Journal en ligne produisant enquêtes et informations sur l’agglomération de Marseille, Marsactu s’engage dans une nouvelle étape de son développement. A cette occasion, nos deux équipes ont décidé de renforcer leur partenariat. C’est pour Mediapart l’opportunité de mieux couvrir les régions et d’accompagner, face aux monopoles vermoulus de la presse régionale, le développement d’un journalisme indépendant et incisif. Explications.
Cela fait déjà plusieurs années que Mediapart et Marsactu collaborent. Tout comme nous le faisons avec le mensuel satirique de la région PACA, Le Ravi. C’est avec ces deux titres que nous avions organisé une grande soirée publique sur la liberté et le pluralisme de l’information au Théâtre de la Criée, à Marseille (la vidéo est ici). C’était en février 2013 et Bernard Tapie venait de racheter le principal quotidien régional, La Provence. Dans le même temps, nous avons réalisé en collaboration plusieurs enquêtes qui ont fortement bousculé la vie politique marseillaise.
En 2015, Marsactu a été racheté par sa rédaction à la barre du tribunal de commerce. Initialement construit sur un modèle gratuit/publicitaire, le site s’était retrouvé dans une impasse financière malgré un dynamisme éditorial qui lui avait permis de se faire connaître à Marseille. Depuis deux ans, l’équipe de Marsactu a relancé le journal. Elle a fait le choix d’un modèle économique fondé sur l’abonnement avec l’ambition de convaincre 5000 abonnés. En plus d’enquêtes sur les enjeux de l’aire métropolitaine marseillaise, Marsactu propose également une Agora participative, lieu d’expression, d’initiatives locales et de débats.
Indépendance, participation des lecteurs, journalisme de qualité: cette équation est aussi celle de Mediapart et il était normal que nos équipes se rapprochent. Voici les deux dernières enquêtes faites par Louise Fessard de Mediapart et Jean-Marie Leforestier, de Marsactu publiées ce 19 octobre:
Mais au-delà de seules collaborations éditoriales, les enjeux sont autres. Face aux dinosaures de la presse régionale, massivement subventionnés par l’Etat et qui ont organisé des monopoles sur leur zone de diffusion, il est urgent de développer une information régionale pluraliste face aux pouvoirs locaux, politiques et économiques.
On sait combien, au travers de la publicité et d’accords sur des télés locales ou municipales, les mairies, départements ou régions pèsent lourd sur certains choix éditoriaux de la presse régionale. Les citoyens en sont les premières victimes. D’où cette nécessité d’aider à l’émergence et au développement de nouveaux médias à un moment où les aides de l’Etat entretiennent les rentes de la «vieille presse» plutôt que de soutenir les innovations liées à la révolution numérique.
Le SPIIL, Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne, dont Mediapart est l’un des membres fondateurs et qui regroupe aujourd’hui 148 titres, a souligné le mois dernier l’absurdité d’aides d’Etat massives (près d’1,5 milliard d’euros!) mais qui ne font que conforter les positions acquises. «L’État est en retard d’une révolution industrielle», estime le SPIIL, «les aides à la presse ont été dévoyées de leur objectif premier, le pluralisme de l’information, pour devenir essentiellement une politique de soutien à un secteur industriel en crise, celui de la presse papier». L’analyse du SPIIL est à lire ici.
Quelques exemples: en 2015, Le Figaro a bénéficié de 6,5 millions d’euros d’aides directes et indirectes ; Le Monde de 5,5 millions ; Aujourd’hui en France de 7,7 millions ; Libération de 6,6 millions (la liste complète peut être consultée ici). Ces quatre titres sont les propriétés de milliardaires, respectivement Serge Dassault, Xavier Niel, Bernard Arnault, Patrick Drahi. L’Etat n’a-t-il pas mieux à faire que financer les titres d’oligarques qui se sont achetés de l’influence en faisant main basse sur les médias?
