Rencontre Fred Vargas : Combat, amour et dépendance

Entretien avec Fred Vargas dans le cadre du Festival du Roman noir de Frontignan (FIRN) cet été où l’écrivain est reparu au terme d’une longue absence dans les festivals. Il émane de l’écrivain, une puissante détermination et une grande sensibilité qui ne vient pas la contrarier. Considérée comme la reine du polar français, l’auteur figure sur la liste des romanciers qui vendent le plus.

Traduite dans plus de quarante pays, elle est reconnue et encensée par ses lecteurs, mais comme Maria Vargas dans La Comtesse aux pieds nus, ne se laisse pas bercer par l’idylle qui la noue au succès.

La rencontre s’est tenue sur un coin de table peu après la libération de César Battisti dont l’auteur s’est fait l’ardente défenseuse à l’ombre des frasques médiatiques. Au moment de l’entretien, Fred Vargas ne tenait pas à aborder cette affaire pour préserver l’intégrité physique de l’auteur italien qui venait d’être libéré au Brésil.

Elle évoque son rapport avec ses personnages, notamment la psyché de l’intuitif commissaire Adamsberg en prise avec l’âme noire des cavaliers terribles dans son dernier livre, L’Armée furieuse.

César – A quoi tient votre absence des festivals ?
Fred Vargas – Depuis quelques années, je ne me rends plus dans les festivals. Je ne me sentais pas le cœur à participer à des festivités. Le FIRN, c’est différent. C’est une affaire d’amitié, de solidarité affective et de politique littéraire. Ici, c’est particulier. Je ne dirais pas qu’on y est bien accueilli parce que c’est plus fort que cela. C’est un peu la famille. Je me sens à l’aise. C’est amicalement doux.

On connaît votre combat en faveur de César Battisti que vous accompagnez d’une grande discrétion médiatique. Pourquoi choisir l’engagement privé plutôt que celui de l’auteur reconnu ?
Je ne suis pas une militante et la notoriété s’avère parfois à double tranchant. Je me suis engagée dans cette bagarre politique depuis quatre ans. Parfois le pouvoir politique agit sur les hommes de manière injuste.

Depuis mon enfance, j’ai toujours été sensible à l’injustice et à la cruauté. Il y a des choses qui croisent le chemin de votre vie sans que vous sachiez pourquoi. Et puis on se retrouve dans une situation qu’il faut gérer. Quand je commence un travail, il faut que je le finisse. Je me suis impliquée dans cette affaire, et cela m’a pris un certain temps.

La récurrence des héros de roman noir est-elle une dépendance ?
Nous allons aborder cette question difficile lors d’une table ronde. Je n’y ai pas encore répondu. Cette récurrence est à la fois un réconfort et un risque de dévotion par rapport à son personnage.

C’est ni plus ni moins différent qu’avec les gens que l’on aime dans la vie. J’aime les organisateurs de ce festival et cela crée une forme de dépendance avec eux. Le petit-déjeuner que l’on apprécie le matin est-il une dépendance ? Cela se passe un peu comme ça avec mes personnages. J’essaie de combattre la récurrence en créant des personnages nouveaux.

Ce n’est pas si confortable. Lorsque vous faites dix livres avec les mêmes personnages, il faut trouver de nouvelles histoires qui imprègnent leur vie. Vos personnages vous habitent affectivement. Vous avez envie de les retrouver. Il arrive aussi que le héros évolue de lui-même, et pas toujours dans le bon sens. Je pense qu’Adamsberg devient de plus en plus placide. Il adopte une manière d’être très personnelle. Je lui envie sa capacité contemplative, sa façon de vivre les choses sans anxiété. (Elle allume une cigarette.)

Qu’est ce que cela vous inspire ? (Désignant l’image répulsive sur le paquet avec la légende « Fumer tue »).
A l’étranger, on utilise depuis longtemps les images les plus atroces à des fins pédagogiques. Au Brésil, une fois, j’étais derrière un homme à qui on venait de donner un paquet sur lequel était mentionné l’effet nocif du tabac sur la virilité. Il l’a rendu au commerçant en demandant : « pouvez-me donner celui qui donne le cancer ? »…

Dans L’Armée furieuse, vous jouez sur un double registre à plusieurs intrigues. Comment avez-vous abordé cette structure complexe où se mêlent superstition et enquête rationnelle ?
J’avais mon intrigue qui se déroulait à peu près comme je l’avais prévue. Dans ce livre, il y a une histoire en mode majeur et une petite thématique qui passe derrière ; le chœur de l’orchestre, c’est la légende de L’Armée furieuse.

