Amin Maalouf : L’occident est peu fidèle à ses propres valeurs

amin-maaloufRencontre avec l’écrivain Amin Maalouf qui signe un ouvrage à large spectre sur notre époque tumultueuse.

Les urgences auxquelles nous devons faire face en ce début de XXIe siècle sont à l’origine du dernier essai de l’écrivain libanais Amin Maalouf Le dérèglement du monde qui s’appuie sur une double connaissance, de l’Occident et du monde arabe, pour appeler à une action lucide et partagée.

« A vous lire, on mesure à quel point la crise identitaire est générale et à quel point elle se trouve au centre des dysfonctionnements du monde

Les gens ont un peu peur de la notion d’identité culturelle. Ils manient cela avec beaucoup de réticences. Je pense au contraire que ne pas parler de la question de l’identité, c’est laisser se développer toute sorte de démons alors que quand on en parle, on peut arriver à définir les choses clairement. Le débat est utile. On doit parler de l’identité française, on doit parler de l’identité européenne et les choses ne sont pas simples. Elles ne sont pas comme elles apparaissent lorsque l’on se contente d’allusions.

Comment créer un sentiment d’appartenance commune notamment au sein de l’UE ?

De mon point de vue, l’identité européenne doit se construire. Il y a des choses qui existent. Toute personne qui adhère à l’Europe doit adhérer à un certain nombre de valeurs. Elle doit considérer comme sien tout un bagage culturel et en même temps elle doit savoir que cela n’est pas figé, qu’il y a des choses qui doivent être apportées. Et que ces apports peuvent venir de la planète entière. Parce que l’histoire ne s’est pas achevée. La culture n’est pas un paquet que l’on se passe de l’un à l’autre. C’est quelque chose de vivant.

Vous insistez sur la primauté de la culture. Sur quelles valeurs doit-elle se fonder ?

L’aspect culturel de la construction européenne doit être un élément essentiel. C’est comme cela que les gens vont adhérer. Parce que l’aspect culturel sous-tend la notion d’appartenance. Universalité des valeurs et diversités des expressions sont les deux faces d’une même monnaie, elles sont inséparables. Si l’on transige sur l’université des valeurs. Si on accepte qu’il y ait des droits de l’homme pour les Européens et d’autres droits pour les Africains, les musulmans ou d’autre, on perd sa route. Et si on considère que la diversité culturelle est une chose secondaire, que l’on peut accepter la marginalisation et la disparition de cultures millénaires, là aussi on fait fausse route. Il faut parler de ces questions et tracer une ligne claire.

A notre stade d’évolution il faut changer dites-vous ?

L’occident à besoin de modifier son comportement. Sans abandonner ses principes. Il doit se comporter dans le reste du monde en fonction de ces valeurs. Sans adopter deux poids et deux mesures en attaquant un dictateur et en se taisant avec un autre parce qu’il a des contrats. Les pays arabes doivent aussi faire leur propre examen de conscience pour sortir de leur puits historique.

Vous dites cela face à des urgences très concrètes ?

Absolument, nous avons besoin aujourd’hui de faire face ensemble à une crise majeure liée au réchauffement climatique, aux pandémies aux armes de destructions massives, à la coexistence des peuples et des cultures… Ce qui n’est possible que s’il existe une véritable confiance, une véritable solidarité parce que nous avons besoin d’agir ensemble pour gérer le monde autrement.

Avec quelle implication citoyenne ?

Il faut changer la manière que nous avons de satisfaire nos envies. Je pense qu’il faut passer d’un monde où nos besoins sont essentiellement satisfaits par une consommation matérielle à un monde où une partie très significative de ces satisfactions viennent de satisfactions immatérielles liées à l’épanouissement de la personne. C’est une question de survie : nous devons vraiment recentrer notre vision du monde ».

recueilli par Jean-Marie Dinh

Le dérèglement du monde, édition Grasset 18 euros.

Voir aussi : Entretien Edgar Morin , la forêt des écrivains combattants, Salah Stétié une restitution ,

« La crise implique de réinventer la démocratie »

Hier, Jorge Semprun  a captivé la salle Pasteur du Corum. PHOTO DAVID MAUGENDRE

Jorge Semprun grand témoin de la Comédie du livre 2009. Photo David Maugendre

Grandes Rencontres. Rescapé de Buchenwald, résistant, ministre de la Culture espagnole, écrivain, scénariste et académicien, Jorge Semprun est un grand témoin du XXe siècle.

