Verrou de Bercy : le Sénat vote un aménagement, sans suppression complète

ep20-verrou-bercy-img-header

L’opposition comme les députés estiment que la proposition soutenue par le gouvernement ne va pas assez loin.

Il aura fallu attendre 23 h 45, mardi 3 juillet, pour que le Sénat se penche enfin sur le sujet le plus explosif du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale, examiné – calendrier inhabituel – en première lecture par le Palais du Luxembourg : la suppression du verrou de Bercy. On savait ce dispositif, qui confère à l’administration fiscale le monopole d’engagement des poursuites en matière de fraude fiscale, aussi complexe techniquement que sensible politiquement. Les débats qui ont opposé la majorité sénatoriale et le gouvernement d’une part, aux socialistes, communistes et centristes de l’autre, l’ont encore illustré.

L’opposition aurait souhaité se rapprocher de la proposition acceptée à la fin de mai par les députés de tous bords, au terme d’une mission d’information menée par Emilie Cariou (La République en marche, Meuse) : remplacer l’actuel dispositif par un examen conjoint des dossiers par le fisc et le parquet.

Pourtant, c’est l’amendement du rapporteur LR (Les Républicains) de la commission des finances du Sénat, Albéric de Montgolfier, présenté initialement comme « la mort du verrou », que le ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, a soutenu, et qui a été adopté. « C’est la première fois que le gouvernement vous propose de juger de ce qui relève du verrou », a vanté le locataire de Bercy.

Mais pour l’opposition, la proposition LR est insuffisante : elle ne constitue qu’un aménagement du verrou, en aucun cas une suppression. M. Montgolfier suggère en effet que les dossiers de fraude soient automatiquement transmis au parquet dès qu’ils remplissent trois critères cumulatifs, qui seraient inscrits dans la loi : plus de 80 % de pénalités, un montant élevé de fraude (vraisemblablement 100 000 euros) et des faits réitérés ou un comportement aggravant (faux documents, prête-nom, etc.). De quoi transmettre aux tribunaux chaque année « les 1 400 à 1 500 dossiers les plus graves », selon le rapporteur général, là où la commission des infractions fiscales (CIF), l’organe saisi à l’initiative du fisc pour aiguiller les dossiers, en envoie aujourd’hui un petit millier.

Un projet débattu par les députés à la fin de juillet

A la fin de mai, les députés avaient, eux aussi, plaidé pour inscrire les critères dans la loi – modification d’ailleurs suggérée par M. Darmanin lui-même, afin de « donner la clé du verrou aux parlementaires ». Mais Mme Cariou préconisait de laisser ensuite parquet et fisc décider ensemble de l’aiguillage des dossiers, à partir de critères plus larges.

« L’amendement proposé par M. Montgolfier ne supprime pas le monopole de l’administration. Le juge, même quand il a connaissance de faits [potentiellement frauduleux], ne peut se saisir sans l’administration. Et la CIF n’est pas supprimée ! », s’est insurgée la sénatrice socialiste du Val-de-Marne, Sophie Taillé-Polian.

« Je ne pense pas qu’il faille accepter [les amendements de l’opposition], car la lutte contre la fraude fiscale, c’est récupérer surtout de l’argent et pas simplement condamner les gens (…). C’est important, mais il faut surtout récupérer de l’argent qui manque au budget de la nation », a déclaré M. Darmanin à Public Sénat, tout en concédant que « l’Assemblée nationale souhaitera sans doute améliorer l’écriture de cet article ».

Le projet de loi dans son ensemble a été adopté en première lecture un peu avant 1 heure du matin, mercredi. L’ordre d’examen du texte – au Sénat d’abord, à l’Assemblée ensuite – implique que les députés débattront, à la fin de juillet, à partir de la version du Sénat. Une particularité qui s’explique officiellement par le calendrier surchargé de l’Hémicycle. Mais qui fait tiquer certains. « Ce n’est pas un hasard. Darmanin savait que la droite sénatoriale affaiblirait la proposition des députés de supprimer le verrou, court-circuitant ainsi le travail de l’Assemblée », déplore un bon connaisseur du dossier. « La version de M. Montgolfier nous semble trop restrictive », déplore, pour sa part, Mme Cariou au Monde. Une chose est sûre : le débat autour du verrou de Bercy n’a pas fini de rebondir.