Et d’un coup, je vois Adamsberg (commissaire zen sans véritable méthode d’investigation – ndlr) qui marche avec désinvolture dans la forêt, puis je vois une vieille dame assise sur le sentier. Il va dormir chez elle. Vous pourriez peut-être m’informer, je me suis dit. Je n’avais pas idée de où cela m’entraînerait.

Une partie de l’histoire se fait en écrivant. Des personnages arrivent, je les vois arriver, je les suis un moment et je parviens quelque part. Il faut laisser de la souplesse, c’est ainsi qu’a émergé l’histoire du pigeon. À un moment, bien sûr, l’histoire se termine. Il faut boucler avec tous les personnages.

C’est un exercice qui m’est assez difficile. J’aimerais faire des thrillers bien carrés, mais je n’y parviens pas. A chaque fois ça prend le chemin de l’école buissonnière.

C’est à cause d’Adamsberg ?
Sans doute, ce qui lui arrive le désorganise. Il laisse les choses se faire constamment. Et les rêves entrent comme par les portes battantes du saloon. Il n’a pas peur de l’arrière de son cerveau. Il ne se connaît pas lui-même et je ne le connais pas vraiment non plus.

C’est un type qui arrive à laisser monter les choses comme de l’eau, vous voyez ? Dans le livre, il est en prise avec son fils adoptif. Celui-là, j’ai peur qu’il devienne comme son père. Lui non plus, je ne le connais pas. Je le suis un peu selon les principes des contes à catharsis dans un univers indéterminé dans le temps et l’espace, magique, car tout peut y arriver.

Vous agissez de même avec la conscience de vos personnages secondaires ?
Je crois. J’aimerais que Danglard arrête de boire et puis il descend à sa planque et il le fait. Je ne suis pas d’accord. Est-ce que c’est une dépendance de regarder vivre ses personnages secondaires ?

Je m’y attache. C’est le cas avec les membres de la famille Vendermot : je les aimais bien. Mais je n’en dis pas plus pour ne pas donner de repères aux lecteurs. Je les respecte.

Propos recueillis par Jean-Marie Dinh  (Cesar)

Titulaire d’un doctorat d’Histoire, sur La peste au Moyen-Âge, ex-chercheuse au CNRS, elle est spécialiste d’archéozoologie et a travaillé sur des chantiers de fouilles archéologiques. Ces dernières années, ses livres se sont vendus entre 500 000 et 1 million d’exemplaires. Elle a été récompensée de nombreuses distinctions. Son dernier ouvrage, L’Armée Furieuse est publié aux Editions Viviane Hamy.

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Adaptation de l’œuvre de Lobo Antunes. Demande de mutation

Madame monsieur,

nous vous invitons à porter une attention particulière à la présente note interne qui s’avère importante pour le bon fonctionnement de nos services en vertu de l’application des dernières circulaires ministérielles destinées à guider le débat sur l’identité nationale. L’affaire concerne la transcription des actes d’état civil du célèbre écrivains portugais Lobo Antunes.

L’agent en charge de ce dossier, un certain Georges Lavaudant, n’a visiblement pas respecté son contrat ni les règles d’usage les plus élémentaires. Est-il pensable de ne pas valoriser la nationalité portugaise de l’artiste ? Dans cette pièce incompréhensible, on entend même Antunes dire qu’il se sent angolais, vous imaginez ?

Cette pièce ne veut rien dire. Elle traverse sans respect chronologique, ni esprit de contradiction l’œuvre subversive de l’auteur, et  rend compte à l’aide de tableaux fort suggestifs de son univers malsain.

Tout cela manque vraiment d’ordre et le texte est bourré de contradictions. On parle de nos colonies, de la femme de l’auteur, on excuse les disfonctionnements mentaux de toute une génération. Il y a des scènes où l’honneur de nos glorieux soldats envoyés en Angola en prend un coup.

D’autres où l’on valorise la divagation des soldats livrés à eux-mêmes. Je ne m’explique pas  comment un médecin comme Antunes n’a pas compris qu’il devait soigner au lieu de perdre son temps à écouter les divagations de ses patients.

Le travail de cet homme qui se dit metteur en scène nuit gravement à l’efficacité de nos services administratifs et plus encore à l’intérêt général de notre nation. D’autant qu’il a fait appel à de jeunes comédiens du conservatoire de Montpellier auxquels il semble avoir injecté tout le poison de son âme.

