L’expression codifiée du Nô s’ouvre à l’opéra

no-rostainA l’instar des journées européennes de l’opéra qui avaient cette année pour thème le dialogue interculturel, le compositeur Susumu Yoshida inscrit la pièce Sumidagawa (la rivière Sumida )* sous les hospices d’un rapprochement des cultures en respectant leur diversités. Inspiré d’un Nô traditionnel du XVe siècle, « Sumidagawa » évoque l’histoire d’une femme partie à la recherche de son enfant disparu. Sa quête s’achève devant la rivière Sumida où elle rencontre le passeur qui lui apprendra la mort de son enfant, tout en l’aidant à surmonter sa douleur par la prière.

En soi universel, le thème a déjà inspiré Britten. Mais à la différence de « Curlew river », où le compositeur britannique propose une adaptation christianisée de l’œuvre de Kanse, Yoshida s’associe au metteur en scène Michel Rostain dont le parcours artistique appelait cette collaboration.

Le résultat aboutit à un opéra contemporain surprenant et vibrant. Très ancré dans leur rôle, la soprano Karen Wierzba et le baryton Armando Noguera interprètent avec une présence saisissante les deux personnages. Passée la surprise de la langue japonaise, interprétée à l’occidentale cette histoire nous transportent. Le quatuor de percussionnistes Rhizome donne de la résonance à une composition dont les timbres et les nuances ouvrent les portes d’un monde intemporel.

Le travail de mise en scène s’avérait plus délicat dans la mesure où le Nô traditionnel s’appuie sur le texte et la partition musicale pour éluder la structure et partiellement les actions. En choisissant de reprendre la partition deux fois Michel Rostain joue un peu (trop ?) la carte pédagogique. Dans la première version sur-titrée, les personnages s’effacent tout en libérant une intense tension dramatique. A laquelle s’ajoute l’esthétique du décor en mouvement. Au déroulement de « l’emaki », rouleau de papier où défilent les scènes succède le cadre fixe de la seconde partie. Version, plus matérialiste, où la psychologie prend le pas sur la poésie. Si la juxtaposition offre l’avantage de la comparaison on aurait espéré que cette confrontation ouvre un nouveau champ. Mais au XIVème siècle, le maître du Nô, Zeami, insistait déjà sur l’importance de la concordance entre l’auteur et son époque.

Jean-Marie Dinh

Spectacle donné à l’Opéra Comédie dans le cadre la programmation du théâtre des Treize vents

Entretien avec Susumu Yoshida et Michel Rostain

A la recherche d’une connexion

Les deux hommes étaient faits pour se rencontrer. Le compositeur contemporain Susumu Yoshida a suivi la classe de composition d’Olivier Messiaen. Il en est sorti avec le premier prix et une suggestion. « Messiaen était fasciné par le Nô. Je pense qu’il espérait inconsciemment une synthèse entre le Nô et l’opéra. Il m’avait conseillé de monter un Nô moderne. Une idée à laquelle je n’avais pas donné suite et que j’ai finalement mise en œuvre un quart de siècle plus tard. » Michel Rostain ex-directeur de la scène nationale de Quimper qu’il a vitalisée à travers ses choix artistiques, fut à ses débuts, l’assistant de Peter Brook dont il se sent proche de la démarche.

« Avec Sumidagawa la rivière de sumida nous n’avons pas cherché à faire un Nô. Nous sommes en dialogue avec le Nô ? à la recherche d’une connexion. Mais cela reste avant tout une rencontre vivante, pas une reconstitution poussiéreuse ». La création du spectacle a eu lieu à Quimper. Face au problème de la langue, mais aussi de la dramaturgie, pour le metteur en scène, la perception du public est au centre du questionnement. « Pour faire entrer le spectateur nous avons introduit la traduction dans le décor. A partir d’un parchemin traditionnel qui raconte l’histoire. Puis, dans la seconde partie nous redonnons la partition sans la traduction sans que cela pose de problème de compréhension », explique Michel Rostain.

