Festival international du roman noir de Frontignan
Chaque année, Frontignan vit une semaine dans le noir… et la bonne humeur. Cette éclipse correspond au Festival international de roman noir, rendez-vous prisé qui permet aux amateurs de polar de rencontrer des écrivains confirmés (une cinquantaine) et de repérer des auteurs d’avenir dans un domaine où 1 200 titres sont publiés chaque année.
Cette année, la thématique choisie est celle des « métamorphoses du héros ». On constate en effet une évolution du héros récurant avec l’apparition de nouvelles figures. « On est passé du détective dilettante, à la Agatha Christie, au héros de polar à la Humphrey Bogart, mais aujourd’hui le flic ou le détective n’est plus du tout un mec macho et de moins en moins un homme, indique Michel Gueorguieff, le Président de Soleil Noir à l’origine du festival. Les héros ont des failles, les minorités ethniques ou sexuelles sont très présentes. Cette évolution est un miroir de nos sociétés ».
Ce thème réunit des auteurs venus de tous horizons. Parmi lesquels on peut citer : Yishaï Sarid, un Israélien, jamais venu en France, qui situe son roman Le poète de Gaza au cœur du conflit israélo-palestinien ; le Suédois Inger Frimansson, plutôt connu dans la littérature « blanche », qui a obtenu le prix du meilleur roman noir suédois pour Bonne nuit mon amour ; l’Américain David Vann dont le livre au suspens insoutenable Sukkwan Island a été couronné du prix Médicis étranger 2010.
A noter que l’invitée d’honneur du FIRN n’est autre que Fred Vargas, particulièrement rare sur la scène littéraire, qui vient de publier L’Armée furieuse, où l’on retrouve le mémorable commissaire Adamsberg en prise avec un seigneur d’un autre âge.
Percy Kemp, figure parmi les nombreux auteurs invités du Festival International du Roman noir (Firn) ce week-end à Frontignan. On peut se faire un avis sur sa personnalité à travers quelques éléments connus de sa biographie. C’est un Anglais, né à Beyrouth en 1952 d’un père britannique et d’une mère libanaise. Il parle l’arabe couramment, écrit des romans en français et complète ses activités en tant que conseil dans le renseignement stratégique. On peut le lire aussi sur le site de Rue 89 où il tient des chroniques décalées.
Après des attentats manqués en Grande-Bretagne il y a trois , il signait du nom de Ben Laden, PDG d’Al Qaeda SA, un courrier où il s’insurgeait contre l’usage abusif de son label : « Le succès retentissant que notre marque connaît depuis quelques années, sa conquête impérieuse de l’audimat et la manière magistrale dont elle a su s’imposer dans tous les foyers, ont suscité d’innombrables vocations et autant d’imitations et de contrefaçons (…) Un peu partout dans le monde aujourd’hui, des paumés en crise d’identité et en mal de notoriété bricolent de ridicules petits attentats visant les infidèles et les apostolats. Attentats minables que des médias en mal de copie nous imputent immanquablement.
Le style de Percy Kemp est là. L’homme d’apparence flegmatique allie le savoir-faire à l’humour en s’ancrant avec érudition au cœur des enjeux post-11 septembre desquels se déploie les manoeuvres de la politique internationale. Dans son dernier roman, Noon Moon, l’auteur s’est nourri de la pensée grecque. A travers une double intrigue le livre pose une réflexion philosophique sur les dessous de la prétendue guerre des civilisations.
L’ouvrage s’ouvre sur un cafard qui progresse sur le corps de Zandie enchaîné dans une cellule. Après avoir été enlevé par les fous de dieu, Zandie est terrorisé. Il redoute le moment où son bourreau va ouvrir la porte et le saigner comme un mouton devant une caméra. Mais la porte s’ouvre sur un vieil homme féru d’hellénisme qui commence par évoquer la fin de Socrate et poursuit en l’instruisant sur la nature réelle et complexe du contexte historique global. L’écrivain use de la situation pour ouvrir des perspectives. La proximité de la mort fait du prisonnier un auditeur attentif à la profondeur du propos qui parvient à le libérer de la peur et de l’ego. Ailleurs, dans le théâtre des services secrets américains se joue une partie plus mouvementée. On pénètre dans les arcanes de la manipulation liée aux enjeux de la politique intérieure américaine. Et l’on suit le destin de Charlie lancé sur les pentes hors piste de la traque du terrorisme islamiste.
Noon Moon est un grand roman où les apparences se révèlent trompeuses. Et où les vérités les plus répandues sont mises en défaut. Il y a du Graham Greene dans cette manière éclairante d’explorer l’ambivalence morale et politique du monde. On pense à un Américain bien tranquille resitué dans le contexte beaucoup moins mélodramatique du XXIe siècle. Un contexte dont le réfractaire Percy Kemp dévoile les stratégies et la géographie secrète en s’appuyant sur la sagesse antique.
On le sait, les rencontres sont toujours riches et inhabituelles au Festival international du roman noir. Dans l’allée ombragée de Frontignan, on a pu croiser cette année l’écrivain et dramaturge de langue française Moussa Konate. Grande figure de la culture malienne, l’homme joue les passerelles entre Nord et Sud. Il est notamment directeur du festival malien Étonnant voyageur et a récemment trempé sa plume dans le noir : « avecL’empreinte du Renard, j’avais envie de faire des romans policiers. Je ne suis pas un spécialiste du genre, ces livres s’inscrivent dans ma démarche d’écriture. » L’ouvrage emprunte la structure classiquedu polar. Ce qui fait la différence tient à l’intrigue qui se déroule en pays Dogon. Loin de Bamako, deux enquêteurs se trouvent en prise à une série de meurtres. Face à la force des coutumes locales et à l’esprit réfractaire au pouvoir central, leur travail ne sera pas de tout repos. Moussa Konate, qui dit s’inspirer de Simenon et Tintin « pour la qualité des scénarios » et à Dostoïevski « pour sa manière de fouiller dans l’âme des individus », signe une série de qualité et ouvre sur la confrontation des valeurs : « Les techniques de la police malienne ou française sont les mêmes. La différence est qu’au Mali l’enquête rationnelle s’opère dans un environnement qui ne l’est pas. Lorsqu’un enquêteur s’entend dire : personne ne l’a tué, c’est Dieu. Il doit nécessairement s’ajuster. » Il n’y a pas de recette miracle tout est question d’adaptation. « Il y a un degré dans l’usage de la raison qu’il ne faut pas dépasser car il conduit à la sécheresse du cœur. En même temps on ne peut pas s’en remettre en permanence au fatalisme. La solution est entre les deux… »
Les ouvrages L’empreinte du Renard sont aux éditions Fayard