Audrey Tonnelier

Source Le Monde 04/07/2018

Voir aussi : Actualité France rubrique Politique, Les sénateurs PS et LR s’opposent sur la suppression du « verrou de Bercy » Affaire, Politique économique,  rubrique FinanceMoralisation Fraude fiscale, rubrique Société, Macron, le spasme du système, Réforme territoriale : quels enjeux pour le réseau de solidarité ?, Citoyenneté, Justice,

Espagne: ouverture du premier procès des bébés volés du franquisme

Inés Madrigal accuse Eduardo Vela de l'avoir séparée de sa mère biologique et d'avoir falsifié son acte de naissance, en juin 1969. Photo Reuters

Inés Madrigal accuse Eduardo Vela de l’avoir séparée de sa mère biologique et d’avoir falsifié son acte de naissance, en juin 1969. Photo Reuters

En Espagne, le premier procès des bébés volés s’est ouvert ce mardi 26 juin. Et ce, des années après ce scandale de nouveaux-nés soustraits à leurs familles, déclarés morts sans qu’on leur en fournisse la preuve et vendus ou confiés à des foyers d’adoption, notamment sous le régime de Franco, mais aussi après le retour à la démocratie. Un ex-obstétricien, Eduardo Vela, 85 ans, dénoncé depuis des années par des associations, est jugé à Madrid.

 

Des bébés volés pour des raisons idéologiques ou financières

Pour la première fois en Espagne est mis en procès un ancien medecin pour avoir subtilisé un bébé à la naissance, avant de le passer à une famille adoptive. Eduardo Vela, ancien gynécologue, est passible de 11 années, voire 13 années de prison de 350 000 euros d’indemnités. Ce procès s’inscrit dans l’un de plus grands scandales de ces dernières années en Espagne : l’affaire des bébés volés, des nourrissons arrachés à leurs mères pour les vendre ou les remettre à d’autres familles. Pour des raisons idéologiques ou financières.

Il n’a pas été possible d’arracher le moindre aveu à Eduardo Vela. « Je ne sais », « je ne m’en souviens pas », « je ne peux pas vous le dire »..Ce sont les formules qui sont revenues en permanence dans sa bouche, rapporte le correspondant de RFI à Madrid, François Musseau.

Et pourtant les évidences sont assez fortes. Inés Madrigal, née en 1969, a vu le jour dans le même hôpital de Madrid où il travaillait. Au moment de sa naissance, Eduardo Vela a dit à ses parents biologiques qu’elle n’avait pu survivre à l’accouchement. Faux, puisque peu après le médecin sans scrupules l’avait remise à une femme stérile. Motif : Inés Madrigal provenait d’une famille de gauche, détestée par le dictateur Franco. La famille d’accueil elle approuvait le Caudillo.

Aujourd’hui, Inés Madrigal sait qu’elle a été volée à sa naissance. Et comme elle, des milliers d’enfants, ceux que l’on a appelé les bébés volés du franquisme. L’ancien gynécologue Eduardo Vela voulait à tout prix éviter ce procès, prétextant une maladie terminale. Mais son médecin a estimé que son état de santé était bon.

 

Entre 1936 et 1987, des milliers de bébés ont été volés

Entre 1936 et 1987, des milliers de nouveaux-nés ont été victimes de ce trafic. Et pour la première fois, l’un des protagonistes va devoir s’expliquer devant les juges.

Eduardo Vela a 85 ans et était obstétricien à la clinique San Ramón. Dénoncé depuis longtemps par les associations, il est accusé par Inés Madrigal, âgée de 49 ans, de l’avoir séparée de sa mère biologique et d’avoir falsifié son acte de naissance.

Le combat d’Inés Madrigal est aussi celui de nombreux enfants de la période franquiste, aujourd’hui adultes, pour connaître la vérité de leurs parcours.

