Le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, part en octobre. Un remplacement pas si anecdotique que ça.
par Michel Crinetz ancien superviseur financier, Collectif Roosevelt
Certes, le rôle de la Banque de France, dont l’État est le seul actionnaire, a bien diminué. Elle ne conduit plus la politique monétaire : c’est le conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne qui le fait, où la France n’a plus qu’un droit de vote limité. Elle ne supervise plus non plus la prudence de nos grandes banques, un pouvoir également transféré à la BCE.
Dès lors, que nous importe le remplacement à ce poste d’un vieil ami des banques, Christian Noyer, par un ex-banquier ?
Peut-être devrait-il nous importer plus qu’il ne semble.
Une remarquable discrétion…
Jadis, comme tuteur des banques au Trésor, M. Noyer plaidait déjà pour que les banques puissent faire payer les chèques. Ces positions très orientées n’ont pas nui à sa carrière : directeur du Trésor, plus tard gouverneur de la Banque de France. Conseiller de M. Balladur, il a dirigé les cabinets de deux de ses successeurs aux Finances. Au cœur du pouvoir de 1993 à 1997, il s’occupa, avec une grande discrétion, des faillites du Crédit Lyonnais et du Crédit Foncier de France, entre autres.
“Sous son règne, à peu près rien n’a été fait pour sanctionner les banques abusant leurs clients, ou facilitant leur évasion fiscale”
Discrétion tout aussi remarquable dans son traitement, 15 ans plus tard, des “difficultés” de Dexia, du Crédit Immobilier de France, de la Société Générale et de Natixis, difficultés qu’il était censé prévenir au lieu de les laisser après coup plus ou moins à la charge des finances publiques. Sous son règne, à peu près rien n’a été fait pour sanctionner les banques abusant leurs clients, ou facilitant leur évasion fiscale.
Par-delà la Banque de France
À présent, s’il n’est plus seul décideur, il est au centre de différents réseaux de décision, où il pèse bien plus que son poids statutaire. M. Noyer n’est pas que gouverneur de la Banque de France, qui s’occupe du surendettement des ménages, du taux du livret A et de l’émission de billets de banque ; et qui reprendrait ses fonctions initiales en cas d’explosion de la zone euro.
“ À présent, s’il n’est plus seul décideur, il est au centre de différents réseaux de décision, où il pèse bien plus que son poids statutaire”
Il est aussi président du superviseur français des banques et des assurances, qui garde un rôle à la fois dans la supervision et dans la “résolution” des banques ; membre de deux Conseils de la BCE, avec droit de vote sur les décisions monétaires et celles du superviseur bancaire “unique” de la zone euro, et avis sur les projets de réglementation financière européenne ; membre du comité de Bâle qui définit les projets de réglementation bancaire mondiaux ; président de la Banque des Règlements Internationaux, et gouverneur suppléant du Fonds monétaire international, très influent en ce moment.
Des champions bien couvés
Depuis 33 ans, Christian Noyer a veillé aux intérêts de nos “champions nationaux”. Champions qui ne sont plus que quatre, suite à un séculaire mouvement de concentration sans cesse encouragé par la Banque de France : BNP Paribas, la Société Générale, BPCE et le Crédit Agricole ; quatre centres de pouvoir très influents et prenant d’énormes risques. Et il a défendu les intérêts des grandes banques contre les propositions d’intervention des États et de l’Europe.
“il n’a pas d’ordres à recevoir des gouvernants, il ne se prive pas de leur faire publiquement la leçon, dans son domaine et dans d’autres”
Et si, en tant que banquier central, il n’a pas d’ordres à recevoir des gouvernants, il ne se prive pas de leur faire publiquement la leçon, dans son domaine et dans d’autres. Il critique le déficit budgétaire, menaçant la France de “déclin”. Il dit que la baisse des charges patronales ne suffit pas pour restaurer la compétitivité et veut revoir les règles de revalorisation du Smic. Il critique vivement le projet européen de taxe sur les transactions financières, et, avec une violence très inhabituelle, le modeste projet du commissaire européen Barnier de filialiser les activités spéculatives des banques : “irresponsable et contraire aux intérêts de l’économie européenne” dit-il.
M. Hollande fera sans doute confiance à M. Villeroy de Galhau pour assurer la continuité. Un des principaux dirigeants de la BNP depuis 12 ans, il est, lui aussi, du sérail…
Patrick Kron, à Saint-Nazaire lors de l’inauguration de deux usines d’éoliennes – SEBASTIEN SALOM-GOMIS/SIPA
L’assemblée générale des actionnaires d’Alstom qui s’est réunie une nouvelle fois mardi a statué sur la rémunération annuelle de son PDG Patrick Kron, mais pas sur la prime de 4 millions d’euros (déjà accordée) que ce dernier entend bien percevoir au titre de ses loyaux services. Entre autres, la vente de la branche Energie d’Alstom au géant américain General Electric. Retour sur une transaction controversée aux allures de scandale d’Etat.
Patrick Kron donne de sa personne pour défendre un projet dont il est « fier » et qu’il juge formidable : la vente de la branche d’Energie d’Alstom au géant américain General Electrique (GE) pour 12 milliards d’euros, qui s’apparente pour l’intéressé à une perspective « d’avenir » mais qui s’avère être en fait, comme l’écrivait Marianne cet hiver, une très mauvaise opération. Longuement cuisiné, ce mardi 30 juin, dans une interview parue dans le Figaro, Patrick Kron reste ainsi, malgré les critiques, sur des positions qu’il a déjà eues l’occasion d’exposer, en avril dernier, devant la Commission des Affaires économiques, à l’Assemblée nationale. Des positions qui n’ont pas même réussi à convaincre le Figaro, intrigué par « les soupçons qui pèse encore » sur le PDG du groupe en poste depuis 2003… Passage en revue de l’interview et d’un coup de pocker qui conduit la France à perdre l’un de ses derniers fleurons.
