Perquisition administrative chez des maraîchers bio : « Ils s’attendaient à quoi, des légumes piégés ? »

3352617198Etat d’urgence

Le 24 novembre, le préfet de Dordogne a ordonné la perquisition d’une ferme du Périgord vert. A la recherche de « personnes, armes ou objets susceptibles d’être liés à des activités à caractère terroriste », les gendarmes ont fait chou blanc. Sur les 1233 perquisitions administratives menées en France, les abus commencent à s’accumuler.

La ferme d’Elodie et Julien, à mi-chemin entre Périgueux et Angoulême, figure dans une plaquette de l’office de tourisme au chapitre « vente directe de fruits et légumes ». Il faut croire qu’on la trouve aussi dans les petits papiers du préfet de Dordogne. Mardi matin à 7h20, depuis sa chambre avec vue sur l’arrière de la maison, un ami hébergé par le couple entend des claquements de portières et aperçoit la lumière de lampes torches. C’est une perquisition administrative. « Quand on est descendus, les gendarmes étaient déjà dans la cuisine », raconte Elodie, 36 ans. Elle ne sait pas si l’ami «  a ouvert ou s’ils sont entrés tout seuls », de toute façon « la porte était ouverte ». Devant elle et son compagnon Julien, 34 ans, s’alignent « une dizaine » de gendarmes de Nontron, Ribérac et Verteillac.

Comme les maraîchers bio demandent des explications, les forces de l’ordre invoquent l’état d’urgence et leur montrent un ordre de perquisition signé par le préfet Christophe Bay (voir ci-dessous). Selon ce papier, faisant référence aux attentats du 13 novembre et à « la gravité de la menace terroriste sur le territoire national », « il existe des raisons sérieuses de penser » que chez eux « peuvent se trouver des personnes, armes ou objets susceptibles d’être liés à des activités à caractère terroriste ». « Ils s’attendaient à quoi, des légumes piégés ? », plaisante Elodie après coup. Installés depuis trois ans et demi en Dordogne, Julien et sa compagne ont une fille de deux ans, vendent des légumes de saison à la Biocoop et le samedi au marché.

« Le G8, les manifestations pour l’environnement, ça ne vous dit rien ? »

Pendant deux heures quarante, les gendarmes fouillent chaque pièce en regardant « dans les placards, les coffres, la bibliothèque, les recoins, les boîtes », détaille Elodie. Ils semblent « très intéressés par les petits carnets, les coupures de presse. Les livres moins. » Et demandent quelle surface fait la ferme, s’il y a des appentis. L’un d’eux prend les choses particulièrement au sérieux. « Il nous dit : “le G8, les sommets européens, les manifestations pour l’environnement, ça ne vous dit rien ?” et mentionne aussi la Cop21. Visiblement, la perquisition a un rapport avec nos activités militantes. »

Cette impression se confirme lorsque les gendarmes évoquent enfin «  un truc tangible », une action à laquelle Elodie et Julien ont participé il y a trois ans contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes : le blocage du péage autoroutier de Mussidan. «  Je ne pense pas avoir fait une seule manif depuis », résume la maraîchère. «  La petite a deux ans. Je ne veux pas jouer la Sainte Nitouche, mais manifestation ou pas, qu’est-ce qui justifie ça ? » Le gendarme zélé explique aux habitants de la ferme « qu’avec l’état d’urgence, tout rassemblement est interdit, et qu’organiser une manifestation est illégal ». Elodie demande : « Si vous trouvez un papier disant que j’organise une manifestation, vous m’arrêtez ? » La réponse est oui. Mais ils ne trouvent rien de tel.

Les ordinateurs de la maison sont raccordés « à un appareil qui ressemblait à un disque dur externe, apparemment pour en copier le contenu », sans même avoir besoin de demander les mots de passe. « Il y a un ordi sous Ubuntu [un logiciel libre, ndlr] , et là ça n’a pas marché. » «  Ils ont aussi branché les téléphones portables à une machine, en expliquant que le logiciel se déclenchait en fonction de mots-clés. » Un gendarme s’autorise une petite impertinence : « Je suis pas sûr que ça marche avec le péage de Mussidan. »

« Ils nous parlent d’extrême gauche et sous-entendent qu’on est islamistes ? »

Lorsqu’ils tombent sur des autocollants de la CNT, les gendarmes demandent de quoi il s’agit. « C’est mon syndicat », répond Elodie, affiliée à la fédération des travailleurs de la terre et de l’environnement. Pas de questions supplémentaires sur ce point. L’ami hébergé est fouillé sans insistance. Le matériel agricole ne semble pas non plus susciter leur curiosité. La conversation prend un tour plus inquiétant quand les gendarmes voient écrit « Bruxelles » dans un carnet et sur la carte d’identité de Julien, qui a travaillé en Belgique où il a encore des amis. Ils veulent savoir si le couple y va souvent. Ce signe de fébrilité agace Elodie : « On parle de quoi là ? Ils nous parlent d’extrême gauche et d’un coup sous-entendent qu’on est islamistes ? On ne sait pas ce qu’ils cherchent. » Pour seule réponse, les habitants récoltent un « voyez ça avec le préfet, nous on exécute les ordres ».