Si Inés Madrigal a la chance de voir son cas traité par la justice, c’est parce qu’elle a pu bénéficier de l’aide et du témoignage de sa mère adoptive aujourd’hui décédée. Celle-ci a raconté de quelle manière le gynécologue-obstétricien lui avait proposé un bébé, conseillé de simuler une grossesse, puis avait établi des papiers officiels la reconnaissant comme la mère biologique du bébé.

En 2013, Eduardo Vela avait reconnu devant le juge d’instruction avoir signé « sans regarder » le dossier médical qui indique qu’il a assisté à l’accouchement. C’était en juin 1969. Onze ans de prison ont été requis pour Eduardo Vela qui a demandé, sans succès, à ne pas assister aux audiences en raison de son grand âge.

 » Il suffisait que tu te trouves au mauvais endroit au mauvais moment, et voilà. Mon mari et moi, avons eu un bébé prématuré de 7 mois…On l’a vu pendant 5 jours, le 6ème jour on nous a empêché de le voir, on nous a dit qu’il était mort. Mais ils nous ont dit, que ce qui serait bien c’est que je continue à apporter du lait. Mais s’il était mort, pourquoi est ce que je devais apporter du lait ? « 
Témoignage en espagnol de Maria Cruz Rodrigo, victime du vol de bébés en 1980 à Madrid et présidente de l’association SOS bébés volés Madrid
Témoignage recueilli par nos confrères de la rédaction Amérique latine 26/06/2018

Écouter

 

Punir les «rouges»

Les bébés volés du franquisme sont nombreux. Selon les associations, ils seraient des dizaines, voire des centaines de milliers. Après la guerre civile (1936-1939), retirer les bébés à leurs mères était une manière de punir les opposantes, puis dans les années 1950, ce sont les bébés nés hors mariage ou dans des familles pauvres qui ont plus particulièrement été victimes de ce trafic.

Jusqu’en 1987, des enfants ont été volés à leurs familles biologiques en toute impunité, avec la complicité de l’église catholique. Le procès qui s’ouvre est donc historique.

Source RFI 26-06-2018

à écouter: Espagne: un passé franquiste douloureux

Loi immigration: les députés LREM refusent d’interdire la rétention des enfants

En France, l'enfermement des mineurs en centre de rétention administrative (CRA) est légal.

En France, l’enfermement des mineurs en centre de rétention administrative (CRA) est légal.

Drôle d’anniversaire. Samedi 21 avril, seize ans après l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, sa fille a eu l’air de bien s’amuser à l’Assemblée nationale, au sixième jour d’examen d’un projet de loi « asile et immigration » dont ses troupes ont déjà voté deux articles entiers (un « tournant historique » selon le patron du PS), riant à toutes les blagues de Gilbert Collard.

En prime, elle pouvait suivre à distance les « exploits » d’une centaine de militants d’extrême droite qui se sont improvisés gardes-frontières pour tout le week-end dans les Alpes, où ils ont déroulé 500 mètres de grillage dans la neige pour repousser les migrants, qui ont souvent risqué leur vie dix fois pour arriver jusque-là.

En guise d’anniversaire, surtout, les députés de la majorité ont voté samedi la mesure « phare » du texte de Gérard Collomb, qui allonge de 45 à 90 jours la durée légale d’enfermement des étrangers en centre de rétention administrative (les CRA), sorte de « sas » où les sans-papiers sont confinés sur décision des préfets en vue d’un embarquement en avion plus ou moins rapide, bien souvent hypothétique (absence de « laissez-passer » du pays d’origine, libération par un juge des libertés, etc.). Le plafond légal sera ainsi 7,5 fois plus long qu’en avril 2002.

Plus symbolique encore ? Samedi, les bancs LREM ont renoncé, sous la pression du ministre de l’intérieur, à prohiber le placement d’enfants dans ces centres de rétention, rejetant trois amendements successifs venus de leur gauche (PS, France insoumise et PCF), qui prétendaient en finir avec cette pratique en augmentation.