Le Figaro : « Des soupçons pèsent encore, en lien avec l’enquête américaine pour des faits de corruption et qui s’est soldée fin 2014 par une amende de 720 millions d’euros. Le premier c’est que cette enquête vous aurait poussé à négocier avec GE parce que vous auriez craint qu’elle ne vous rattrape personnellement… »
Patrick Kron : « Je suis choqué par [les] insinuations infondées, par [les] sous-entendus grotesques. L’idée selon laquelle il y aurait un lien entre l’enquête du DoJ (le département de la Justice des Etats-Unis, ndlr) sur des faits anciens et l’opération industrielle élaborée avec GE est absurde. (…) J’ai pris une décision courageuse parce qu’Alstom, s’il restait seul, mettait à terme en danger ses salariés. Est-ce que j’en suis heureux ? Non… »
> Ce qu’en pense Marianne : Pourquoi le lien entre l’enquête du DoJ « sur des faits anciens et l’opération industrielle élaborée avec GE » n’est pas « absurde ». D’abord, parce que, sous couvert d’anonymat, « certains cadres » d’Alstom, notamment interrogés par France Inter, affirment l’inverse. « Au sein de l’état-major d’Alstom, je peux vous dire que tout le monde sait parfaitement que les poursuites américaines ont joué un rôle déterminant dans le choix de vendre la branche énergie » explique l’un d’eux, qui poursuit : « Lors des négociations secrètes [ayant conduit à la vente de la branche Energie d’Alstom à GE], curieusement, une personne a été associée tout de suite à la discussion. Il s’agit de Keith Carr, le directeur des affaires juridiques. C’est étrange car normalement sa principale mission c’est de traiter le règlement des affaires de corruption. »
Outre le rôle trouble du directeur juridique, les arrestations conduites par la justice américaine touchent de très proches de Patrick Kron, notamment celle de Frédéric Pierucci, cadre dirigeant du groupe, l’un des seuls à avoir plaidé coupable pour le contrat de construction de la centrale à charbon de Tarahan en Indonésie (qui a donné lieu aux versements de pots de vin jusqu’en 2009 à travers la filiale américaine d’Alstom), affaire pour laquelle la société Alstom a été condamnée à une amende record de 772 millions de dollars. Arrêté le 15 avril 2013 à l’aéroport JFK, à New York, Pierucci a ainsi été incarcéré pendant quatorze mois aux Etats-Unis dans une prison de haute sécurité avant d’être libéré sous caution. Le JDD qui dresse son portrait à l’été 2014 évoque alors la trajectoire d’un patron « maudit » qui risque gros pour avoir violé le Foreign corrupt practices act (FCPA) qui permet de poursuivre des groupes ou dirigeants étrangers pour corruption : jusqu’à dix ans de prison et une amende pouvant aller « jusqu’à 500 000 dollars par fait reproché. »
Or, Alstom n’a plaidé coupable qu’à la suite de cette mise en examen, qui en laissait présager d’autres, plus haut dans la hiérarchie. Parmi elles, comme l’a révélé La Lettre A, celle de l’ancien supérieur de Frédéric Pierucci à la direction commerciale d’Alstom Power, un certain Denis Cochet. Le même Denis Cochet qui deviendra le représentant France du Groupe Alstom et qui prendra de ce fait place juste derrière Patrick Kron lors des auditions de la direction d’Alstom à l’Assemblée, devant la commission des Affaires économiques, évoquée en introduction.
Dans le sillage de Pierucci et Cochet, apparaît également Jean-Daniel Lainé, directeur Ethique et Conformité du groupe de 2006 à 2013, nommé auparavant directeur Conformité pour le secteur Power de 2004 à 2006. Si l’intéressé a échappé à la justice américaine, il vient d’être rattrapé par le Serious Fraud Office britannique comme l’indique une note récemment publiée par l’ONG Sherpa. Selon la dite note, non seulement l’autorité britannique reproche à Jean-Daniel Lainé, en charge de l’éthique du groupe, « des faits de corruption en rapport avec le contrat de tramway de Budapest entre le 1er janvier 2006 et le 18 octobre 2007 » mais les « secteurs visés par le département de la justice américain » et les « périodes » correspondent à celles durant lesquelles Lainé officiait. Autre précision importante apportée par Sherpa : jusqu’à l’année 2013, la direction Ethique dirigée par Jean-Daniel Lainé était directement incorporée au Comité exécutif où trône Patrick Tron depuis 2003. Patrick Kron pouvait-il alors ignorer les affaires de corruption ?
Comme l’a révélé Mediapart, la direction Alstom n’ignorait néanmoins rien des risques judiciaires encourus aux Etats-Unis puisqu’elle a elle-même fait parvenir à plusieurs dizaines de ses cadres une mise en garde, dès mars 2013, soit un mois avant l’arrestation de Pierucci. L’hypothèse selon laquelle Patrick Kron aurait voulu sauver sa peau et celle de ses camarades, toujours poursuivis, en vendant la branche Energie d’Alstom aux Américains n’est donc pas à exclure. D’autant qu’Alstom a déjà obtenu plusieurs reports du paiement de l’amende de 772 millions de dollars, paiement « exceptionnellement différé de six mois » puis « renvoyé » au 25 septembre 2015 écrit Sherpa et qui n’interviendra en réalité qu’une fois la vente du pôle Energie effective. Rapellons « qu’en principe » l’amende aurait dû être payée dans les « dix jours ouvrés. » Une générosité inattendue outre-Atlantique qui, pour Sherpa, « sème le doute ».
Surtout, contrairement à ce qu’indique Patrick Kron, l’accord à l’amiable avec la justice américaine a bien mis fin dans les faits aux poursuites pénales contre de nouveaux cadres, Jean-Daniel Lainé en particulier. Et curieusement cet accord à l’amiable avait été signé au lendemain de la validation de la vente à GE en Assemblée générale…
Côté français enfin, en mars 2015, ainsi que le rappelle l’Obs, toujours devant la commission des Affaires économiques, Emmanuel Macron, ministre de l’Economie, a publiquement avoué avoir lui-même eu « des doutes » quant aux motifs de la vente : « A titre personnel, j’étais persuadé du lien de cause à effet entre cette enquête (américaine) et la décision de Kron de vendre, mais nous n’avons aucune preuve » conclut-il. Ont-ils seulement cherché à en trouver ? Certains acteurs du dossier relèvent la présence de Stéphane Fouks, grand ami du Premier ministre Manuel Valls, devenu conseiller en influence et en communication du PDG de GE sur cette acquisition. Tout comme ils notent la nomination de l’ancien directeur général de l’Agence des participations de l’Etat, David Azéma, chez Bank of America – Merril Lynch, c’est-à-dire la banque d’affaires qui conseilla Patrick Kron sur la vente de la branche Energie d’Alstom à GE…
Le Figaro : « L’enquête américaine a-t-elle pu faciliter les choses pour GE, un géant industriel… américain ? »
Patrick Kron : « Mais comment y aurait-il pu y avoir un complot, alors que les autorités américaines ont appris les négociations entre Alstom et GE par la presse en même temps que tout le monde ? Ces théories conspirationnistes sont absurdes et scandaleuses. »
> Ce qu’en pense Marianne : Patrick Kron, patron emblématique du CAC 40, unanimement salué pour ses immenses qualités joue, ici, la partition du grand naïf. Il n’y a qu’à se rapporter au premier « rapport de contrôle » de la Délégation parlementaire au renseignement (DPR), en 2014, chapeauté par le député PS du Finistère Jean-Jacques Urvoas, pour lire sur le sujet un paragraphe fort instructif, intitulé Un espionnage paré des vertus de la légalité. On y trouve, la confirmation, s’il en fallait une, du « puissant instrument de prédation » qu’est devenue la justice américaine, véritable arme économique. « La législation américaine, notamment en raison de son caractère extraterritorial, apporte une illustration particulièrement éloquente de cette ambivalence par le biais de la procédure de discovery ainsi que l’existence du deal of justice » expliquent en effet longuement les parlementaires.