Le contexte du roman éclaire une période assez méconnue, ici, de l’histoire espagnole qui concerne les oppositions monarchique et socialiste au Franquisme.

Après la persécution de l’opposition communiste écrasée, comme les anarchistes, par la répression postérieure à la guerre civile, il y a eu un vide assez long qui marque le revers de l’opposition. En 1956, elle trouve une nouvelle visibilité. Avec la jeune génération d’étudiants émerge une tendance qui est devenu importante. Certains membres sont encore actifs dans la politique aujourd’hui. Ce mouvement a refondé la social-démocratie en Espagne à travers un groupe qui s’appelait l’association Sasu, une association socialiste universitaire. C’était une première, parce qu’avant 1956 l’engagement socialiste était une activité d’exil basée à Toulouse, très figée dans ses positions liées à la guerre civile. 56 est le commencement d’un renouveau socialiste à l’origine de la social- démocratie en Espagne.

La contestation étudiante a pourtant été résorbée assez rapidement …

En tant que mouvement politique immédiat oui, mais cette contestation a produit des effets durables. Dans le sens où l’Espagne franquiste s’est habituée peu à peu à avoir une opposition avec des gens qui n’étaient pas forcément issus uniquement des vieux partis de la classe ouvrière de la guerre civile mais d’une nouvelle opposition qui pouvait être aussi bien inspirée par l’idée d’une monarchie parlementaire, que celle d’une république parlementaire. Bref une opposition libérale.
Une des grandes révélations de 56, c’est quand la presse a donné les noms des personnes arrêtées à ce moment-là, toutes issues de familles du régime. On s’est rendu compte alors que la contestation avait gagné le milieu des forces sociales du Franquisme.

Aujourd’hui estimez-vous que l’on en a fini avec l’histoire politique du Franquisme ?

Non, nous n’en avons pas fini dans la mesure où les répercussions de la longue domination franquiste ne sont pas seulement dictatoriales mais relèvent aussi d’une domination de la culture des mœurs, des habitudes. Aujourd’hui, à travers la question de la mémoire historique, on pose des problèmes qui sont liés au dépassement et à la compréhension du franquisme.
D’ailleurs le succès des livres espagnols qui portent sur la guerre civile ou sur les problèmes de la transition comme le livre de Javier Cercas Les soldats de Salamine ou encore le dernier livre qu’il a écrit sur la tentative de putsch du 23 février 1981 sont des ouvrages qui ont une énorme répercussion.

La transition vers la démocratie s’exprime par une effervescence artistique que l’on retrouve dans le cinéma et la littérature. Quel regard portez-vous sur cette période de la Movida ?

Un regard à la fois attendri et intéressé. Ce fut un moment d’éclatement dans tous les sens du terme, de liberté et d’exubérance qui arrivait après l’immobilisme. Il y a ce passage significatif : le parti unique franquiste s’appelait El Movimiento (le mouvement), et on est passé à la Movida. Les deux termes portent sur le mouvement, celui de Franco c’était l’immobilisme et la Movida exprimait une forme de renouveau, parfois caricatural, il ne faut pas se leurrer, mais qui a gagné par son esprit anarchique et libertaire toute la société espagnole. Aujourd’hui la jeunesse la plus extrême ne s’exprime plus de cette façon là. Mais la Movida reste un phénomène historique.

Aujourd’hui, on ressent une forme de désillusion qui s’exprime dans la sensibilité collective comme dans l’œuvre de certains écrivains…

Je crois que cela se produit dans tous les mouvements de ce type. On l’a vu en France avec les journaux de la résistance. A l’époque, l’entête du journal Combat était De la résistance à la révolution, et bien il n’y a pas eu de révolution. Donc on peut théoriser sur la désillusion qui exprime le retour au triste réel. Tous les grands mouvements qui signent la fin d’une époque dictatoriale de gauche ou de droite l’ont connue parce que la réalité ne correspond jamais aux rêves ou aux utopies de la lutte précédente. Mais l’Espagne a quand même réussi à créer la base d’une démocratie solide.

