissance d’Amérique du Sud est, en l’espace de huit ans, non seulement devenu la première puissance d’Amérique Latine, au nez et à la barbe du Mexique qui hier encore occupait cette place de choix, mais également un acteur global. Il entend donc revendiquer le statut qui va avec ce poids politique et économique.

Mais, au fait, c’est quoi une grande puissance ? Aujourd’hui, cela répond encore à des critères auxquels le Brésil ne répond pas, note Jean-Jacques Kourliandsky : être une puissance nucléaire, être membre du G8 et faire partie du Conseil de sécurité.

Certes, il n’est pas une puissance nucléaire, mais il est en train de se doter de capacités militaires (notamment via un accord stratégique signé en 2008 avec la France).
Certes, il n’est pas membre du G8, mais il est dans le G20. Fort de ses nombreuses entreprises multinationales (Pétrobras, Vale, Embraer, Votorantim…) qui gagnent toujours plus de parts de marché dans le monde, il est aujourd’hui la 8e puissance économique mondiale. Dans moins de dix ans, il pourrait grimper sur la cinquième marche du podium, à en croire le FMI, en ayant au passage rejoint les plus grands exportateurs de pétrole de la planète.
Enfin, il fait tout pour décrocher le fameux siège au Conseil de Sécurité de l’ONU. Et là aussi le Brésil a su jouer collectif. C’est avec cet objectif en tête qu’il dirige depuis 2004 une opération de paix de l’ONU, la MINUSTA à Haïti, ce qui est une première pour un pays d’Amérique Latine, et qu’il a constitué le G4, aux côtés de l’Allemagne, du Japon, et de l’Inde, autant de pays qui, comme lui, entendent pousser la porte jalousement gardée du Conseil de sécurité.

Bref, Lula a donné un sacré coup d’accélérateur : entre 2002 et 2010, « le Brésil est entré dans le sas entre pays émergent et grande puissance. Il peut à juste titre être placé dans le deuxième cercle« , estime Jean-Jacques Kourliandsky. « Il a tendance non plus à se considérer comme une puissance émergente mais émergée », constate Laurent Delcourt.

Alors que son prédécesseur Fernando Henrique Cardoso voulait entrer discrètement dans la mondialisation, Lula a choisi de conduire une diplomatie audacieuse et décomplexée qui a donc porté ses fruits. Mais parfois au risque de se montrer peut-être trop gourmand.

« Risible et ingénu ». Le jugement de la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton sur sa proposition de médiation au Proche-Orient est sans appel. L’accueil glacial avec lequel ont été reçues ses tentatives de coups d’éclat – ses interventions dans le conflit israélo-palestinien et dans le dossier du nucléaire iranien – montrent qu' »il a tendance à mettre la charrue avant les bœufs » et qu' »il n’est pas encore assez mûr pour prétendre exercer ce rôle », de l’avis de Laurent Delcourt. A moins qu’il ne témoigne de l’agacement des grandes puissances face à la propension de cet outsider à vouloir jouer dans la cour des grands ?

L’homme politique le plus populaire du monde

N’empêche, même Barack Obama a avoué sa fascination pour Lula : « J’adore ce type ! C’est l’homme politique le plus populaire du monde ! », s’était-il exclamé, à la surprise générale, en marge d’une réunion du G20 en avril 2009.

Il ne fait nul doute qu’une bonne part de ce que le président brésilien a accompli est à mettre sur le compte de sa personnalité. D’abord, il y a cette « bonhommie toute populaire qui l’aide à créer un sentiment de sympathie », souligne Laurent Delcourt. Ensuite, « il a su appliquer sa culture du combat syndical à la gestion des affaires du monde : il a su discerner les conflits, définir son objectif, se chercher des alliés, faire preuve de compromis », ajoute Jean-Jacques Kourliandsky.

Mais derrière le charisme et l’intelligence de l’ouvrier métallurgiste devenu président, il y a aussi une diplomatie très compétente, l’Itamaraty, rappellent les deux chercheurs. C’est l’une des meilleures du monde. Qu’il a d’ailleurs contribué à renforcer en doublant son réseau d’ambassades à force de sillonner la planète.

De quoi conclure que même si l’architecte s’en va, l’échafaudage diplomatique qu’il a bâti saura survivre à l’élection de ce dimanche ?