Et de poursuivre : « Dans les faits, une entreprise (dans 90 % des cas, il s’agit d’entreprises étrangères, dont certains grands groupes français à l’image de la récente affaire impliquant la BNP-Paribas) se voit incriminée par le DoJ pour infraction à la loi étasunienne. Cela permet à l’administration d’agiter le spectre de lourdes amendes et de condamnations pénales pour les membres dirigeants de l’entreprise. Pour autant, en dépit de la « lourdeur » des fautes reprochées, elle propose opportunément une transaction avec les autorités administratives compétentes (à l’image de la Securities and exchanges commission, ou de l’Office of foreign asset control). L’entreprise doit alors reconnaître sa culpabilité et négocie le montant de l’amende infligée. En contrepartie, le DoJ renonce aux poursuites pour une période de trois ans, période pendant laquelle l’entreprise doit faire preuve d’un comportement exemplaire. Pour prouver sa bonne foi, et là réside le principal problème, elle doit accepter la mise en place d’un moniteur en son sein, moniteur qu’elle choisit mais dont la désignation définitive est soumise à l’approbation des États-Unis… »
Dans le cas d’Alstom la solution a été plus radicale, puisque la branche Energie du groupe a été complètement cédée à son rival General Electric, qui n’a donc plus besoin ni de « moniteur » ni des grandes oreilles de la NSA pour surveiller ses activités. Il n’est pas inutile de préciser par ailleurs que sur l’affaire Tarahan en Indonésie pour laquelle Alstom a été condamné à 772 millions de dollars d’amende, lors de l’appel d’offre, Alstom était en concurrence avec un autre groupe… américain : Foster Wheeler. Le groupe deviendra d’ailleurs partenaire de GE quelques années plus tard dans l’industrie minière.
Le Figaro : « Les enquêtes sur des faits de corruption semblent se multiplier et jettent une lumière trouble sur les pratiques passées d’Alstom. »
Patrick Kron : « Il y a un certain nombre d’enquêtes en cours, pas une multiplication. (…) Mais les cas soulevés sont très peu nombreux et ne permettent en rien de parler d’un système généralisé ! C’est tout l’inverse. »
> Ce qu’en pense Marianne : Patrick Kron sait jouer au naïf et au comique aussi, mais cela n’a toutefois pas fait rire le vice-procureur général américain chargé de statuer sur l’affaire de corruption indonésienne. Car pour le magistrat, il s’agit bien d’un « système de corruption » et même que ce système « s’étendait sur plus d’une décennie et à travers plusieurs continents. » Un système « singulier de par son ampleur, son audace et ses conséquences dans le monde entier » détaille le vice-procureur.
Une définition que pourraient reprendre à leur compte les fédéraux brésiliens qui jugent actuellement Alstom pour une autre affaire de corruption de grande envergure, celle du métro de São Paulo, auquel le groupe français a fourni à la fin des années 90 l’équipement énergétique grâce au versement de juteux pots-de-vin, le tout sous couvert de faux contrats de consultants.
Au Brésil, ces consultants, chargés d’approcher et de soudoyer les décideurs politiques, étaient méthodiquement dirigés par une direction spécifique d’Alstom, « la direction commerciale étranger », comme l’expliquait Marianne. Ou bien encore par « l’International Network », département qui selon l’ONG Sherpa « aidait les filiales à sécuriser des contrats dans le monde » et dont la direction « à partir de 2000 a centralisé les procédures d’approbation des contrats relatifs à l’embauche de consultants. »
Ainsi le « système » que réfute Patrick Kron n’était-il pas « généralisé » mais quasi institutionnalisé. Malgré les efforts en matière d’éthique d’Alstom, la corruption a par conséquent continué bien après l’arrivée de Patrick Kron en 2003. En témoigne l’affaire de corruption en Indonésie mais aussi l’affaire brésilienne, puisqu’Alstom a continué à distribuer le bakchich à la société off-shore chargée de payer les pots-de-vin au Brésil, après la loi anti-corruption de 2001, selon un extrait bancaire révélé par Marianne. On ne sait d’ailleurs toujours pas, à ce jour, ce que sont devenus les 10 millions de dollars qui dormaient tranquillement dans cette caisse noire brésilienne vidée en 2001 et 2002 via seize transactions…
Le Figaro : « La cession des activités énergie n’est pas précisément une victoire et l’amende américaine a coûté cher. Ne devriez-vous pas renoncer à votre prime de 4 millions d’euros ? »
Patrick Kron : « Je répète que je suis fier de donner un avenir à l’ensemble de nos activités, même si c’est, pour certaines, à l’extérieur du groupe. Et le conseil d’administration semble le penser aussi puisqu’il a considéré que l’élaboration de ce projet et sa mise en œuvre justifiaient cette rémunération exceptionnelle. Ce n’est pas à moi de le commenter. Mais je n’entends pas y renoncer dès lors qu’en mon âme et conscience, je considère que c’est légitime. »
> Ce qu’en pense Marianne : Sur la prime de 4 millions d’euros que Patrick Kron entend bien percevoir « légitimement », en son « âme et conscience », à chacun de juger de la qualité du « projet » de revente de la branche Energie d’Alstom à GE, en ayant en tête les quelques éléments que nous venons d’avancer. Notons que Kron n’évoque pas le fait que vingt-et-un autres dirigeants d’Alstom se partageront avec lui un bonus additionnel de 30 millions d’euros (dont 4 millions d’euros sont donc destinés donc à Patrick Kron) et que les actionnaires percevront en dividendes autour de 3,5 milliards d’euros. Chacun se nourrit ainsi sur la bête, quasi morte, qui est promise, estime quant à lui Patrick Kron à un bel « avenir ».
Le Canard enchaîné de la semaine détaille justement cet avenir lumineux et nous apprend qu’Alstom, dans l’attente de la signature « formelle » de la vente de la branche Energie à GE a commencé à « dégraisser à grand train. » Après la signature de la vente « prévue pour octobre » prochain, les effectifs devront en effet rester stables durant trois ans. En un an, Alstom en a ainsi profité pour réduire de « 5% ses effectifs français » résume le Canard. Pas du tout répond le groupe il s’agit de « départs volontaires. » Une source proche du dossier affirme néanmoins à Marianne qu’en réalité le volontariat ne serait pas toujours de mise : « En interne, c’est la débandade… »
L’enquête sur le piratage de TV5 Monde s’oriente vers la piste russe. Christophe Ena / AP
La revendication publiée sur le site de TV5 Monde après son piratage début avril avait d’abord laissé penser que l’attaque trouvait sa source dans l’EI.
