Mory Kanté : Retour aux sources du griot electrique

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Mory Kanté " La paix est le fruit d'un comportement ". Photo DR

Entretien. Invité des Internationales de la guitare le 9 octobre, Mory Kanté évoque son engagement artistique.

Entre Nina Hagen et Joan Baez comment voyez-vous votre place au sein du festival ?

Je suis très heureux de venir à Montpellier. Je participe au festival en tant qu’artiste africain avec beaucoup de joie. J’ai adopté la guitare après le balafon. C’est un instrument très compatible avec ma musique.

Combien serez-vous sur scène ?

Nous serons dix pour un concert de musique traditionnelle avec un balafoniste, deux choristes des solistes au djambé, un batteur, un joueur de cora et beaucoup de percutions…

Ce concert de musique traditionnelle s’inspire de votre album  » Sabou  » pourquoi ce retour aux sources ?

La musique traditionnelle est l’identité même de ma musique, je pense que cela participe d’une recherche d’authenticité. Je suis préoccupé par la disparition progressive des instruments traditionnels de plus en plus remplacés par les claviers. Je dispose d’une connaissance approfondie de ces instruments qui produisent par nature des sons discontinus. Dans l’album Sabou nous avons travaillé sur les sonorités en ajoutant des nappes sonores pour prolonger la continuité tout en préservant pleinement l’environnement artistique et culturel.

Vous avez créé à Conakry* un institut culturel. Quel en est l’objectif ?

Le complexe vient d’être terminé. Il sera inauguré en novembre. On y enseignera la pratique des instruments traditionnels comme leur conception. Ce lieu sera aussi consacré à la conservation de l’histoire orale. La tradition est tenue par les vieux griots. Nous allons archiver leur savoir ancestral et le rendre disponible au peuple et aux pays étrangers. L’institut culturel dispose aussi d’un studio d’enregistrement professionnel qui accueillera des musiciens du monde entier.

Etiez-vous à Conacry lorsque les hommes de Camara ont ouvert le feu sur la population le 28 septembre dernier ?

En tant que musicien, je ne souhaite pas m’exprimer sur les événements politiques.

Vous avez reçu les enseignements des griots ** quel est leur rôle ?

Le griot sert à réunir les gens. Il rassemble et évoque des questions en rapport avec la moralité et la paix. On n’obtient pas la paix en imposant un cessez-le-feu temporaire. La paix est le fruit d’un comportement. Il en est de même pour la question du développement.

Vous êtes aussi ambassadeur de la FAO***

La question de la faim dans le monde donne lieu à beaucoup de planifications mais leur mise en œuvre se heurte à des problèmes liés à la démocratie. Le monde sous-développé est géré par le monde développé. Aujourd’hui, le coût du sous-développement est plus élevé que celui qui serait utile au développement.

Où en est la conscience du peuple africain ?

Personne n’aime se trouver dans l’anarchie. L’Afrique a le droit de se développer. Il est nécessaire qu’elle soit respectée et que l’on cesse de vendre des armes pour que le peuple s’entretue. Le sous-sol de l’Afrique est riche et les Africains sont pauvres…

recueilli par Jean-Marie Dinh

* Conacry capitale de la République de Guinée
** Les Griots occupent une place de chef spirituel
*** FAO organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture

Voir aussi : Rubrique Musique, Ethiopie Mahmoud Ahmed rubrique Festival, La secousse Belili rubrique, Rencontre, Mory Kanté, Seun Kuti, rubrique Afrique, Françafrique

Optimisme et bonheur musical à l’honneur

La sincérité et l'inspiration de Waltraud Meier dans les leader de Strauss. Photo DR

Bien servi par l’Orchestre philharmonique de Radio France sous la baguette de Eliahu Inbal, le programme de la soirée du 25 présentait une évidente cohérence. La concordance d’époque des œuvres présentées se mêlant à la diversité artistique des compositeurs au programme : Antonin Dvorak, Richard Strauss, Alexander von Zemlinsky. Ouverture plutôt joyeuse avec le Carnaval d’Antonin Dvorak. Bien que créée dans sa ville natale (en 1892 à Prague), l’œuvre semble colporter les fruits de son goût pour le voyage. Les effets harmoniques enrichis de rythmiques syncopées témoignent de la tentation cosmopolite du compositeur tchèque et de cette tendance à s’émanciper, avec l’impétuosité qui convient, du modèle européen.