Vous qui êtes un partisan de la lucidité, comment regardez-vous la crise du système démocratique que nous traversons ?

C’est une crise de la démocratie représentative. C’est une crise des institutions, une crise des idées qui ne touche pas seulement l’Espagne mais l’ensemble de l’Europe. C’est un recul d’une conception de gauche active au sein de la démocratie. Cela touche profondément tout le système de représentation parlementaire à travers l’abstention massive, le manque d’utopie pour l’avenir et même d’utopie pratique. C’est vraiment une crise générale aggravée et multipliée par la crise économique. Nous sommes arrivés à un moment où il faut repenser, refonder, certains disent, réinventer la démocratie.

Le rescapé des totalitarismes nazi et stalinien que vous êtes y voit-il un danger ?

Dans les années 30, face à l’extension du totalitarisme nazi ou soviétique, le système démocratique était déprécié et attaqué de toute part. Aujourd’hui, la situation n’est pas vraiment comparable parce que nous sommes face à la montée de la mondialisation. C’est en quelque sorte une crise interne au système qui est basé sur le marché. Le danger vient de l’intérieur. Il faut réinventer, et ce n’est pas une tache facile pour les démocrates. C’est beaucoup plus difficile à repérer, à isoler, à analyser et à combattre. C’est une espèce de nouvelle maladie contre laquelle le vaccin n’a pas encore été trouvé.


Recueilli par Jean-Marie Dinh

L’écriture novatrice et rebelle de l’exil

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Thuân : Le renouveau littéraire vietnamien post guerre froide

Pour cette femme d’origine vietnamienne qui regarde le bagage abandonné dans le métro parisien, la cause n’est toujours pas entendue. Elle se soustrait du temps linéaire, après que son fils Vinh se soit rendormi sur son épaule. Et s’échappe, portée par l’ivresse d’une recherche intérieure qui revient sur les contraintes particulières de son histoire.

Débute un monologue inattendu qui nous entraîne entre Belleville et Hanoi. Ce destin construit sur le décalage des sociétés la traverse et la divise autant qu’il constitue des partie d’elle-même. S’instaure une dialectique entre choix de raison et réalité vécue. Après cinq année d’étude  anglophone en Russie, chemin de l’excellence pour obtenir le précieux diplôme rouge (1) sensé ouvrir tous les horizons,  elle n’est pas devenu professeur d’université mais enseignante dans un collège.  » Je passe trois heures par jour dans les transports en commun pour travailler, avec des élèves qui haïssent le mot l’avenir« . Les promesses de réussite ont abouti en banlieue parisienne et au lot de petites railleries que connaissent les immigrés au pays des droits de l’homme .

Entremêlant les notions de nation, de langue et de territoire, l’auteur explore l’intérieur obscur du déracinement.  Libéré des représentations, le personnage ouvre des champs de pensée dont la quête de totalité ne s’épuise plus dans le réel. Devenu inconcevable, le lieu de naissance cède la place aux familiarités de résistance que partagent les exilés. Chinatown offre un regard de l’extérieur sur l’Occident d’après guerre froide. Le livre remet discrètement en cause certaines idées reçues. Par-delà ce que vendent nos diplomates sans plus y croire. Qu’est ce qui est vraiment en jeu ? Où se situe le centre et où la périphérie ? Comment se préparer à l’avenir ? Autant de question mises en jeu dans le roman sans recourir à la politique étrangère ou celle de l’immigration.

Chinatown est aussi une histoire d’amour, éclatée dans le temps et dans l’espace, à la fois morte et toujours vivante. Il est question d’une brève union avec Thuy, Vietnamien d’origine chinoise qui l’a quittée peu après qu’elle ait mis au monde leur enfant Vinh. Le flou spectral des sentiments s’élève en tempête, s’éclairant par instants d’éclairs lucides tranchés dans le vif d’une vie rebelle. On est loin de l’odeur de la papaye et des senteurs de bois parfumé. « Les mots de Duras, je les lis avec méfiance », confie la narratrice qui a depuis longtemps rompu le fil sécurisant de la tradition.

Original et exigeant, le style de Thuân opère un dédoublement troublant dans la construction narrative. L’écriture obsessive qui reconnaît la rupture devient irréductible au concept classique. Elle résonne comme une oraison poétique à savourer en prenant son temps.