Après le piratage de TV5 Monde, survenu le 8 avril, les yeux des enquêteurs se tournent vers la Russie. C’est en tout cas en ce sens que convergent des indices récoltés par les enquêteurs de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), chargés des investigations techniques sur cette attaque d’envergure.
Des traces du passage des pirates ont été fournies, à la fin du mois d’avril, par l’Anssi à plusieurs grands médias. Elles correspondent, au moins en partie, à des attaquants qui ont déjà sévi dans le passé, selon les informations de L’Express, que Le Monde est en mesure de confirmer.
Si l’on en croit ces éléments, l’attaque ne proviendrait pas de l’Etat islamique, contrairement à ce que la revendication, publiée sur le site et sur les réseaux sociaux de TV5 Monde, laissait penser. Le mode opératoire et certaines traces spécifiques laissées par les pirates pointent vers un groupe de pirates russes bien connu des experts en sécurité informatique. Une source judiciaire a confirmé au Monde que l’enquête préliminaire s’orientait bien, à ce stade, vers des hackers russes, mais qu’il ne s’agissait encore que d’une piste de travail.
Le groupe désormais soupçonné de s’être introduit dans les infrastructures informatiques de TV5 Monde a plusieurs noms – en fonction de l’entreprise qui l’a analysé. L’entreprise américaine FireEye l’a appelé « APT28 », les Canadiens de la société qui développe des antivirus ESET lui ont donné le nom de « Sednit » et Trend Micro l’a baptisé « Pawn Storm » (« tempête de pions », par analogie avec une stratégie du jeu d’échecs).
Les experts de ces trois entreprises estiment tous, à des degrés divers, que ces groupes sont liés à la Russie. Trend Micro affirme avoir retrouvé la signature de « Pawn Storm » dans plusieurs attaques visant des cibles militaires aux Etats-Unis, mais aussi des opposants à Vladimir Poutine, des objectifs en Pologne et en Ukraine et des journalistes aux Etats-Unis…
Dans son rapport sur « APT28 », FireEye décrit « une équipe douée de développeurs collectant des informations sur les questions de défense et de géopolitique, engagés dans des opérations d’espionnage contre des cibles politiques et militaires ».
Joan Calvet, chercheur pour ESET, note une « accumulation » d’indices – des réglages de langue, des traces de russe dans le code ou d’horaires de création de certains logiciels –, qui le conduisent à estimer avec « un grand niveau de confiance que les développeurs de ce groupe ont le russe comme langue principale » et sont basés en Europe de l’Est.
Les chercheurs de FireEye sont les plus assurés quant à l’origine de ce groupe. Selon eux, ce dernier « reçoit un financement direct d’une organisation bien installée, très probablement un gouvernement ».
Mais il faut rester prudent, tant l’attribution précise d’une cyberattaque est délicate. On trouve en tout cas parmi les principales victimes du groupe les ministres de l’intérieur et de la défense de Géorgie et plusieurs organisations gouvernementales d’Europe de l’Est.
Mode opératoire
Les enquêteurs français de l’Anssi ont acquis davantage de connaissances quant au mode opératoire des pirates. Ils savent désormais que les pirates se sont approchés de TV5 Monde en s’abritant derrière un virtual private network (VPN — « réseau privé virtuel ») grand public. Les VPN sont, entre autre, un moyen de camoufler les connexions de manière à être moins traçable.
Ils sont arrivés dans le réseau de TV5 Monde dès la fin du mois de janvier, sur l’ordinateur d’un poste de production servant à contrôler les caméras sur le plateau, auquel ils ont réussi à accéder grâce à un mot de passe peu sécurisé d’un prestataire du groupe de télévision.
Ensuite, pendant plusieurs semaines et jusqu’à la date de l’attaque, les pirates ont exploré le réseau de TV5 Monde et mis en œuvre une technique rodée, appelée « élévation de privilèges » : ils ont gravi peu à peu les échelons à l’intérieur du réseau jusqu’à s’octroyer de très larges pouvoirs sur le réseau. Les enquêteurs pointent le rôle des prestataires, des entreprises externes à TV5 Monde qui avaient la main sur des portions critiques du système informatique du groupe de télévision.
Enfin, les pirates s’en sont pris ensuite à trois cibles : les réseaux sociaux, le site Internet et, surtout, les outils de production, nécessaires à la diffusion des images. Comme nous l’écrivions précédemment, les enquêteurs ont noté la grande sophistication des pirates, qui sont parvenus à endommager des matériels Cisco en détruisant des composants logiciels indispensables à leur bonne marche. Des multiplexeurs, des encodeurs et des « switchs » ont été pris pour cible, ainsi qu’un serveur de messagerie.
Le piratage de TV5 Monde revendiqué par un groupe djihadiste
La page Facebook de TV5 Monde, le compte Twitter de TV5 Afrique et les antennes du groupe ont été attaquées par des pirates se réclamant du Cyber Caliphate. Capture d’écran
La revendication publiée sur le site de TV5 Monde après son piratage début avril avait d’abord laissé penser que l’attaque trouvait sa source dans l’EI.
Des documents présentés comme des pièces d’identité et des CV de proches de militaires français impliqués dans les opérations contre l’Etat islamique ont été publiés sur le compte Facebook de TV5 Monde.
Les chaînes, le site Web et plusieurs pages Twitter et Facebook du groupe télévisé français TV5 Monde ont été victimes mercredi 8 avril vers 22 heures d’une attaque informatique revendiquée par le groupe islamiste CyberCaliphate.
L’attaque qu’a subie @TV5MONDE est inédite et de grande envergure. L’enquête en dira plus très bientôt et nos antennes seront rétablies.
— Hélène Zemmour (@hzemmour)
La chaîne a dû interrompre ses programmes et rendre son site Internet inaccessible pour barrer la route aux pirates. Elle a repris le contrôle de ses pages sur les réseaux sociaux pendant la nuit, mais son site Internet est resté inaccessible jusqu’à jeudi en début d’après-midi.
Des programmes pré-enregistrés, mais pas de journaux
Quant aux émissions télévisées, « nous sommes en train d’essayer de restaurer nos onze chaînes avec leurs propres programmes » précise au Monde le directeur de la chaîne, Yves Bigot, jeudi en tout début de matinée :
« Depuis l’attaque, nous n’avons réussi qu’à diffuser un seul programme unique sur toutes les chaînes. Nous ne sommes toujours pas en mesure de produire nos propres journaux télévisés, nous ne diffusons que des programmes de stock enregistrés. Nous espérons surmonter cela en fin de matinée ou en début d’après-midi. »
« Nous sommes sous le choc, l’ambiance est morose. Il n’y aura aucun journal télévisé jusqu’à nouvel ordre. Peut-être celui de 18 heures, mais ça n’est même pas sûr » précise une source au sein de la rédaction. Tous les salariés de TV5 Monde ont l’interdiction de s’exprimer sur l’attaque subie par leur chaîne.