Les médias indépendants qui se construisent sur le numérique, innovent, tissent de nouveaux liens avec leurs lecteurs, doivent donc coopérer face à un Etat immobile et conservateur. Outre les collaborations éditoriales, Mediapart est prêt à accompagner financièrement Marsactu qui est actuellement en train d’organiser une levée de fonds pour pouvoir financer son développement. Si vous voulez participez, reportez vous sur cette page:
Il en est de même avec un autre journal indépendant et innovant qui est en train de s’ancrer dans plusieurs villes de France: Mediacités. Là encore, nous avons développé ces dernières semaines des partenariats éditoriaux, produit ensemble plusieurs enquêtes, échangé articles et informations (dernier exemple ici).
Implanté à Lille, Lyon, Toulouse et Nantes, porté par une équipe de journalistes chevronnés, Mediacités peut lui aussi bouleverser l’information locale. Et Mediapart tentera, dans la mesure de ce qu’il nous est possible de faire, de l’accompagner éditorialement et financièrement puisque ce titre est également en train de réaliser une levée de fonds pour se développer. La liste de nos articles mis en commun est ici.
Mais il reste l’essentiel: vous, lecteurs. «Seuls nos lecteurs peuvent nous acheter!». Avec ce slogan, Mediapart n’a cessé de souligner ces dernières années combien l’indépendance était au cœur du journalisme et du droit d’informer et combien les lecteurs étaient les premiers garants de cette indépendance. Abonnez-vous, participez, soutenez ce droit à l’information !
Invitée par le cinéma Diagonal en partenariat avec le festival Cinemed, la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania était à Montpellier pour présenter son second long métrage « La belle et la Meute » en avant première.
Kaouther Ben Hania est née à Sidi Bouzid en Tunisie. Elle étudie le cinéma à l’Ecole des Arts et du Cinéma à Tunis avant de suivre une formation de scénario à la Fémis à Paris. Elle débute sa carrière en tournant plusieurs documentaires. Dans son premier long métrage, la réalisatrice menait une enquête caméra au point sur l’identité du Challat de Tunis, nom donné à un homme qui roulait à moto dans les rues de Tunis, armé d’un rasoir pour balafrer les fesses des femmes qui croisaient sa route.
La belle et la meute est aussi une libre adaptation tirée d’un fait divers tunisien. Après avoir été violée, Mariam, une étudiante tunisienne, doit lutter pour le respect de ses droits et de sa dignité.
« C’est le déni de ses droits de citoyennes qui crée chez elle une conscience et une détermination…»
La belle et la meute est votre second long métrage. Quelle est l’origine du projet ?
Le choix d’une histoire pour moi c’est un peu comme celui d’une graine. Je fonctionne comme une jardinière, je les arrose. Il y a celles qui prennent et celles qui meurent en court de route, celle là a résisté. Elle s’inspire d’un fait divers, qui m’a donné la matière scénaristique. A partir de cette histoire authentique, le film raconte la réalité d’une société en explorant les codes du cinéma de genre.
On est en effet plus proche du thriller, voire du film d’horreur que du paisible travail de jardinière ?
J’aime le cinéma de genre et j’apprécie les films d’horreur que je trouve très inventifs, même si le film se rapproche plus d’un cauchemar que d’un film d’horreur. Ce n’est pas non plus un thriller ou un film noir avec les codes imposés d’une enquête dans laquelle on progresse en résolvant des énigmes. Dans le film, les preuves sont là mais personne ne veux les voir. On pourrait presque dire que c’est un anti-film noir.
Pourquoi avoir opté pour le plan séquence, cela vous vient-il de votre expérience dans le documentaire ?
Je voulais maintenir une tension, – on revient à mon goût pour les film d’horreur – et rester très réaliste. Avec le plan séquence on est en temps réel, ce qui accentue le malaise. C’est moins confortable pour les acteurs mais cela implique vraiment le spectateur. On suit Mariam pendant toute la longueur de la nuit et on partage son vécu durant 1h40.
J’avais en tête des films qui m’ont inspiré comme La corde d’Hitchcock. Mon expérience dans le documentaire ne m’a pas vraiment servi pour la forme, en revanche j’ai usé de cette expérience pour la recherche d’authenticité. Lors du travail préparatoire, je me suis rendu en amont dans un commissariat où j’ai pris le temps de comprendre le type de relations entre les gens, le fonctionnement général… Ce film n’est pas la reconstitution des faits qui se sont déroulés. C’est une histoire que je m’approprie.