« Je n’écris pas pour le spectateur ou l’auditeur, confie Susumu Yoshida, Je compose pour faire sortir quelque chose de moi. En même temps, comme le dit le samouraï, j’essaye toujours d’avoir deux sabres. Pour ne pas être autiste, je m’efforce aussi d’avoir les yeux et les oreilles du spectateur. C’est une exigence qui m’accompagne dans mon travail d’écriture. »

Le choix de la distribution s’est opéré avec le concours de l’opéra de Rennes. « Karen Wierzba et Armando Noguera ont tout de suite manifesté beaucoup d’enthousiasme lorsque je leur ai présenté le projet, indique le metteur en scène, Ils entrent vraiment dans leur personnage. Pour l’interprétation, je leur ai demandé d’oublier tout ce que l’on apprend dans les maisons d’opéra, tous les tiques lyriques qui appuient les actions. Et je trouve qu’ils s’en sortent très bien. »

Susumu Yoshilda partage à sa manière avec Messiaen la place et l’influence du spirituel dans ses compositions. « Je crois profondément en ce qui nous dépasse. Dans tout mon parcours de compositeur, j’ai cherché la dimension spirituelle. » « Pour moi le religieux n’a pas à voir avec le sacré, précise Michel Rostain, Je me sens beaucoup plus proche de l’œuvre de Yoshida que de celle de Britten. Cette idée de l’enfant livré à un éternel paradis m’ai étrangère. »

Recueilli par JMDH


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L’arrogance feutrée

suzanne-vega-covers1Suzan Vega fêtera bientôt 25 ans de carrière avec neuf albums à son actif dont le dernier, Beauty & Crim (2007) inspiré de New York, renoue avec la poétique urbaine qui a fait son succès. A Montpellier, elle a démontré qu’elle n’a rien perdu de sa verve et qu’elle figure toujours parmi les grandes chanteuses américaines du moment. Outre son univers musical et littéraire qui lui confère une chaleur imaginative singulière, on pourrait résumer l’œuvre de Suzan Vega à ce qu’elle affirme avant tout, c’est-à-dire sa liberté.

Une heure trente sur scène a suffi pour convaincre le public de l’authenticité de la démarche et laisser trace dans quelques mémoires. Le rapport au réel, la détermination, l’intime et l’humour sont autant d’éléments qui concourent à l’alchimie envoûtante de Vega. Le répertoire interprété se composait de nouvelles chansons extraites de Beauty & Crim et de titres de la toute première heure. Sur scène, l’artiste s’appuie sur sa générosité et la complicité de son guitariste, Gerry Léonard. Les textes de Vega s’ouvrent sur des histoires. On y parle d’une rencontre ultime entre une reine et un soldat, ou d’un enfant maltraité. L’expression est toujours intuitive. « New York est une femme, elle te fera pleurer et pour elle tu n’es qu’un gars de plus» Une question pour conclure : Do you love me ? Yes we do Madame…


Une éthiopique et fauve soirée

Mahmoud Ahmed

L’enivrant et lumineux festival Fiest’A Sète donne un sens au concept un peu fourre-tout de la world music. Colorée, variée et exigeante, la programmation concoctée par José Bel renoue avec les racines culturelles les plus profondes pour offrir des perles rares plus ou moins connues. Il faut saluer le travail primordial de passeur pour sa qualité autant qu’il faut rappeler que ce sont les artistes, par leur ouverture d’esprit, qui nourrissent cette aventure depuis maintenant 12 ans.

Sous les auspices de Francis Falceto, le directeur de la collections CD éthiopiques chez Buda Music, la soirée de mardi consacrée à l’Éthiopie entre directement dans les annales du festival avec un plateau unique associant deux monstres emblématiques de la musique, Alèmayèhu Eshèté et Mahmoud Ahmed venus spécialement d’Ethiopie. Quatre heures durant, on a vu Le Théâtre de la mer subjugué par une prestation bienveillante et enflammée des deux chanteurs magistralement accompagnés par l’orchestre breton Badume’s Band.