« Nos systèmes ont été extrêmement détériorés » par cette attaque « d’une puissance inouïe » et le retour à la normale « va prendre des heures, voire des jours », explique encore M. Bigot.
« On commence à analyser avec des experts qui sont venus sur place. La cyberattaque est d’une puissance majeure : nos systèmes de production sont puissants et sophistiqués et avaient été revus récemment. »
Le directeur de TV5 a assuré qu’une plainte serait déposée, « ne serait-ce que pour marquer cette attaque et puis pour éventuellement plus tard travailler avec des assurances ».
Un « véritable acte terroriste »
Pour Manuel Valls, ce piratage est une « atteinte inacceptable à la liberté d’information et d’expression ». Le premier ministre a affiché dans le même message son « soutien total à la rédaction ». La ministre de la culture Fleur Pellerin a qualifié cette attaque de « véritable acte terroriste » :
J’exprime tout mon soutien et ma solidarité aux équipes de la chaîne @TV5MONDE, victimes d’un véritable acte terroriste @YvesBigot
— Fleur Pellerin (@fleurpellerin)
Les services d’enquête français – notamment l’Anssi, l’autorité en charge de la sécurité informatique des institutions sensibles – se sont rendus sur place, mais ne peuvent pas encore se prononcer sur l’authenticité des documents d’identité diffusés et de l’identité des attaquants. En fin de matinée, le ministre de l’intérieur a indiqué qu’une enquête était ouverte, et que le gouvernement était « déterminé » à combattre « des terroristes déterminés ».
Selon une source judiciaire, l’enquête, dirigée par le parquet de Paris, vise des faits présumés d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, ainsi que d’accès, maintien frauduleux et entrave au fonctionnement d’un système de traitement automatique de données.
Menaces contre les militaires français
Durant la durée de l’attaque, de nombreux internautes ont constaté des anomalies sur les sites du groupe : apparition de l’en-tête noire et blanche du groupe Etat islamique, mais aussi publication de vidéos de propagande ainsi que de menaces envers des militaires français. Des documents présentés comme des pièces d’identité et des CV de proches de soldats français impliqués dans les opérations contre l’Etat islamique ont été postés sur le compte Facebook de TV5 Monde.
Un message accuse également le président français François Hollande d’avoir commis « une faute impardonnable » en menant « une guerre qui ne sert à rien ». « C’est pour ça que les Français ont reçu les cadeaux de janvier à Charlie Hebdo et à l’Hyper Cacher », ajoutent les pirates, en référence aux attentats sanglants contre l’hebdomadaire satirique et le magasin, qui avaient fait 17 morts entre le 7 et le 9 janvier à Paris.
Le groupe CyberCaliphate est apparu début janvier. Il s’est notamment signalé par le détournement du compte Twitter du CentCom, le centre de commandement américain au Moyen-Orient et en Asie Centrale, puis en prenant le contrôle durant plusieurs minutes de celui de l’hebdomadaire américain Newsweek, en février. Deux attaques bien moins sophistiquées que celle qui a touché TV5 Monde.
Chaîne internationale de télévision francophone basée à Paris, TV5 Monde est reçue dans plus de 200 pays et territoires dans le monde.
À gauche depuis 1953, les Bouches-du-Rhône devraient, sauf grosse surprise, basculer à droite dimanche soir. Ce qui paradoxalement rend le sourire à certains militants socialistes marseillais : un échec signerait la fin du système Guérini et la possibilité d’une refondation pour le PS local.
Ambiance de fin de règne au neuvième étage du bateau bleu, le bâtiment du conseil général des Bouches-du-Rhône. À trois jours du second tour des départementales, le cabinet de Jean-Noël Guérini, patron du département depuis 1998, a, selon plusieurs sources, commencé à faire ses cartons et certains collaborateurs chercheraient à se recaser. Dans le calme. « Avec toutes les perquisitions qu’on a eues, tout ce qui était à trouver a déjà été emmené », plaisante une source interne. A priori, les quelque 6 000 fonctionnaires territoriaux, protégés par leur statut, n’ont rien à craindre d’une alternance même si « tous ceux qui ont été placés par des coups de pouce commencent à faire la gueule », commente un agent, lui aussi sous couvert d’anonymat.
Malgré une ultime rodomontade dans La Provence jeudi 26 mars 2015, le département paraît perdu pour l’ex-socialiste, toujours mis en examen dans deux affaires de marchés publics, et il le sait. « Guérini fait le matador devant les médias, mais il est résigné et n’essaie même plus de convaincre les petits maires de droite, qui vont tous aller à la gamelle à droite chez les vainqueurs », indique un ex-proche du sénateur sous couvert d’anonymat. Depuis quinze jours, « les élus socialistes ne mettent plus les pieds au conseil général », raconte de son côté un conseiller général PS sortant.
À gauche depuis 1953, les Bouches-du-Rhône font partie des départements qui devraient basculer à droite dimanche soir. Ce qui paradoxalement rend le sourire à certains militants socialistes marseillais : un échec signerait la chute de la maison Guérini et la possibilité d’une refondation pour le PS local. Présente dans 18 cantons sur 29, l’union UMP-UDI est « pour la première fois dans la situation de gagner notre département ! » s’est réjouie dimanche 22 mars l’UMP Martine Vassal, adjointe au maire de Marseille, qui se verrait bien présider le département. Son directeur de campagne Marc Jolibois table sur une majorité relative à 14 cantons, en espérant grimper jusqu’à 15 voire 16 cantons pour obtenir la majorité absolue.
C’est le Front national, présent au second tour dans les 29 cantons des Bouches-du-Rhône (dont trois triangulaires), qui tranchera. Dans les douze nouveaux cantons marseillais, six duels opposent le FN à la gauche et six autres à la droite (voir la carte réalisée par les anciens journalistes de Marsactu). « Le PS a des cantons très difficiles à gagner et le report de voix sera meilleur dans les duels FN-droite que dans les duels FN-gauche : choisir entre l’extrême droite et Guérini et comparses, c’est un peu compliqué », avance Marc Jolibois.