Les suppliques n’ont pourtant pas manqué. « Monsieur le ministre, trois mots : pas les enfants ! Plus les enfants ! a lancé Hervé Saulignac (PS). Ils sont par essence innocents. Un centre de rétention, c’est parfois des barbelés, des caméras, du mobilier scellé, des verrous, un univers carcéral qu’on réserve aux individus dangereux. » Du côté des communistes, Elsa Faucillon a interpellé tous les bancs : « C’est pour nous un moment grave, insupportable. Je vous en conjure, votez contre ! »

L’an dernier, sur 26 000 étrangers placés en CRA (hors outre-mer), le Défenseur des droits a encore comptabilisé 134 familles avec 275 enfants, un chiffre en augmentation – sachant qu’un mineur isolé n’est jamais enfermé. Dans une décision récente, il a surtout demandé aux autorités « de faire évoluer la législation pour proscrire [la rétention d’enfants] dans toutes les circonstances », avec une « préoccupation » particulière pour Mayotte où plus de 4 000 mineurs (venus des Comores) ont été privés de liberté l’an dernier.

« Ne tournons pas autour du pot, a résumé Jean-Luc Mélenchon, pour sa première prise de parole de la semaine sur le projet de loi. Nous sommes ici un certain nombre à être absolument, totalement, radicalement opposés à la rétention des enfants. (…) Nous allons être condamnés à tour de bras par toutes les instances internationales ! »

À plusieurs reprises déjà (encore cinq fois en 2016), la France a en effet été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, qui n’a certes pas sanctionné la rétention d’enfants en elle-même. Mais elle a constaté que « les conditions inhérentes à ce type de structures [avaient] un effet anxiogène sur les enfants en bas âge », et jugé que « seul un placement de brève durée » pouvait « être compatible » avec l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui prohibe les « traitements inhumains et dégradants ». À la clé, des milliers d’euros de préjudice moral versés aux familles (tchétchènes, arméniennes, etc.).

Samedi, le PS était toutefois mal à l’aise pour donner des leçons à La République en marche. Alors que le candidat Hollande s’était engagé en 2011 à mettre fin à la rétention des enfants pour privilégier l’assignation à résidence, une circulaire de 2012 de Manuel Valls l’a seulement encadrée, provoquant certes une chute momentanée des statistiques, mais qui ont vite remonté.

En 2016, surtout, le gouvernement Valls a bel et bien inscrit, cette fois dans la loi, la possibilité de placer des familles en CRA, non seulement lorsqu’elles ont fui une première fois (ou fait échouer un embarquement), mais aussi lorsque les préfectures estiment qu’une courte rétention (« 48 heures avant un départ programmé ») sera moins brutale qu’une interpellation de la famille la nuit du départ. En ce 21 avril 2018, les socialistes ont trouvé la parade : haro sur Manuel Valls.

« Le premier ministre de l’époque, que vous avez longuement soutenu, a recouru allègrement à toutes les dérogations existantes ! » a ainsi lancé Valérie Rabault (PS), à l’adresse des bancs LREM. « Nous pouvons aujourd’hui les uns et les autres réparer ce qui ne l’a pas été jusqu’ici », a pour sa part déclaré Olivier Faure, le patron du PS.

Côté LREM, la quasi-totalité du groupe souhaitait arriver, il y a encore quelques semaines, à une prohibition. Le responsable du texte lui-même, Florent Boudié, nous confiait sa volonté de « l’interdire en métropole », pour contourner les difficultés propres à Mayotte. Samedi, changement de pied : « Pourrions-nous nous permettre d’interdire la rétention des mineurs sur le territoire métropolitain et la maintenir sur les territoires ultramarins ? Au nom de quelle égalité républicaine ? » Un groupe de travail va plutôt se réunir, au sein du groupe LREM, pour plancher sur une future éventuelle proposition de loi… Au sein de la majorité, on explique réfléchir, entre autres voies, à des bâtiments dédiés à l’accueil des familles, en dehors des CRA mais tenus par les forces de l’ordre, à un plafonnement restreint du nombre de jours, etc.