Pas simple pour une diva wagnérienne telle que Waltraud Meier de demeurer humble et discrète comme elle a su le faire dans l’interprétation des quatre derniers leader de Richard Strauss. Composés en 1948, un an avant sa mort, Printemps, Septembre, L’heure du sommeil, et Soleil couchant, figurent par leur élégance et la noblesse de leur forme, au rang des chefs d’œuvre de la musique orchestrale.

L’œuvre de Richard Strauss émerge dans une période particulièrement tragique de l’histoire universelle (1864/1949). Par la maîtrise du coloris orchestral, le compositeur parvient avec ces leader, au juste équilibre qu’il n’eut de cesse de chercher entre le romantisme et l’idéal classique. Sans éclat, la voix limpide de la mezzo-soprano donne à découvrir la profonde unité sonore qui se joue avec l’orchestre. La sincérité et l’inspiration de Waltraud Meier nous offrant, dans le second leader, quelques instants d’éternité.

La seconde symphonie de Alexander von Zemlinsky (1871/1942) jouée pour la première fois en France devait conclure cette soirée. Autrichien d’origine polonaise Zemlinsky, conjugue les influences de Strauss et de Mahler. Après avoir dirigé l’opéra de Prague, il fuit L’Anschluss pour les Etats-Unis où il mourra méconnu. Œuvre de jeunesse, la partition de sa symphonie n° 2, présente une belle intensité expressive qui trouve toute sa consistance dans le quatrième mouvement. Tout en restant un post-romantique, Zemlinsky assouplit les contraintes de l’harmonie, travail que radicalisera son élève Schönberg. L’Orchestre philharmonique de Radio France ne donne pas dans la puissance mais brosse un panorama fidèle et sensible des œuvres programmées.



 » Les gens cherchent un médicament pour l’âme « 

René Koering : " En Région, les décideurs pensent souvent que c'est plus important d'avoir un kilomètre d'autoroute que d'avoir un orchestre ".

René Koering, compositeur, surintendant de la musique à Montpellier et directeur du festival de Radio France depuis 25 ans est aussi un homme loufoque, exigeant et sensible.

Quels ont été les grands moments et ceux plus inattendus de cette édition ?

 » La surprise vient du concert de la place de l’Europe où il y a eu beaucoup de monde. J’ai trouvé très sympa que les gens viennent avec leur bouteille de rouge leur marijuana, et se roulent des joints. Le vrai public potentiel c’est celui là. Ce sont des gens qui ne s’embarrassent pas de canons sociaux. Moi cela m’a fait plaisir de faire ce programme de tubes parce que je passe mon temps à faire ou à produire des œuvres que personne ne connaît. Ce n’est pas un hasard que ces œuvres soient tellement plébiscitées même si elles sont considérées comme des scies musicales. J’ai beaucoup apprécié le duo Boris Berezovsky et Brigitte Engerer qui ont fait un concert extraordinaire. J’ai aussi aimé l’opéra de Bellini. Question fréquentation, on est à 142 000 personnes soit presque 10 000 spectateurs de plus.

La décentralisation régionale progresse mais semble difficile et lente ?

Il y a eu beaucoup de concerts en région. On est autour de 17 000 personnes. C’est bien. Mais la région il faut la démarrer à la manivelle ce qui est normal parce qu’il y a des choses qui se tiennent pour la première fois. L’année prochaine les gens seront plus en attente. C’est un énorme travail parce que beaucoup de gens pensent en région que la culture n’est pas nécessaire à la vie. Ils pensent que c’est plus important d’avoir un kilomètre d’autoroute que d’avoir un orchestre. Beethoven disait l’homme honnête va à pied.

Grâce à la gratuité, la crise ignore le festival ?

Nous avons proposé 180 manifestations gratuites. Les sources de financement font de ce festival un service public. Je ne vois donc aucune raison d’en faire une affaire. Quand les gens sont dans une situation moins confortable, je pense qu’ils sont moins enclins à chercher le bonheur que le divertissement. Dans l’état actuel de la France, les gens cherchent un médicament pour l’âme et pas juste pour les zygomatiques. Cela dit, j’adore l’humour. Si je ne ris pas dix fois par jour je suis malheureux.