En grand spécialiste de la musique éthiopienne, le musicographe Francis Falceto, qui a remonté toutes les filières pour en rencontrer les témoins vivants, ne cache pas sa satisfaction.  » Ce concert est un des plus beaux qui s’est fait. C’est drôle parce que je n’ai jamais anticipé sur ce phénomène. Passionnés par l’Ethiopie, les musiciens des Badume’s Band m’ont contacté un jour. Ils voulaient inviter Mahmoud Ahmed en Bretagne. Celui-ci a accepté, et après avoir répété trois heures, m’a demandé : pourquoi on ne jouerait pas avec eux ? «  Depuis les liens se sont renforcés.  » J’ai invité Badume’s Band à L’Ethiopian Music Festival que je programme depuis 7 ans à Addis Abeba. Je n’étais pas sûr de mon coup. Mais au bout de quelques morceaux, comme à Sète, ils avaient le public avec eux. C’est l’antithèse des musiciens de studio. Ils aiment vraiment ce qu’ils font. C’est un honneur pour eux de partager la scène avec les vétérans de l’âge d’or de l’ethio-groove « .

On a découvert à Sète un chaînon manquant de la musique africaine d’une grande singularité.  » Du fait que l’Ethiopie n’ait jamais été colonisée, à l’exception d’une courte période par Mussolini, le pays a vécu en autarcie sans métropole pour faire haut-parleur. C’est une fierté qui participe, au même titre que le nationalisme, à l’identité éthiopienne. On doit la prendre d’un bloc « , indique Francis Falceto. Le public qui a goûté à la musique traditionnelle fortement teintée de soul de Alèmayèhu et aux subtilités de la voix de Mahmoud Ahmed, n’est pas prêt d’oublier la culture musicale éthiopienne.

Jean-Marie Dinh

La collection compte 20 CD à découvrir également les productions de ethioSonic

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Comelade le bien vivant

« Quand j’ai fini. Je dis merci et je m’en vais »

Trente ans de musique, une quinzaine d »albums et autant de collaborations ayant donné lieu à des productions diverses, pour la danse, les arts plastiques, le cinéma… Pascal Comelade poursuit son chemin, sauvage, sensible et singulier. Il est le père d »une œuvre instrumentale avant-gardiste et populaire. Œuvre faite d »impulsions essentielles, fruit de tentatives perpétuelles. On ne fixe pas sa musique dans les registres du commerce. Et pourtant elle traverse les âges et les tendances. Comelade résiste à l »hégémonie de la technique comme le son de ses jouets musicaux. As de la virtuosité répétitive et minimaliste, il distille de la bricole poétique nourrie au sein d »un rock primitif bercé par des senteurs d »enfance. Quoi de neuf chez cet artiste rompu à l »art de la fugue ? Le musicien catalan ne revendique rien et surtout pas l »idée de carrière.  » Tout ça c »est une grande farce. La musique c »est un travail parallèle à ma vie, voilà.  » On pourrait s »arrêter là. Mais on tente d »en savoir plus dans les coulisses du World Wilde Festival à Sète.  » Franchement ce n »est pas casino online pokies une chose normale de monter sur scène. Quand j »ai fini, je dis merci et je m »en vais.  » Il n »y a plus d »amertume dans le regard distancié que l »artiste porte sur le milieu du spectacle. «  Je vis dans un luxe crapuleux. J »ai 52 ans je fais de la musique depuis 30 ans, et je ne vis pas dans la rue tu t »imagines ? « 

Comelade joue pour le plaisir et ça s »entend. Plus de 90% de ses disques sont des compositions personnelles. Pour la scène, il s »entoure de musiciens, dont certains sont des amis de longue date. A Sète on a vu Didier Banon, l »ex batteur d »OTH et Sami le crabe des Vierges.  » Dans mon cas, il n »y a pas de groupe idéal. Le groupe est le fruit de rencontres hasardeuses. Je change la formation environ tous les trois ans. On ne répète pas, on ne se parle pas mais on fait un truc collectif. Les musiciens sont libres mais ce n »est quand même pas une démocratie, s »empresse-t-il de préciser. D »ailleurs on m »interpelle souvent : il ne sourit pas, il ne parle pas… Je fous mes tripes sur scène et ça ne suffit pas ! Mon rapport à la scène s »est un peu amélioré. Avant je mettais un casque intégral avec des rétros. Parce que quand t »es pianiste il y a toujours quelqu »un qui peut te tirer dans le dos. «  La théorie, l »inspiration ne l »intéressent plus. Sa démarche artistique est similaire à celle des peintres.  » Je ne suis pas comme ceux qui font des musiques de film que personne ne connaît. Je suis un peu le cul entre deux chaises, parce que je fais une quinzaine de concerts par an. Dès que tu montes sur scène on te demande ton avis. Moi j »ai mes idées au même titre que le charcutier ou le garagiste, je ne vois pas avec quelle légitimité je te parlerais de politique ou d »écologie… « 

Comelade passe les deux tiers de son temps à Barcelone.  » La France reste très centralisée. J »avais pas donné de mes nouvelles depuis trois ans, à Paris ils croyaient que j »étais mort.  » Ils se trompaient.