C’est qu’entre-temps, Gérard Collomb a dégainé quelques promesses : « Nous allons aménager de manière prioritaire certains CRA dans lesquels seront placées les familles » (c’est déjà le cas), « Nous investirons dans les conditions matérielles et sociales », « Nous ferons en sorte que la durée soit la plus brève possible »

Mais sur le fond, le ministre en a fait un enjeu d’« efficacité ». « Si même les personnes qui fuient le droit, on ne peut pas les expulser », celles notamment « qui se sont déjà soustraites à une procédure d’éloignement », « alors on n’expulsera plus personne, a-t-il prévenu. La situation deviendra inextricable ». Son obsession ? Les familles albanaises et géorgiennes, autorisées à venir sans visa pendant trois mois, qui obtiennent rarement une protection, mais « font une demande d’asile à peine arrivées ». Et de glisser : « En Allemagne, la situation de ces familles est examinée en moins d’une semaine, nous devons nous aligner… »

À l’arrivée, seules trois députées LREM (dont Delphine Bagarry) et trois Modem ont voté les amendements d’interdiction, auxquels on peut ajouter onze abstentionnistes, tandis que le gros des troupes suivait Gérard Collomb, en compagnie de 70 LR, 2 UDI et 6 frontistes, dont Marine Le Pen.

Sur l’allongement du délai de rétention, le ministre n’a guère rencontré plus de résistance dans son camp. « La problématique qui existe est que nous ne renvoyons pratiquement personne », a plaidé le ministre (qui vouait même passer à 135 jours initialement), rappelant que moins de 20 % des « obligations de quitter le territoire français » (OQTF) sont exécutées. Même une fois placées en CRA, 40 % « seulement » des étrangers sont renvoyés, notamment parce qu’ils restent au sol tant que leur consulat n’a pas signé un « laissez-passer ». Or celui-ci n’arrive parfois jamais, pour cause de lenteurs ou d’obstructions administratives dans les pays d’origine.

Mais comme Mediapart l’a déjà expliqué (voir notre analyse), une fois passés douze jours (durée moyenne de rétention), la probabilité de voir arriver des laissez-passer chute drastiquement. En 2017, 635 personnes seulement ont été libérées au bout de 45 jours en CRA, faute de laissez-passer. Le passage à 90 jours prévu par Gérard Collomb a paru tellement peu efficace au groupe LR que même ce dernier s’est abstenu, avec le FN. La majorité l’aura donc adopté toute seule.

Source Médiapart 22/04/2018

Retraites: Bruxelles pousse la France à faire des milliards d’euros d’économies

Le siège de la Commission européenne à Bruxelles. AFP Emmanuel Durand

Le siège de la Commission européenne à Bruxelles. AFP Emmanuel Durand

EXCLUSIF La Commission européenne s’appuie sur une étude du think tank libéral Ifrap pour inciter la France à réduire ses dépenses de retraite. Plus de 5 milliards d’euros pourraient être dégagés sur les régimes des fonctionnaires en 2022.

Et si Emmanuel Macron profitait de la grande réforme des retraites à points de 2019 pour revoir à la baisse les dépenses de pension ? C’est en tout cas ce que lui suggère la Commission européenne. La France doit « uniformiser progressivement les règles des différents régimes de retraite pour renforcer l’équité et la soutenabilité de ces régimes », écrit-elle dans une récente « Recommandation » qui doit être validée le 22 juin par les ministres des Finances européens réunis à Luxembourg.

« Si les réformes des retraites déjà adoptées devraient réduire le ratio des dépenses publiques de retraite à long terme, relève-t-elle, un système de retraites plus simple et plus efficient générerait des économies plus importantes et contribuerait à atténuer les risques qui pèsent sur la soutenabilité des finances publiques à moyen terme. »

Pour appuyer sa requête, la Commission européenne cite une « étude récente » qui estime qu’un alignement des régimes de retraite des fonctionnaires sur ceux du privé « réduirait de plus de 5 milliards d’euros les dépenses publiques à l’horizon 2022 ». Une mention qui a surpris nombre de spécialistes des retraites à Matignon et Bercy. « J’ai cherché mais je ne vois absolument pas de quelle étude il s’agit, confie un haut fonctionnaire. Il est d’ailleurs étonnant que Bruxelles ne cite pas sa source. » En 2015, les statisticiens du Conseil d’orientation des retraites avaient conclu, eux, que « les règles du privé s’avéreraient plus avantageuses que celles du public pour un peu plus de la moitié des fonctionnaires nés en 1958 et moins avantageuses pour l’autre moitié ».