Vous pleurez aussi de temps en temps ?

Je n’ai pas tendance à pleurer. Mais j’ai remarqué des choses extraordinaires. Par exemple, l’opéra Friederike que nous avons donné en clôture est une ânerie sentimentale à un point… Mais comme je suis très sentimental, chaque fois que la fin arrive, j’ai la gorge serrée. Je suis relativement facilement ému. Pleurer c’est d’autres douleurs. Je ne pleure pas par émotion, je pleure quand cela me prend vraiment dans mon âme. La mort d’un ami ça me tue. Sinon j’aime être dans une ambiance où l’on rit. C’est important. Le reste, l’autorité tout ça, c’est un peu grotesque. Parfois l’imbécillité de certains journalistes me fait beaucoup rire. Je me dis mais comment il arrive à être aussi con. En même temps, je comprends que c’est comme si j’écrivais un article sur l’exploitation des gaz carboniques dans la fabrication de je ne sais quoi. Les gens diraient il est complètement con, il ne connaît rien !

Que pensez-vous de la presse critique ?

Il y a 150 ans c’était des gens comme Berlioz, Schumann… qui écrivaient dans les journaux. Maintenant se sont des gens dont la culture musicale se constitue à partir du disque. Des gens qui se font une opinion sur la valeur marchande de ce que l’on leur amène. Pour pouvoir lire un texte il faut être musicien. Où alors il faut dire moi je pense que. Mais pas dire c’est comme ça. Sempé a fait un dessin que j’aime beaucoup. On voit une salle de spectacle. Il y a 500 personnes qui sont debout, qui crient qui applaudissent à tout rompre. Tout en blanc comme ça avec juste le détour au milieu, on voit un petit personnage tout noir qui fait la gueule et il y a marqué : le critique. (rire)

Après un quart de siècle de pilotage, quel regard portez-vous sur le festival?

Un quart de siècle ! ne dites pas ça… Pour moi rien n’a changé, le premier festival est le même que celui d’aujourd’hui. Je fais des programmations pour des gens qui aiment la musique, si possible, et qui ne connaissent pas ce que je fais. C’est drôle parce que certains disent : il faudrait que le programme de Koering évolue. Alors qu’ils ne leur viendrait pas à l’idée que le programme d’Orange qui fait Carmen, la Traviata, et Aïda depuis 150 ans, évolue. Comment voulez-vous que ma programmation évolue, je ne vois pas en quoi.

L’explorateur, explore…

Il y a un tel réservoir dans l’histoire de la musique que l’on est très loin d’avoir entendu ce qui est beau. La beauté ce n’est pas forcément les chefs d’œuvre. Evoluer ça ne veut rien dire, par contre, lorsque je fêterai le cinquantième anniversaire du festival, j’aurai fait peut-être 150 opéras inconnus. Actuellement j’en suis à 78.

Comment travaillez-vous en matière de recherche ?

Il faut chercher dans les bibliothèques, faire des copies. Il y a en a qui ne veulent pas les donner. Et avant cela, il faut les trouver. On téléphone à des tas de gens. C’est compliqué. Là, je suis sur une œuvre que je veux absolument faire, je n’ai que le piano chant, et je ne trouve pas l’œuvre elle-même. Sur mon piano, il y a actuellement une centaine d’œuvres en attente. Elles sont là, il faut que je les regarde. Je les classe : urgent, pas tout de suite et puis jamais. Mais même le jamais je le regarde. Sur ces cent-là, il y en a une quarantaine que je ferai.

A l’heure où les politiques culturelles posent questions, quel avenir pour le festival ?

Je ne vois pas un avenir autre que l’état politique actuel. Je ne préfère pas l’imaginer. Et de toute façon je n’en ferais pas partie. Je n’ai jamais calculé la longévité de quoi que ce soit sur un état politique. Quand j’ai créé le festival en 85 avec Georges Frêche, en 86, j’ai lu dans le journal que c’était la dernière édition. On a vu le résultat. Le reste ce sont des bavardages de gens qui sont impatients de prendre le pouvoir, d’être des patrons et de pouvoir rater ce que d’autres ont réussi.