A 10 heures, après avoir fait signer un compte-rendu de perquisition reconnaissant qu’ils n’ont rien trouvé, les gendarmes repartent comme ils sont venus. Les maraîchers pensent quand même « qu’il faut que ça se sache ». Comme beaucoup de militants, ils craignent les conséquences de l’état d’urgence. « C’est vrai que notre préfet a la réputation d’être un peu rigide. Mais là on s’aperçoit que dès que la loi le permet, des individus se sentent libres de faire ce qu’ils veulent sur leur territoire. Visiblement la brèche est ouverte. »

1233 perquisitions, 165 interpellations, 142 gardes à vue, 230 armes saisies

La préfecture, que nous avons contactée, refuse de commenter ce cas particulier. « Nous préparons un communiqué de presse pour la fin de la semaine sur le nombre de perquisitions administratives, mais rien d’autre », nous répond-on. Lundi, un premier bilan départemental avait été rendu public : 26 perquisitions administratives en Dordogne depuis l’entrée en vigueur de l’état d’urgence, dans la nuit du 13 au 14 novembre. Une arme de collection, détenue illégalement, a été remise aux gendarmes et détruite. Impressionnant bilan pour la Dordogne.

Sur l’ensemble du territoire, on dénombrait mardi 1233 perquisitions administratives, conduisant à 165 interpellations, dont 142 gardes à vue, et la saisie de 230 armes. Un certain nombre d’abus et de bizarreries sont déjà signalés : citons par exemple une fillette de 6 ans blessée à Nice, un TGV évacué pour un film d’action, un trompettiste retenu sans motif Gare du Nord, un restaurant investi par la police en plein service… Au point que les recensions de ces dérapages ont été systématisées par La Quadrature du Net et remplissent les pages des journaux.

Le ministre de l’Intérieur croit-il désormais ce qu’il lit dans la presse ? Ce mercredi, Bernard Cazeneuve a annoncé qu’il allait envoyer une circulaire à tous les préfets « pour que ces perquisitions se fassent, même si on est dans un état d’urgence, dans le respect du droit ». C’est sûr que si personne ne prévient les préfets que les droits doivent être respectés…

Camille Polloni

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COP21 : « Annuler les manifs, c’est se déclarer vaincus face à la menace »

THOMAS SAMSON/AFP

THOMAS SAMSON/AFP

Les ONG n’ont même pas le temps d’avoir la gueule de bois. Au lendemain de l’annonce par la présidence de la COP21 de l’interdiction de toutes les marches pour le climat qui auraient dû avoir lieu, à Paris et dans d’autres villes de France, à la veille de l’ouverture des négociations, c’est un mélange de déception et de branle-bas de combat. Mathieu Orphelin, porte-parole de la Fondation Nicolas-Hulot, lâche :

«  On n’a pas le droit de baisser les bras, mais là, ce sont plusieurs mois de boulot avec toutes les associations qui tombent à l’eau. On en était à un niveau d’organisation collective colossal. »

Mardi matin, moins de quatre jours après les attentats de Paris, les organisations de la société civile étaient réunies chez Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, sous l’égide de qui se tiendra la réunion internationale sur le climat dans dix jours. Si les marches semblent alors déjà très compromises, y est évoqué un «  rassemblement statique  ». En aparté, les conseillers évoquent l’idée d’un stade où auraient pu se réunir les dizaines de milliers de personnes attendues initialement pour la marche du 29 novembre.

Choix cornéliens

Car pour les autorités françaises, assurer la sécurité de la COP21 elle-même et de tous les événements parallèles, deux semaines après les plus graves attentats qui aient jamais eu lieu sur le sol français, exige de faire des choix cornéliens. Techniquement, il y a d’un côté le site du Bourget où auront lieu les négociations, et les 22 000 personnes accréditées pour y entrer.