Jean-Marie Dinh

Thuân a reçu en 2008 le prix de l’Union des écrivains, la plus haute distinction de la littérature vietnamienne.

Chinatown, traduit du vietnamien par Doan Cam Thi, Editions du Seuil, 19 euros

(1) dans le système universitaire soviétique, la couleur rouge du diplôme correspondait aux notes les plus élevées.


Cette obscure pensée qui respire

PétalesLe titre Pétales coiffe le dernier recueil de courtes nouvelles de l’auteure mexicaine Guadalupe Nettel. Pétales, le mot semble exquis, fragile, respirable, tout à fait convenable à la pratique de la prose. C’est oublier que les pétales donnent parfois une sensation de fermeté lorsqu’ils caressent la paume de notre main ou tombent au hasard sur votre torse ou votre poitrine.

La nouvelle qui offre son titre au livre nous met en présence d’un jeune homme de vingt ans doté d’un sens olfactif hors du commun. Pour exploiter ce don, ou par timidité, le personnage a fait de son étonnante capacité une vocation qu’il exerce dans les toilettes des dames à la recherche de la fleur.

 » Je préférais découvrir les femmes dans le seul lieu où elles ne se sentaient pas observées : les toilettes. Ici, quand on a appris à décrypter, une simple trace liquide glissant sur la paroi blanche peut révéler une dépression nerveuse ou une contrariété récente. Il y avait toujours quelque chose à découvrir, une réaction nouvelle capable de déclencher en moi l’euphorie du novice… « 

Comme ses personnages, Guadalupe Nettel esquisse en six histoires embarrassantes, un inventaire furtif de ce qui nous échappe précisément parce que nous ne souhaitons pas les regarder. La force de ces injections légères touche autant l’objet érotique que les petites – ou grandes – lâchetés tapies au fond de nous.

Passée la porte des évidences, tout est possible. La puissance de l’écriture nous entraîne avec une déconcertante évidence sur les lieux de notre quotidien, au travail, dans un jardin botanique ou dans la vie domestique. Scrutant notre bien pensante débauche, l’auteur révèle la nature imparfaite avec les yeux voyeurs de l’enfance. Les traces et les odeurs nous conduisent de surprise en surprise. De celles qui vous transforment et auxquelles on ne peut que conseiller de s’abandonner.

Jean-Marie Dinh

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Guadalupe Nettel est née à Mexico en 1973. Elle est l’auteur de trois recueils de nouvelles : Juegos de artificios, Les jours fossiles, Pétalos (2008) et d’un roman : L’hôte, publié simultanément aux éditions Anagrama et aux éditions Actes Sud en 2006.

« Le Goncourt, je ne m’y attendais pas, j’écris instinctivement »

Atiq Rahimi : « Cette femme s'est imposée à moi »

Atiq Rahimi : « Cette femme s'est imposée à moi »

L’écrivain afghan Atiq Rahimi a reçu le prix Goncourt 2008 pour son livre Syngué sabour Pierre de patience.

Votre livre part d’une situation réelle et en même temps, la dépasse. D’où écrivez-vous ?

Cela remonte à 2005, un événement dramatique a joué un rôle moteur, l’assassinat de la poétesse Nadia Anjuman, célèbre pour ses vers sur la malédiction d’être femme en Afghanistan… Au départ, je voulais écrire quelque chose sur les hommes, sur son mari. Mais quand je me suis lancé dans l’écriture, cette femme s’est imposée à moi. Elle voulait que je parle d’elle, de ce qu’elle avait vécu. Je l’ai suivie sans connaître sa vie. C’est peut-être cette part de féminité que nous avons chacun en nous qui m’y a poussé…

Vous mettez en situation une femme veillant son mari à l’agonie. Une femme face à l’absence qui renvoie à la situation d’un monde autiste…

Malheureusement oui, on a toujours une part d’autisme vis- à vis de ce qui se passe dans le monde. Dans toutes les guerres on observe cela. Les femmes et les enfants sont toujours les premières victimes. Et ceux qui sont à l’origine, ceux qui imposent leurs lois, restent les plus indifférents à la souffrance.