Au début Mariam apparaît comme un personnage assez neutre puis elle évolue du point de vue de sa conscience politique…
En effet, à l’inverse de Youssef, elle n’a aucun passé militant. Au départ, elle demande justice et réparation. C’est le déni de ses droits élémentaires de citoyenne qui créé chez elle une conscience, et une détermination qui arrivent très rapidement, de manière très violente, un peu comme le viol.
On découvre l’état de la société à travers l’attitude jamais univoque et parfois ambivalente des personnages secondaires, pourquoi avoir choisit ce type de traitement ?
Il y a aussi les lieux comme la clinique privée et l’hôpital public ou le commissariat. C’est un film sur la transition. Avant 2011, cette affaire ne serait jamais sortie et en même temps le parcours de Mariam démontre qu’il reste du chemin à parcourir. Le pays est dans la tourmente à la recherche d’un équilibre. Après avoir usé de tous les moyens de pression pour que Mariam retire sa plainte, un des flics use en dernier argument de la nécessité de maintenir la réputation de la police sans laquelle le pays sombrerait dans le chaos.
Un chantage classique que l’on connaît ici avec l’Etat d’urgence. On vous dépouille de votre liberté et de vos droits au nom de la sécurité… Le militant Youssef, évoque le sentiment qu’il éprouve face au système, celui de vivre dans un monde peuplé de zombies.
J’ai travaillé le récit en ellipses, le film fait la part belle au refoulé avec des zones d’ombres enfouies dans la galerie des personnages. Mariam agit comme un révélateur parce qu’elle veut aller jusqu’au bout.
«Les élections kenyanes font l’objet de séquences imprévues, ou du moins singulières, au regard des élections en Afrique», explique Christian Thibon, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Pau et des pays de l’Adour.
On note, de mai à juillet 2017, un enregistrement volontariste du corps électoral, une première campagne électorale concurrentielle sinon démocratique, un déroulement pacifique d’une journée électorale particulièrement chargée (soit six scrutins) le 6 août dans un climat sensible qui témoignerait d’une « civilisation électorale » en marche. Et, enfin, la décision de la Cour Suprême du 1er septembre 2017 d’invalider les élections présidentielles au regard des irrégularités et illégalités de la Commission indépendante électorale (IEBC).
Pourtant, cette vision optimiste autorisée par l’arrêt de la Cour suprême, d’une « institution forte » qui dévoile un Kenya innovant dans le domaine politique se heurte à un scénario pessimiste. Ainsi, le cours des événements témoigne de travers courants en Afrique : les carences des institutions indépendantes en charge des élections et une épreuve de force bipolarisée entre tenants et outsiders, entre les deux principaux candidats et leurs alliances politiques ; un bipartisme de facto déjà présent lors des précédentes élections de 2013, avec un ticket « sortant » U. Kenyatta et W. Ruto de l’alliance dirigée par le parti Jubilee d’une part, le ticket R. Odinga et M. Kalonzo de l’alliance NASA d’autre part.
Une radicalisation politico-sociale
Au lendemain du 1er septembre et loin des espérances mises dans le ressort moral de la Cour suprême, la campagne électorale ne suit pas un nouveau mode « moralisé », un nouveau cycle un peu à l’image du repentir religieux ritualisé de la campagne électorale de 2013 (l’alliance de U.Kenyatta et W. Ruto, et de leurs ethnies respectives, Kikuyus et Kalenjins, qui s’étaient opposées en 2007-2008 avait pris des formes religieuses). Bien au contraire, les « hommes forts » ont repris l’initiative, en recourant à la violence et aux ressentiments ethniques, aux manipulations et aux pressions institutionnelles, aussi bien de l’administration nationale que régionales à leur service.