De l’autre, 20 000 acteurs de la société civile attendus dans la capitale en divers lieux, et initialement réunis dans une marche inaugurale. Mathieu Zagrodzki, chercheur associé au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pe?nales et spécialiste de la sécurité intérieure, analyse :

«  On a un double casse-tête  : d’un côté, un lieu confiné qu’il va falloir rendre hermétique par des détecteurs de métaux, par le contrôle des allées et venues, et de l’autre la gestion de flux et de foules, ce qui est bien plus difficile.

En France, on a l’habitude de gérer des événements sur la voie publique, même de grande ampleur, comme les Journées mondiales de la jeunesse en 1997 ou la Coupe du monde de foot en 1998, mais deux semaines après ces attentats, avec une menace terroriste qui reste forte, c’est autre chose.  »

 

Alors que l’Assemblée nationale vient de donner son feu vert à la prolongation de l’état d’urgence pour trois mois, que le Premier ministre, Manuel Valls, évoque devant les députés un risque d’attaques chimiques ou bactériologiques, que des centaines de perquisitions ont lieu, la tension reste très forte dans l’Hexagone. Et la crainte d’un nouvel attentat ne risque pas de faiblir avec l’arrivée de près de 120 chefs d’Etats étrangers, présents au Bourget le lundi 30 novembre, et de dizaines de milliers de représentants de la société civile.

 

Mathieu Zagrodzki souligne :

«  Prendre la COP21 pour cible, ce serait très fort symboliquement et aurait une résonance mondiale  : l’impact médiatique et psychologique serait gigantesque. Mais annuler toutes les manifestations pour réduire ce risque, c’est également réduire la portée symbolique de ce sommet et se déclarer vaincus face à la menace, car manifester fait partie de notre vivre-ensemble  : pour les organisateurs, il y a un dilemme et un calcul à faire entre la sécurité et la portée symbolique de leurs choix.  »

 

«  Le moral est un peu cassé  »

 

Mercredi soir, le gouvernement a donc tranché. La société civile est toujours bienvenue au Bourget dans un espace de 27 000 m² où sont attendues plus d’une centaine d’organisations. Hors du Bourget, c’est une autre affaire. Les manifestations sont maintenues si elles ont lieu «  dans les espaces fermés et aisément sécurisables  », souligne le communiqué du secrétariat de la COP21.

Exit les marches du 29 novembre et du 12 décembre, en clôture des négociations. Exit même la possibilité d’un grand rassemblement dans un stade, un hippodrome ou une place parisienne, comme des rumeurs qui circulaient des cabinets ministériels aux ONG avaient pu laisser croire.

Les ONG représentées sein de la Coalition climat 21 enchaînent réunion sur réunion, explique Marie Yared, de Avaaz :

 

«  Cela fait plusieurs jours que nous sommes dans l’attente de la décision des autorités, nous avions réfléchi à un scénario où la marche serait maintenue, avec un service d’ordre blindé et une grande coordination avec la police. Pour la centaine de bénévoles de notre organisation qui ont tout mis en œuvre pour la réussite de notre mobilisation, c’est vrai que le moral est un peu cassé. Nos sentiments sont partagés entre les problèmes réels de sécurité et la volonté de nous exprimer au moment de la COP. »

 

En janvier, des dizaines de chefs d’Etat…

 

Dans les rangs des ONG, tout le monde ne tempère pas autant sa déception. Txetx Etcheverry, fondateur du mouvement Alternatiba, tonne :

«  Cette annulation sans aucune proposition alternative de la part des autorités est inacceptable. Au lendemain de Charlie Hebdo, des dizaines de chefs d’Etat ont participé à la manifestation nationale, le risque était-il moindre  ?

 

Le marché de Noël reprend sur les Champs-Elysées, les supermarchés sont ouverts, la foule se réunit dans les lieux de la société de consommation, et nous, nous ne pourrons même pas nous réunir ne serait-ce qu’à quelques centaines de personnes dans des endroits symboliques pour dénoncer les engagements trop faibles de certains pays, par exemple  ?  »

 

Dès mardi soir, le mouvement lançait un appel, désormais signé par plus de 14 000 personnes, pour maintenir la pression sur les pouvoirs publics. A Alternatiba, on espère toujours un revirement. Txetx Etcheverry gronde :

«  L’histoire nous jugera très durement si, à un moment aussi historique, nous avons baissé les bras. Cela signifierait que nous acceptons aussi de clore ce chapitre citoyen pour la décennie à venir, car cette situation va durer. »

 

Moins tempétueuses, d’autres organisations semblent avoir déjà pris leur parti des décisions des autorités et tentent de rebondir dans le court laps de temps qu’il reste. Mathieu Orphelin concède :

 