Laurent Fargues

Source : Challenges 20/06/2018

Lire la suite

Destruction de la nature : un crime contre l’humanité

eunes hirondelles de fenêtre au nid. Depuis 2008-2009, les déclin des oiseaux des champs est de plus en plus marqué. Cela correspond à la flambée des cours du blé et à la généralisation des insecticides neurotoxiques très persistants. Photo Christian Décout. Biosphoto

eunes hirondelles de fenêtre au nid. Depuis 2008-2009, les déclin des oiseaux des champs est de plus en plus marqué. Cela correspond à la flambée des cours du blé et à la généralisation des insecticides neurotoxiques très persistants. Photo Christian Décout. Biosphoto

 

C’est la première fois. La première fois depuis quinze ans pour l’un, quarante ans pour l’autre, que nous travaillons dans la protection de l’environnement, que nous entendons cela. Dans notre réseau professionnel et amical, des directeurs de grandes associations naturalistes, des responsables de réserves naturelles nationales, des naturalistes de terrain sont de plus en plus nombreux à le dire, en «off» : «C’est fichu !» Ils n’y croient plus. Pour eux, les politiciens, les industriels mais aussi le grand public, personne ne comprend la catastrophe environnementale qui s’est enclenchée.

Ils continuent la lutte car il faut bien le faire, mais au fond, ils pensent que l’homme ne pourra pas faire machine arrière, c’est terminé. Nous courons à notre perte.

Quand on a, comme nous, consacré sa vie à la protection de l’environnement, de tels discours font froid dans le dos. Jusqu’ici, nous autres naturalistes, pensions que nous arriverions un jour à faire bouger les choses, à faire prendre conscience à l’humanité de son autodestruction. Mais si même nous n’y croyons plus, qui y croira ?

Ce printemps est un printemps vide. Les hirondelles, il y a encore quelques années très communes dans les villages, sont en train de disparaître à grande vitesse. On savait qu’on risquait de perdre un jour les éléphants. Que les guépards suivaient la même piste. Mais personne n’aurait imaginé que nous perdrions aussi les hirondelles, en même temps que les abeilles. Est-ce vraiment cela dont nous voulons ? Un monde sans éléphants, sans hirondelles ? Sans abeilles ? Aujourd’hui, plus de 12 000 espèces sont menacées d’extinction (et sans doute bien plus, certaines étant encore inconnues de la science). Depuis combien de temps n’avez-vous pas vu un hérisson autrement que sous forme de cadavre en bordure de route ? Depuis combien de temps n’avez-vous pas vu un hanneton butiner la haie fleurie au fond du jardin ? Ces animaux étaient communs, il y a encore peu de temps. Et plus besoin de nettoyer la calandre de la voiture après un long voyage. Il n’y a quasiment plus d’insectes écrasés dessus…

Les apiculteurs constatent un effondrement sans précédent au niveau des abeilles et des insectes pollinisateurs en général, avec toutes les questions agricoles et environnementales que cela pose. Comment allons-nous continuer à produire des fruits et des légumes sans insectes pollinisateurs ?

Dans le milieu des agriculteurs sensibles à l’environnement, une autre inquiétude est bien présente, depuis quelques années maintenant : les risques de grandes famines à venir, dues à l’agriculture industrielle, à la surexploitation des sols, à l’érosion et à la diminution des terres agricoles.

Contrairement à certains de nos amis naturalistes et scientifiques, nous espérons qu’il est encore possible pour l’homme de réagir, de se sauver, et donc de sauver ses enfants. Mais seulement si nous réagissons maintenant. Chaque jour, chaque heure compte désormais dans le compte à rebours.

Certains journalistes ont une grande part de responsabilité dans ce qui est en train de se passer, eux, qui sont censés donner l’alerte, eux, qui sont au courant des chiffres terrifiants de la situation écologique. Eux qui, lors des interviews des hommes politiques, ne posent presque jamais de questions sur l’environnement. Eux qui préfèrent consacrer des journaux entiers à des faits divers et autres informations malheureusement tellement dérisoires au regard de ce qui est en train de se jouer pour l’humanité.