Votre succession à la tête de l’orchestre et de l’opéra a été confiée à Jean-Paul Scarpitta

J’ai proposé aux responsables politiques Jean-Paul Scarpitta qui est une personne que j’aime beaucoup, et qui bénéficie, grâce à son talent de metteur en scène, d’une vraie reconnaissance du public de l’opéra. Cela a été accepté. Je garde le festival mais j’avais envie d’arrêter cela me permettra de m’atteler à d’autres propositions. Je reste en tant que conseiller musical pour faciliter la passation. J’entends profiter un peu des 80 ans qui me restent à vivre « .

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique FestivalFestival de Radio France, rubrique Musique Le bilan du surintendantRené Koering, rubrique Politique culturelle, rubrique Politique locale, rubrique Rencontre, Aldo Ciccolini,


 

 

Festival de Radio France : La 25e édition amorce une transition régionale

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 » C’est le dernier Festival de Radio France et de Montpellier… l’année prochaine, si je suis reconduit président, ce sera le premier Festival Régional de Radio France.  » A moins d’un an du scrutin régional, Georges Frêche ne pouvait manquer de placer la culture sur le terrain de campagne où il s’apprête à jouer la mère des batailles. C’est ce qu’il a fait, lundi lors de la présentation du Festival en s’appuyant sur la profonde complicité de René Koering.

Après avoir pointé un déficit d’infrastructure musicale adaptée à la musique sur le territoire régional, le président annonce :  » Si je suis réélu, j’aiderai à faire cinq ou six salles de 500 à 1 000 places avec une qualité acoustique digne de ce nom.  A Perpignan, Nîmes Carcassonne, Alès et pourquoi pas Béziers et Sète. S’adressant au maire UMP de Sète François Commeinhes, présent dans la salle, il propose :  » Je suis prêt à vous en prendre 50%.  » Qui dit mieux ?

L’excitation s’émousse

La présentation publique du festival qui réaffirme cette année sa vocation régionale, manque singulièrement de renouveau. Dans le milieu politico-artistique régional, comme ailleurs, on ne s’étonne plus guère des jeux de surenchères surréalistes qui se succèdent à la tribune. On opte généralement pour l’attitude confortable du détachement qui consiste à faire le dos rond en attendant que cela passe. Mais on ignore ainsi les conséquences sur le long terme. L’excitation qui fait la vie des grands festivals s’émousse. Si l’on s’accorde à penser que la culture n’est pas une marchandise comme les autres, on ne peut oublier qu’un projet artistique est toujours porté par le désir. Reste le contenu et la réussite incontestable d’une aventure culturelle qui passe sans célébrations tapageuses son quart de siècle. De ce point de vue, le bilan plaide si bien pour l’entité bicéphale Frêche Koering que l’on peine à imaginer une continuité dans un autre casting. Ceci explique peut-être cela.

La qualité demeure

Le choix de l’exigence et de l’ouverture qui fonde la réussite du Festival de Montpellier seront au rendez-vous de cette 25e édition. A commencer par trois opéras qui devraient réjouir les amateurs d’art lyrique. Zaira, un inédit de Bellini (version concert), Ezio, de Haendel avec une distribution d’exception rassemblant la soprano Verónica Cangemi, Kristina Hammarstroem, le contre-ténor Lawrence Zazzo, l’alto Sonia Prina, Antonio Abet et le ténor Vittorio Prado. Enfin Marie-Antoinette, par l’ensemble italien de musique baroque Europa Galante, mis en scène par Jean-Paul Scarpitta, évoquera les secrets d’une reine ( interprété par Sylvie Testud) et le rôle qu’elle joua en faveur de la musique.

Curiosités

Sous la baguette d’Emrico Delamboye, la soirée du 19 juillet figure au rang des curiosités attractives avec deux créations.  Trois discours politiques pour baryton, chœur d’hommes et orchestre , une œuvre de 1944 où le compositeur allemand Manfred Gurlitt célèbre à sa façon la révolution française à partir des discours de Saint-Just, Danton et Robespierre avec le concours de Fanny Ardant et de Gérard Depardieu. La deuxième partie de la soirée verra la renaissance de La Haine, une œuvre profondément dramatique d’Offenbach, qui dormait dans un tiroir depuis plus d’un siècle.