«  Même si nous avions eu la possibilité de nous rassembler dans un stade, nous n’avions pas le temps, en dix jours, de créer une dynamique de l’ampleur de ce que nous avions mis en place pour la marche. Aujourd’hui, il faut que nous trouvions les moyens de connecter la grosse cinquantaine de marches qui vont avoir lieu dans le monde avec ceux qui auraient aimé marcher mais qui ne pourront pas le faire.  »

 

A Avaaz également, on cogite tous azimuts pour imaginer des formes de mobilisations «  visuelles, mais pas dangereuses  ». Les idées ne manquent pas. Mais c’est surtout l’élan commun qui risque d’être mis à mal. «  Il y aura des synergies entre les différentes organisations, mais sans doute pas de la même force que ce que nous avions préparé  », déplore Marie Yared. Restent dix jours pour remobiliser les troupes, une gageure pour tous ceux qui veulent faire entendre la voix de la société civile mondiale.

 

Cecile Casenave

 

Source terraeco.net : 17/11/2015

 

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Régionales : dans le Sud-Ouest, l’union de la gauche écologiste pourrait battre le PS

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Un rassemblement politique réunit en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées six formations politiques pour les élections régionales de décembre. À leur tête, l’écologiste Gérard Onesta. Promettant une autre pratique de la politique, cette liste plurielle se place dans le sillage des victoires aux municipales d’Éric Piolle à Grenoble et d’Ada Colau à Barcelone, devant le PS.

Toulouse, reportage

« Je n’aurais jamais été candidat sur une liste uniquement EELV ou Front de gauche », assure Serge Regourd. C’est le rassemblement de ces deux formations politiques, en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, qui l’a convaincu. À un mois des élections régionales, l’ancien doyen de la faculté de droit et de sciences politiques de Toulouse a même accepté de mener cette liste plurielle, intitulée « Nouveau monde », dans le Tarn-et-Garonne. « Le département où le FN est le plus fort », précise celui qui ne revendique aucune appartenance politique ni syndicale. « Le rassemblement est la condition de l’alternative, le seul truc en lequel je peux encore croire. Sinon, c’est le désespoir politique. »

Une sinistrose contre laquelle veut lutter ce rassemblement « inédit », selon sa tête de liste, Gérard Onesta. Le candidat, estampillé EELV, conduit un liste unissant pas moins de cinq partis politiques aux côtés des Verts : le parti régionaliste occitan (Partit occitan), la Nouvelle Gauche socialiste – parti nouvellement fondé par l’ancien député européen et frondeur socialiste Liem Hoang Ngoc – mais surtout le Front de gauche, au complet. Avec PACA, Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées est la seule région de France où les écologistes sont unis avec le Parti de gauche, le Parti communiste et Ensemble !

Mais n’allez pas parler de « ralliements » à Gérard Onesta : « Le mot est faux, personne n’a fait allégeance. On est égaux, on partage le projet. On parle de partenariat, pas d’ouverture : cela sous-entendrait qu’il y en a un qui tient la clé pour fermer. » Un partenariat qui fait justement grincer plus d’une dent du côté socialiste : « C’est une alliance contre-nature », soutient Laurent Méric, élu local et membre actif dans la campagne de Carole Delga, l’ancienne secrétaire d’État au Commerce et à l’Artisanat, qui mène la liste PS.

Un autre notable socialiste dénigre le « fantasme Onesta » : « Il n’y a aucun élément de convergence entre tous ces partis, si ce n’est celui de virer le PS. Ce sera leur seul slogan de campagne. Mais historiquement, on est en territoire radical-socialiste, on ne gagne pas en faisant campagne à l’extrême-gauche. » Pourtant, Gérard Onesta invoque d’autres héritages. « C’est un terre cathare, de révolte. C’est une terre de Larzac, pour ‘’un autre monde possible’’. C’est une terre de Sivens. »

Les deux difficultés : le nucléaire et le projet de LGV Sud-Ouest

Et pour cause. Le Testet a joué un rôle clé dans l’impulsion de cette dynamique politique. « Dès notre appel à moratoire d’octobre 2013, EELV, le Parti de gauche et le Parti communiste ont été des soutiens indéfectibles, de toutes les manifestations, en signature de chacun des communiqués », témoigne Ben Lefetey, le porte-parole du collectif du Testet. La lutte crée alors les conditions du travail commun, comme une première expérimentation de l’unité possible. « Il n’y avait pas d’enjeu fondamental de pouvoir et on veillait à les mettre strictement sur un pied d’égalité », poursuit M. Lefetey qui s’est, depuis, engagé à leur côté. Non comme candidat, mais comme coordinateur de la campagne dans le Tarn : « Cela fait quinze ans que je suis dans le contre-pouvoir. Mais pour mener une vraie politique de transition, il faut aussi changer les gens au pouvoir et être élu. En cela, l’action des partis politiques est légitime et importante. »