Il y a fort à parier que personne, quelle que soit la personnalité qui sera élue et a fortiori si c’est sa dauphine Dilma Rousseff, ne reniera un travail aussi titanesque et populaire. La plupart des candidats reconnaissent d’ailleurs autant le bilan positif de Lula sur le plan de la politique extérieure qu’intérieure.

Sarah Halifa-Legrand Nouvelobs.com

Voir Aussi : Rubrique Brésil, Sarkozy retrouve Lula avec l’ambition de lui vendre le Rafale,

La Colombie et le Venezuela se réconcilient

map-colombie-venezuela2Les présidents de Colombie et du Venezuela ont annoncé le rétablissement de leurs relations diplomatiques et commerciales mardi à l’issue d’un sommet à Santa Marta (Colombie), après un an de crises ayant débouché sur la rupture, le 22 juillet. A l’issue d’un peu plus de trois heures de réunion, dans ce port caribéen situé à 950 km au nord de Bogota, Juan Manuel Santos et Hugo Chavez « se sont accordés pour relancer la relation bilatérale en rétablissant les relations diplomatiques entre les deux pays, sur la base d’un dialogue transparent, direct, respectueux, privilégiant la voix diplomatique », ont-ils annoncé dans une déclaration commune. Le sommet entre Juan Manuel Santos, président colombien depuis samedi, et Hugo Chavez, a débouché sur des compromis, en particulier au sujet de la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc, marxistes), pomme de discorde entre Bogota et Caracas depuis de longues années.

« Le président Chavez m’a réitéré qu’il ne permettrait pas la présence de groupes armés sur son territoire. Je crois que c’est un pas important pour que les relations soient maintenues sur des bases fermes », a dit Juan Manuel Santos. Le président Chavez pour sa part a déclaré que « le gouvernement vénézuélien ne soutien pas et ne soutiendra pas (…) ni permettra la présence de guérillas ni du narcotrafic ». Sans nier le phénomène, il a demandé à ce que l’on n’accuse pas son gouvernement de les « soutenir », comme l’avait suggéré le prédécesseur de Juan Manuel Santos, Alvaro Uribe, lorsque son pays a présenté à l’Organisation des Etats américains (OEA) des « preuves » de la présence « active » de quelque 1.500 guérilleros des Farc au Venezuela, le 22 juillet.

Ces accusations, précédées de mois de tensions, avaient entraîné la rupture des relations diplomatiques par Hugo Chavez, qui les avaient jugées « mensongères », estimant qu’elles montraient « la folie guerrière » de son homologue. « Nous devons vaincre les démons, président », a encore déclaré Chavez mardi en s’adressant à Juan Manuel Santos: « Il y a des gens qui veulent que nous soyons fâchés ».

Les deux hommes ont également évoqué, pendant leur réunion, l’accord conclu entre la Colombie et les Etats-Unis en 2009, permettant à l’armée américaine de faire usage d’au moins sept bases militaires en Colombie. L’annonce de l’accord avant même sa signature, le 15 juillet 2009, avait été la cause de la dégradation sans précédent des relations entre les deux voisins, Hugo Chavez ayant décidé en représailles, de mettre fin aux importations de son pays en provenance de Colombie, une décision qualifiée « d’embargo commercial », par l’ex-president colombien Alvaro Uribe.

Sur ce sujet, Hugo Chavez a assuré que la Colombie était un pays « souverain », qui pouvait passer toute sorte d’accords avec tous les pays du monde. « La seule chose c’est qu’aucune convention ne doit porter atteinte à la souveraineté du voisin et ne représente une menace, c’est ce dont nous avons parlé », a-t-il ajouté en annonçant aussi que les deux pays travailleraient au « rétablissement du commerce bilatéral », marqué par une chute vertigineuse des exportations colombiennes entre janvier et mai de cette année (-71,4%).

Pour faciliter la normalisation, ils ont annoncé la création de cinq commissions binationales, « pour la relance des relations commerciales », l’intégration économique, les questions sociales frontalières, le développement commun d’infrastructures et la sécurité. Caracas et Bogota échangeront en outre « rapidement », des ambassadeurs, ont assuré les deux chefs d’Etat. Avant de partir, Hugo Chavez a enfin offert une biographie du général Simon Bolivar, héros des deux pays, qui avait joué un rôle clef dans l’émancipation des colonies espagnoles, à Juan Manuel Santos, qui fêtait mardi ses 59 ans.

AFP

Voir aussi : Rubrique Amérique Latine, crise diplomatique entre le Venezuela et la Colombie,