Cette radicalisation politico-sociale, cette politisation fortement médiatisée sont moins tempérées, comme lors des précédentes élections, par des moments télévisés consensuels à l’exemple des débats présidentiels désertés par les candidats, ou par la médiation, l’ombre apaisante d’une société civile, des Églises, moins présentes que par le passé. Cette deuxième campagne électorale voit alors se multiplier, des deux côtés, les coups d’éclat, les renversements d’alliances et les ralliements, et les calculs politiciens visant à pousser leurs concurrents à la faute, à les déstabiliser, à les discréditer : la volonté de Jubilee, de mener, coûte que coûte, la réforme de la loi électorale, puis la décision de R. Odinga de ne pas participer aux élections prévues le 26 octobre, sans une réforme de l’IEBC, puis de se retirer s’inscrivent dans ces nouvelles règles politiques et calculs politiciens à risques pour eux-mêmes et plus encore pour la société, l’économie kenyane.
Le sentiment dangereux du « perdant sans honneur »
Aussi tous les scénarios avancés deviennent problématiques d’autant qu’ils rappellent ceux déjà vécus dans le passé (en 1992, en 1997 et plus encore en 2007-2008), craints et intériorisés dans les mémoires et imaginaires : en particulier, la peur de voir la nouvelle séquence électorale s’enliser dans une épreuve de force qui, en se radicalisant, ouvrirait un cycle de violence, de manifestations et de répression policière, d’affrontements interethniques.
Avec, au final, deux échéances probables. D’abord une crise constitutionnelle, l’infaisabilité des élections en raison d’un boycott d’une partie de l’électorat dans certains bastions. Ensuite, au soir des élections du 26 octobre prochain, et quel que soit le « vainqueur sans gloire », le sentiment du « perdant sans honneur » d’avoir été volé d’une victoire dans un pays divisé en deux selon des lignes géographiques politico-ethniques.
De plus, le contexte social et géopolitique guère favorable peut se prêter à une montée aux extrêmes : les pénuries alimentaires, les protestations professionnelles, les difficultés financières de l’État, les frustrations sociales composent un cocktail explosif. Sans compter les perturbations régionales des Chebabs.
Des partis politiques dédouanés
Pour comprendre les dynamiques d’un tel piège en cours, il faut prendre la mesure de l’événement, la nature de la décision de la Cour suprême et son contexte, ensuite intégrer une moyenne durée, les crises (et leur gestion) pré-, post-électorales du passé présent (de la démocratisation des années 1990 à celle de 2007-8) qui restent la matrice de la culture politique en œuvre.
L’arrêt de la Cour suprême a éclipsé deux aspects importants, souvent occultés, qui pèsent sur la séquence politique en cours. D’une part, bien qu’assurément symbolique, en remettant à zéro le chronomètre électoral, la décision est restée politiquement mesurée, volontairement ou involontairement. À défaut d’avoir eu accès au serveur central de l’IEBC, une demande formulée deux fois sans succès, la Cour a mesuré toute l’étendue des fraudes, des manipulations, des intrusions, des défauts dans les formulaires et PV, mais elle n’a pas donné une définition systémique et intentionnelle de la fraude, ni mesuré ses dimensions pouvant affecter le résultat final. C’est donc l’IEBC, sa direction et ses relais technologiques qui, eux seuls, sont visés.
Dans ces conditions, les partis ont été dédouanés de toute responsabilité dans ce raté électoral. Ne restent alors que des suspicions, la dénonciation médiatique et politicienne soit d’un complot systémique, soit d’un « coup civil » une sorte de « coup d’État de la société civile », des thèses avancées par les deux camps. Certes, le parti vaincu, NASA, « victime » de la fraude a bénéficié sur le moment de cette nouvelle donne : une majorité de l’opinion publique est alors favorable à un retour aux urnes mais semble se détourner des mobilisations de force. Quant au parti gagnant, Jubilee « bénéficiaire » de la fraude, bien que suspect, il n’est pas délégitimé d’autant qu’il bénéficie d’un leadership national acquis dans les autres scrutins.