Suffit-il cependant de lutter ensemble pour porter un projet commun ? « Communistes et écologistes ne partagent rien sur les dossiers de fond, ce serait une majorité impossible à gouverner », insiste Laurent Méric, en référence directe aux deux principales dissensions : le nucléaire et le projet de LGV Sud-Ouest. Ces derniers mois pourtant, des responsables politiques des différentes formations ont signé des tribunes communes pour dénoncer l’absurdité de l’investissement public dans ce projet d’infrastructure ferroviaire et pour porter un projet alternatif de restructuration de l’usine Areva-Malvési de traitement de l’uranium.

« Un emploi utile et responsable, non-précaire et non-délocalisable »

« Là où il a été impossible de s’entendre avec les communistes sur des sujets comme Roybon ou le Lyon-Turin en Rhône-Alpes-Auvergne, la construction des échanges dans le Sud-Ouest a permis de lever tous les verrous pour un véritable accord écologiste », analyse Julien Bayou, porte-parole national d’EELV. Presque tous, car la fédération Haute-Garonne du Parti communiste – la plus importante de la région – ferait encore sécession. Mais le soutien officiel du PCF est désormais acquis, Marie-Pierre Vieu, porte-parole du parti dans la campagne, ayant joué un rôle important dans le rassemblement des troupes tandis que Martine Pérez, conseillère régionale communiste sortante en Aveyron, confiait son optimisme (à écouter ici).

Sur quelle base ont été trouvés ces accords ? « Sur l’emploi, explique Gérard Onesta. Pas n’importe lequel, mais un emploi utile et responsable, non-précaire et non-délocalisable. Ainsi redéfini, l’emploi réinvente l’agriculture, l’énergie ou le transport et dessine un nouveau paradigme. Voilà comment on se met d’accord sur un projet foncièrement écologiste sans jamais dire que nous le sommes. » Trouver les bons angles pour regarder les objets de débat autrement : selon Patric Roux, ancien directeur de l’Estivada (un festival inter-régional des cultures occitanes) et secrétaire fédéral du Partit occitan, c’est la méthode qui fait consensus, comme dans la lutte autour de l’usine de Malvési : « Il ne s’agissait plus de lutter ou non contre le nucléaire, mais d’extraire des emplois de la pression du néo-libéralisme qui domine ce secteur, explique la tête de liste dans l’Aude. Là-dessus, tout le monde était d’accord. »

Un projet trop à « contre-emploi », justement ? Gérard Onesta l’assure, « le projet écologiste est totalement respecté, nous n’avons rien retranché ». L’emploi ancre le projet écologiste dans le concret : « C’est la vraie préoccupation des gens, la première des dignités qui ouvre la porte à de la santé, du logement, de l’éducation… » Il traverse ainsi les autres thèmes de campagne, parmi lesquels les lycées, premier poste d’investissement du Conseil régional Midi-Pyrénées avec 2 milliards d’euros prévus entre 2001 et 2019. « Un symbole de la défense d’un idéal de service public », estime Myriam Martin, porte-parole d’Ensemble !.

« Une véritable aspiration à faire de la politique autrement »

Autre compétence majeure des conseils régionaux : les transports. « On veut montrer qu’on peut faire autrement en privilégiant la rénovation des lignes inter-régionales, avance Liem Hoang Ngoc. La LGV représente une logique de métropolisation poussée jusqu’au bout. » L’idée de solidarité entre les territoires, c’est la raison de l’engagement de Judith Carmona : « Il y a un vrai souci de la ruralité et de sa place dans le développement de la région, un souci qui se ressent dans la composition des listes. » Éleveuse dans les Pyrénées-Orientales, elle a dû se mettre en congés de ses fonctions nationales auprès de la Confédération paysanne pour s’engager comme porte-parole « citoyenne » dans la campagne. Afin de défendre, par d’autres voies, son modèle d’agriculture, dit-elle.