Nous continuons de nous regarder le nombril, pendant que tout s’effondre autour de nous.

A chaque fois qu’un naturaliste essaie d’alerter l’opinion publique, on lui retourne qu’il est «moralisateur» ou «culpabilisant». Dirait-on à un assistant social qui explique à des parents mettant en danger leurs enfants l’urgence de changer de comportement qu’il est «moralisateur» ? Qu’il est «culpabilisant» ? Alors pourquoi, sur l’environnement, avons-nous le droit de mettre en danger l’avenir des enfants ? Pourquoi avons-nous le droit de leur donner à manger des aliments gorgés de pesticides ? De respirer un air pollué ?

Il est possible de retourner la situation, si ceux qui nous gouvernent et si les journalistes, qui doivent alerter l’opinion, prennent leurs responsabilités. Aujourd’hui, les politiques accouchent de «COP 21» médiatiquement parfaites mais dont les objectifs (inatteignables) font grimacer la communauté scientifique tant ils sont désormais irréalistes et non soutenus par des actions concrètes. C’est à nous citoyens qu’il appartient de montrer le chemin, en faisant pression pour que l’environnement devienne une priorité absolue.

On rétorque depuis des années aux scientifiques et aux naturalistes qu’ils sont «anxiogènes». Mais ce n’est pas d’alerter, ce n’est pas de parler du problème qui est anxiogène. C’est de laisser faire les choses sans réagir, alors qu’on a encore quelques moyens d’agir. Ce qui est anxiogène, ce sont les résultats d’études scientifiques qui s’accumulent depuis des décennies et qui vont aujourd’hui tous dans le même sens de l’accélération et de l’irréversibilité.

Nous devons urgemment apprendre à vivre avec mesure. Avant de se demander quelle énergie utiliser, il faut faire des économies d’énergie. Nous sommes dans une surconsommation énergétique, à l’échelle de la société comme à l’échelle individuelle. Cela pourrait être changé.

Nous devons aussi nous remettre à réfléchir à un thème banal dans les années 80 et devenu au fil du temps complètement tabou : la surpopulation. La société française reste profondément nataliste, tout comme le reste de la planète. Nous serons bientôt 8 milliards d’êtres humains sur Terre, engloutissant toutes les ressources.

Pourquoi faire autant d’enfants si c’est pour leur laisser une planète ravagée et l’impossibilité d’avoir une vie correcte ? A l’heure des enfants rois, nous leur faisons le pire des cadeaux : un environnement dévasté, une planète à bout de souffle.

Ne pourrions-nous pas faire preuve d’intelligence, nous, qui nous sommes hissés de facto au sommet de la pyramide du vivant ? Faire de deux domaines porteurs et concrets, l’alimentation bio et l’écoconstruction, des urgences prioritaires. Arrêter la course à la surconsommation. Réfléchir à notre façon de nous déplacer. Adhérer aux associations de protection de la nature. Ces dernières sont toutes extrêmement fragiles. Elles œuvrent à protéger l’humanité, mais leurs (maigres) subventions sont en permanence réduites, quand elles ne sont pas coupées. Cela demande un courage réel que de non plus changer de logiciel de vie, mais plutôt le disque dur de nos existences.

Nous appelons le gouvernement à écouter désormais Nicolas Hulot et à lui laisser la place et la marge de manœuvre promises. Nous sommes au-delà de l’urgence. Ceux qui auront contribué à la destruction de la nature, et donc des hommes, seront accusés, et peut-être même qui sait un jour jugés, pour «crime contre l’humanité». Car plus que la planète encore, c’est l’homme qui est aujourd’hui en danger.

Elise Rousseau écrivaine naturaliste , Philippe J. Dubois écologue

Source Libération 09/06/2018

Philippe J. Dubois est l’auteur de : Syndrome de la grenouille et de la Grande Amnésie écologique. Elise Rousseau est l’auteure de :  Mais pourquoi j’ai acheté tout ça ?! Stop à la surconsommation.