Pour la première fois depuis sa première mise en examen en septembre 2011, le sénateur Jean-Noël Guérini a fait face le 22 mars 2015 aux vrais électeurs. Et loin des marchandages feutrés de voix de grands électeurs des sénatoriales, le verdict du suffrage direct a été sans appel. Si l’ex-socialiste arrive en tête devant le FN dans son fief historique du centre-ville de Marseille (34 % des votants), il faut noter que le redécoupage des cantons, opéré par Yves Colmou, un proche conseiller du premier ministre Manuel Valls, lui a été très favorable. Jean-Noël Guérini s’était plaint début 2014 d’avoir hérité « du plus gros canton du département de 80 719 habitants » (contre moins de 30 000 habitants avec l’ancien découpage). Mais son canton compte en fait le plus petit nombre d’inscrits de la ville (28 991 contre 53 000 dans le 7e canton marseillais, le plus important). En y ajoutant une forte abstention (60 %), il a suffi de 3 808 voix au binôme Jean-Noël Guérini-Lisette Narducci pour arriver en tête le 22 mars 2015. Ce qui permet au sénateur « de remporter sans coup férir ou presque son élection en mobilisant la très petite clientèle », remarque sur son blog le collectif Renouveau PS13, à l’origine de cette surprenante découverte. En 2008, Manuel Valls, Gérard Collomb et Jean-Noël Guérini avaient fait une contribution commune, « La ligne claire », au congrès du PS de 2008.
Les fidèles de Jean-Noël Guérini se présentant sous l’étiquette Force du Treize ont été écartés dès le premier tour à Aix-en-Provence, Vitrolles, Trets, Allauch et Gardanne. « Toutes les candidatures Force du Treize ont été éliminées, sauf celle de monsieur Guérini, les électeurs ont tranché », estime le député aixois Jean-David Ciot, premier secrétaire de la fédération départementale socialiste. À Vitrolles, le maire socialiste et conseiller général sortant Loïc Gachon, parti avec une candidate de la Force du Treize, a ainsi été éliminé dès le premier tour. À Salon-de-Provence, un autre proche de Guérini, le socialiste Hervé Chérubini, vice-président délégué aux finances du conseil général qui se présentait sous une étiquette « majorité départementale », s’est, lui, désisté pour faire barrage au FN. « Ils ont été victimes de candidatures dissidentes pilotées par des socialistes marseillais et subissent donc les effets désastreux de la division », s’est plaint dans La Provence Jean-Noël Guérini, avec un sens du comique insoupçonné.
Mais l’ex-homme fort du PS des Bouches-du-Rhône entraîne également dans sa chute la gauche locale, présente au second tour dans seulement 14 des 29 cantons. Dans les quartiers nord, les trois binômes soutenus à la fois par la Force du Treize et le PS se retrouvent en ballottage défavorable derrière le FN, avec parfois près de dix points d’écart à rattraper. « Quand on joue avec le feu et qu’on pratique la politique de la terre brûlée, on finit par brûler sa propre maison », conclut le socialiste Benoît Payan qui, aux côtés de l’écologiste Michèle Rubirola, a dû faire face dans le centre-ville de Marseille à un binôme guériniste « fabriqué pour nous faire perdre ». « Ça a permis de mesurer qu’en dehors de son canton, Guérini n’a plus qu’une force de nuisance », commente-t-il, cinglant.
Le protégé de Marie-Arlette Carlotti, qui veut incarner la nouvelle génération PS, a de bonnes chances de l’emporter au second tour face au Front national, de même que le député PS Henri Jibrayel dans son canton tout au nord de la ville. « Indubitablement, les candidats socialistes qui ont refusé tout au long de leur campagne la compromission avec Jean-Noël Guérini résistent mieux et font des scores plus encourageants, dans des cantons pas toujours favorables, que ceux qui ont choisi de soutenir le président sortant », constate le député socialiste Patrick Mennucci sur Facebook. À ses yeux, le PS des Bouches-du-Rhône paie donc son absence de clarté « face au clientélisme et aux pratiques de Jean-Noël Guérini ».« Le non-rassemblement des forces de gauche a également joué », reconnaît la socialiste Nathalie Pigamo, à qui il a manqué quelque 300 voix (derrière le binôme UMP-UDI) dans le centre-ville de Marseille pour se maintenir au second tour avec son colistier écologiste Sébastien Barles.
En début de semaine, Henri Jibrayel, qui a dû lui aussi faire face à un binôme de la Force du Treize, a demandé la démission de Ciot, qu’il accuse d’être « téléguidé » par Guérini, de la tête de la fédération départementale. Jean-Christophe Cambadélis a eu beau marteler depuis Solférino qu’il fallait « en finir avec le système GG : Guérini – Gaudin », la fédération départementale a tout de même investi plusieurs candidats soutenus par Jean-Noël Guérini, et même des binômes PS/Force du Treize assumés comme tels. « Dans les quartiers nord, les binômes sont plus société civile que Force du Treize », ergote Jean-David Ciot, qui a demandé au candidat PS Denis Rossi de « couper le bas de ses affiches » où figurait le logo de Force du Treize. Et assure avoir épluché le matériel de campagne du socialiste Christophe Masse, patron de l’office HLM du conseil général – dont la sœur est de tous les meetings de Guérini –, sans y trouver une référence à la Force du Treize. Ni au PS du reste…
« Le changement est en cours »
À Saint-Rémy-de-Provence, le maire PS Hervé Chérubini veut y croire encore. Il a fait ses comptes et estime quant à lui que la claque infligée au PS n’est pas plus importante que dans le reste du pays. Il table sur l’absence « de majorité absolue au conseil général » et un ultime coup de pied de l’âne de Jean-Noël Guérini. « Il nous a donné l’habitude de se sortir de situations qui paraissaient compromises », dit le conseiller général sortant.
En avril 2008, le socialiste Eugène Caselli avait ainsi raflé, à la surprise générale, la présidence de la communauté urbaine de Marseille, pourtant majoritairement à droite. Beaucoup y avaient vu l’action en coulisses de Jean-Noël Guérini et de son frère Alexandre auprès de petits maires de droite. Rebelote lors des municipales de 2014 : sa fidèle, et ex-socialiste, Lisette Narducci n’avait pas hésité à faire alliance avec le candidat UMP Jean-Claude Gaudin contre le PS pour conserver sa mairie de secteur au bord du Vieux-Port.