Comme elle, Pascal Dessaint se lance pour la première fois dans des élections. « On ne peut pas toujours être dans la contestation sans prendre de dispositions par rapport à la vie réelle. C’est la limite de la posture face aux menaces qui pèsent », justifie l’écrivain, réputé pour ses polars mêlant nature et critique sociale. Il raconte avec enthousiasme le premier meeting de campagne et les 2.000 personnes devant lesquelles il a lu sa profession de foi : « C’est excitant, il y a une véritable aspiration à faire de la politique autrement. »

D’autres, telles Marie-France Barthet, la présidente de l’Université fédérale de Toulouse ou Anne-Marie Faucon, cofondatrice des cinémas Utopia, ont suivi la promesse d’une autre pratique de la politique, promesse incarnée par la proposition de Charte éthique à destination des élus et ses 43 articles fixant des règles de transparence ou de non-cumul des mandats.

« Se rassembler, non se ressembler »

Ce « citoyennisme » fait la fierté de la liste et se revendique l’héritage direct de Grenoble, où Éric Piolle avait emporté la mairie en mars 2014 sur la dynamique d’un mouvement similaire. La volonté de poursuivre ce laboratoire politique à plus grande échelle place la future troisième plus grande région de France (5,7 millions d’habitants) en possible jonction – pas seulement géographique – de Grenoble et de Barcelone.

Car de la cité catalane est né le « projet en commun » – l’intitulé étant directement inspiré du « Barcelona en Comú » qui a porté Ada Colau à la tête de la mairie au mois de mai. Sur cette plateforme publique, 4.000 contributions (consultables ici) ont été déposées de juin à août, à partir desquelles se sont construits les thèmes de campagne. La clef du succès pour Gérard Onesta : « Le juge de paix, c’est le projet, pas les tambouilles de parti. C’était un vrai défi : nous, formations politiques, étions-nous encore capables de pondérer ce qui fait combat commun chez les citoyens plutôt que ce qui fait différence entre nous ? »

Il en a tiré son slogan : Se rassembler, non se ressembler.

Barnabé Binctin (Reporterre)

Source Reporterre 04/11/2015

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« Nous préparons la plus grande action de désobéissance pour le climat »

arton8311-8fdd3La Coalition Climat 21, « l’un des plus grands regroupements pour la justice climatique qui aient été mis en place », a prépare des mobilisations pendant la COP21. L’artiste et activiste John Jordan dévoile les grandes lignes des actions visant à « avoir le dernier mot ».

Figure des milieux alternatifs depuis une vingtaine d’années, John Jordan fait la jonction entre le monde de la création et celui de l’activisme. Après un parcours dans l’art et le théâtre, il a impulsé le mouvement altermondialiste Reclaim the streets en Angleterre, avant de cofonder puis de déserter l’armée des clowns, dont les brigades de joyeux activistes ont essaimé dans le monde. Depuis quelques années, il est installé en Bretagne, et pilote avec Isabelle Frémeaux le Laboratoire d’imagination insurrectionnelle (Labofii), une sorte d’incubateur d’idées mêlant activisme politique et création artistique. Rencontre avec un personnage hors cadre et hors norme, au cœur du bocage de Notre-Dame-des-Landes.

John Jordan, Notre-Dame-des-Landes, 13 octobre 2015.

Reporterre – Pourquoi mêler art et activisme ?

John Jordan – Je pense qu’on doit toujours renouveler les formes que prennent les luttes. L’État et la police s’adaptent souvent ; il faut sans cesse nous réinventer. L’armée des clowns est née de cette réflexion. Le personnage du clown est désobéissant, il questionne toujours le pouvoir. Et il est un être hypersensible. Pour moi, le militantisme commence avec la sensibilité, aux injustices par exemple. Par ailleurs, le temps militant et le temps artistique sont très différents. Dans le militantisme, tout va vite car il y a urgence à agir. Il en va autrement pour le temps artistique : tu peux passer des années sur une recherche. Depuis 20 ans je tente de mêler art et activisme, d’appliquer le côté créatif et artistique à l’action directe et à la désobéissance civile. Aujourd’hui, avec le Labofii, on essaye de créer des formes d’actions belles, inattendues, nouvelles. Et efficaces.

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Quelle différence fais-tu entre action directe et désobéissance ?

L’action directe, c’est le fait d’agir directement sur un problème : si tu vois des gens à la rue, tu n’écris pas une lettre à ton élu, tu agis toi-même et tu ouvres un squat. La désobéissance civile est souvent plus symbolique. Par exemple, lors de la lutte pour les droits civiques aux États Unis, le boycott des bus était de l’action directe alors que les marches de Selma étaient, selon moi, de la désobéissance. Dans le cadre de la conférence sur le climat en décembre à Paris, on utilise le terme de désobéissance civile, car les actions vont entrer plutôt dans ce cadre .

Sur la COP justement, quels sont les objectifs de la Coalition Climat 21 ?