D’autre part, la décision de la Cour suprême n’a pas remis en cause les autres scrutins, les élections des gouverneurs, des députés, des sénateurs, des représentants des femmes et des conseils de comtés : ces élus déjà installés offrent une forte majorité pour le parti Jubilee d’U. Kenyatta, les totaux des votes en faveur de ses candidats sont bien supérieurs à son score national. Certes, les recours et pétitions suivent une voie normale : 288 pétitions (187 en 2013), portant sur près de la moitié des comtés (gouverneur) sur un tiers des circonscriptions parlementaires, mais ces contentieux concernent des territoires plutôt acquis à l’opposition NASA. Au demeurant le scrutin le moins contesté est celui des Conseils de Comté (9 %) pour lequel les critères de leadership et de notoriété locale semblent s’imposer.
Un alignement ethnique renforcé
Aussi la décision de la Cour, qui sans conteste participe à la construction de la démocratie sur la longue durée, a des effets complexes, sinon contreproductifs, et de nature conflictuelle dans le présent. Ainsi le deuxième tour électoral-juridique a certes invalidé les élections, mais il n’a pas disqualifié les candidats. Les supporters des deux partis-alliances ont, tour à tour, fêté leur victoire et expérimenté un sentiment d’humiliation, ce qui ne fait que renforcer l’alignement ethnique préexistant, les identifications politiques et ethniques-tribales confondues.
De plus, la campagne politique qui a repris pour le parti Jubilee dès l’annonce de l’invalidation et qui ne s’est jamais arrêtée pour le parti NASA, n’a guère changé les consciences, elle les a plutôt figées.
Les stratégies politiques en miroir passent toujours par la consolidation des bastions électoraux et la mobilisation ethnique, par la conquête d’un électorat indécis dans des comtés en balance ou villes cosmopolites, par l’affaiblissement de l’adversaire au moyen de cooptations, de renversements de fidélités, par une présence médiatique enfin par le marché de la mobilisation qui suppose des moyens financiers, apparemment inégaux à la faveur de Jubilee.
La généralisation des discours de haine
Sur le fond, les lignes idéologiques et les pratiques n’ont guère changé, plutôt inspirées par les années 1990. D’un côté, U. Kenyatta et W. Ruto poursuivent une campagne de présidentiable jouant sur leur capacité de redistribution, assurée cette fois-ci du relais de leurs élus, selon un registre inspiré des campagnes des Présidents sortants ; d’un autre côté, R. Odinga continue sa campagne de pression, relancé au lendemain de l’annonce des résultats selon un registre inspiré par les mobilisations des droits de l’homme des années 1990.
Cette bipolarisation laisse libre cours à une radicalisation, à des dérapages des leaders, à des discours incendiaires de la part d’électrons libres mais proches des partis, à une montée en puissance des jeunes militants. D’une façon insidieuse, les discours de haine se généralisent sur les réseaux sociaux, même s’ils sont bridés officiellement ou dénoncés par les médias, la société civile, les églises… Cette violence réelle, bien qu’isolée mais médiatisée et théâtralisée, pose la question de la sécurité publique alors que les cadres de sécurité publique semblent défaillants, et que circulent les rumeurs de retour des milices. Celles-ci ont pris part aux violences de 2007-2008, en situation de crise, et leur retour en politique ou leur instrumentalisation sont régulièrement annoncés, en particulier pour les Mungikis.
Quelle sortie de crise ?
Au-delà de ses dynamiques piégeuses, se joue et se rejoue donc au Kenya un épisode entre la survie-affirmation d’institutions fortes et la reproduction des hommes forts, d’une certaine culture politique. Le discours de B. Obama – « l’Afrique a besoin d’institutions fortes » – et ses critiques sur les dérives du pouvoir personnel trouvent en cette occasion une nouvelle illustration. Pourtant, dans une période qui reste de facto une transition politique, le Kenya a tout à gagner à marier, à ménager une telle rigueur constitutionnelle sinon morale et l’engagement politique voire personnel de ses leaders et partis politiques. Cet équilibre instable, et par nature souvent conflictuel dans toute démocratie, repose sur des acteurs, tant sur les autorités morales judiciaires que sur les leaders et la classe politique dont les choix peuvent peser sur la situation et qui sont aussi responsables des dérives craintes.