Mais un tel scénario semble aujourd’hui improbable lors de l’élection du futur président du département, prévue la semaine prochaine. D’abord à cause de l’écart de voix : l’UMP-UDI table sur 14 à 16 cantons, 7 à 8 pour le FN et 6 à 7 pour le PS. Ensuite parce que le contexte est totalement différent, explique un élu socialiste marseillais sous couvert d’anonymat : « En 2008, il y avait pas mal d’inconnues avec 157 nouveaux élus et ça a été un coup de tonnerre qui a pris tout le monde de court. Là, il y aura une telle pression médiatique sur les élus de droite et de gauche que ce ne sera pas jouable pour eux. Même si le scrutin est secret, ils ne prendront qu’un bulletin pour éviter les soupçons. »
Avant le premier tour, Martine Vassal, la tête d’affiche UMP-UDI, a tout de même pris la précaution d’écrire à plusieurs maires du département pour leur assurer qu’elle ne toucherait pas aux subventions promises par Jean-Noël Guérini. Mercredi soir, l’adjointe au maire de Marseille a obtenu le soutien de l’ensemble des maires des Alpilles et du pays d’Arles. Ce qui épanouit son directeur de campagne : « Le changement est en cours. Que les maires de territoires jusqu’alors satisfaits se tournent vers nous, c’est un signe qui ne trompe pas ! »
Mais la candidate marseillaise, critiquée par certains élus de droite très remontés contre la future métropole Aix-Marseille, n’est pas à l’abri d’une contestation interne. « Martine Vassal, c’est une candidature très stigmatisante, juge le député aixois Jean-David Ciot. Une majorité relative l’obligerait à rentrer dans une discussion d’harmonie territoriale où Marseille ne pille pas le reste du territoire. »
Reste également à savoir ce que feront les quelques élus de gauche rescapés une fois dans l’isoloir le 2 ou le 3 avril 2015. Parmi ceux encore en lice, sept conseillers généraux sortants avaient signé le 4 novembre 2014 une lettre ouverte appelant à une union du PS avec la Force du Treize. Pourraient-ils être tentés de voter pour leur ancien mentor plutôt que pour le candidat PS lors de l’élection du futur président du conseil départemental ? « Je réunirai lundi les élus PS au département, en excluant Jean-Noël Guérini, dit Jean-David Ciot. La question est très simple : soit ils sont dans le groupe PS et votent pour le candidat PS qui sera désigné par les militants mercredi ou jeudi soir, soit ils sont avec Guérini et ils quitteront le parti ou en seront exclus. » Le premier secrétaire ne prend pas un gros risque puisqu’il parie que « Jean-Noël Guérini, au vu du résultat dimanche soir, ne sera même pas candidat ».
L’élection risque également de marquer l’entrée massive d’élus FN, arrivés en tête dans 15 des 29 cantons du département. Au grand regret du vice-président sortant Hervé Chérubini, qui s’est retiré au second tour au profit d’un binôme UMP-UDI. Il ne supporte pas l’idée que « des élus FN siègent au conseil d’administration des collèges, des maisons de retraite ou viennent déposer des gerbes à la mémoire des résistants à [s]es côtés ». Adrien Mexis, candidat FN à Istres où il affronte le maire socialiste René Raimondi, affirme dans Le Figaro« être en mesure d’emporter la moitié des cantons du département ». Le directeur de cabinet de Stéphane Ravier, maire FN de secteur à Marseille, entend briguer la présidence du conseil départemental s’il est élu le 29 mars 2015. Contacté par Mediapart, il n’a pas donné suite.
Dans le canton de Châteaurenard au nord du département, le candidat FN Frédéric Laupies, époux de la conseillère éducation de Marine Le Pen, a fait 44,3 % des voix. Issu d’une famille communiste et agent d’accueil à la gare d’Arles, il se réjouit dans Le Figaro que le pari d’extrême droite prenne « de plus en plus dans le milieu agricole ». Le deuxième meilleur score du FN (41,8 %) dans les Bouches-du-Rhône a été réalisé à Marseille sur les terres de la droite (Marseille 8).
Dans les quartiers nord, où la victoire du FN à la mairie de secteur des 13e et 14e arrondissements lors des dernières municipales pose déjà le maire FN Stéphane Ravier en notable, le parti dépasse également les 40 % dans deux cantons. Alors qu’ils avaient peu fait campagne au premier tour, se contentant de diffuser les programmes nationaux, les candidats FN ont investi le terrain, tractant jusque dans la cité des Micocouliers dans le 14e arrondissement selon leur adversaire socialiste (et guériniste) Rebia Benarioua. « Pour la première fois, ils font du porte-à-porte, ils ont pris conscience que c’était possible de rentrer au département ! » s’alarme le conseiller général sortant. Son seul espoir est désormais de mobiliser « notre électorat abstentionniste déçu par la politique nationale ». « Nous sommes à égalité avec l’UMP dans les noyaux villageois, mais on tombe à 30 % de participation dans les quartiers populaires », explique-t-il.
Dans leur canton des 15e et 16e arrondissements, Henri Jibrayel et Josette Sportiello font quant à eux face au « FN pur et dur » en la personne de Bernard Marandat, chirurgien marseillais, âgé de 60 ans, et pilier historique du parti frontiste. « Si le FN l’emporte dans les 15e et 16e arrondissements, ils vont faire la passerelle avec Ravier dans les 13e et 14e arrondissements, ça va être chaotique », redoute Henri Jibrayel. L’heure est si grave que sa meilleure ennemie sur ce territoire, la sénatrice et maire de secteur PS Samia Ghali, a mis de côté les petites rivalités internes pour sonner le rappel des troupes en sa faveur. «Dimanche 29 mars, un seul objectif : faire barrage au Front national. Comme l’a clairement dit mon amie Valérie Diamanti : No pasaran», écrit jeudi soir la sénatrice sur sa page Facebook.
Manifestement, les ressorts clientélistes de la gauche marseillaise ne suffisent plus à lui assurer son électorat habituel. « Ce qui joue en faveur du FN, c’est qu’il n’y a pas eu de politique de gauche dans ces quartiers populaires depuis trente ans, nous disait avant le premier tour Karima Berriche, qui a dirigé le centre social de la Busserine (14e arrondissement) pendant plus de dix ans. Le clientélisme, ça fait quelques heureux élus et les autres restent sur le carreau. Sur le terrain, ce n’est pas simple. Les gens n’y croient plus d’autant qu’au plan national, il ne se passe rien non plus. » À la tête d’une liste rassemblant le PCF, le Parti de gauche et plusieurs collectifs, la candidate et son binôme, également militant associatif, ont été éliminés au premier tour, laissant place à un duel FN-PS.
Selon le dictionnaire Larousse, l’intégrisme est « une attitude et une disposition d’esprit de certains croyants qui, au nom du respect intransigeant de la tradition, se refusent à toute évolution ».
Si une bataille s’engage contre l’intégrisme religieux et ses idées rétrogrades, un autre intégrisme sévit, plus sournoisement, avec l’appui des principaux responsables politiques et des milieux d’affaires. Cet intégrisme, économique celui-là, n’a pas eu besoin de recourir à des moyens barbares pour s’imposer.
Mais, comme l’intégrisme religieux, il défend une tradition, en l’occurrence l’économie néo-libérale, les dogmes sur lesquels elle repose et refuse toute évolution. Les dix commandements de la bible économique néo-libérale sont d’ailleurs bien connus :
(1) l’austérité budgétaire tu prôneras ;
(2) la dépense publique tu diminueras ;
(3) plutôt que les plus riches, les pauvres tu taxeras ;
(4) la libéralisation financière tu assureras ;
(5) une banque centrale indépendante tu chériras ;
(6) le marché tu vénéreras ;
(7) la compétitivité tu promouvras ;
(8) la privatisation de l’économie tu organiseras ;
(9) la déréglementation tu favoriseras ;
(10) la propriété privée tu défendras.