Nouvel Album : Mètode de Rocanrol chez Because music 
 

 

 

Rencontre avec Seun Kuti : Libre petit prince de l’Afrobeat

Seun Kuti

Seun Kuti  a enflammé le Théâtre de la mer, jeudi, en clôture  du  festival Fiestas Sète. Le cadet de la famille a repris le flambeau musical et politique lancé par son père : Rencontre…


Comment assumez-vous l’héritage de votre père Fela ?

Je vis avec ça. Je respecte cet héritage. Je mets  en considération ce qu’il m’a transmis dans tout ce que je fais.

A travers votre engagement, musical et politique, percevez-vous des changements au Nigeria ?

L’implication politique fait la force de ma musique. J’ai grandi dans la Républic Kalakuta, une communauté de 300 personnes que mon père a fondée en défiant les militaires. Toute ma famille milite, ma grand-mère a fondé un parti pour changer les choses. Il est important de comprendre qu’en Afrique nous avons des idées mais pas de chef. Les gens qui gouvernent ne règlent pas les choses. Ceux qui règlent les choses ce sont leurs supports occidentaux. Il n’y a pas de changement, juste une évolution de la situation qui au fond reste la même.

On connaît la fin tragique de votre grand-mère défenestrée par les militaires, est-ce toujours dangereux d’afficher ses opinions ?

Le gouvernement de façade n’a pas mis fin aux turbulences. Ils n’ont pas enlevé leurs treillis militaires, ils les ont seulement camouflés en enfilant un boubou. C’est la même chose pour la violence, aujourd’hui, on nous attaque toujours, mais pas physiquement.

L’affaire des caricatures de Mahomet a fait plus de 100 morts au Nigeria, quel regard portez-vous sur les conflits inter religieux ?

Je crois que la religion est ce qui sépare le monde en Afrique et spécialement dans mon pays. Au lieu d’éclairer les esprits, les idées religieuses exacerbent les conflits. Je considère que nous vivons dans un monde libre où les gens peuvent user de leur liberté d’expression.

Où s’arrête cette liberté ?

Chacun peut faire ce qu’il veut chez lui. Le respect c’est aussi cela. Il s’arrête à partir du moment où l’on utilise les ressources des autres. Si les extrémistes respectaient Mahomed ils se concentreraient sur leur conduite dans la vie plutôt que de tuer des gens.
Alors que le Nigeria figure au troisième rang des pays touchés par la pandémie du Sida, le fond mondial a suspendu son aide pour les mauvais résultats obtenus … Les leaders occidentaux savent bien ce qu’ils font. Pourquoi donnent-ils cet argent aux hommes politiques corrompus au lieu d’ouvrir directement des centres de soin ?

Contourner le gouvernement pourrait passer pour de l’ingérence…

L’ingérence est déjà là quand il s’agit d’exploiter les ressources. Pour le Kosovo, la communauté internationale a débloqué 600$ par enfant, pour les Africains elle n’accorde que 10$… La colonisation continue sous cette forme.

Fela dans la Kalakuta républic

Fela dans la républic Kalakuta

Le Nigeria voit depuis peu  l’arrivée d’investisseurs chinois. Leurs pratiques diffèrent-elles des américains ?

Les gens riches veulent continuer à être riches, leur nationalité ne change rien. Pourquoi les Chinois investissent ici alors que leur peuple à tant de besoins ? Pourquoi l’argent d’Afrique se retrouve-t-il sur des comptes en Suisse ? On apprend l’existence de ces comptes quand leurs propriétaires meurent. Nous voulons connaître les noms des leaders africains qui pillent l’Afrique quand ils sont vivants. Nous voulons savoir où est l’argent ! L’Afrique va mal, elle doit s’occuper d’elle-même. La réponse aux besoins des africains se trouve en Afrique. »

Recueilli par Jean-Marie Dinh

 

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