L’interprétation de cet horizon incertain, des violences inquiétantes bien que d’intensité basse mais à forte tension émotionnelle, une bipolarisation radicalisée avec à terme une crise constitutionnelle, reste ouverte. Cette instabilité résulte-t-elle d’un concours de tendances non contrôlées, dans la suite logique de la campagne et du raté électoral ou/et découle-t-elle d’une stratégie de tensions contrôlée visant à perturber les résultats des élections, la participation électorale, à bloquer les élections… ? Ou précède-t-elle une « négociation démocratique », un pacte entre leaders ? L’histoire des années 1990 et 2007-2008 révèle que de tels scénarios ont été vécus mais aussi pratiqués sinon pensés.
Quel est le poids des garde-fous ?
Ces inconnues dans les dynamiques actuelles soulèvent la question des garde-fous, qui depuis la Constitution de 2010 ont été mis en place et jouent ou pourraient jouer l’apaisement. Les acteurs élus et bénéficiaires d’un renouvellement politique à l’échelle locale, régionale n’ont pas intérêt d’un approfondissement d’une crise, il en est de même des intérêts économiques ou des classes moyennes qui s’inquiètent de l’impact de la crise, alors que la société civile et certains acteurs politiques transversaux (voir l’Appel des Vétérans politiques à l’initiative de F. Atwoli (Cosetu) du 12 octobre) commencent à dénoncer les violences des deux camps et que la population garde en mémoire les violences de masse de 2007-2008.
De tels facteurs modérateurs qui agissent en profondeur, sont-ils opérants quand les acteurs du moment, les passions, la peur et les crispations identitaires s’imposent, quand l’événement prend le dessus ? Assurément et en ces circonstances, le pays a besoin autant « d’hommes forts », « d’hommes d’État » que « d’institutions fortes ». Mais, en la matière, les définitions comme les attentes diffèrent.
Comme si le décor prenait possession des êtres vivants Photo dr
Roman Avec «Glaise», Franck Bouysse signe un nouveau roman lyrique et intimiste qui pose un pied dans l’histoire pour se crotter les bottes sur le chemin boueux de la grande guerre. L’auteur de « Grossir le ciel » s’impose comme un écrivain majeur du polar rural français. On pourra le rencontrer ce soir à Montpellier où il est l’invité de la librairie Sauramps
Franck Bouysse partage son temps entre un petit hameaux en Corrèze et Limoge où il enseigne la biologie, science du vivant qui recouvre une partie des sciences de la nature et de l’histoire naturelle et celle des hommes et de leur environnement. Cela, il a particulièrement su le mettre à profit dans son travail d’écrivain, tout comme ses origines rurales.
Son oeuvre compte plus d’une dizaine de romans. Le premier, paru en 2004 avait pour titre La paix du désespoir. Trois ans plus tard sort son premier roman noir L’entomologiste chez un éditeur limougeaud Lucien Souny. Ce titre, entame une trilogie qui revisite les grands mythes du romans noir autour de la figure énigmatique du personnage de H.
Franck Bouysse voue une passion pour le roman noir mais c’est avant tout un amoureux de la littérature anglo-saxonne. Irvin, Melville, Joyce… marquent ses lectures de jeunesse comme Faulkner et Steinbeck. Le fait d’avoir été classé auteur de roman noir importe peu pour lui. Il peut se sentir proche de Cormac McCarthy, Jim Harrison ou de Ron Rash pour le rapport à la nature : « On a passé une soirée ensemble avec Ron, et nous en sommes venu à la conclusion qu’il était un auteur de l’eau et moi d’un auteur de la terre » , mais pour le reste : « l’étiquetage c’est très français, ce sont des histoires de marketing éditorial, moi j’écris des histoires.»
Le style Bouysse se révèle avec Grossir le ciel « l’histoire de deux types dans les Cévennes en plein hiver avec un chien », (La manufacture des livres 2014), prix polar SNCF, plus de 100 000 exemplaires vendus. D’un point vue formel, ce court roman n’a pas grand chose du roman noir, même si l’histoire mêle énigme familiale et suspens permanent. Ce sont la puissance des personnages, leur espace intérieur, et la langue de Franck Bouysse, atmosphérique, sèche, précise et poétique qui nous emporte.