Le piano sera comme chaque année à l’honneur avec le retour des sœurs Labèque, la fidélité d’Aldo Ciccolini et la virtuosité d’Evgeny Kissin qui interprétera des œuvres de Mendelssohn et Tchaikovski dans des partitions pour trio, piano, violon et violoncelle. A noter enfin, la création Parole perdue d’après un livret de Jean Vermeil, mis en scène par Jean-Claude Fall avec le concours du dispositif électroacoustique GRM de l’INA, de la comédienne Emmanuelle Laborit et de la voix posthume de Guillaume Depardieu.

Jean-Marie Dinh

 

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Une enquête sur les musicos anonymes

Au bistrot des ethnologues, Marc Perrenoud a présenté son étude sur les musiciens ordinaires.

Le succès du musicos n'est pas lié au talent ou à la virtuosité instrumentale

Le succès du musicos n'est pas lié au talent ou à la virtuosité instrumentale

Marc Perrenoud est un éthno-musicien qui réside dans le Sud-Ouest. C’est dans sa seconde peau, celle de chercheur en sciences sociales, que le contrebassiste était à Montpellier jeudi dernier où il a présenté son livre : une enquête sur les musiciens ordinaires. L’intérêt de ce travail, bourdieusien dans son approche du rapport de forces entre groupes sociaux, tient au terrain d’observation.

Après avoir résolu le problème de relation avec son objet : « Etant musicien, j’ai démystifié mes croyances artistiques pour analyser ce qu’il se passait dans ce milieu », Perrenoud est parti de la base, les instrumentistes ordinaires qui se produisent dans les bars, les festivals, les bals et les salons de l’auto. Au total, plusieurs dizaines de milliers de musiciens qui naviguent entre intermittence, RMI et travail au noir. L’étude concerne plusieurs générations, et met en évidence une faible représentation féminine. « Ce déséquilibre est sans doute lié au fait que c’est une profession qui se pratique plutôt de nuit dans des endroits peu fréquentables… S’ajoute le fait que la figure sociale que l’on attribue aux musicos reste déviante. Les représentations que l’on a du milieu sont aussi assez virilistes, la presse spécialisée fait appel comme dans l’informatique ou dans le sport à l’esprit de compétition. »

Le chercheur décrypte la carrière des musiciens ordinaires à travers une démarche inédite fort intéressante. Car si les données ne manquent pas pour évaluer l’orientation des instrumentistes d’orchestre, les musiciens qui se trouvent au pied de la pyramide n’apparaissent que de manière marginale dans les statistiques. Etre musiciens, qu’est ce que cela signifie ? « C’est ne faire que cela, arriver à vivre de la musique, explique Marc Perrenoud, en donnant des concerts, en faisant des animations musicales et en assurant des cours. »

Tiraillement professionnel

Le livre se découpe en six parties présentant les différentes facettes et activités qui constituent le métier de musicos. Il éclaire sur les orientations diverses que les musicos peuvent donner à leur carrière. « Au début il y a un statut d’auteur à créer. On est prêt à jouer n’importe où. Ce qui importe c’est de jouer le plus possible. Il faut dix ans pour stabiliser sa carrière. Et la plus grande difficulté vient à la fin, quand il faut pérenniser l’activité dans le temps. Entre les deux le musicien est tiraillé entre différentes identités du travail. »

Le chercheur relève la nécessité de faire progresser sa carrière individuelle et les tensions que cela peut produire au sein du groupe. « Il est très rare qu’un seul groupe fasse vivre ses membres. Ce doit être le cas d’une dizaine de groupes en France. Quand les musiciens maîtrisent leur instrument, ils ont recours à des appareillements ponctuels. On retrouve le cas classique des musiciens qui se réunissent pour interpréter des standards de jazz. »

En suivant la carrière des musicos, Perrenoud dessine le clivage entre les professions artistiques et artisanales. L’enquête sur le terrain s’attache à un groupe social largement méconnu et chamboule ce qui fait sens dans la représentation des musiciens. La réussite professionnelle ne tient pas aux genres musicaux. Le succès du musicos n’est pas lié au talent ou à la virtuosité instrumentale mais à ses compétences transversales qui l’amènent à commercer avec les acteurs professionnels. Ce qui légitime les inégalités. « Avant quand on avait des problèmes professionnels on allait voir son syndicat. Aujourd’hui on se lance dans le développement personnel ou on prend un coach. »

Jean-Marie Dinh

livre-musicosMarc Perrenoud : Les Musicos. Enquête sur les musiciens ordinaires, éd de La Découverte.