Il faut voir sur scène la gravité de cette jeunesse. Les postures lascives des jeunes filles ne sont vraiment pas un exemple à suivre. L’effet s’intensifie encore avec la présence d’une voix puissamment évocatrice d’un activiste culturel dénommé Gabriel Monnet, encore un Français.

Nous étions déjà défavorable au montage de ce projet de spectacle pour aborder l’œuvre de Lobo Antunes. Malgré ses  origines bourgeoises, cet auteur s’applique à noircir tout ce qui fait l’honneur de notre beau pays, en dénonçant l’hypocrisie et le mensonge à l’endroit où se niche notre fierté historique.

Ce Lavaudant a beaucoup de peine à rétablir la réalité. Il se permet de prolonger les thèses d’Antunes en donnant un écho nouveau à son œuvre. C’est intolérable et véritablement dangereux dans un cadre de crise comme celle qui traverse actuellement notre nation.

En conséquence, nous vous demandons de prendre les mesures nécessaires pour le suspendre de ses fonctions dans les plus brefs délais. Une mutation au service des espaces verts pourrait être envisagée. Nous avons en ville de nombreux ronds-points où l’herbe folle et les œillets reprennent du terrain.

Jean-Marie Dinh

 

Il faut voir sur scène la gravité de cette jeunesse et les postures lascives des filles.


Etat civil : spectacle donné dans le cadre du Printemps des comédiens.

Antonio Lobo Abtune dernier ouvrage paru : Mon nom est légion , janvier 2011, éditions Bourgeois

Voir aussi : Rubrique Théâtre, rubrique Festival,  Jean Varela « rassembler autour d’un projet artistique », rubrique Rencontre Gabriel Monnet,

Festival Voix vives : Le grand brassage poétique

 

Pour sa seconde édition sétoise, le festival Voix Vives tisse les passerelles entre le port languedocien et l’ensemble du pourtour méditerranéen. Cette liaison éphémère empruntée par les poètes de 33 pays provoque une confrontation avec les musiciens, acteurs et poètes français conviés à ce rendez-vous où l’art se décline en transversale. Le festival reçoit cette année Carole Bouquet, Marie Rouanet, Fanny Ardant, Marie-Christine Barrault, Arthur H, Juliette, Michel Bismut, Sapho, Combas…

Neuf jours durant, Voix Vives réinstalle l’échange entre la population sètoise et le vaste monde bleu qui la berce. L’espace qui s’ouvre revient aux origines. De tous temps, les terres du Mont St Clair ont servi de refuge aux navigateurs et d’inspiration aux artistes. Le festival  investit le quartier haut des pêcheurs et la proximité des côtes maritimes via une flotte de voiliers et de barques à rames où cohabiteront  poètes et passagers d’imaginaire. Il va sans dire que ce bouillonnement de sens et de lumière ravit les visiteurs de passage.

Les bouleversements à l’œuvre dans le monde arabe donnent à l’édition un attrait particulier. « Que signifie être poète aujourd’hui au cœur d’une géographie en mouvement ? », questionne Maïthé Vallès Bled. Une autre interrogation, plus pratique, occupe l’esprit de la directrice du festival : elle concerne l’obtention des visas de ses invités. On attend l’arrivée de 99 poètes étrangers, parmi lesquels la Palestinienne  Salma Khadra Jayyusi, le Syrien  Nourri Al Jarrah, l’Irakien  Salah Falk, l’Egyptien  Fathi Abdallah. L’Espagnol Antonio Gamoneda, la Portugaise Maria Joào Cantinho ou le Grec Georges Veltos feront résonner l’âme des poètes de l’Europe du sud sous le signe de la rigueur.

En 2011, il sera assurément moins question de la sempiternelle crise de la poésie que de la situation des poètes en temps de crise.

Jean-Marie Dinh

Voix vives Rens : 04 99 04 72 51

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Yishaï Sarid : « J’ai pu voir à travers les yeux du héros »

 

Yishaï Sarid : « En Israël la politique est une histoire sans fin ». Photo Rachel Sion

 

Rencontre avec l’auteur israélien Yishaï Sarid au Festival international du roman noir à Frontignan.

Né en 1956 à Tel-Aviv, Yishaï  Sarid est le fils d’un député de gauche militant pour la paix. Son deuxième roman, « Le poète de Gaza » traduit de l’hébreu au printemps a été salué par la presse israélienne. Un ouvrage captivant qui  évoque la vie d’un agent israélien de la sécurité intérieure dont l’engagement contre les attentats terroristes le conduit régulièrement à s’exonérer les droits de l’homme. A l’occasion d’une mission, il croise le chemin d’une romancière israélienne et d’un poète palestinien. L’humanité de ces rencontres vient perturber son sens aveugle du devoir.