La Coalition Climat 21 est un des plus grands regroupements pour la justice climatique qui aient été mis en place, avec environ 150 organisations, ONG, syndicats ainsi que des groupes plus radicaux, comme Climate Justice Action (CJA). Trois moments sont prévus : une grande marche le 29 novembre, un week-end de présentation des alternatives les 5 et 6 décembre, et une journée d’actions le 12 décembre. Dès à présent, il est clair que les gouvernements sont en train de négocier un accord au rabais : il n’aura pas pour objectif de plafonner le réchauffement planétaire à 2°C, comme c’est nécessaire, mais probablement plus. L’objectif de la Coalition est d’avoir le dernier mot, car c’est le peuple qui a les solutions, et sûrement pas les gouvernements, achetés par les multinationales du pétrole, de la croissance, etc. Rappelons que la COP est financée par 35 sponsors dont Engie, Nissan, EDF, Suez…

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Qui compose Climate Justice Action ?

CJA est un réseau de mouvements écologiques radicaux. Il y a des gens issus des Camps climat, de Blockupy, des personnes et des mouvements qui luttent contre des grands projets inutiles et imposés… C’est vraiment la base anticapitaliste du mouvement.

Concrètement, qu’est ce qui se prépare ?

Tout simplement la plus grande action de désobéissance menée pour le climat !
Au-delà de la marche appelée par la Coalition le 29 novembre, des groupes comme CJA, Attac, 350.org, ou la Confédération paysanne ont pris en main des actions prévues à la fin de la COP. Le pire serait que le 12 décembre, François Hollande parade dans les médias en disant qu’il est l’homme qui a sauvé la planète, alors qu’en 20 ans, les émissions de CO2 ont augmenté de 63 %. Le 12 décembre va matérialiser notre refus par une action autour des Red lines (télécharger à droite le document de présentation, en anglais), ainsi qu’avec un autre outil, les Climates Games.

Qu’est-ce que les Red Lines ?

Les Red Lines, c’est l’idée des « lignes rouges » qu’on ne peut pas franchir, qui définissent les limites nécessaires et minimales pour une planète juste et vivable. Chacun au sein du mouvement vient avec ses propres lignes, comme par exemple, « pas de marché carbone », ou encore « ne peut pas dépasser 1,5 °C de réchauffement »… Concrètement, le projet est de faire exister ces lignes avec des structures gonflables. On va encercler la COP avec des milliers de corps désobéissants, bloquer les routes et le transport pendant la dernière plénière. Nous voulons détourner l’attention médiatique des négociations vers les mouvements. Car la COP va être la grande fausse solution.

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Et les Climates Games ?

Il s’agit d’un outil ludique développé il y a deux ans à Amsterdam par un groupe qui s’appelle Groen Front. Cet outil mélange l’Internet et la rue, et l’un de ses buts est d’amener de nouvelles personnes à la désobéissance et l’action directe. En amont, nous avons regroupé des artistes, des activistes, des hackers, des codeurs et des designers pour améliorer l’outil lors de trois sessions. Il y aura des équipes constituées en groupes affinitaires, et une carte sur le Web mise à jour par les joueurs. Et il y a des cibles. Chaque équipe définit sa cible et son action, puis en fait mention sur la carte. En face, il y a l’équipe bleue (la police), et les joueurs sont invités à indiquer les positions des bleus sur la carte. On a aussi imaginé des prix pour l’action la plus drôle, celle la plus inattendue, ou la plus efficace. C’est le côté pédagogique pour montrer comment élaborer une action efficace.

Des limites ont-elles été posées pour ces actions ?

Le mode d’action choisi, c’est la désobéissance créative, et il doit respecter la vie. Pour la journée du 12 décembre, il y a un consensus d’action, écrit et validé collectivement par 150 organisations, qui propose un cadre de désobéissance déterminée mais non-violente. Pour les Climate Games, il y a une équipe modératrice, et on sera un peu obligés de poser des règles. Tout dépend de la façon dont sont imaginées les actions : si elles sont ludiques et créatives, elles seront mises en lignes. Il ne s’agit pas d’une question morale, mais pour nous protéger, afin d’être encore en capacité de continuer dans les années à venir.

« Conscientiser les gens ne suffit pas, il faut créer des leviers qui influent sur les profits »

Quelle perspective ce mouvement a-t-il après la COP ?

La COP n’est qu’une étape. En 2016, nous avons prévu de mener une série d’actions de masse contre les infrastructures des énergies fossiles et les grands projets inutiles. Il y aura des grandes journées de blocages massifs prévues au printemps.