L’auteur juxtapose deux solitudes paysannes dans un monde qui menace leur condition de vie. L’émotion et la violence humaine surgit des personnages avec une portée dramatique qui offre aux lecteurs des moments de lecture exceptionnels.
Tragédie de la solitude Avec Glaise son dernier roman, toujours à La Manufacture de Livres, Bouysse charrie des images puissantes qui traversent l’histoire. Dans un village des monts du Cantal, les hommes partent pour la Grande Guerre.
Une nouvelle fois, l’auteur ne décrit pas la nature comme un décor, mais comme un environnement qui prend possession des êtres vivants, avec cette fois la guerre pour concurrente.
Comme dans le roman de Giono Le grand troupeau, qui orchestrait le chant rural des femmes avides à la chair esseulée, on ne sait rien ou presque de ce qui se passe au front. Bouysse pose son cadre à l’arrière.
Autour de trois fermes, la première est celle des Valette, le fils est parti à la guerre, le père un infirme brutal et sa femme accueillent leur nièce et sa mère qui ont fui la ville. Dans la seconde résident le vieux Léonard et la Lucie, soucieux de transmettre les valeurs en perditions que la guerre étouffe. Dans la troisième, il ne sont plus que deux, la mère et le fils après le départ du père suivi du décès de la grand-mère.
Entre ces personnages et leurs désirs qui se heurtent au piège de l’existence, l’écrivain dessine avec maîtrise un éveil des sens, à travers une cohabitation de la violence et de l’humanité.
JMDH
Rencontre avec F. Bouysse autour de Glaise, à Montpellier le 20 octobre Librairie Sauramps, à 19h, entrée libre.
Julien Guill : « Nous avons choisi de croire en la révolte de Shylock et d’Othello. » Photo dr
Montpellier Théatre Avec « Les pièces Vénitiennes » sous titrées « Le procès », la compagnie Provisoire se saisit de deux pièces de Shakespeare pour aborder le sort de l’étranger.
La singularité de recherche de la Cie provisoire est d’inventer des spectacles désencombrés de toute la machinerie théâtrale pour préserver la relation entre les acteurs et les spectateurs ; pour les faire se rencontrer autour d’un texte, d’une forme, d’une idée ou d’une thématique. Il s’agit ici du procès de l’étranger mais peut être aussi du nôtre.
L’usurier Shylock qui, dans Le Marchand de Venise, demande à être remboursé de l’argent qu’il a prêté ? Condamné ! Le général Othello qui, dans Othello, épouse la femme vénitienne qu’il aime ? Condamné ! Et pourquoi ? « Je suis juif », affirme le premier quand le second s’interroge : « Parce que je suis noir ? »
L’antisémitisme et le racisme se lisent dans ces deux pièces shakespeariennes où piège et machination sont le sort réservé à l’étranger utile qui ne sait pas rester à sa place. Celle que la société lui a assignée et peut lui confisquer tout en lui arrachant plus encore, pour peu qu’un Antonio ou un Iago se donne pour mission de le rappeler à l’ordre.
La mise en scène de Julien Guill se concentre dans Les pièces vénitiennes sur les violents affrontements qui éclatent entre le juif-Shylock et le chrétien-Antonio d’une part, le Maure-Othello et le Vénitien-Iago de l’autre. Il fait des idées son épicentre, et pour ne pas atténuer leurs secousses, écarte le réalisme favorable à l’identification. Ainsi donc, deux femmes traversent Le Marchand de Venise et un homme blanc, Othello. Il s’agit moins de mettre en scène des personnes que les points de vue qu’elles véhiculent. Un propos sur le sort des migrants au coeur du défi, des tensions et soubresauts dramatique s qui interpellent notre société et dérangent les politiques.
Ce soir à 20h, mercredi à 19h15 au Théâtre La Vignette à Montpellier.