On est saisi par le rythme de votre thriller qui joue finement sur l’intensité émotive du personnage et on adhère tout de suite à votre style épuré. Quelle a été votre démarche du point de vue de l’écriture ?

« Je voulais me garder de l’émotion facile, éviter les stéréotype de situation. J’ai beaucoup travaillé pour épurer le style sans endommager le sentiment. Je me suis efforcé de restituer la façon dont mon héros parle et pense en restant proche de lui à un point où j’ai pu voir à travers les yeux du héros.

On suit cet homme dans sa vie de tous les jours avec ses difficultés familiales et professionnelles. Ce personnage n’a rien d’une brute. Il est cultivé, sensible et en même temps, il est animé d’un sentiment patriotique très fort qui joue presque contre lui…

En Israël la famille est très importante. Dans cette histoire, le personnage n’arrive pas à gérer cette situation. Quand il a fini son travail, il rentre chez lui mais ne parvient pas à s’adapter à une situation normale. Il est aspiré par son engagement qui lui fait perdre le contrôle de sa propre vie.

Le livre fait état d’une situation politique à l’égard de laquelle vous prenez une distance très mesurée.

Je ne voulais vraiment pas faire du roman un thème politique. Ce n’est pas intéressant, ce qui présente de l’intérêt c’est la dimension humaine. A travers les yeux du personnage principal, je regarde ce qui se passe en essayant de ne pas le juger parce que je pourrais très bien me trouver à sa place. En Israël, la politique est une histoire sans fin. Ce sont toujours les mêmes situations qui se répètent. Traiter de politique à travers la littérature ne sert ni la littérature ni la politique. Ce qui m’intéresse ce sont les conséquences d’une situation politique sur les gens. Cela peut d’ailleurs avoir un impact profond sur la conscience du lecteur.

Comment vivez-vous votre condition d’artiste israélien lorsque vous êtes à l’étranger ?

C’est assez variable. La situation diffère entre les Etats-Unis et l’Europe où la question palestinienne est posée de manière plus exacerbée. Moi je suis un homme de gauche, mais je me sens aussi patriote. De manière générale, quand on sort d’Israël on est considéré comme des ambassadeurs du gouvernement et quand on revient dans le pays on nous considère comme des opposants critiques… »

Recueilli par Jean-Marie Dinh

 

« Le poète de Gaza », Actes-Sud, 20 euros.

 

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Roman noir : les vrais héros sont-ils morts ?

Festival international du roman noir de Frontignan

Chaque année, Frontignan vit une semaine dans le noir… et la bonne humeur. Cette éclipse correspond au Festival international de roman noir, rendez-vous prisé qui permet aux amateurs de polar de rencontrer des écrivains confirmés (une cinquantaine) et de repérer des auteurs d’avenir dans un domaine où 1 200 titres sont publiés chaque année.

Cette année, la thématique choisie est celle des « métamorphoses du héros ». On constate en effet une évolution du héros récurant avec l’apparition de nouvelles figures. « On est passé du détective dilettante, à la Agatha Christie, au héros de polar à la Humphrey Bogart, mais aujourd’hui le flic ou le détective n’est plus du tout un mec macho et de moins en moins un homme, indique Michel Gueorguieff, le Président de Soleil Noir à l’origine du festival. Les héros ont des failles, les minorités ethniques ou sexuelles sont très présentes. Cette évolution est un miroir de nos sociétés ».

Ce thème réunit des auteurs venus de tous horizons. Parmi lesquels on peut citer : Yishaï Sarid, un Israélien, jamais venu en France, qui situe son roman Le poète de Gaza au cœur du conflit israélo-palestinien ; le Suédois Inger Frimansson, plutôt connu dans la littérature « blanche », qui a obtenu le prix du meilleur roman noir suédois pour Bonne nuit mon amour ; l’Américain David Vann dont le livre au suspens insoutenable Sukkwan Island a été couronné du prix Médicis étranger 2010.

A noter que l’invitée d’honneur du FIRN n’est autre que Fred Vargas, particulièrement rare sur la scène littéraire, qui vient de publier L’Armée furieuse, où l’on retrouve le mémorable commissaire Adamsberg en prise avec un seigneur d’un autre âge.

Jean-Marie Dinh

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