Pour être efficace, l’action directe doit toucher à l’argent : cela coûte beaucoup d’argent de militariser une zone pour protéger des projets imposés. C’est ainsi qu’en Angleterre, on a réussi à faire capoter 700 projets d’autoroutes. Conscientiser les gens ne suffit pas, il faut créer des leviers qui influent directement sur les profits. Et créer une culture de résistance qui soutienne ces actions de désobéissance, pour montrer que c’est possible.

Quelles sont les revendication politiques portées par les Climate Games ?

Les Climate Games sont juste un outil. Mais on peut penser que ce sont la désobéissance et l’action qui changent le monde et non pas les partis politiques ou les gouvernements. Si on revendique quelque chose, c’est : « Nous sommes la Nature qui se défend. » L’important, c’est d’avoir ces deux pôles complémentaires et indispensables que sont la création d’alternatives et la résistance. En ça, l’idée de ZAD, qui incarne la réunion de ces deux aspects, est un exemple parfait.

Pour toi, comment être plus efficaces dans les luttes ?

En créant des liens, des bordures entre les espaces de lutte. Les endroits les plus forts sont les lisières. Les haies, le littoral, les frontières entre forêts et prairies, là où il y a la plus grande biodiversité. Il y a, dans ces espaces, une force révolutionnaire et créative : c’est dense, solide et résilient. La beauté d’un lieu et d’une lutte comme Notre-Dame-des-Landes, c’est d’être une lisière entre agriculteurs, squatteurs, militants… À nous d’adapter nos stratégies aux situations, sans tomber dans les automatisme, afin de créer et maintenir le rapport de force.

- Propos recueillis par Isabelle Rimbert

 

Source Reporterre 22/10/2015 / Entretien avec John Jordan

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L’UE autorise les véhicules diesel à polluer plus

pollution-voitures-00-banUn pas en avant, deux pas en arrière. Voilà comment on peut résumer la décision des États européens, qui ont annoncé l’augmentation des seuils d’émission des gaz polluants pour les moteurs diesel des véhicules. En clair : les véhicules diesel sont autorisés à polluer plus dans les années à venir.

Deux tests mais un seuil de pollution doublé

Le scandale Volkswagen aurait-il poussé l’Union Européenne à agir dans l’urgence ? Non, puisque la réflexion à ce sujet aurait été entamée dès 2010, assure Bruxelles dans un communiqué. Au printemps, la décision avait été prise de faire passer deux tests aux véhicules, un en laboratoire et un sur route, à partir de janvier 2016. Actuellement, un seul test est passé en laboratoire, mais ne permet pas de mesurer efficacement les émissions d’oxyde d’azote, qui peuvent être quatre fois plus importantes en condition réelle, comme cela avait été le cas avec Volkswagen. Une avancée, pour laquelle il fallait encore fixer les seuils d’émission de ces gaz polluants.

Les États européens ont décidé de ne pas suivre à la lettre le texte initial de Bruxelles, qui prévoyait une marge de tolérance de 20 %. Cette marge de tolérance sera de 110 % entre septembre 2017 et janvier 2020, puis ramenée ensuite à 50 % pour les nouveaux modèles et ce de façon permanente. En clair, les nouveaux véhicules mis en circulation auront le droit d’émettre deux fois plus que le seuil actuel de 80 mg/km d’oxyde d’azote actuellement autorisé. Et donc de polluer deux fois plus.

« L’accord trouvé sur la divergence autorisée entre la limite autorisée mesurée en condition réelle de conduite et celle mesurée en laboratoire représente quand même une baisse significative comparée à la différence actuelle », souligne la Commission européenne. La différence entre les tests en laboratoire et la réalité de conduite était parfois de 400 % à 500 %. Baisser cette marge de tolérance à 50 % est donc une petite victoire, d’où ce délai accordé aux constructeurs.

Les écologistes indignés

Cette décision ne représente toutefois pas une victoire totale. « Les citoyens vont se demander pourquoi leurs gouvernements préfèrent aider les constructeurs automobiles qui trichent lors des tests plutôt que de leur fournir un air propre à respirer », a regretté Greg Archer, de l’ONG Transport & Environment, auprès de l’AFP. « C’est un honteux coup monté qui, une fois de plus, place les intérêts des constructeurs automobiles devant la santé des gens », a assuré dans un communiqué Catherine Bearder, eurodéputée britannique. Les eurodéputés Verts et libéraux avaient voté pour le maintien de la limite à 80 mg/km, celle actuellement autorisée lors des tests en laboratoire. A croire que le scandale Volkswagen n’aura pas eu de réel impact…

Source : ConsoGlobe ,29/10/2015

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