Le temps modifie la situation. Face à l’intenable, la femme se libère, s’éloigne de son rôle et de la religion où elle s’était réfugiée…

Au début cette femme ne se rend pas compte de ce qui est arrivé. Elle est là. Cela fait quelques semaines qu’elle prie. Elle veille sur son mari. Elle lit le Coran. Mais comme la situation reste figée, au bout d’un moment, elle va commencer à se poser des questions. Et finit par se pencher sur elle-même. Petit à petit, elle s’aperçoit qu’elle ne peut pas sauver son mari mais qu’elle peut se libérer. C’est la première fois qu’elle arrive à parler d’elle. Il n’y a personne pour la blâmer. Elle profite de la situation. Cet homme devient sa pierre de conscience.

A ce moment, on quitte la sphère sacrificielle et religieuse pour entrer dans la sphère spirituelle et poétique ?

En effet, « Du corps par le corps avec le corps depuis le corps et jusqu’au corps. » Cette phrase d’Artaud se retrouve dans le livre à travers trois étapes. Au début le corps sacrificiel est condamné au silence. Rien ne bouge. Ensuite la femme commence à parler de son corps, on voit que ce corps est un objet de honte comme le considèrent les trois religions monothéistes. Ensuite la femme se livre à la prostitution, le corps devient un objet de commerce et d’échanges. Et vers la fin, il prend une autre dimension parce que la femme n’est plus objet. Le corps devient sujet de révélation. Dans la pensée mystique persane, le corps ne se distingue pas de l’âme. Nous avons un mot intraduisible pour désigner cette symbiose. C’est le mot djâm : un corps sujet et âme sans séparation. C’est la vie. La prise de conscience de son corps est une délivrance. A la fin, même si l’homme tord le cou de sa femme. Elle rouvre les yeux. C’est une forme de renaissance.

L’attribution du Goncourt vous a-t-elle surpris ?

Quand je travaille, je ne pense pas du tout aux prix. J’écris très instinctivement. Je souhaitais faire paraître le livre en mars pour correspondre à notre nouvel an. Mais mon éditeur a décidé de le sortir pour la rentrée littéraire.

Juste après l’attribution du prix, vous avez lancé un appel pour éviter une expulsion collective ?

C’était une coïncidence. Je ne crois pas que l’on m’ait donné le prix pour que je fasse cette déclaration (rire). Mais pour moi c’est un signe comme disait André Breton : c’est un hasard objectif. Pour moi ce prix est la reconnaissance d’une aventure littéraire dans une langue, même si je revendique l’écriture comme un acte politique. Parce que quoi que l’on fasse, la politique est là. Elle vous rattrape. Elle vous récupère d’une manière ou d’une autre.

recueilli par Jean-marie Dinh


Voir aussi : Rubrique France politique  expulsionsMinistre de reserve


La singularité d’un livre miroir

pierre-de-patience1L’histoire, précise l’auteur, se situe quelque part en Afghanistan ou ailleurs. Il y est question de la vie d’une femme se retrouvant seule avec ses deux filles, au chevet de son mari. Un héros de guerre, prétentieux, arrogant, violent mais aujourd’hui à l’agonie. Un roi régnant encore, par son seul souffle sur un jardin mort. Comme beaucoup de maris qui rentrent à la maison après leur travail. Dehors les bombes explosent. On tire à la Kalachnikov. La femme prie jusqu’au bout de ses limites. Avec le temps, arrive le moment où elle doit faire face à la réalité. Sortir du jardin mort, dépasser ses craintes pour se découvrir, elle-même. En confiant ses secrets, elle se découvre et se libère. Ce qui paraît naturel se retourne alors dans le mouvement de la vie.

L’écriture claire et épurée de Rahimi porte loin.  L’écrivain afghan signe une œuvre majeure.

En attribuant le Goncourt 2008 à l’auteur franco-afghan, Atiq Rahimi, le jury a fait le bon choix. Ce prix tombe comme une corde de rappel face au glissement de la littérature vers la sphère économique sous-tendu par les prix littéraires. Pour une fois, on peut se réjouir des commentaires qui ont suivi l’annonce du lauréat. Ils n’ont pas tourné autour des écuries éditoriales mais évoqué la singularité d’un livre miroir qui vaut vraiment un petit détour chez son libraire favori.

Atiq Rahimi, Syngué Sabour, 15 euros, chez Pol

Voir : Goncourt 2009