L’intégrisme économique a un dieu qu’il vénère : le marché ; et de nombreux prédicateurs médiatiques qui ont pour mission de convaincre les foules de la bonté de ce dieu et, pour les récalcitrants, de nier toute alternative et de promettre l’enfer, sur terre cette fois-ci, à ceux qui douteraient de la véracité des tables de la loi économique.
Il a aussi ses théologiens dont l’un des principaux est Milton Friedman. Bernard Maris rappelait d’ailleurs que « dans un article qui a fait un tabac dans la profession, [Friedman] a avancé la thèse qu’une théorie ne devait pas être testée par le réalisme de ses hypothèses, mais par celui de ses conséquences. Autrement dit, peu importe de faire l’hypothèse que la Terre est plate, tant que ça vous permet d’aller où vous voulez à vélo… Vous pouvez même supposer que la Terre est creuse comme un bol, si vous sentez que votre vélo descend »…
Vive la concurrence… mais pas celle des idées
La « pseudo »-science économique, qui manipule les hypothèses à sa guise et s’arrange avec la réalité si cela lui permet d’asseoir son pouvoir, relève donc plus du domaine de la foi que de la science. Elle est servie idéologiquement par une corporation qui cherche à éradiquer les économistes « hérétiques », que l’on qualifie d’hétérodoxes. Ces gardiens du temple, qui prônent à longueur de temps les vertus de la concurrence, refusent pourtant celle qui devrait s’exercer sur le marché des idées.
En effet, une bataille s’est engagée en France entre les économistes « orthodoxes », défenseurs de la doxa néo-libérale, et les « hétérodoxes » qui militent pour que d’autres approches économiques puissent être développées, discutées et enseignées.
Ces derniers sont actuellement en voie de disparition comme le rappelle l’Association française d’économie politique (Afep) : « Les statistiques montrent que, sur la période 2005-2011, sur 120 recrutements de professeurs, on ne compte que 6 économistes appartenant à des courants minoritaires ».
Etouffer la contestation de l’intérieur
La section 5 du conseil national des universités (CNU), qui conditionne l’entrée et les promotions dans la carrière universitaire en économie, fait preuve d’une grande ouverture d’esprit… C’est pourquoi l’Afep mène la bataille de la défense du pluralisme. Puisque le débat d’idées n’est pas possible au sein de la section actuelle, les intégristes rejetant toute évolution, il a été demandé au ministère de tutelle de créer une autre section au sein de laquelle l’économie pourrait dialoguer sereinement avec les autres sciences sociales, ouvrant ainsi un nouvel espace intellectuel qui ne supprimerait aucun de ceux qui existent.
Après avoir acté cette création en décembre 2014, le ministère est revenu sur sa décision début janvier 2015. Dans l’intervalle, les représentants de l’ordre établi sont montés au créneau afin de tuer dans l’œuf toute remise en question du dogme. Jean Tirole, fort de ses nouveaux galons de « prix Nobel d’économie », a pris la plume afin de dire à la ministre tout le mal qu’il pensait de ce désir de pluralisme. Pour lui, la volonté de s’émanciper de l’orthodoxie « promeut le relativisme des connaissances, antichambre de l’obscurantisme ». Rien que ça…
On reconnaîtra ici aisément l’artifice consistant à accuser son adversaire de ses propres turpitudes. Le président de la section 5 du CNU, Alain Ayong Le Kama, n’est pas en reste. Pour lui, la revendication des hétérodoxes est « très idéologique ». La quasi-totalité des 20 doyens de facultés d’économie s’opposent aussi à ce projet, affirmant que « cette nouvelle section “ fourre-tout ” va essentiellement servir à caser les “ ratés ” ou “ frustrés ” du système universitaire ».
L’intégrisme n’a jamais brillé par sa tolérance. Mais pourquoi les orthodoxes veulent-ils conserver avec eux cette bande d’économistes ratés ? La raison est simple : il faut contrôler toute contestation et il est plus facile de l’étouffer de l’intérieur.
Grèce : étouffer toute stratégie autre en Europe
Le pouvoir d’envoûtement de l’intégrisme économique est puissant puisque la très grande majorité de la classe politique européenne est sous sa coupe comme nous le montre aujourd’hui le traitement de la « question » grecque. Que demande aujourd’hui la Grèce d’Alexis Tsipras ? Que l’on desserre l’étreinte qui étrangle sa population depuis plus de cinq ans et mène à la catastrophe. En effet, le PIB de la Grèce a baissé de 25% depuis 2008 tandis que les salaires et les pensions ont diminué de 40%, tout comme les dépenses de santé et d’éducation. Le taux de chômage dépasse les 25%. La dette, que les politiques imposées par la Troïka (Commission européenne, BCE et FMI) étaient supposées réduire, est passée de 110% du PIB en 2008 à… 175% aujourd’hui.
L’hostilité affichée par les « partenaires » européens à l’égard des propositions du gouvernement grec qui n’ont, de l’aveu de beaucoup, rien de révolutionnaire, est symptomatique de cet intégrisme économique qui cherche à étouffer l’ébauche de toute autre stratégie au sein de l’Union européenne.
La Commission européenne a cherché par exemple à stopper le projet de loi sur « l’urgence humanitaire » promis par Syriza. Tandis que près d’un quart de la population grecque vit sous le seuil de pauvreté, le but était « d’apporter une assistance d’urgence à ceux qui en avaient le plus besoin. (…) Le projet de loi prévoyait d’accorder une allocation logement de 70 à 220 euros à 30.000 personnes (…). Il envisageait une aide alimentaire pour 300 000 personnes et le rétablissement, jusqu’à la fin de l’année, de l’électricité pour les ménages qui se l’étaient vu couper faute de moyen pour payer les factures. Rien de plus. Le coût de cette action était estimé à 200 millions d’euros. Autrement dit, une somme négligeable sur le plan budgétaire. »
Terrorisme intellectuel
Cette stratégie vise à démolir le nouvel exécutif grec ou à le faire rentrer dans le rang afin qu’aucun autre pays en difficulté n’ait à l’avenir l’idée de remettre en question le dogme néo-libéral. Elle est servie par un discours bien rôdé faisant de l’égoïsme et de l’enrichissement personnel les valeurs cardinales de nos sociétés dites modernes tandis que la lutte de chacun contre tous est supposée conduire au bonheur généralisé. Ainsi, ce terrorisme intellectuel a gangréné nos esprits et nous conduit aujourd’hui à accepter l’idée que le pauvre, le chômeur ou l’exclu sont les uniques responsables de leur sort, justifiant ainsi de les laisser se débrouiller aux marges de la société.
Comme l’intégrisme religieux, l’intégrisme économique promeut des valeurs rétrogrades et nous invite à souffrir aujourd’hui afin d’atteindre un bonheur illusoire sans cesse différé. Le combattre est un devoir.